Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1029

 

DATE :

9 mai 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Yvon Fortin, A.V.A.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

RÉJEAN TALBOT, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, planificateur financier et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 131874)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A RÉITÉRÉ L’ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-PUBLICATION :

        Des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

[1]          Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) a procédé à Montréal, à l’audition sur sanction à la suite de la déclaration de culpabilité de l'intimé rendue le 20 juillet 2018, sous dix des treize chefs d’accusation contenus à la plainte, ayant été acquitté sous les chefs 1, 2 et 13.

[2]          La plaignante était représentée par Me Julie Piché. L’intimé était présent et représenté par Me Martin Courville.

[3]          L’intimé s’est engagé à fournir pour le 26 novembre 2018, des documents additionnels au soutien de son témoignage, à propos desquels la plaignante devait faire parvenir ses commentaires au plus tard le 11 décembre 2018.

[4]          Toutefois, à la suite d’échanges divers entre les procureurs et le comité, le tout a été complété le 30 janvier 2019. Pour sa part, la plaignante a fait suivre ses derniers commentaires le 31 janvier 2019. En conséquence, le délibéré a commencé le 1er février 2019.

LA PREUVE

[5]          La plaignante a déposé la preuve documentaire additionnelle suivante :

a)     Extrait pour l’intimé du Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer provenant de l’Autorité des marchés financiers (AMF), daté du
6 novembre 2018
[1];

b)     Mise en garde de la syndique, en date du 20 janvier 2003[2], particulièrement pertinente pour le chef d’accusation 3;

c)      Engagement volontaire de l’intimé daté du 5 octobre 2005[3], particulièrement pertinent pour les chefs relatifs aux profils d’investisseur et à l’analyse des besoins financiers (ABF) dans les dossiers de C.D. et J.L.;

d)     Décision sur culpabilité et sanction rendue contre l’intimé le 6 décembre 2016 dans le dossier CD00-1082 et rapportant une infraction relative au désenregistrement dans un REÉR et un CRI, s’apparentant à celle du désenregistrement du FERR du consommateur sous le chef d’accusation 11[4];

e)     Décision sur culpabilité et sanction rendue contre l’intimé le 25 septembre 2018 dans le dossier CD00-1134 eu égard à deux chefs relatifs à de l’appropriation de deniers et un autre d’avoir fourni un faux spécimen de chèque. L’intimé a été radié provisoirement le 7 juillet 2015 et a enregistré, le 16 novembre 2016, un plaidoyer de culpabilité sous chacun de ces trois chefs. À cette même date, les parties ont recommandé conjointement sous chacun des trois chefs la radiation permanente de l’intimé[5];

f)       Rapport des commissions de l’intimé au 11 février 2008, démontrant dans le dossier J.L. des commissions nettes de 4 400 $ pour un placement et de 464,29 $ pour un deuxième, pour un total d’environ 4 800 $[6].

[6]          Pour sa part, l’intimé a témoigné et déposé à l’audience les documents suivants :

a)     Procès-verbal de l’audition du 16 novembre 2016 dans le dossier CD00-1134[7], dont la décision a été rendue le 25 septembre 2018[8];

b)     Déclaration fédérale de revenus pour 2015[9], qui affiche notamment des prestations de la Régie des rentes du Québec (RRQ) autour de 7 203 $ et des revenus d’emploi de 10 000 $, pour un total d’environ 17 277 $;

c)      Déclaration fédérale de revenus pour 2016[10], affichant des prestations de la RRQ d’environ 7 303 $ et des revenus d’intérêts, pour un total de 7 395 $;

d)     Déclaration fédérale de revenus pour 2017[11], affichant des prestations de la RRQ d’environ 7 406 $. À celles-ci s’ajoutent des prestations d’assurance invalidité mensuelles de 7 500 $, le tout totalisant annuellement 90 000 $[12].

[7]          Dans les semaines suivant l’audience, il a fait parvenir les documents additionnels suivants :

a)     Avis de la RRQ daté du 21 juin 2018, acceptant sa demande de rente d’invalidité rétroactivement au mois d’octobre 2015. Par conséquent, des arrérages d’environ 15 936 $ lui ont été versés pour la période d’octobre 2015 à juin 2018. Ses prestations de RRQ incluant la rente d’invalidité sont passées à 1 111 $ par mois dès juillet 2018.

Il est indiqué à cet avis que, comme la rente d’invalidité prend fin à l’âge de
65 ans, l’intimé ne recevra, à partir de novembre 2018, que ses prestations de RRQ sans la portion invalidité;

b)     « Convention d’achat d’éléments d’actif », en date du 1er octobre 2015;

c)      Relevés d’un compte épargne libre d’impôt (CÉLI) auprès de Desjardins courtage en ligne pour 2010 à 2018. Au 30 septembre 2018, il affichait une valeur marchande d’environ 11 267 $[13];

d)     Relevé d’un compte marge contenant des actions, affichant une valeur marchande d’environ 52 486 $ au 30 septembre 2018[14];

e)     État des revenus et dépenses de la compagnie de l’intimé « Les  investissements Talbot inc » pour 2013 et 2014;

f)       Divers documents, incluant le plumitif, de la poursuite civile intentée par l’intimé en Cour supérieure, réclamant notamment 320 000 $ pour le solde du prix de vente de sa clientèle et 150 000 $ en dommages moraux et punitifs[15].

Témoignage de l’intimé 

[8]           L’intimé était coactionnaire du cabinet Talbot Olivier Côté.

[9]           Il ne travaille plus depuis août 2015, n’a aucun revenu d’emploi et est maintenant retraité.

[10]       Il avait déjà cédé une partie de son bloc d’affaires à un autre représentant au cours des années précédentes, mais vu sa radiation provisoire ordonnée le 7 juillet 2015 dans le dossier CD00-1134, il lui a vendu la balance vers décembre 2015.

[11]       En janvier 2018, l’acquéreur ayant fait défaut d’acquitter cette balance selon les termes du contrat, il a intenté une poursuite en Cour supérieure totalisant 480 000 $.
Le dossier est complété et en attente d’une date d’audience depuis septembre 2018.

[12]       Questionné par le comité sur l’absence du produit de cette vente dans ses déclarations de revenus de 2015 à 2017, l’intimé a répondu : « c’est par rapport à l’exemption de gain en capital. C’est au niveau de la fiscalité que ça s’est fait. C’est au bureau du comptable que ça a été procédé (…) je ne sais pas de quelle façon c’est traité par le comptable qui a fait ma déclaration d’impôts (…) c’était pas imposable parce qu’on a une exemption personnelle »[16].

