Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE
CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

CD00-1297

DATE :

17 avril 2019

 

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me George R. Hendy

Président

 

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre

 

M. Louis-André Gagnon

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

 

Partie plaignante

 

 

 

c.

 

 

 

ROMEL MINTOR, certificat numéro 202833, BDNI 104981

 

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

DÉCISION SUR CULPABILITÉ
______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L'ORDONNANCE SUIVANTE :

        Le Comité de discipline émet d’office une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom des consommateurs concernés, ainsi que de toute information permettant de les identifier.

[1]           Les 7, 8 et 9 janvier 2019, le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») s'est réuni aux bureaux de la Chambre de la sécurité financière, sise au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.         Dans la province de Québec, entre les ou vers les 28 mai 2014 et 26 janvier 2016, l’intimé s'est approprié pour ses fins personnelles la somme d'environ 75 000 $ du compte […] de la succession de Feue I.J. alors qu'il était liquidateur de la succession et fiduciaire, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]           L'intimé était représenté par Me José Dorelas, et la plaignante, par Me Alain Galarneau.

PREUVE DE LA PLAIGNANTE

[3]           La plaignante a fait entendre quatre personnes concernant la plainte soit S. L., enquêteur à la Chambre de la sécurité financière, ainsi que G., S. et J.-L. B., respectivement le conjoint et les deux fils de J.C., la légataire universelle d’I.J. 

[4]           M. Lévesque est à l'emploi de la Chambre de la sécurité financière comme enquêteur depuis 2014. Il a témoigné que l'enquête de cette affaire a été effectuée par Me Vivianne Pierre-Sigouin, que la plainte a été déposée le 12 décembre 2017, et qu'il a pris la charge du dossier en mai 2018, après le départ de Me Pierre-Sigouin. Donc, bien qu'il n'ait pas participé à l'enquête dans ce dossier, il a pris la relève comme enquêteur afin de témoigner quant aux faits pertinents relevés par l'enquête. Son témoignage à l'audition a essentiellement porté sur la production des pièces P-1 à P-15 et l'explication de leur contenu.

[5]           L'enquête concernant l'intimé a été provoquée  par le dépôt d'une plainte à l'Autorité des marchés financiers (AMF) en date du 19 décembre 2016 (pièce P‑2), signée par J.-L.B., un des deux petits-fils d’I.J. La plainte était appuyée d'une lettre des procureurs de J.-L.B, Mes Champagne Perreault, et faisait état du défaut de l'intimé de rendre compte de son administration de la Succession d’I.J. (la « Succession »), dont les fils B. étaient bénéficiaires suite au décès de leur mère (J.C., la fille d’I.J.). Selon les termes du testament, I.J. nommait l'intimé le liquidateur et fiduciaire de sa Succession. La lettre des procureurs mentionne que les frères B. n'ont pu obtenir d'informations de l'intimé concernant son administration de la Succession et qu'ils considéraient que l'intimé « a commis ou commet une fraude ou a une pratique plus que douteuse à titre de fiduciaire ».

[6]           M. Lévesque a déposé comme pièce P-1 l'attestation de droit de pratique de l'intimé, qui démontre qu'il détenait un certificat en assurance de personnes du 16 janvier 2014 au 7 juillet 2016 et qu'il était aussi inscrit comme représentant de courtier en épargne collective du 29 juillet 2015 au 30 juin 2016, périodes pendant lesquelles l'intimé était donc assujetti à la juridiction et aux règlements de la Chambre de la sécurité financière.

[7]           Cette attestation fait également état du fait que l'intimé a détenu une inscription à titre de représentant de courtier en valeurs mobilières de plein exercice pour le compte de Valeurs Mobilières Desjardins pendant les périodes du 3 février 1998 au 3 août 2000 et du 22 décembre 2000 au 23 septembre 2009, suivi d’une inscription à titre de représentant de courtier en placement pour le compte de Valeurs Mobilières Desjardins du 28 septembre 2009 au 31 janvier 2011.

[8]           Selon le témoignage de l'intimé, I.J. est devenue sa cliente en 1998, alors qu'il travaillait pour Desjardins et a géré son portefeuille en placements jusqu'à son décès en date du 9 avril 2005. Il semble qu’I.J. ait signé un mandat d'inaptitude (suivant lequel l'intimé était nommé le mandataire) qui aurait été homologué en février 2001 (pièce I-1, page 2).

[9]           Le dernier testament d’I.J., daté du 10 décembre 1999 (pièce P-3, le « Testament »), nommait l'intimé comme le liquidateur unique, ainsi que le fiduciaire unique de la fiducie qu'elle a établie en faveur de sa fille, J.C., et contenait les dispositions pertinentes suivantes :

 

ARTICLE IV.

NOMINATION DU LIQUIDATEUR

            Comme liquidateur de ma succession, je nomme et désigne Romel MINTOR, conseiller en placement de Valeurs Mobilières Desjardins.

            Mon intention est qu’il y ait toujours UN (1) liquidateur et qu’il soit nommé par un Juge de la Cour Supérieure, si nécessaire.

            Mon liquidateur agira à l’égard des biens de ma succession, meubles et immeubles, sur lesquels il aura la saisine jusqu’à la fin de la liquidation de ma succession, à titre d’administrateur du bien d’autrui chargé de la pleine administration à l’exception qu’il ne pourra faire que des placements présumés sûrs tel que défini par la loi.

            En tout temps il devra agir tel que le ferait un administrateur prudent et diligent.

            Mon liquidateur devra faire un inventaire tel que requis par la loi et celui-ci devant être sous la forme notariée en minute.

            Mon liquidateur ne sera pas tenu de souscrire une assurance ni de fournir quelque sûreté que ce soit pour garantir l’exécution de ses obligations et ce, même si mes héritiers l’exigent.

            Mon liquidateur devra rendre un compte sommaire de son administration annuellement. À la fin de la liquidation de ma succession, mon liquidateur devra fournir, à l’amiable, un compte définitif de son administration.

