Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1325

 

DATE :

7 mars 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Antonio Tiberio

Membre

M. Frédérick Scheidler

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

RÉNALD BOUILLON, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro : 104530)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

Aux termes de l’article 142 du Code des professions, le comité interdit la divulgation, la publication ou la diffusion de l’identité de la personne dont les initiales apparaissent à la plainte et de tout renseignement ou document permettant de l’identifier afin d’assurer la protection de sa vie privée et interdit la divulgation, la publication ou la diffusion du contenu des pièces P-9 et P-10 afin d’assurer la protection de la vie privée de l’intimé

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I.        LE DÉROULEMENT DE L’INSTANCE

[1]   La plaignante a logé contre l’intimé une plainte portant la date du 13 juin 2018 dont les chefs d’infraction se lisent comme suit :

 

1.        Dans la province de Québec, le ou vers le 29 avril 2016, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en acceptant un don d’une valeur d’environ 25 000 $ de P.B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19, 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

2.        Dans la province de Québec, le ou vers le 19 octobre 2016, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en acceptant un don d’une valeur d’environ 11 000 $ de P.B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19, 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

[2]   Lors de l’audience du 22 janvier 2019, la plaignante était représentée par Me Alain Galarneau, et l’intimé par Me Jean-Claude Dubé.

[3]   L’intimé a indiqué au comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) qu’il plaidait coupable aux chefs d’infraction contenus aux paragraphes 1 et 2 de la plainte au regard de l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[4]   Par les réponses fournies aux questions de son procureur et du comité, l’intimé a démontré que son plaidoyer de culpabilité était libre et éclairé.

[5]   La plaignante a requis du comité qu’il ordonne l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres articles énumérés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte.

[6]   Le comité a ensuite prononcé un verdict de culpabilité et l’arrêt conditionnel des procédures suivant ce qui est mentionné aux paragraphes 3 et 5 de la présente décision.

[7]   Les parties ont par la suite indiqué les sanctions et autres mesures qu’elles recommandaient, de façon conjointe, au comité d’imposer à l’intimé.

[8]   Les parties, par l’entremise de leur procureur, ont présenté les faits pertinents aux recommandations formulées et ont plaidé. Les pièces SP-1 à SP-11 et SI-1 à SI-3 ont été produites de consentement.

[9]   À la demande de la plaignante, le comité a autorisé qu’une attestation du droit de pratique à jour soit produite au dossier dans un court délai. Ce document (pièce SP-1A) a été reçu par le comité le 13 février 2019. L’avocat de l’intimé a fait parvenir au comité, le 18 février 2019, ses commentaires quant à la pièce SP-1A.

[10]        Le dossier a été pris en délibéré à cette date.

II.        LES FAITS

[11]        L’intimé est âgé de plus de 70 ans. En 1962, il a débuté sa carrière dans le milieu bancaire, et depuis 1988, il exerce, à titre de représentant, dans le domaine de la distribution des produits et services financiers.

[12]        Au moment où les infractions dont il a été reconnu coupable ont été commises (avril et octobre 2016), l’intimé exerçait comme représentant en épargne collective pour le compte d’Investia Services Financiers inc. (Investia).

[13]        L’intimé connaît P.B. (la personne dont les initiales apparaissent à la plainte) depuis une trentaine d’années.

[14]        L’intimé a d’abord rendu des services professionnels à P.B.

[15]        L’intimé et sa conjointe ont ensuite développé des liens d’amitié avec P.B. et son épouse.

[16]        Au cours des 30 dernières années, l’intimé a ainsi entretenu des liens professionnels et d’amitié avec P.B.

[17]        En 2010, l’épouse de P.B. est décédée. L’intimé a continué à donner un coup de main à son ami et client.

[18]        La preuve révèle que l’intimé, en plus de lui rendre des services professionnels en matière de placements, s’occupait, entre autres, de ses rapports d’impôt. De plus, il l’a aidé à nettoyer sa résidence et à vendre celle-ci.

[19]        Le 29 avril 2016 (chef d’infraction 1) et le 19 octobre 2016 (chef d’infraction 2), P.B. a remis à l’intimé 25 000 $ et 11 000 $ par chèques.

[20]        Il s’agit, dans les deux cas, de dons.