[13]       Avec le produit de vente partielle de son bloc d’affaires, il a remboursé « sa marge de crédit » ayant servi à acheter des actions « assez spéculatives » notamment dans une compagnie d’exploration minière[17]. Étant un investisseur important, qui croyait dans cette compagnie, il y a même agi comme administrateur. La majorité de ces actions font partie de son compte CÉLI et ne valent qu’entre 35 000 $ et 40 000 $[18], bien que leur valeur a déjà atteint autour de 1,8 M $.

[14]       Il a une compagnie qui ne possède pas beaucoup d’actifs, ni de revenus. 

[15]       Il ne possède pas de REÉR. Le seul autre placement qu’il détient est un REÉÉ au bénéfice de ses deux petites-filles, auquel il n’a pas cotisé depuis au moins trois ans.

[16]       Il est actuellement sous médication. Aussi, en raison de problèmes de concentration, il ne peut plus répondre à ses obligations professionnelles ni personnelles. Il est considéré comme invalide par la RRQ, de sorte que ses prestations ont été majorées en conséquence.

[17]       Il agit comme aidant naturel pour son épouse, avec qui il est marié depuis plus de 25 ans. Celle-ci a des problèmes physiques et souffre d’un début de démence.

[18]       L’attente de la présente décision sur culpabilité l’a affecté moralement et il ne croit pas avoir la santé pour accompagner son épouse le temps nécessaire. Ce délai d’attente lui a causé préjudice, d’autant plus s’il était acquitté de tous ou de certains des chefs de la présente plainte.

[19]       Il estime avoir déjà été pénalisé par l’incertitude vécue depuis le début de l’enquête concernant le présent dossier, les faits reprochés entre 2005 et 2008, remontant maintenant à plus de dix ans.

[20]       En plus de décision en l’espèce, il était en attente de deux autres décisions du comité de discipline le concernant. Dans le dossier CD00-1134, bien que, dès le 16 novembre 2016, il ait enregistré un plaidoyer de culpabilité sous les trois chefs d’accusation et que les parties aient recommandé conjointement d’ordonner sa radiation permanente, l’autre formation du comité de discipline n’a rendu la décision que le 25 septembre 2018, près de deux ans plus tard.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[21]        La plaignante a recommandé les sanctions suivantes :

a)     Sous chacun des chefs 3, 5, 7, 8, 11 et 12 :

             Le paiement d’une amende de 6 000 $, pour un total de 36 000 $;

b)     Sous chacun des chefs 6, 9 et 10 :

             Une réprimande;

c)     Sous le chef 4 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux ans.

[22]       Elle a aussi demandé la publication d’un avis de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[23]       Au titre des facteurs aggravants à considérer, elle a notamment mentionné :

a)     La gravité objective des gestes reprochés;

b)     Les infractions portent atteinte à l’image de la profession et à la confiance du public envers ses représentants;

c)      Deux consommateurs impliqués;

d)     La préméditation des infractions par l’intimé;

e)     La vulnérabilité des consommateurs;

f)       Le préjudice subi par les consommateurs;

g)     Les avantages tirés des infractions par l’intimé;

h)      L’absence d’expression de regrets ou de remords;

i)       L’attitude de l’intimé à l’audition sur culpabilité qui a tenté d’éluder sa responsabilité au sujet du désenregistrement du FERR[19], et son peu de crédibilité[20];

j)       La longue expérience de l’intimé, qui s’avère être de plus de vingt ans;

k)      Ayant siégé au comité de discipline de 2005 à 2008, l’intimé était un représentant plus avisé que la moyenne;

l)       La mise en garde du 20 janvier 2003 et l’engagement volontaire de l’intimé du 5 octobre 2005[21];

m)    Les décisions rendues contre l’intimé dans les deux autres dossiers[22].

[24]       Par ailleurs, étant donné la radiation permanente de l’intimé ordonnée dans le dossier CD00-1134 le 25 septembre 2018, elle a indiqué qu’un risque de récidive paraît plutôt faible.

[25]       À l’appui de ces recommandations, la plaignante a remis un cahier d’autorités[23], ayant conclu, pour des infractions de même nature, à des radiations temporaires de deux ans et des amendes variant entre 3 000 $ et 5 000 $, voire même 6 000 $ en présence d’antécédents disciplinaires.

[26]       Quant à la décision sur sanction dans l’affaire Larochelle rendue le 30 novembre 2010 et confirmée par la Cour du Québec le  24 février 2012, elle a été soumise pour démontrer que les mises en garde et les engagements volontaires de l’intimé pouvaient être considérés lors de la détermination de la sanction, ces éléments servant à justifier une amende plus élevée, telle que celle de 6 000 $ recommandée en l’espèce par sa cliente. Dans cette même affaire, la décision de la Cour du Québec[24] confirme que la preuve faite par le seul dépôt des engagements volontaires et des mises en garde est suffisante.

 

 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[27]        Bien que d’accord avec les réprimandes recommandées par la plaignante sous les chefs d’accusation 6, 9 et 10, le procureur de l’intimé a contesté les sanctions suggérées sous les autres chefs.

[28]        Il a proposé d’imposer plutôt des réprimandes sous chacun des chefs d’accusation, alléguant les délais « déraisonnables » du processus disciplinaire qui ont causé un préjudice à l’intimé, ainsi que le fait que ce dernier était déjà radié de façon permanente, à la suite de la décision rendue le 25 septembre 2018 dans le dossier CD00-1134.

[29]        Concernant le délai déraisonnable, il a soulevé les faits suivants[25] :

a)     La plainte a été déposée le 28 novembre 2013;

b)     La preuve a nécessité dix jours d’audience, échelonnés sur une période d’environ neuf mois, du 1er décembre 2014 au 20 août 2015;

c)      Le dossier a été en délibéré vingt-sept mois;

d)     Près de soixante mois s’étaient écoulés depuis le dépôt de la plainte disciplinaire;

e)     L’intimé a subi un préjudice en raison de l’écoulement du temps : stress, impossibilité de tourner la page, inquiétudes financières et difficulté à planifier sa retraite, problèmes de santé et autres.

[30]        Subsidiairement, à défaut d’ordonner des réprimandes, il a recommandé des amendes totalisant 17 500 $ et deux périodes de radiation temporaire d’un mois, réparties comme suit :

a)    Sous chacun des chefs d’accusation 5 et 7 :

             Le paiement d’une amende de 5 000 $, pour un total de 10 000 $;

b)    Pour le chef d’accusation 3 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

 

c)    Pour le chef d’accusation 4 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

d)    Pour chacun des chefs d’accusation 8, 11 et 12 :

             Le paiement d’une amende de 2 500 $ sous chacun de ces chefs, pour un total de 7 500 $.