            Mon liquidateur aura droit au remboursement de toutes les dépenses encourues dans l’exercice et à l’occasion de ses fonctions.

            Mon liquidateur même après avoir commencé la liquidation, pourra en tout temps démissionner de sa charge pourvu que cette démission soit faite en forme notariée et soit accompagnée d’une reddition de compte. Les frais de la reddition de compte sont à la charge de la succession.

ARTICLE V.

FIDUCIE DE MA FILLE J.C.

            Je constitue un patrimoine fiduciaire pour le bénéfice de ma fille J.C., à qui je lègue tous mes biens meubles et immeubles, de quelque nature et provenance qu’ils soient.

            Pour agir comme fiduciaire de la fiducie créée aux termes de mon présent testament, je désigne ledit Romel MINTOR, ci-après nommé « fiduciaire » lequel veillera à l’affectation et à l’administration du patrimoine fiduciaire constitué jusqu’à l’époque ci-après prévue pour la fin de la présente fiducie.

            Jusqu’à cette époque, le fiduciaire pourra se servir du revenu et même du capital si nécessaire pour l’entretien de ma bénéficiaire, ses frais médicaux et d’hospitalisation, son éducation, son instruction et autres besoins selon ce qu’il jugera raisonnables.

            Jusqu’à la remise définitive de la part de ma bénéficiaire, il agira à titre d’administrateur chargé de la pleine administration du bien d’autrui, à l’exception qu’il ne pourra faire que des placements présumés sûrs, tel que défini par la Loi.

            Il devra y avoir, pour toute la durée de la fiducie créée aux termes de mon présent testament, un fiduciaire en fonction.

            Au cas de décès, refus, démission, incapacité d’agir de mon fiduciaire ci-dessus désigné et s’il ne fait pas connaître son acceptation dans un délai de quarante-cinq (45) jours suivant sa connaissance de mon décès, il sera remplacé par une personne à être nommée par le tribunal à la demande de tout intéressé.

            Même si le fiduciaire a accepté sa charge il pourra toujours démissionner sans autorisation de justice.

            Tout fiduciaire remplaçant sera investi des mêmes droits et pouvoirs accordés aux présentes.

           


 

AFFECTATION

            Les biens de la présente fiducie seront affectés exclusivement à ma fille, selon les modalités ci-après prévues, de sorte qu’aucune autre personne ne puisse de quelque façon que ce soit recevoir ou obtenir l’usage de tout ou partie du revenu ou du capital des biens en fiducie durant la période prévue aux présentes. À titre d’indication pour mon fiduciaire, mon intention est d’aider ma fille, présente bénéficiaire, et non son conjoint ou autre personne qui pourrait exercer des pressions sur celle-ci afin d’obtenir par son entremise quelque faveur.

            UTILISATION DES REVENUS DES BIENS EN FIDUCIE

            La présente fiducie devra être employée comme suit:

A)   Pour les trois (3) années suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net ou, à sa discrétion, employer tout ou partie de tel revenu au bénéfice de ce légataire. Les revenus de la présente fiducie et les capitaux devront être employés comme suit :

B)   La quatrième (4ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre è ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

C)   La cinquième (5ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

D)   La sixième (6ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

E)   La septième (7ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

F)    La huitième (8ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

G)   La neuvième (9ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille les revenus ainsi qu’UN SEPTIÈME (1/7) du capital.

H)   La dixième (10ème) année suivant mon décès, mon fiduciaire devra capitaliser le revenu net et remettre à ma fille le résidu.


 

ARTICLE VI.

POUVOIRS DE MON FIDUCIAIRE

            Dans le but de permettre à mon liquidateur de mieux liquider ma succession et à mon fiduciaire de mieux réaliser l’affectation du patrimoine fiduciaire créé aux termes de mon présent testament, j’accorde à mon liquidateur et à mon fiduciaire (ci-après appelés collectivement « Fiduciaires »), outre les droits que la loi leur confère, les pouvoirs les plus étendus d’administration, à l’exception qu’il ne pourra faire que des placements présumés sûrs, tel que défini par la loi, d’aliénation des biens de ma succession et/ou des biens en fiducie, qu’ils exerceront toujours avec prudence et diligence. Mon fiduciaire pourra agir sans le concours ni l’intervention de ma bénéficiaire ou d’aucun tuteur, conseiller ou curateur, sans autorisation, ni formalité de justice, quand même il se trouverait parmi ces bénéficiaires des incapables, des absents ou des appelés, faire et poser tous actes nécessaires à la bonne gestion et administration des biens.

ARTICLE VII.

RÉMUNÉRATION DU FIDUCIAIRE

            Pour les services que mon fiduciaire sera appelé à rendre à ma succession, à quelque titre que ce soit, il aura droit à une rémunération annuelle équivalente à UN ET CINQ DIXIÈMES pour cent (1.5%), cette somme devant être calculée sur la masse successorale qu’il sera appelé à gérer ainsi qu’au remboursement de toutes les dépenses encourues dans l’exercice et à l’occasion de ses fonctions.

ARTICLE VIII.

DÉCÈS DE MES BÉNÉFICIAIRES

            Si ma bénéficiaire décède avant ou en même temps que moi, si ce décès survient alors que ma bénéficiaire n’a pas encore reçu la totalité des biens affectés à son bénéfice, il y aura alors représentation.

[10]        I.J. est décédée le 9 avril 2005 et, le 24 août 2005, l'intimé a signé une Déclaration de transmission (pièce P-4), confirmant son statut comme liquidateur de la Succession d’I.J. Le même jour, l'intimé a signé un formulaire Desjardins intitulé « Demande d'ouverture de compte et conventions » (pièce P-5) dans lequel il confirmait (entre autres) que l'avoir net approximatif de la Succession d’I.J. était de 300 000 $, que la Succession utiliserait un compte bancaire à la Caisse Populaire de l'Annonciation (le « Compte Succession ») et qu'il agirait dorénavant comme correspondant unique de la Succession.