[21]        L’intimé a voulu, en faisant ainsi don d’une somme de 25 000 $, remercier l’intimé pour les bons services qu’il lui avait rendus en matière de placements. Quant à la somme de 11 000 $, P.B. a voulu remercier l’intimé pour l’aide qu’il lui avait apportée lors du « nettoyage » et de la vente de sa résidence.

[22]        Ces dons ont été déposés par l’intimé dans son compte personnel.

[23]        La preuve révèle que l’intimé n’a pas agi par malice : il n’a pas usé de stratagème dans le but de soutirer de l’argent à son client. Il s’agissait clairement de dons.

[24]        En avril et en octobre 2016, l’intimé a d’abord indiqué à P.B. qu’il ne voulait pas de ces sommes d’argent; P.B. a insisté et l’intimé a accepté. L’intimé savait qu’il n’avait pas le droit d’accepter et qu’il se plaçait ainsi en conflit d’intérêts. L’intimé savait qu’il était susceptible d’avoir des problèmes[1].

[25]        Les relevés d’Investia démontrent qu’en 2017, le portefeuille de P.B. totalisait plus de 1,5 million de dollars[2].

[26]        Informé des liens étroits existant entre l’intimé et P.B. (alors âgé de 87 ans), un membre de sa famille en a avisé l’Autorité des marchés financiers le 29 mai 2017[3].

[27]        Le 20 juin 2017, P.B. a entrepris des démarches pour changer de représentant[4]. Son compte a été transféré à un autre représentant le 22 juin 2017[5].

[28]        Invoquant le fait que l’intimé avait accepté des sommes d’argent d’un client, Investia a mis fin à son contrat le 17 décembre 2018[6].

[29]        Le 17 janvier 2019, l’intimé a informé la Chambre de la sécurité financière (CSF) qu’il remettait sa « démission »[7]. L’attestation du droit de pratique démontre que l’intimé a détenu un certificat jusqu’au 31 janvier 2019[8].

[30]        L’intimé et P.B. sont demeurés en bons termes.

[31]        L’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires; il a collaboré à l’enquête de la syndique de la CSF et a admis les faits à la première occasion.


III.        LES REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[32]        Les parties ont recommandé au comité d’imposer à l’intimé les sanctions et mesures suivantes :

-       quant aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2, l’imposition de périodes de radiation temporaire de cinq ans à être purgées concurremment;

-       la publication d’un avis de la décision dans un journal conformément à ce qui est prévu à l’article 156 du Code des professions;

-       la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés;

-       que ces périodes de radiation temporaire ne soient exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendra, le cas échéant, son droit de pratique;

-       que la publication d’un avis de la décision dans un journal ne soit faite qu’au moment où, le cas échéant, l’intimé reprendra son droit de pratique.

[33]        À l’appui de leurs recommandations, les avocats des parties ont souligné au comité la gravité objective des infractions commises, ainsi que les facteurs aggravants et atténuants à considérer.

[34]        L’avocat de la plaignante a soumis les décisions rendues dans les affaires Bélanger[9], Turcotte[10] et Therrien[11].

[35]        En ce qui a trait au report de l’exécution des sanctions et de la publication d’un avis, l’avocat de l’intimé a référé le comité aux décisions et jugements rendus dans les affaires Tardif[12], Paulhus[13], Labelle[14], Breton[15] et Therrien[16].

IV.        L’ANALYSE

[36]        L’intimé a été reconnu coupable d’avoir enfreint l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière lequel prévoit ce qui suit :

« Le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts ».

[37]        En acceptant des dons de son client (même s’il s’agissait également d’un ami), l’intimé a fait défaut, à deux reprises, de respecter ses obligations.

[38]        Dans l’analyse de la gravité des infractions commises, les éléments suivants doivent notamment être considérés :

-       la gravité objective des infractions est indéniable; l’intimé a contrevenu à des devoirs fondamentaux;

-       l’intimé était conscient qu’il était en conflit d’intérêts en acceptant de tels dons;

-       par contre, l’intimé a agi comme représentant pendant une trentaine d’années et il n’a pas d’antécédents disciplinaires;

-       il a collaboré à l’enquête de la syndique adjointe et a reconnu ses fautes à la première occasion;

-       il a plaidé coupable;

-       comme conséquence des fautes commises, Investia a mis fin à son contrat;

-       l’intimé n’a pas fait pression ni amené P.B., par des moyens ou des stratagèmes malicieux, à lui donner 25 000 $ et 11 000 $; il ne s’agit pas d’appropriation illégale; l’intimé n’a pas agi de mauvaise foi;

-       il ne désire plus agir comme représentant, les risques de récidive sont, à toutes fins pratiques, nuls.