[31]        Si le comité retient le paiement d’amendes, il a demandé d’accorder à l’intimé douze mois pour leur paiement. Quant aux déboursés, il a demandé d’appliquer la règle de la proportionnalité et de condamner l’intimé au paiement des 10/13 de ceux-ci.

[32]        Au soutien de sa recommandation tant principale que subsidiaire, il a remis un cahier contenant la législation, la doctrine et les autorités qu’il jugeait pertinentes[26].

ANALYSE ET MOTIFS

[33]        Rappelons que l’intimé a été déclaré coupable sous dix des treize chefs d’accusation portés contre lui le 28 novembre 2013, et dont la gravité objective ne fait pas de doute.

[34]        Au titre de sanctions, la plaignante a recommandé sous six des dix chefs d’accusation le paiement d’amendes totalisant 36 000 $, ainsi que des réprimandes pour les trois autres liés à ceux-ci. Sous le quatrième chef d’accusation, elle a réclamé une période de radiation temporaire de deux ans.

[35]        Quant à l’intimé, à l’appui de sa demande pour un allègement des sanctions, il a dans un premier temps proposé de lui imposer que des réprimandes sous chacun des chefs d’accusation. Il a d’abord allégué les délais « déraisonnables » du processus disciplinaire depuis le dépôt de la plainte, ceux-ci lui ayant causé préjudice, et qu’il fait au surplus l’objet d’une radiation permanente depuis le 25 septembre 2018. Concernant les délais, il a indiqué plus particulièrement :

           Les soixante mois écoulés entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l’audience sur sanction;

           Les vingt-sept mois entre la prise du délibéré et la décision sur culpabilité.

[36]        Les autorités et doctrine[27] qu’il a fournies à cette fin traitent entre autres des articles 154.1 et 150 du Code des professions (CP), prévoyant que le Conseil de discipline rend sa décision dans les quatre-vingt-dix jours de la prise du délibéré et qu’il impose sa sanction dans les soixante jours suivant la déclaration de culpabilité.

[37]        La jurisprudence établit que ces délais pour rendre la décision sont indicatifs et non impératifs. Toutefois, dans les cas exceptionnels, un allègement de la sanction pourrait s’avérer nécessaire afin de tenir compte de la longueur des délais constatés dans l’instance.

[38]        Le comité convient avec l’intimé que c’est à cette étape-ci de l’instance que la question des délais doit être soulevée[28].

[39]        Me Marie-Claude Simard[29], dans son article publié en 2014 soumis par l’intimé, passe notamment en revue les décisions du Tribunal des professions citées par l’intimé portant sur les délais à rendre les décisions, en commençant avec la décision Gamache[30] rendue en 2011 et terminant avec celle dans Gauthier[31] de 2013.  

[40]        Au sujet de cette dernière affaire Gauthier, l’auteure souligne que le Tribunal des professions a discuté de l’interprétation inacceptable, faite par le Conseil de discipline, des motifs de ce même Tribunal énoncés dans l’affaire Gamache pour réduire les sanctions recommandées :

« [26] L’allègement de la sanction n’est pas une panacée permettant au Conseil de remédier au fait qu’il rend, sans justification, une décision dans un délai déraisonnable. Le délai de 35 mois ne peut être « excusé » par un allègement de la sanction sans qu’il n’y ait de débat permettant aux parties d’être entendues, entre autres, sur les éléments suivants :

           préjudice lié à l’écoulement du temps;

           circonstances exceptionnelles;

           protection du public.

[27] L’allègement de la sanction, mesure exceptionnelle faut-il le rappeler, doit tenir compte non seulement de la protection du public mais aussi de la crédibilité du processus disciplinaire à ses yeux. Il ne s’agit pas d’un procédé permettant à un conseil de discipline faisant preuve de déviance de contrecarrer celle-ci. »[32]

[41]        Ainsi, l’existence de longs délais, à elle seule, ne suffit pas pour justifier un allègement de sanction.

[42]        D’autre part, Me Simard souligne que le Tribunal des professions a eu l’occasion dans Lamarche[33] « (…) de clarifier la règle de droit relative au devoir de rendre une décision dans un délai raisonnable en droit disciplinaire et son application » et de « (…) [mettre] la table en qualifiant ainsi le délai de trois ans et trois mois entre l’audience sur sanctions et la décision, tout en précisant que bien que le délai de 90 jours prévu au Code ne soit pas de rigueur, il y aurait lieu de s’en approcher » [34].

[43]        L’auteure poursuit :

« Reprenant les principes énoncés dans l’arrêt Gamache, le Tribunal des professions pousse plus loin son raisonnement quant à l’application des règles de justice naturelle et aux facteurs à prendre en compte :

Les règles de justice naturelle

[25] Par ailleurs, même si, dans les circonstances, la protection constitutionnelle prévue dans les deux Chartes d’être jugé dans un délai raisonnable ne saurait s’appliquer, il est acquis que les règles de justice naturelle comprennent l’obligation pour un décideur de procéder à une audition dans un délai raisonnable. » [35].

[44]        Concernant les divers facteurs à considérer pour décider du caractère raisonnable ou non du délai, le Tribunal dans Lamarche[36] rapporte ceux énoncés dans l’arrêt Blencoe par le juge LeBel de la Cour suprême du Canada :

« […] Grâce à une meilleure compréhension des différents types de délai et des différents contextes dans lesquels ils se situent, nous considérons que, pour évaluer le caractère raisonnable d’un délai administratif, trois facteurs principaux doivent être appréciés:

(1)  le délai écoulé par rapport au délai inhérent à l’affaire dont est saisi l’organisme administratif en cause, ce qui comprendrait la complexité juridique (y compris l’existence de questions systémiques particulièrement complexes) et la complexité factuelle (y compris la nécessité de recueillir de grandes quantités de renseignements ou de données techniques), ainsi que les délais raisonnables pour que les parties ou le public bénéficient de garanties procédurales;

(2)  les causes de la prolongation du délai inhérent à l’affaire, ce qui comprendrait notamment l’examen de la question de savoir si la personne touchée a contribué ou renoncé à certaines parties du délai, et celle de savoir si l’organisme administratif a utilisé aussi efficacement que possible les ressources dont il disposait;

(3)  l’incidence du délai, considérée comme englobant le préjudice sur le plan de la preuve et les autres atteintes à l’existence des personnes touchées par le délai qui s’écoule.  Cela peut également comprendre l’examen des efforts que les différentes parties ont déployés pour réduire au minimum les effets négatifs en fournissant des renseignements ou en apportant des solutions provisoires. » [37]

[45]        Toujours dans Lamarche, le Tribunal des professions poursuit en précisant au sujet de ces facteurs :

« [29] Il y a lieu d'affirmer que ces facteurs s'appliquent en droit disciplinaire; toutefois, étant donné le caractère sui generis et la finalité de ce dernier, ces facteurs doivent être complétés et soupesés avec d'autres, notamment la gravité objective de l'infraction en cause et le but ultime du droit disciplinaire qu'est la protection du public28.