 

[11]        M. Lévesque nous a ensuite référé à la pièce P-6, le relevé de compte de valeurs mobilières de la Succession en date du 30 septembre 2005, démontrant que la valeur totale de ce compte à cette date s'élevait à 236 900,36 $, en incluant un investissement de 7 012.105 unités d'un fonds mutuel désigné comme « Argent P/T CT TR S/N », dont la valeur était qualifiée comme « Non disponible » à cette date (pièce P-6, page 1513). Le témoin nous a ensuite référés à la pièce P-7, les relevés de comptes mensuels de valeurs mobilières de la Succession du 31 octobre 2005 au 31 octobre 2014, dont la page 001401 démontre que 6 661.499 unités du fonds Argent P/T CT TR S/N ont été rachetés pour la somme de 38 145,85 $ en date du 31 juillet 2009. Selon M. Lévesque, cette évaluation du fonds « Argent » corroborait et rendait vraisemblable l'estimé ci-haut de la valeur nette de la Succession (300 000 $) que l'intimé a fait en date du 24 août 2005 (pièce P-4).

[12]        M. Lévesque a ensuite expliqué les divers transferts de fonds qui ont été faits par l'intimé du compte de valeurs mobilières (pièce P-7) au Compte Succession (pièce P-11) durant la période du 1er octobre 2007 au 31 octobre 2014, date à laquelle il ne restait plus d'actifs dans le compte de valeurs mobilières (pièce P-7, page 001274).  Ces transferts sont identifiés par le mot « RETRAIT » (pièce P-7, onglets A à T) et on retrouve des entrées de fonds correspondant au Compte Succession (pièce P-11, onglets A à T). Les états mensuels du Compte Succession pour la période antérieure au 4 juin 2007 n'étaient pas disponibles.

[13]        M. Lévesque a également démontré comment le Compte Succession faisait état des transferts de fonds qui ont eu lieu du Compte Succession (pièce P-11, onglets 1 à 27) aux deux comptes bancaires personnels de l'intimé (pièces P-13 et P-14, onglets 1 à 27). Afin de mieux comprendre les codes d'opération (par exemple : DCN, DSL, DDI, FCP et RA) pour certaines transactions apparaissant dans le Compte Succession (pièce P-11), M. Lévesque nous a référés à une lettre du 19 juin 2017 d'un représentant de la Caisse Populaire Desjardins à Me Pierre-Sigouin (pièce P-8) qui affirme également que le compte particulier de J.C. (la fille d’I.J.) a été combiné au Compte Succession en date du 13 juin 2007.

[14]        Tel que démontré par la revue détaillée que M. Lévesque a faite des pièces P-7 et P-11 à l'audition, il y a une série de retraits qui ont été faits du compte de valeurs mobilières au Compte Succession et qui ont graduellement eu pour effet de porter le solde du compte de valeurs mobilières (pièce P-7) à 0.00 $ en date du 31 octobre 2014. Cependant, ce sont plutôt les transferts du Compte Succession qui sont pertinents à la plainte contre l'intimé, plus particulièrement les retraits que celui-ci a faits du Compte Succession pendant la période couverte par la plainte, c'est-à-dire du 28 mai 2014 au 26 janvier 2016, alors que l'intimé était inscrit à la Chambre de la sécurité financière et assujetti à ses règlements. 


 

[15]        Les chèques tirés du Compte Succession (pièce P-11) par l'intimé, faits à son ordre personnel et déposés dans l'un ou l'autre de ses comptes personnels (pièces P‑13 et P-14), ont été produits en liasse sous la cote P-12 (onglets 1 à 27, lesquels correspondent aux onglets portant les mêmes numéros dans les pièces P-11, P‑13 et P-14), et sont résumés dans la liste suivante :

  Onglet

Date

Montant

Notes

1

26 mars 2011

2 380,50 $

2010 Rémunération

2

23 mars 2012

2 139,42 $

 

3

25 septembre 2012

2 064,00 $

2012 inclusivement

4

25 mars 2013

1 833,42 $

Rémunération 2013

5

21 juin 2013

2 500,00 $

Frais Admin.

6

18 juillet 2013

2 500,00 $

 

7

20 décembre 2013

1 500,00 $

 

8

28 mai 2014

1 515,00 $

 

9

5 juin 2014

2 500,00 $

 

10

24 juillet 2014

5 300,00 $

 

11

6 septembre 2014

1 500,00 $

 

12

19 septembre 2014

   400,00 $

 

13

2 octobre 2014

6 800,00 $

 

14

30 octobre 2014

7 800,00 $

 

15

30 novembre 2014

7 100,00 $

 

16

7 janvier 2015

5 200,00 $

 

17

4 février 2015

6 100,00 $

 

18

2 mars 2015

5 200,00 $

 

19

7 avril 2015

5 200,00 $

 

20

7 mai 2015

5 200,00 $

 

21

15 juin 2015

5 200,00 $

 

22

15 juillet 2015

5 200,00 $

 

23

24 août 2015

2 000,00 $

 

24

15 septembre 2015

1 500,00 $

 

25

23 décembre 2015

   500,00 $

 

26

16 janvier 2016

1 000,00 $

 

27

26 janvier 2016

   650,00 $

 

   

[16]        Bien que le chèque au montant de 6 800 $ sous l'onglet 13 de la pièce P-12 ci‑haut ne porte pas de date, nous retrouvons un dépôt pour le même montant au compte personnel de l'intimé (pièce P-14, page 000535), ainsi qu'un retrait du Compte Succession de 6 800 $ (pièce P-11, page 000149), l'intimé n'ayant pas nié dans son témoignage le lien entre ces trois entrées.

[17]        À la fin de toutes ces transactions, la pièce P-11 (page 000149) démontre que le solde du Compte Succession en date du 28 janvier 2016 était de 308,82 $.

[18]        Donc, durant la période du 28 mai 2014 au 28 janvier 2016, alors que l'intimé agissait comme liquidateur unique de la Succession et était assujetti à la juridiction de la Chambre de la sécurité financière, il a retiré la somme totale de 75 865 $ du Compte Succession, ce que la plaignante qualifie d’appropriation personnelle de fonds non justifiée.