[39]        Bien qu’il y ait peu de précédents en semblables matières, la recommandation de périodes de radiation temporaire concurrentes de cinq ans correspond aux sanctions imposées par le comité dans les affaires Bélanger, Turcotte et Therrien précitées. De telles sanctions répondent, de l’avis du comité, aux exigences de dissuasion et d’exemplarité propres au droit disciplinaire.

[40]        La jurisprudence est claire : les recommandations conjointes formulées par les parties ne doivent être écartées que si le comité les juge contraires à l’intérêt public ou s’il est d’avis qu’elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice[17].

[41]        Pour l’ensemble des motifs énoncés précédemment, le comité est convaincu que les sanctions proposées ne doivent pas être écartées; il y donnera donc suite.

[42]        Les parties recommandent également, de façon conjointe, que les sanctions ne soient exécutoires, et que la publication d’un avis dans un journal ne soit faite qu’au moment où, le cas échéant, l’intimé reprendra l’exercice de la profession.

[43]        L’article 158 du Code des professions accorde le pouvoir au comité d’ordonner le report de l’exécution d’une telle décision. Il est fréquent d’ailleurs que les tribunaux procèdent ainsi[18].

[44]        À la lecture de l’attestation du droit d’exercice[19], remise au comité le 13 février 2019, le comité constate que l’intimé a détenu un certificat jusqu’au 31 janvier 2019.

[45]        Dans les commentaires qu’il a fait parvenir au comité le 18 février 2019, l’avocat de l’intimé souligne que son client avait déjà démissionné au moment de l’audience du 22 janvier 2019 et que l’attestation d’exercice devrait en faire état.

[46]        Pour les fins de la présente décision, il n’est pas nécessaire que le comité tranche cette question. Il suffit au comité de constater qu’au moment où il rend la présente décision, l’intimé ne détient plus de certificat. Il fera donc suite à la recommandation formulée puisqu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public et n’est pas non plus de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée à l’audience quant aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte au regard de l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte eu égard aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières.

ET, PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans sous le chef d’infraction énoncé au paragraphe 1 de la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans sous le chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire de cinq ans à être purgées de façon concurrente, ne soient exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendra, le cas échéant, son droit de pratique;

ORDONNE au secrétaire du comité de faire publier, conformément à ce qui est prévu à l’article 156, alinéa 7 du Code des professions, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer la profession;

ORDONNE au secrétaire du comité de ne procéder à cette publication qu’au moment où, le cas échéant, l’intimé reprendra son droit de pratique;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à ce qui est prévu à l’article 151 du Code des professions.

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

 

(s) Antonio Tiberio____________________

M. Antonio Tiberio

Membre du comité de discipline

 

 

 

(s) Frédérick Scheidler________________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jean-Claude Dubé

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

22 janvier 2019

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] SP-11.

[2] SP-5.

[3] SP-2.

[4] SP-6.

[5] SP-4.

[6] SI-2.

[7] SI-1.

[8] SP-1A.

[9] Chambre de la sécurité financière c. Bélanger, 2016 CanLII 36656 (QC CDCSF).

[10] Chambre de la sécurité financière c. Turcotte, 2013 CanLII 43422 (QC CDCSF).

[11] Chambre de la sécurité financière c. Therrien, 2017 QCCDCSF 83 (CanLII).

[12] Ordre des psychologues du Québec c. Tardif, 2016 CanLII 89435 (QC OPQ).

[13] Ordre des ingénieurs du Québec c. Paulhus, 2015 CanLII 75236 (QC CDOIQ).

[14] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Labelle, 2005 QCTP 103 (CanLII).

[15] Lambert c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 39 (CanLII).

[16] Chambre de la sécurité financière c. Therrien, 2017 QCCDCSF 83 (CanLII).

[17] R.c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[18] Supra, note 12, 13, 14, 15 et 16.

[19] SP-1A.

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