____________

28 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gauthier, 2012 QCTP 151, paragr. 26. »

[46]        Il y a lieu de préciser que ces décisions du Tribunal des professions ont surtout porté sur sanction et non sur culpabilité, en plus d’être, pour la plupart, rendues à la suite de recommandations communes.

[47]        Qu’en est-il en l’espèce des délais allégués par l’intimé au soutien d’un allègement des sanctions ?

[48]        Pour y répondre, voici la chronologie du présent dossier :

28 novembre 2013

Dépôt de la plainte disciplinaire

1 et 2 décembre 2014 (Québec)

4, 5 et 16 décembre 2014 (Montréal)

20 et 27 mars 2015

17 avril 2015

19 et 20 août 2015

Audiences sur culpabilité

24 septembre 2015

Preuve déclarée close

(dépôt de preuve supplémentaire par l’intimé et représentations de la plaignante)

2 octobre 2015

 

 

Fixation d’un échéancier pour remise de plaidoiries écrites à la demande des parties

Échéancier :

13 novembre 2015 (plaignante)

23 décembre 2015 (intimé)

15 janvier 2016 (réplique)

9 novembre 2015 (plaignante)

1er décembre 2015 (plaignante)

23 février 2016 (intimé)

12 avril 2016 (intimé)

Demandes de prolongation par les parties pour remise de plaidoiries

22 janvier 2016 (plaignante)

22 avril 2016 (intimé)

9 et 30 mai 2016 (versions électronique et papier de la réplique)

Remise des plaidoiries

Avril 2017 (4 jours)

Prise de délibéré (rencontres du comité)

20 juillet 2018

Décision sur culpabilité

20 août 2018

Fixation de l’audience sur sanction

12 novembre 2018

Audience sur sanction

 

[49]        Les délais avancés par l’intimé méritent donc d’être nuancés.

[50]        Bien que celui de soixante mois allégué entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l’audience sur sanction soit conforme à la réalité, il s’explique.  

[51]        D’abord, douze mois ont été nécessaires avant le premier jour fixé pour l’instruction de la plainte au 1er décembre 2014, aux fins de permettre une divulgation complète de la preuve et la production par l’intimé d’une expertise, en réponse à celle de la plaignante.

[52]        Par la suite, bien que les parties aient annoncé avoir besoin de cinq jours pour compléter la preuve, celle-ci a requis le double du nombre fixé initialement et n’a pu être déclarée close que le 24 septembre 2015, à la suite du dépôt de la preuve supplémentaire par l’intimé. De plus, les parties ayant demandé de plaider par écrit, leurs plaidoiries respectives n’ont été en possession du comité qu’à la fin du mois de mai 2016. Ainsi, dix-huit mois se sont ajoutés pour compléter le débat sur la culpabilité.

[53]        Quant au délai de délibéré, il a été non pas de vingt-sept mois, comme soutenu par l’intimé, mais de quinze, car n’ayant commencé qu’à partir du mois d’avril 2017, pour les raisons annoncées aux parties[38].

[54]        L’intimé a soutenu que ce délai de délibéré ne fût pas justifié, car le dossier était simple et ne présentait rien qui « sortait de l’ordinaire ». Cet argument paraît en l’espèce surprenant alors que pour motiver la demande de plaider par écrit présentée au nom des deux parties, l’intimé lui-même a fait valoir l’ampleur de la tâche, alléguant les dix jours d’audience, la preuve documentaire volumineuse et testimoniale importante.

[55]        Outre des conflits d’agenda, les parties ont réitéré ces derniers éléments pour justifier leurs demandes respectives répétées pour reporter les échéanciers fixés pour la remise de leurs plaidoiries.

[56]        De façon plus précise, signalons qu’au cours des dix jours d’audience, le comité a entendu neuf témoins, dont l’enquêteur, cinq consommateurs et l’intimé, en plus du témoin expert retenu par chacune des parties.

[57]        Rappelons aussi que l’intimé a été déclaré coupable sous dix des treize chefs d’accusation portés contre lui le 28 novembre 2013, pour avoir contrevenu :

a)     Chef d’accusation 3 : À l’article 13 du Code de déontologie de la CSF, en ne fournissant pas à C.D. l’information objective et complète sur les fonds communs de placement qu’il lui a fait souscrire, notamment sur la garantie et sur les frais de sortie applicables;

b)     Chef d’accusation 4 : À l’article 11 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (Règlement), en effectuant des transactions dans les comptes de C.D. sans obtenir son autorisation préalable;

c)      Chefs d’accusation 5, 6 et 7 : À l’article 3 du Règlement, en faisant défaut d’établir un profil d’investisseur qui décrivait adéquatement la situation personnelle et financière, ainsi que les objectifs de placement de C.D.;

d)     Chefs d’accusation 8, 9 et 10 : À l’article 14 du Règlement, en faisant vendre à C.D. des parts détenues dans certains fonds et lui faisant acheter des parts d’autres fonds, alors que ces transactions n’étaient pas dans son intérêt;

e)     Chefs d’accusation 11 et 12 : À l’article 14 du Règlement, en faisant faire à J.L. des transactions qui n’étaient pas dans son intérêt, dont le billet BMO.

[58]        La décision sur culpabilité, incluant l’analyse des objections prises sous réserve, comportait 53 pages[39]. Le comité estime que cette affaire présentait une difficulté accrue, surtout en raison de l’analyse de la crédibilité des témoignages des consommateurs et de l’intimé eu égard aux faits reprochés et des opinions divergentes des experts, notamment sur les caractéristiques d’un des produits en cause.