[19]        Contre-interrogé par Me Dorelas, M. Lévesque a avoué ne pas avoir communiqué avec l'intimé (ni les représentants de Desjardins) après avoir pris la relève de Me Pierre-Sigouin et qu'il n'a pas jugé bon de refaire l'enquête de celle-ci, car l'enquête était alors terminée, et la plainte, déposée.

[20]        Le prochain témoin appelé par la plaignante était Monsieur G.B., l'époux pendant environ 40 ans de J.C., la seule héritière d’I.J.

[21]        G.B. a témoigné que J.C. est décédée le 11 novembre 2015 (pièce P-15), d'un cancer du pancréas diagnostiqué en juillet 2015, et qu'elle était très malade pendant les derniers mois de sa vie.

[22]        G.B. a rencontré l'intimé à quatre ou cinq reprises depuis le décès de sa belle-mère (I.J.), la dernière fois étant à une rencontre au bureau du notaire Larose en janvier 2016, lorsque l'intimé a affirmé à G.B. et ses deux fils qu'il restait alors un solde dans la Succession entre 60 000 $ et 70 000 $, qui appartenait aux deux fils, selon le Testament (pièce P-3, Article VIII, page 000073) et que la valeur initiale de la Succession se chiffrait entre 250 000 $ et 300 000 $.

[23]        G.B. affirme que son épouse n'a jamais reçu de rapport ou reddition de compte de l'intimé concernant son administration de la Succession et qu'il n'a jamais eu de discussion avec l'intimé d'une rémunération autre que celle prévue au Testament (pièce P-3).

[24]        Il se souvenait que J.C. avait reçu quatre paiements d'environ 20 000 $ de l'intimé en vertu du Testament et un dernier paiement d'environ 19 000 $ en décembre 2014. Il a affirmé également que l'intimé et J.C. avaient discuté de la possibilité de tenir une rencontre en décembre 2015 pour discuter de la possibilité d'investir les fonds restants de la Succession ou de simplement les verser à J.C., lorsque le dixième et dernier paiement de capital en vertu du Testament deviendrait dû.

[25]        En contre-interrogatoire, G.B. a reconnu que l'intimé avait payé certaines dépenses pour J.C., tels un fauteuil pour handicapé, une marchette, des dentiers, les services d'une infirmière pour ses pieds, et autres frais reliés à sa santé et à son bien-être.


 

[26]        Le prochain témoin, S.B., le fils de J.C., a affirmé avoir rencontré l'intimé à deux reprises, une fois au salon funéraire pour sa mère, et l'autre à la rencontre ci-haut décrite au bureau du notaire Larose, en présence de son père (G.B.) et de son frère (J.-L.B.). Il confirme le témoignage de son père que la famille B. n'a jamais reçu de rapport de l'intimé concernant son administration de la Succession, et il a affirmé qu'il n'a jamais autorisé l'intimé à conserver ou à s’approprier les fonds restants de la Succession.

[27]        En contre-interrogatoire, S.B. a admis ne pas se souvenir du montant que l'intimé lui aurait dit qu’il restait dans la Succession pour lui et son frère (J.-L.), et il a affirmé avoir essayé de communiquer à trois reprises avec l'intimé (pour obtenir des nouvelles de la Succession) suivant la rencontre au bureau du notaire Larose, mais que l'intimé n'a jamais répondu à ses appels, même après que G.B. ait contacté la police de Longueuil pour solliciter son intervention.

[28]        Enfin, la plaignante a fait témoigner J.-L.B. Celui-ci a affirmé que lui et son frère (S.B.) étaient les seuls enfants de J.C. et donc aptes à la représenter en vertu de l'article VIII du Testament quant aux fonds restants de la Succession.

[29]        Il a affirmé avoir été présent à la rencontre ci-haut décrite au bureau du notaire Larose, lorsque l'intimé aurait affirmé qu'il restait environ 70 000 $ dans la Succession pour lui et son frère, S.B.

[30]        Il a affirmé n'avoir jamais reçu une partie quelconque de ces fonds restants et qu'il n'a jamais autorisé l'intimé à en conserver une portion. Il a essayé de rejoindre l'intimé à quelques reprises, sans succès, et a ajouté qu’il avait déménagé de son ancienne adresse et que le loyer était impayé. Il a aussi fait référence à la situation financière difficile de ses parents, à l'enfance difficile de sa mère (J.C.) et au fait qu'elle avait tenté de se suicider à plus d'une occasion. Selon lui, J.C. n'a jamais autorisé l'intimé à retenir des fonds de la Succession.

[31]        En contre-interrogatoire, il a affirmé que la famille B. a attendu jusqu'au mois de juin 2016 pour avoir des nouvelles de l'intimé avant de faire appel à la police de Longueuil, qui n'a pas voulu intervenir.

PREUVE DE L'INTIMÉ 

[32]        L'intimé a débuté son témoignage en brossant un tableau de son parcours dans le domaine de la planification financière, l’assurance collective et l’assurance de personnes. Tel qu'il appert de la pièce P-1, il a travaillé comme représentant de courtier en valeurs mobilières de plein exercice et/ou de courtier en placement pour Desjardins pendant 13 ans (de 1998 à 2011) et a aussi travaillé en assurance de personnes et représentant de courtier en épargne collective pour deux filiales de Sun Life pendant la période du 16 janvier 2014 au 7 juillet 2016. Il a affirmé ne pas avoir eu de problèmes disciplinaires pendant ces deux emplois, bien qu'il admette avoir fait l'objet de plaintes de certains clients, sans que celles-ci résultent en sanctions quelconques.

[33]        Il confirme que la valeur approximative de la Succession était de 300 000 $, ce qui comprenait une automobile de marque Toyota Corolla qu'il aurait vendue pour 18 000 $, mais son historique de service (pièce I-1, page 1) mentionne que ce véhicule a été vendu par lui en juillet 1999, presque six ans avant le décès d’I.J., présumément en vertu d'un mandat de représentation d’I.J. en sa faveur.

[34]        En résumant les termes du Testament (pièce P-3, Article VII), il a fait état de sa prétention que la rémunération stipulée de 1.5 % de la valeur actuelle de la Succession n'était pas limitative et qu'il avait aussi droit à une rémunération pour les services extraordinaires qu'il a rendus à la demande de J.C. (après le décès d’I.J. en avril 2005) sur une base d’un taux horaire raisonnable, qu'il établissait à 125 $.

[35]        L'intimé prétend que les problèmes de santé de J.C. (obésité, une maladie dégénérative non-identifiée et le fait qu'elle était suivie en psychiatrie) ont fait qu'il a dû consacrer un nombre d'heures fort supérieur à ce qu'il avait prévu en acceptant d'agir comme liquidateur et fiduciaire en avril 2005.

[36]        L’intimé a affirmé, lors de son témoignage en chef, que J.C. avait des « capacités intellectuelles limitées » et qu’elle était « suivie en permanence » à l’Hôpital Louis‑H. Lafontaine, en raison de celles-ci, affirmations qu’il a tenté de nier lors de son contre-interrogatoire.

[37]        Bien qu'il n'ait jamais soumis de facture ou autre compte rendu écrit à J.C. concernant ses services et qu'il n'a jamais tenu un registre des heures qu'il consacrait à l'exécution de son mandat comme liquidateur et fiduciaire, l'intimé prétend avoir discuté régulièrement de ses services avec J.C., en l'avisant que son temps extraordinaire n'était pas fourni gratuitement, et que ces prétendues conversations constituaient, dans leur ensemble, un genre de compte rendu de son administration (verbal et « à l'amiable ») en vertu de l'Article IV du Testament (pièce P-3, dernier alinéa à la page 2). L'intimé et son procureur ont prétendu que son droit de réclamer le « remboursement de toutes les dépenses » en vertu de l'article VII du Testament incluait un droit de facturer un taux horaire de 125 $ pour les services additionnels ci-haut décrits.

[38]        L'intimé a produit un document (pièce I-1) intitulé « Historique de service » résumant les services qu'il prétend avoir rendus depuis avril 1997 pour I.J. et J.C., qu'il admet avoir confectionné après le dépôt de la plainte dans cette affaire.

[39]        L'intimé a admis qu'il n'a pas tenu de registre quelconque concernant les services qu'il prétend avoir rendus et qu'il a préparé cet historique après coup, en se fiant sur sa mémoire, après la signification de la plainte.

[40]        Selon cet historique, l'intimé aurait consacré 197 heures de travail pour I.J. jusqu'à son décès en date du 9 avril 2005, mais refusait de répondre à la question posée en contre-interrogatoire s'il pensait avoir droit d'être remboursé pour ce travail en vertu de son statut de liquidateur de la succession.

[41]        Plusieurs des autres services concernent le temps que l'intimé aurait consacré à la révision de comptes de pharmacie pour les médicaments commandés pour J.C. et des « rencontres sur la période » (2005 à 2015) avec J.C. (en personne et au téléphone), son conjoint et des représentants non-identifiés de l'hôpital où était suivie J.C.

[42]        Enfin, l'intimé a prétendu avoir droit à un taux horaire de 125 $ pour les 120 heures qu'il affirme avoir consacrées au « suivi du portefeuille sur la période » (d'avril 2005 à octobre 2014, lorsque que le compte de valeurs mobilières a été fermé) bien qu'il ait admis avoir signé le formulaire « Demande d'ouverture de Compte et conventions » (pièce P-5) comme liquidateur et non comme conseiller en placements, pour éviter ce qu'il qualifiait comme un « conflit d'intérêts ». 

[43]        Le total des heures réclamées dans l'historique (pièce I-1) depuis le 5 avril 2005 se chiffre à 600 heures, ce qui fait un total de 75 000 $ (au taux horaire de 125 $), juste en dessous du montant de 75 865 $ dont, selon l’allégation de la plaignante, l’intimé s’est approprié. 

[44]        Selon l'intimé, les premiers cinq chèques dans la pièce P-12 tirés à son ordre personnel correspondaient à la rémunération de 1.5 % prévue à l'Article VII du Testament (pièce P-3, page 5) pour les années 2010 à 2014 inclusivement, même si les montants de la plupart de ces chèques ne semblent pas correspondre à 1.5 % de la valeur de la Succession au moment de l'émission de chacun de ces chèques, dont les deux derniers ont été tirés en mars et juin 2013.

[45]        Par exemple, l'intimé a affirmé que le chèque numéro 5 pour 2 500 $ (tiré le 21 juin 2013) de la pièce P-12 correspond à sa rémunération pour 2014 et, en mettant de côté pour le moment qu'il a été émis au moins 6 mois à l'avance), on s'attendrait à ce que la valeur moyenne de la Succession en 2014 soit de 166 666,67 $ (2 500 $/.015). Cependant, la pièce P-7 (page 001299) nous démontre que la valeur du compte de valeurs mobilières au 31 décembre 2013 était de 96 557,33 $, pour atteindre un sommet de 97 912,12 $ au 31 mars 2014 (pièce P-7, page 001294) et est tombée à 0,00 $ en date du 31 octobre 2014. Le Compte Succession avait un solde de 637,26 $ en date du 1er janvier 2014 et était financé entièrement par des retraits du compte de valeurs mobilières. De plus, la valeur du compte de valeurs mobilières a fluctué entre 117 245,08 $ et 122 954,87 $ (pièce P-7, pages 001318 et 001314) pendant l'année 2013.

[46]        Donc, il est difficile de comprendre l'affirmation de l'intimé que le chèque numéro 5 de la pièce P-12, daté du 21 juin 2013, reflétait une application fidèle de la formule de rémunération de 1.5 % du Testament.