[59]        Considérant la règle de droit relative au devoir de rendre une décision dans un délai raisonnable, combiné aux divers facteurs à considérer pour décider du caractère raisonnable ou non du délai énoncés[40], le comité est d’avis que dans les circonstances du présent dossier, les délais de l’instance jusqu’à l’audition sur sanction, y compris celui de quinze mois pour le délibéré, ou même considérant celui de vingt-sept mois allégué par l’intimé, bien que longs, ne sont pas excessifs
« (…) au point qu’il
faille intervenir et réduire la sanction »[41]. Les longs délais ne suffisent pas, « (…) encore faut-il que la preuve établisse certains faits justifiant de le faire et que l’existence d’un préjudice réel ou des circonstances exceptionnelles lui soit démontrée »[42].

        Préjudice réel

[60]       À ce propos, l’intimé a témoigné que l’attente de la présente décision sur culpabilité l’a affecté moralement, car lui générant du stress devant l’impossibilité de tourner la page et des problèmes de santé, ce qui lui a causé préjudice. Les faits reprochés remontant à plus de dix ans et l’incertitude vécue depuis le début de l’enquête font en sorte qu’il estime avoir déjà été suffisamment pénalisé.

[61]       Rappelons que l’intimé était en attente de décisions dans les deux autres dossiers le concernant, CD00-1082 et CD00-1134.

[62]       Aussi, dès le 7 juillet 2015, dans le dossier CD00-1134, l’intimé était radié provisoirement, le sursis de l’exécution ayant été rejeté le 28 juillet 2015 par la Cour du Québec[43]. Sa radiation provisoire dans cet autre dossier a donc pris effet avant même la dernière journée d’audience sur culpabilité en l’espèce.

[63]       De plus, bien qu’il ait enregistré dès le 16 novembre 2016, dans ce même dossier CD00-1134, un plaidoyer de culpabilité sous chacun des trois chefs d’accusation et que les parties aient recommandé conjointement d’ordonner sa radiation permanente, l’autre formation du comité n’a rendu sa décision que le 25 septembre 2018, près de deux ans plus tard et moins de deux mois avant la présente audience sur sanction.

[64]       En outre, dans le dossier CD00-1082, l’intimé a plaidé coupable le
21 novembre 2016 et sa radiation temporaire de six mois était recommandée par les parties
, le tout ayant été confirmé par une troisième formation du comité le
6 décembre 2016. L’intimé était donc également radié provisoirement jusqu’en juin 2016.

 

[65]       En conséquence, même si le présent comité avait pu prendre en délibéré le dossier dès que les plaidoiries des parties étaient en sa possession à la fin mai 2016 et en mesure de respecter le délai de 90 jours stipulé à l’article 154.1 CP, la décision sur culpabilité n’aurait été rendue qu’en août ou septembre 2016, et ce, en faisant abstraction des particularités du présent dossier.

[66]       À cette dernière date, l’intimé faisait toujours l’objet de la radiation provisoire prononcée depuis juillet 2015 dans le dossier CD00-1134, laquelle est devenue permanente le 25 septembre 2018.

[67]       Il est par conséquent difficile de concevoir que l’attente de la décision sur culpabilité dans le présent dossier, même plus favorable, pouvait lui causer préjudice, ayant déjà été radié de façon provisoire depuis le 7 juillet 2015 dans le dossier
CD00-1134, sans compter qu’il savait que sa radiation permanente était imminente.

[68]       Force est de constater que n’eurent été les plaintes postérieures portées dans les dossiers CD00-1082 et CD00-1134, l’intimé aurait été à même de continuer d’exercer sa profession en dépit des délais du présent dossier. Le préjudice, s’il en est, est directement lié à sa propre turpitude.

[69]        Par conséquent, le comité est d’avis que l’intimé n’a pas démontré l’existence de préjudice réel ni de circonstances exceptionnelles justifiant l’allègement des sanctions.

[70]        Quant à l’argument portant sur le fait que l’intimé fasse déjà l’objet d’une radiation permanente, le comité estime qu’il s’agirait plutôt d’un élément à considérer pour la globalité des sanctions.

[71]        Il y a lieu maintenant d’examiner la recommandation subsidiaire de l’intimé, concluant à l’imposition d’amendes totalisant 17 500 $ et une période de radiation d’un mois sous chacun des chefs 3 et 4, ainsi que celle de la plaignante. Ces recommandations sont reproduites dans le tableau ci-après :

 

 

Chef d’accus.

Recommandation de la plaignante

Recommandation de l’intimé

3

Amende de 6 000 $

Radiation temporaire d’un mois

4

Radiation temporaire de deux ans

Radiation temporaire d’un mois

5

Amende de 6 000 $

Amende de 5 000 $

6

Réprimande

Réprimande

7

Amende de 6 000 $

Amende de 5 000 $

8

Amende de 6 000 $

Amende de 2 500 $

9

Réprimande

Réprimande

10

Réprimande

Réprimande

11

Amende de 6 000 $

Amende de 2 500 $

12

Amende de 6 000 $

Amende de 2 500 $

[72]        Comme résumé par le comité dans l’affaire Larochelle[44] citée par la plaignante, aux fins de la détermination de la sanction :

« [27] La Cour d’appel du Québec dans Pigeon c. Daigneault [2003] R.J.Q. 1090, a établi que la sanction disciplinaire doit favoriser l’atteinte des objectifs suivants :

1.    la protection du public;

2.    la dissuasion du professionnel de récidiver;

3.    l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables;

4.    le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession4.

[28] De plus, tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier doivent être pris en compte pour la [sic] déterminer la sanction. Les facteurs objectifs sont :

1.    le public est-il affecté par les gestes posés par le professionnel,

2.    l'infraction retenue contre le professionnel a-t-elle un lien avec l'exercice de la profession,

3.    le geste posé est-il un acte isolé ou un geste répétitif.

[29] Les facteurs subjectifs sont l'expérience, le passé disciplinaire, l'âge du professionnel et sa volonté de corriger son comportement.  La Cour d’appel énonça que ‘‘ la délicate tâche du comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire ’’5. »

(Références omises)

[73]        Cela dit, chaque cas est un cas d’espèce.

[74]        Au cours de cet exercice d’évaluation et d’analyse, le comité doit également garder à l’esprit que la sanction doit être proportionnelle à la gravité du manquement qui est reproché à l’intimé et individualisée, afin de correspondre aux circonstances propres à sa situation. Il ne s’agit donc pas de chercher à punir l’intimé.

[75]        Le comité doit, pour la détermination de l’amende, tenir compte aussi du
« préjudice causé aux clients et des avantages tirés de l’infraction »[45]. Toutefois,
« la sanction globale envisagée ne doit pas être accablante »[46].

[76]        De même, « (…) comme énoncé par la Cour du Québec dans l’affaire Martel[47], en vertu du principe de la globalité, le comité ne peut ignorer les déboursés substantiels que l’intimé aura à défrayer en raison notamment de la durée des débats sur culpabilité et des frais d’experts »[48].

[77]        Parmi les autres principes à considérer pour la détermination de la sanction, ceux relevés par Me Pierre Bernard[49] sont notamment :

a)     L’autorité des précédents et la parité des sanctions :

Pour le droit disciplinaire, il cite Me Patrick de Niverville[50] qui écrit que : « des sanctions trop disparates pour des infractions semblables peuvent créer une confusion lorsque les membres d’un ordre sont confrontés à une situation identique ».

b)     La globalité :

Qu’il faut « (…) regarder, en imposant les différentes sanctions, l’effet global qui va être obtenu à la fin du compte. Le résultat global auquel il doit en arriver ne doit pas, selon cette règle, être excessif par rapport à la culpabilité générale du contrevenant. »

Et notamment que « (…) celui qui doit imposer une ou plusieurs sanctions doit aussi tenir compte des sanctions qui ont déjà été prononcées et qui sont déjà en application dans d’autres dossiers concernant le même professionnel. »

(Nos soulignements)

Et que le résultat global ne doit pas être accablant, citant Kenny c. Dentistes (Corp. professionnelle des)[51] : « même si les sanctions imposées sur chacun des chefs peuvent par ailleurs apparaître justes, appropriées et proportionnées, dans les circonstances. »

c)      L’effet d’une radiation provisoire :

Cette période de radiation « devait être prise en considération lors du prononcé de la sanction finale ». Il faut d’abord établir la durée de la sanction que mérite l’infraction pour ensuite la réduire du temps purgé dans le cadre de la radiation provisoire, le cas échéant, sans toutefois appliquer une équivalence mathématique.

[78]        Nul doute que les fautes commises par l’intimé sont sérieuses et vont au cœur de l’exercice de la profession.

[79]        Cependant, le comité estime qu’en l’espèce, il ne peut être reproché à l’intimé de ne pas avoir exprimé de remords, celui-ci ayant choisi de présenter sa version des faits plutôt que de plaider coupable, d’autant plus que certains chefs requéraient une preuve par expert. À ce sujet, le comité se rallie donc à l’opinion exprimée par une autre formation dans l’affaire Nantel voulant que « [l]’absence de reconnaissance de culpabilité et de repentir ne sont pas des circonstances aggravantes »[52]  citant à l’appui des décisions rendues tant par des conseils de discipline d’ordres professionnels que par le Tribunal des professions[53].

[80]        Aussi, avec respect pour l’opinion contraire, quant à l’engagement volontaire signé par l’intimé en octobre 2005, le comité estime pouvoir difficilement en tenir compte pour la détermination de la sanction dans le présent dossier. Cet engagement portait sur un dossier en assurance, plus précisément le défaut par l’intimé de remettre un avis de remplacement. En outre, il comporte plusieurs ambiguïtés, dont sa portée qui paraît limitée quant à son utilisation pour les représentations sur sanction dans le futur, précisant « (…) pour des infractions de nature similaire aux dérogations alléguées (…) »[54]. 

[81]        Il en est autrement toutefois de la mise en garde de janvier 2003 portant sur des infractions en valeurs mobilières similaires à celles en l’espèce, qui ont été commises à peine deux à trois ans plus tard.   

[82]        L’exercice de la profession ne constitue pas un droit pour le professionnel, mais un privilège. Celui-ci emporte des obligations comme celle de respecter les exigences de son Ordre ou de son association[55]. L’intimé ayant de plus siégé comme membre du comité de discipline de la CSF, cet élément est aggravant.

[83]        L’intimé exerce la profession de représentant depuis plus de vingt ans. Si l’on se fie à son témoignage, il s’est fait remplacer à la suite de sa radiation provisoire, et, en octobre 2015, a vendu ou cédé l’ensemble de sa clientèle en épargne collective. Sa santé étant affectée et étant sous médication, il se consacre presque entièrement à prendre soin de son épouse.

[84]        En ce qui concerne sa situation financière, il a déposé des avis de cotisation provenant de l’Agence du revenu du Canada qui indiquent un revenu total de l’ordre de 17 277 $ pour 2015, autour de 7 395 $ pour 2016 et près de 7 406 $ pour 2017. Ceux-ci ne tiennent toutefois pas compte des prestations d’invalidité mensuelles de 7 500 $ versées par son assurance privée qui prenait fin, selon ses dires, à 65 ans qu’il a atteints en novembre 2018.

 

[85]        La preuve est silencieuse quant aux sommes perçues à la suite de la vente de 50 % de sa clientèle en 2011. Quant à la « Convention d’achat d’éléments d’actif » du 1er octobre 2015[56], elle vise le solde et fait l’objet d’une réclamation par l’intimé qui allègue le défaut de l’acquéreur d’y donner suite.

[86]        Quant aux conséquences du processus disciplinaire, invoquées par l’intimé, tant sur sa vie professionnelle que personnelle et sur sa situation financière, le comité ne les met pas en doute, d’autant plus qu’il a vécu non seulement le processus disciplinaire lié à la présente plainte déposée le 28 novembre 2013, mais aussi ceux liés aux deux autres plaintes portées contre lui les 26 septembre 2014 et 19 juin 2015 dans les dossiers CD00-1082 et CD00-1134 respectivement. Cependant, ce sont les conséquences inhérentes à ces processus pour tout professionnel visé.

[87]        Bien qu’aucun antécédent disciplinaire n’ait été invoqué, l’intimé faisait déjà, en 2003, l’objet d’une mise en garde de la syndique à propos d’infractions très similaires à celles en l’espèce commises entre 2006 et 2008.

[88]        Même s’il ne s’agit pas d’antécédents ni de récidive, il ne peut être ignoré que l’intimé a été déclaré coupable pour des infractions commises postérieurement à celles en l’espèce, soit entre mars et juillet 2010 dans le dossier CD00-1082[57], tandis que pour le dossier CD00-1134, il s’agit d’infractions commises en février 2015 et avril 2014[58]

[89]        Dans le dossier CD00-1082, l’intimé a procédé en 2010 au désenregistrement de comptes de son client, comme il l’avait fait dans le présent dossier en 2008 pour le FERR de J.L. Pour cette infraction, sa radiation temporaire a été ordonnée pour une période de six mois en décembre 2016. 