[47]        L'intimé a affirmé que, nonobstant tout le travail imprévu et extraordinaire qu'il effectuait pour le bénéfice de J.C. après l'ouverture de la Succession en avril 2005, il n'a cru bon de se payer son taux horaire de 125 $ qu'à partir du 18 juillet 2013 (chèque numéro 6 de la pièce P-12, qu'on aurait normalement attribué à la rémunération de 1.5 % pour l'année 2015). Tel que mentionné ci-haut, aucune facture n'a été émise pour décrire les services qui correspondaient supposément aux chèques numéros 7 à 27 (pièce P-12), émis entre le 20 décembre 2013 et le 26 janvier 2016, après quoi il ne restait que 308,82 $ au Compte Succession.

[48]        L'intimé admet avoir assisté à une rencontre au bureau du notaire  Larose avec le conjoint et les deux fils de J.C. en janvier 2016, et prétend n'avoir aucun souvenir d'avoir affirmé qu'il restait alors des fonds (entre 60 000 $ et 70 000 $) à distribuer aux deux fils de J.C., tout en admettant ne pas avoir informé ceux-ci qu'il ne restait alors que 308 $ dans le Compte Succession, supposément parce que J.C., pendant son vivant, ne voulait pas dévoiler sa situation financière à ses enfants.

[49]        L'intimé a expliqué qu'il n'a pas facturé la Succession pour sa rémunération de 1.5 % avant 2011, car il n'y avait pas d'urgence et il n'avait pas besoin des fonds. Il affirme que le genre de services qu'il rendait à J.C. pouvait coûter normalement entre 15 000 $ à 25 000 $ par an et que son taux horaire de 125 $ était raisonnable.

[50]        En contre-interrogatoire, l'intimé a fait preuve de nombreuses hésitations et/ou réticences à répondre à des questions précises du procureur de la plaignante.

[51]        Par exemple:

a)            il ne voulait pas se prononcer de façon claire lorsqu'on lui a demandé si la Succession lui devait une rémunération de 125 $/l'heure pour les 197 heures comptabilisées dans la pièce I-1 pour la période du 19 avril 1997 jusqu'au décès d’I.J. en avril 2005;

b)            il a prétendu avoir remis des « comptes sommaires annuels écrits » à I.J., mais le seul document qu'il pouvait produire à son dossier à l'appui de cette affirmation (pièce P-18) était une lettre de l'intimé à J.C. en date du 7 décembre 2012 lui transmettant un chèque au montant de 19 980 $, représentant 1/7 de la valeur totale de la Succession à ce moment. Cette lettre ne comportait aucun détail sur l'administration de la Succession ou les dépenses et déboursés encourus par l'intimé à cette époque;

c)            il a prétendu qu'il lui manquait « beaucoup d'éléments » qui l'empêchaient de produire un compte définitif de son administration de la Succession, bien qu'il ait toujours contrôlé l'administration de la Succession depuis 2005;

d)            il a aussi allégué qu'il était déprimé et déçu par les accusations de la famille de JC et qu'il souffrait d'un manque de ressources pour préparer un compte définitif;

e)            il a prétendu en contre-interrogatoire que J.C. n'avait pas de problèmes de compréhension et qu'elle était cohérente lors de ses rencontres avec lui, alors qu'il avait librement affirmé le contraire lors de son interrogatoire en chef, tel que mentionné ci-haut;

f)             il n'était pas en mesure de préciser les médicaments que J.C. prenait, bien qu'il prétend avoir droit à près de 10 000 $ selon son Historique (pièce I-1) pour le temps qu'il aurait consacré à l'analyse des comptes pharmaceutiques provenant de Jean-Coutu et Uniprix.

[52]        Enfin, l'intimé a admis avoir vécu des difficultés financières durant la période de mai 2014 à janvier 2016, qui correspond à la période durant laquelle il a tiré 20 chèques à son ordre personnel du Compte Succession (pour un total de 75 865 $), sans explication ou facture quelconque, tel que mentionné ci-haut. Cette période suit celle de trois ans (de février 2011 à janvier 2014) pendant laquelle l'intimé était sans emploi, tel qu'il l’a avoué durant son témoignage en chef et confirmé par la pièce P-1.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE 

[53]        Selon le procureur de la plaignante, Me Alain Galarneau, la preuve prépondérante établit que l'intimé s'est approprié pour ses fins personnelles la somme d'environ 75 000 $ de la Succession alors qu'il était liquidateur et fiduciaire de la Succession, en contravention des dispositions légales citées dans la plainte.

[54]        Me Galarneau a cité les décisions suivantes qui prônent une interprétation large et libérale de la notion d'appropriation de fonds, qui n'est pas restreinte à la notion de vol criminel mais qui comprend toutes formes d'appropriation, y compris l'usage non-autorisé (même temporaire, et avec l'intention de remettre au client)  des fonds sous gestion pour des fins personnelles et même le défaut de rembourser à échéance un emprunt d'un client, le tout sans nécessité de prouver fraude, mauvaise foi ou une intention malhonnête:

a)            Chambre de la sécurité financière c. Létourneau (CD00-0906, 30 août 2012);

b)            Chambre de la sécurité financière c. St-Yves (CD00-1117, 5 août 2016).

[55]        Me Galarneau a également cité la décision suivante à l'appui de sa prétention que lorsque la poursuite établit un acte d'appropriation de fonds par l'intimé, il incombe à ce dernier de contredire cette preuve et démontrer que sa conduite était légale:  

a)            Paquette c. Lair (Tribunal des professions, 560-07-000002-889, 10 août 1989).

[56]        Finalement, Me Galarneau a référé le Comité à la décision dans Chambre de la sécurité financière c. Marleau (CD00-1190, 31 juillet 2017) qui souligne l'importance de la vulnérabilité d'un client comme un facteur aggravant lors d'une accusation d'abus de confiance par un représentant qui s'approprie les fonds d'une Succession dont le client était bénéficiaire, alors que ledit représentant agissait comme liquidateur de ladite succession.

[57]        Selon la plaignante, les termes du Testament en vertu desquels l'intimé a accepté d'agir comme liquidateur et fiduciaire stipulaient une seule forme de rémunération pour les services que l'intimé rendrait, c'est-à-dire celle stipulée à l'article VII du Testament (pièce P-3, page 5) et le droit d'aussi réclamer « toutes les dépenses encourues dans l'exercice et à l'occasion de ses fonctions » n'ouvrait pas la porte à une rémunération additionnelle sous forme d'un taux horaire de 125 $ pour les services que l'intimé qualifiait comme extraordinaires ou imprévus.

[58]        La plaignante plaide que l'absence d'une entente écrite entre l'intimé et J.C., une personne vulnérable, permettant à l'intimé de se payer une rémunération additionnelle, au-delà de celle prévue à l'Article VII du Testament, surtout avec la version contredite, non crédible et non corroborée par l'intimé concernant l'existence d'une entente verbale, milite contre une conclusion que l'intimé avait droit à une rémunération additionnelle sur une base d’un taux horaire.

[59]        La plaignante a de plus plaidé qu'il est peu probable que J.C., une personne de moyens modestes, aurait convenu de payer un taux horaire de 125 $ à l'intimé pour des tâches ordinaires qu'il prétend avoir accomplies, telles la vérification de factures de pharmacies, des conversations avec les préposés de l'hôpital où était suivie J.C., etc. Elle demande aussi pourquoi l'intimé a réclamé selon la formule de 1.5 % à partir du 26 mars 2011 (pièce P-12, onglet 1), presque six ans après avoir débuté son mandat comme liquidateur-fiduciaire, sans réclamer quoi que ce soit en vertu de la prétendue entente verbale avant le 18 juillet 2013 (pièce P-2, onglet 6), ce qui jette encore plus de doute sur la crédibilité de son témoignage à cet égard.

[60]        La plaignante a donc conclu que l'intimé s'est payé la rémunération prévue à l'Article VII du Testament (pièce P-12, chèques numéros 1 à 5) et que l'émission et l'encaissement par l'intimé des autres chèques (pièce P-12, onglets 8 à 27), pendant la période du 28 mai 2014 au 26 janvier 2016, totalisant 75 865 $ (selon le calcul du Comité) constituaient une appropriation non autorisée et sans droit pour ses fins personnelles.

REPRÉSENTATIONS DE L'INTIMÉ 

[61]        Le procureur de l'intimé, Me José Dorelas, plaide que l'intimé devrait être acquitté, car il avait entièrement droit à la rémunération qu'il s'est payée par l'émission et l'encaissement des chèques ci-haut énumérés (pièce P-12, onglets 6 à 27) dans ses comptes personnels.

[62]        Selon Me Dorelas, la plaignante n'a pas mis en doute la véracité et valeur des services rendus par l'intimé, tel que résumé dans l'Historique (pièce I-1), lesquels ont largement dépassé ce qui était prévu au moment où l'intimé a accepté d'agir comme liquidateur et fiduciaire de la Succession.


 

[63]        Me Dorelas plaide que le Comité devrait douter de la crédibilité des fils de J.C., pour les raisons suivantes :

a)            ils prétendaient ignorer les termes du testament de leur mère (J.C.) avant son décès;

b)            les allégations de la plainte déposée par un des fils à l'AMF (pièce P-2) n'étaient pas précises.

[64]        Me Dorelas a également tenté de mettre en doute la crédibilité du conjoint de J.C. parce qu'il prétendait faussement (selon l'intimé) n'avoir rencontré l'intimé que quatre ou cinq fois, alors que l'intimé prétendait l'avoir rencontré à maintes reprises entre 2005 et 2015.

[65]        Me Dorelas s'est aussi attaqué à la crédibilité de M. Lévesque parce que celui-ci n'a pas refait le travail de son prédécesseur au dossier, Me Pierre-Sigouin.

[66]        Tout en reconnaissant que l'intimé a « mal tenu ses comptes » et qu'il n'a pas expliqué clairement les chèques (pièce P-12), Me Dorelas a maintenu que l'intimé pouvait se payer pour ses services extraordinaires en tout temps et qu'il n'a pas abusé de ses pouvoirs en ce faisant.

[67]        Me Dorelas a plaidé que l'Article VII du Testament permettait à l'intimé de toucher une rémunération supérieure à 1.5 % de la valeur de la masse successorale et que l'intimé et J.C. avaient convenu d'une rémunération additionnelle fondée sur un taux horaire de 125 $. Il ajoute que J.C. était entouré de personnes telles un comptable et une travailleuse sociale affiliée à l'hôpital où elle était suivie, et que la plaignante aurait dû les appeler comme témoins pour corroborer les témoignages de M. Lévesque et les membres de la famille de J.C.

ANALYSE ET MOTIFS

[68]        Le Comité est d'avis que les termes clairs du Testament (pièce P-3, Article VII) ne prévoient qu'une seule forme de rémunération pour les services que l'intimé devait rendre comme liquidateur et fiduciaire, c'est à dire 1.5 % de « la masse successorale » que l'intimé « sera appelé à gérer ». Le droit additionnel aux « dépenses encourues dans l'exercice et à l'occasion de ses fonctions » ne prévoit pas en soi une rémunération additionnelle fondée sur un taux horaire.

[69]        Si l'intimé se rendait compte à un moment donné que la charge de travail n'était pas rémunérée suffisamment par la formule du 1.5 %, il lui incombait de convenir d’une entente écrite en bonne et due forme avec J.C. et/ou ses représentants légaux.


 

[70]        Le Comité entretient des doutes sérieux sur la crédibilité de l'affirmation de l'intimé qu'il y avait une entente verbale pour les raisons suivantes :

a)            ses hésitations et réticences répétées durant son témoignage, telles que mentionnées ci-haut;

b)            son aveu, lors de l’interrogatoire en chef, que J.C. souffrait de problèmes de compréhension et de certaines incapacités intellectuelles, le Comité ne croyant pas la tentative subséquente de l'intimé de retirer cet aveu;

c)            le fait que l'intimé n'a jamais tenu un registre de ses heures à partir de l'ouverture de la Succession, qu'il n'a jamais remis de facture quelconque à J.C. ou à sa famille pour ses services additionnels, qu'il n'a pas tenté de se payer pour ces services avant le 28 mai 2014, soit neuf ans après l'ouverture de la Succession, tous ces faits étant incompatibles avec un prétendu accord verbal de rémunération sur la base d’un taux horaire;

d)            le fait que l'intimé n'ait pas dévoilé aux conjoint et fils de J.C. en temps utile le fait qu'il s'était payé une somme globale approximative d'environ 75 000 $ pour ces services « additionnels » et qu'il leur a plutôt fait croire qu'il restait encore entre 60 000 $ et 70 000 $ dans la Succession pour distribution aux deux fils.