[90]        Force est de constater que, de façon générale, l’intimé exerçait pour le moins ses activités avec un manque flagrant de rigueur comme constaté dans le présent dossier voire même parfois d’honnêteté et d’intégrité au vu du dossier CD00-1134, à l’issue duquel il a été radié de façon permanente.

[91]        Après étude attentive de l’ensemble des autorités soumises par chacune des parties au soutien de leurs recommandations respectives, et considérant les faits et toutes les circonstances propres à ce dossier, dont la globalité des sanctions et plus particulièrement le fait que l’intimé était déjà radié provisoirement depuis juillet 2015 et, de façon permanente, depuis le 25 septembre 2018, sans oublier les déboursés substantiels qu’il devra assumer, le comité est d’avis que la suggestion subsidiaire de son procureur quant aux sanctions à retenir répond aux objectifs de protection du public et est de nature à décourager ses pairs de l’imiter.

[92]        Aussi, bien qu’il ne s’agisse pas de recommandations communes, les parties ont toutes deux suggéré d’imposer une réprimande sous chacun des chefs d’accusation 6, 9 et 10. Ces derniers portent sur des infractions similaires à celles reprochées aux chefs d’accusation 5 et 8. Sans être un seul et même évènement, ces infractions ont été commises dans une période rapprochée et concernent la même consommatrice. Le comité y donnera donc suite.

[93]        Par conséquent, le comité ordonnera :

a)    Sous le chef d’accusation 3 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

b)    Sous le chef d’accusation 4 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

c)    Sous chacun des chefs d’accusation 5 et 7 :

             Le paiement d’une amende de 5 000 $, pour un total de 10 000 $;

d)    Sous chacun des chefs d’accusation 6, 9 et 10 :

        Une réprimande;

e)    Sous chacun des chefs d’accusation 8, 11 et 12 :

             Le paiement d’une amende de 2 500 $, pour un total de 7 500 $.

[94]        Quant aux amendes totalisant 17 500 $, le comité accordera à l’intimé un délai de douze mois pour leur paiement, par versements mensuels, consécutifs et égaux, sous peine de déchéance du terme.

[95]        Le comité ordonnera, aux frais de l’intimé, la publication d’un avis de la présente décision.

[96]        Enfin, puisqu’acquitté sous trois des treize chefs d’accusation de la plainte, l’intimé sera condamné au paiement des 10/13 des déboursés, le tout incluant les frais d’expert.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier;

ORDONNE, sous chacun des chefs d’accusation 3 et 4, la radiation temporaire de l’intimé, et ce, pour une période d’un mois, à être purgée de façon concurrente;

CONDAMNE l’intimé, sous chacun des chefs d’accusation 5 et 7 contenus à la plainte, au paiement d’une amende de 5 000 $, totalisant 10 000 $;

CONDAMNE l’intimé, sous chacun des chefs d’accusation 8, 11 et 12, au paiement d’une amende de 2 500 $, totalisant 7 500 $;

IMPOSE à l’intimé, sous chacun des chefs d’accusation 6, 9 et 10, une réprimande;

ACCORDE à l’intimé un délai de douze mois pour le paiement des dites amendes, payables par versements mensuels, consécutifs et égaux, sous peine de déchéance du terme;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés dans une proportion de 10/13, incluant les frais d’expert, le tout conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Benoit Bergeron__________________

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Yvon Fortin_____________________

M. Yvon Fortin, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

AD LITEM AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 12 novembre 2018

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


ANNEXE A

 

Autorités de la plaignante 

1 - CSF c. Larochelle, CD00-0728, décision sur culpabilité du 10 novembre 2009 et décision sur sanction du 30 novembre 2010, ainsi que jugement de la Cour du Québec du 24 février 2012 (Larochelle c. Lévesque, 2012 QCCQ 1402).

2 - CSF c. Bernier, 2013 CanLII 43428 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 24 janvier 2013.

3 - CSF c. Lemire, 2013 CanLII 55038 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 20 août 2013.

4 - CSF c. Thibodeau, 2017 QCCDCSF 85, décision rectifiée sur culpabilité et sanction du 30 janvier 2018.

5 - CSF c. Bernier, 2012 CanLII 97174 (QC CDCSF), décision sur culpabilité du 6 juillet 2012 et décision sur sanction du 12 décembre 2012.

6 - CSF c. Tremblay, 2013 CanLII 40562 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 26 juin 2013.

7 - CSF c. Patry, 2014 CanLII 25383 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 7 mai 2014.

8 - CSF c. Thibault, 2013 CanLII 73212 (QC CDCSF), décision sur culpabilité du
15 octobre 2013 et décision sur sanction du 2 juillet 2014.

9 - CSF c. Lachance, 2016 CanLII 32445 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 11 mai 2016.

10 - CSF c. Borgia, CD00-0637, décision sur culpabilité du 2 février 2009 et décision sur sanction du 28 juillet 2011.

11 - CSF c. Gilbert, 2013 CanLII 43410 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 3 avril 2013.

12 - CSF c. Bouayad, 2017 QCCDCSF 13, décision sur culpabilité et sanction du 23 mars 2017.

 

 

 

ANNEXE B

 

Législation, doctrine et autorités de l’intimé

        Recommandation d’une réprimande sous chacun des chefs d’accusation
3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

1 - Article 376 LDPSF ; Article 154.1 Code des professions.

2 - Shatner c. Généreux ès-qual. (avocats), 2000 QCTP 21, 28 février 2000.

3 - Marie-Claude Simard, « Modifications au Code des professions. Transparence et intégrité: le système professionnel n'y échappe pas », (2014) 384 Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire.

4 - Gamache c. Ordre professionnel des médecins vétérinaires, 2011 QCTP 145, 14 juin 2011.

5 - Lamarche c. Ordre professionnel des infirmiers(ères) auxiliaires, 2013 QCTP 62, 3 juillet 2013.

6 - Royer c. Rioux (syndique CSF), 2004 CanLII 76507 (QC CQ), 8 juin 2004.

7 - Girard c. Ordre professionnel des chiropraticiens, 2008 QCTP 162, 15 septembre 2008.

 

        Recommandations subsidiaires

1 - Royer c. Rioux (syndique CSF), 2004 CanLII 76507 (QC CQ), 8 juin 2004.

2 - CSF c. Scurti, 2014 CanLII 80007 (QC CDCSF).

3 - CSF c. Chen, 2017 QCCDCSF 79.

4 - CSF c. Simard, 2016 QCCDCSF 17.

5 - CSF c. Thibodeau, 2017 QCCDCSF 85.

6 - CSF c. Mireault, 2017 QCCDCSF 88.