[71]        En ce qui concerne la rencontre au bureau du notaire Larose en janvier 2016, l'intimé n'a pas nié les témoignages des fils de J.C. qu'il leur restait entre 60 000 $ et 70 000 $ dans la Succession après le décès de J.C., l'intimé ayant plutôt témoigné qu'il ne se souvenait pas d'une discussion à ce sujet. Vu que le Comité n'entretient pas de doute sur la crédibilité des fils et du conjoint de J.C., nous tenons pour acquis que l'intimé a fait une telle déclaration, ce qui mine davantage sa crédibilité, parce que cette affirmation était fausse, vu qu'il ne restait que 308,82 $ dans le Compte Succession en janvier 2016 (pièce P-11, page 000149).

[72]        Le Comité ne doute aucunement de la crédibilité des témoins de la plaignante pour les raisons suivantes :

a)            quant à l'enquêteur, Sébastien Lévesque, il a été assigné à ce dossier en mai 2018, après que son prédécesseur, Me Vivianne Pierre-Sigouin, ait terminé l'enquête et que la plainte ait été déposée. Il n'avait pas à refaire l'enquête;

b)            les fils de J.C. ont témoigné honnêtement et sans réticence quelconque, la plainte déposée par J.-L.B. (pièce P-2) étant fondée sur les faits limités qui étaient disponibles en décembre 2016, alors que l'intimé refusait de rendre un compte définitif de son administration et après son affirmation qu'il restait une somme substantielle à distribuer aux fils de J.C.;

c)            il en va de même pour le conjoint de J.C. qui a rendu un court témoignage concernant ses rencontres avec l'intimé.

[73]        Donc, il n'y a aucun doute que l'intimé s'est approprié sans justification, pour ses fins personnelles, une somme d'environ 75 000 $ durant la période du 28 mai 2014 au 26 janvier 2016, en abusant de son rôle de liquidateur et fiduciaire de la Succession, alors qu'il était aussi inscrit auprès de la Chambre de la sécurité financière et assujetti à sa juridiction.

[74]        Subsidiairement, la question de prescription a été soulevée pendant le témoignage de l’intimé, vu qu’il a jugé bon de ne pas se payer pour les services additionnels qu’il prétend avoir rendus à partir du 5 avril 2005 avant le 20 décembre 2013 (pièce P-12, onglet 7).

[75]        Il est clair que son droit de réclamer pour les services additionnels qu’il aurait rendus avant le 20 décembre 2010 (y compris les heures travaillées avant le 5 avril 2005) était prescrit lors de l’émission de ce chèque en date du 20 décembre 2013.

[76]        Les heures à déduire à cause de l’effet de la prescription avant le 20 décembre 2010 s’élèvent à 331 heures (le total des heures inscrites pour la période du 9 avril 2005 au 17 mars 2010 qui sont reflétées aux pages 3 à 14 de la pièce I-1).

[77]        Aussi, les services énumérés aux deux dernières pages de la pièce I-1 avec la note « Rencontre sur la période » et « Suivi du portefeuille sur la période », qui s’élèvent à 261 heures, auraient été rendus entre le 9 avril 2005 et le 11 novembre 2015, selon l’aveu de l’intimé. La partie prorata de ces services qui auraient été rendus avant le 20 décembre 2010 s’élève à la somme approximative de 137 heures (67 mois/127 mois x 261 heures = 137 heures).

[78]        Donc, des 600 heures supposément travaillées par l’intimé pendant la période du 9 avril 2005 au 11 novembre 2015, un total de 468 heures auraient été travaillées avant le 20 décembre 2010 et le droit de l’intimé de les réclamer de la Succession, en supposant l’existence d’une entente verbale avec J.C., était prescrit en date du 20 décembre 2013.

[79]        Cela veut dire que lorsque l’intimé a commencé à émettre des chèques pour se payer pour ses services additionnels en décembre 2013 (pièce P-12, onglet 7), il n’avait droit de réclamer (en supposant l’existence d’une entente verbale valablement conclue avec J.C.) que pour 132 heures à son taux horaire de 125 $, donc un maximum de 16 500 $, alors que le total des sommes qu’il s’est payé à partir du 28 mai 2014 (pièce P-12, onglet 8) s’élève à 75 865 $.

[80]        Donc, même si le Comité acceptait le témoignage de l’intimé concernant l’existence d’une entente verbale, ce qui n’est pas le cas, il s’est tout de même approprié sans droit une somme de 59 365 $.

[81]        Le Comité déclarera donc l'intimé coupable du chef d'accusation, et ce, en vertu de l'article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[82]        Considérant la règle contre les condamnations multiples, le Comité ordonnera l'arrêt conditionnel des procédures en vertu de l'article 35 dudit code de déontologie et l'article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

RÉITÈRE l'ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom des consommateurs concernés, ainsi que de toute information permettant de les identifier;

DÉCLARE l'intimé coupable sous l’unique chef d'accusation contenu à la plainte disciplinaire, pour avoir contrevenu à l'article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

CONVOQUE les parties avec l'assistance du secrétaire du Comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) George R. Hendy_________________

Me George R. Hendy

Président du comité de discipline

 

 

(s) Serge Lafrenière _________________

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Louis-André Gagnon______________

M. Louis-André Gagnon

Membre du comité de discipline

 

 

 


 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la plaignante

 

Me José Dorelas

Procureur de l’intimé

 

Dates d’audience :

7, 8 et 9 janvier 2019

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

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