[1] SP-1.

[2] SP-2.

[3] SP-3.

[4] SP-4 : CSF c. Talbot, CD00-1082, 2016 QCCDCSF 52.

[5] SP-5 : CSF c. Talbot, CD00-1134, 2018 QCCDCSF 69 (CanLII).

[6] SP-6.

[7] SI-1.

[8] SP-5 : CSF c. Talbot, préc. note 5.

[9] SI-2.

[10] SI-3.

[11] SI-4.

[12] Ces prestations d’invalidité provenant d’une assurance privée ne sont pas inscrites sur ses déclarations, car non imposables. Celles-ci auraient commencé à lui être versées dès le début de 2016 jusqu’à l’atteinte de ses 65 ans en novembre 2018.

[13] Les investissements sont dans des compagnies minières.

[14] Les investissements sont en majorité dans des compagnies minières.

[15] La demande introductive d’instance n’a toutefois pas été transmise.

[16] CD d’enregistrement du 12 novembre 2018, vers 10 h 30 à 10 h 37. 

[17] Geoméga, une compagnie d’exploration minière (terres rares) dans le Nord du Québec.

[18] Notons que les relevés de son CÉLI chez Desjardins de 2010 à 2018 affichent au plus une valeur d’environ 26 500 $ et en septembre 2018 de 11 200 $. Toutefois, le relevé de septembre 2018 fait état d’un autre compte « Marge Option » affichant un solde d’environ 52 400 $ qui s’ajoute à son CÉLI.

[19] Décision sur culpabilité, par. 212.

[20] Décision sur culpabilité, par. 107 et 108, 118, 147, 160, 175 et 179.

[21] SP-2 et SP-3.

[22] SP-4 et SP-5.

[23] Annexe A.

[24] Larochelle c. Lévesque, 2012 QCCQ 1402 (CanLII), par. 98.

[25] Argumentation sur sanction de l’intimé, p. 1.

[26] Annexe B.

[27] Shatner c. Généreux ès-qual. (avocats), 2000 QCTP 21 (CanLII), 28 février 2000; Marie-Claude Simard, « Modifications au Code des professions. Transparence et intégrité: le système professionnel n'y échappe pas », (2014) 384 Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire; Gamache c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 145, 14 juin 2011; Lamarche c. Infirmiers(ères) auxiliaires (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 62, 3 juillet 2013; Royer c. Rioux (syndic CSF), 2004 CanLII 76507 (QC CQ), 8 juin 2004; Girard c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 162, 15 septembre 2008.

[28] Shatner c. Généreux ès-qual. (avocats), préc. note 27, p. 8; Charlebois c. Champagne, 2018 QCCQ 10091, par. 91.

[29] M.-C. Simard, préc. note 27.

[30] Gamache c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), préc. note 27.

[31] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gauthier, 2012 QCTP 151.

[32] M.-C. Simard, préc. note 27, p. 55.

[33] Lamarche c. Infirmiers(ères) auxiliaires (Ordre professionnel des), préc. note 27.

[34] M.-C. Simard, préc. note 27, p. 56.

[35] M.-C. Simard, préc. note 27, pp. 56-57.

[36] Lamarche c. Infirmiers(ères) auxiliaires (Ordre professionnel des), préc. note 27, par. 28.

[37] Blencoe c. C.-B. (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, p. 393.

[38] En fonction de l’échéancier fixé initialement, le comité a réservé plusieurs dates pour se rencontrer en décembre 2015, janvier et début février 2016, ce qu’il n’a pu faire vu les nombreux reports demandés pour la remise des plaidoiries. Par conséquent, dès le 26 février 2016, le comité annonçait aux parties :
« (…) Étant donné qu’il s’agit de la troisième demande de report d’échéancier pour la remise des plaidoiries, depuis celui fixé (…) le 2 octobre 2015, la prise en délibéré par les membres s’en trouve considérablement retardée. (…) Considérant les autres engagements des membres du comité, vous serez avisés de la date effective du début du délibéré ». Or, une quatrième demande de prolongation a fait en sorte que la réplique de la plaignante n’a été en possession du comité qu’à la fin du mois de mai 2016. Enfin, par courriel du 19 avril 2017, les parties ont été avisées que les trois membres du comité s’étaient réunis pour délibérer au début du mois d’avril 2017.

[39] Ce nombre de pages résulte d’une rédaction à un interligne réduit à 1,15.

[40]Lamarche c. Infirmiers(ères) auxiliaires (Ordre professionnel des), préc. note 27, par. 28 et 29; Blencoe c. C.-B. (Human Rights Commission), préc. note 37.

[41] Shatner c. Généreux ès-qual. (avocats), préc. note 27, p. 8.

[42] Shatner c. Généreux ès-qual. (avocats), préc. note 27, p. 7.

[43] Talbot c. Champagne, 2015 QCCQ 6677.

[44] CSF c. Larochelle, CD00-0728, décision sur sanction du 30 novembre 2010.

[45] Article 376 de la LDPSF.

[46] CSF c. Exilus, 2012 CanLII 97197 (QC CDCSF), par. 10.

[47] Martel c. CSF, 2012 QCCQ 90.

[48] CSF c. Wang, CD00-0936, décision sur sanction du 20 mars 2019, par. 167.

[49] Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », (2004) 206 Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, p. 123 et suivantes.

[50] Patrick De Niverville, « La sentence en matière disciplinaire (une revue approfondie de la jurisprudence) », (2000) 137 », (2004) 206 Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire.

[51] [1993] D.D.C.P. 214.

[52] CSF c. Nantel, 2015 QCCDCSF 18 (CanLII), décision sur culpabilité du 17 avril 2015 et décision sur sanction du 12 juillet 2016, par. 30.

[53] Ibid, par. 31 à 35.

[54] SP-3, p. 2, par. 2.

[55] Dentistes (Ordre professionnel des) c. Dupont, 2005 QCTP 7; Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Quintin, 2011 CanLII 24121 (QC CDOII).

[56] Cette convention, datée du 1er octobre 2015, vise la balance de sa clientèle tant en épargne collective qu’en assurance, le premier 50 % ayant été vendu au même acquéreur en août 2011. Un premier versement de 320 000 $ était payable au 15 décembre 2015, le solde devant être payé selon certaines modalités l’année suivante. Notons que l’intimé a vendu en son nom personnel et non pas au nom de sa compagnie.

[57] SP-4, CD00-1082, décision rendue le 6 décembre 2016.

[58] SP-5, CD00-1134, décision rendue le 25 septembre 2018.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.