Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1321

 

DATE :

11 février 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Diane Bertrand, Pl. Fin.

Membre

M. Alain Legault

Membre

______________________________________________________________________

 

MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CAROLE COUTURE, conseillère en sécurité financière et conseillère en régimes de rentes collectives (certificat numéro 108320, BDNI numéro 1475221)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms des consommateurs impliqués dans la plainte, ainsi que de toute information permettant de les identifier.

[1]          Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni le 1er février 2019 à Montréal, pour procéder à l'instruction de la plainte disciplinaire portée contre l'intimée le 6 juin 2018.

[2]          Le plaignant était représenté par Me Alain Galarneau, alors que l’intimée était présente et représentée par Me Michel Lacoste.

LA PLAINTE

1.      Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 20 octobre 2005 et 20 décembre 2013, l’intimée a signé, à titre de témoin, dix (10) formulaires hors la présence de ses clients, contrevenant ainsi aux articles 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

2.      Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 1er mars 2010 et 23 mai 2015, l’intimée a modifié ou permis à un tiers de modifier dix (10) formulaires, soit en y insérant une page de signature provenant d’un autre formulaire, laissant ainsi croire à l’institution financière que le client avait signé le formulaire, soit en y modifiant la date, contrevenant ainsi à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

3.      Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 23 mars et 2 juin 2010, l’intimée a fait signer en blanc trois (3) formulaires à ses clients, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

4.      Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 23 mars et 2 juin 2010, l’intimée a fait signer en blanc quatre (4) formulaires à ses clients, contrevenant ainsi aux articles 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

5.      Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 6 décembre 2010 et 29 avril 2014, l’intimée a signé, à titre de témoin, huit (8) formulaires hors la présence de ses clients, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[3]          Les procureurs ont informé le comité que l’intimée désirait enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous chacun des cinq chefs d’accusation contenus à la plainte et qu’ils n’avaient que des représentations à lui faire eu égard à leurs recommandations communes sur sanction.

PLAIDOYER ET DÉCLARATION DE CULPABILITÉ

[4]          Après s’être assuré que l’intimée comprenait que, par son plaidoyer, elle reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité l’a déclarée coupable sous chacun des cinq chefs d’accusation contenus à la plainte :

a)     Sous chacun des chefs 1, 2 et 4, pour avoir contrevenu à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (Règlement);

b)     Sous chacun des chefs 3 et 5, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (Loi).

LA PREUVE

[5]          Le plaignant a entrepris une enquête en l’espèce à la suite de la transmission par l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’une lettre reçue de la compagnie d’assurance London Life informant de la cessation de son contrat avec l’intimée, en raison de reproches de même nature que ceux portés dans la présente plainte disciplinaire.

[6]           En déposant de consentement sa preuve documentaire[1], le procureur du plaignant a expliqué le contexte de la commission des infractions.

[7]           Cette preuve a notamment révélé que les gestes reprochés concernent :

a)     au premier chef d’accusation : dix formulaires pour sept consommateurs;

b)     au deuxième chef d’accusation : dix formulaires et cinq consommateurs;

c)      au troisième chef d’accusation : trois formulaires et trois consommateurs;

d)     au quatrième chef d’accusation : quatre formulaires et quatre consommateurs;

e)     au cinquième chef d’accusation : huit formulaires et cinq consommateurs.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

        Le plaignant

[8]           Les parties ont suggéré d’ordonner la radiation temporaire de l’intimée pour une période de deux mois sous chacun des cinq chefs d’accusation, à purger de façon concurrente.  

[9]          De plus, ils ont recommandé d’ordonner la publication de l’avis de la décision et la condamnation de l’intimée aux frais liés à celle-ci ainsi qu’au paiement des déboursés.

[10]        Au cours de l’enquête du syndic adjoint, l’intimée a eu l’occasion d’examiner  les documents produits. Elle a reconnu les faits pour chacun, sans jamais tenter de les nier.

[11]       Ensuite, au titre des facteurs aggravants, le procureur du plaignant a évoqué la gravité objective indéniable des infractions, lesquelles sont au cœur même de l’exercice de la profession et portent atteinte à l’image de celle-ci.

[12]       S’ajoutent à ceux-ci, la répétition et la durée sur près de dix ans des infractions commises, démontrant une pratique malsaine. En cumulant les cinq chefs d’accusation, 38 formulaires sont en cause.

[13]       En signant comme témoin de la signature de clients, en l’absence de ceux-ci, l’intimée transmettait, de fausses informations à l’assureur.

[14]       Les faits reprochés au deuxième chef d’accusation s’apparentent à une contrefaçon. L’intimée a « modifié ou permis à un tiers de modifier dix (10) formulaires, soit en y insérant une page de signature provenant d’un autre formulaire, laissant ainsi croire à l’institution financière que le client avait signé le formulaire, soit en y modifiant la date ». Ce faisant, l’institution recevait de fausses informations. Cette façon de procéder est une pratique dangereuse qui met en péril la protection du public.

[15]        L’intimée utilisait ce moyen de façon systématique, mais n’était pas animée d’une intention malhonnête ou malveillante. Elle y avait recours par souci d’efficacité, pour gagner du temps et donner le meilleur service à ses clients. L’intimée a pleinement collaboré à l’enquête, agissant de façon transparente et reconnaissant ses fautes. Elle n’a pas d’antécédent disciplinaire et a exprimé des regrets sincères. De plus, elle a enregistré un plaidoyer de culpabilité.

[16]        Aussi, le plaignant s’est d’avis que l’expérience vécue par le processus disciplinaire supporte dans les circonstances un risque de récidive faible. Enfin, les consommateurs n’ont subi aucun préjudice.

[17]        Quant à la radiation temporaire de deux mois pour chacune des infractions, cette sanction est conforme aux paramètres jurisprudentiels pour des infractions de même nature.

[18]        Au soutien de ces recommandations, le procureur a passé en revue une série de décisions[2] qu’il a commentées.

        L’intimée

[19]        Le procureur de l’intimée a insisté sur l’attitude de sa cliente qui a été consternée et humiliée en réalisant sa propre turpitude, d’autant plus que son désir était de satisfaire ses clients, lesquels n’ont d’ailleurs subi aucun préjudice.

[20]        Bien que la gravité objective des infractions commises soit indéniable, il a soutenu que celle-ci doit être tempérée en raison de l’absence de conséquences pour le public, l’intimée n’ayant pas agi dans la recherche d’un profit personnel.

[21]        Enfin, il s’est dit d’avis qu’une radiation pour une période de deux mois, combinée à l’expérience du processus disciplinaire par l’intimée et au fait que sa clientèle en sera avisée, est de nature à la dissuader de recommencer.   

ANALYSE ET MOTIFS

[22]        Le comité réitère la déclaration de culpabilité prononcée séance tenante contre l’intimée pour avoir contrevenu à :

a)     L’article 14 du Règlement sous les chefs 1, 2 et 4;

b)     L’article 16 de la Loi sous les chefs 3 et 5.

[23]        L’attestation de droit de pratique de l’intimée révèle qu’au moment des faits reprochés, celle-ci détenait un certificat en courtage en épargne collective, ainsi qu’en assurance des personnes et en régimes de rentes collectives, bien qu’elle n’ait plus que les deux derniers au moment de l’audience.

 

        Chefs d’accusation 3 et 4 - Avoir fait signer en blanc

[24]        Pour avoir fait signer en blanc différents formulaires à sept clients distincts, l’intimée a été déclarée coupable sous le chef 3 d’avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi et sous le chef 4 à l’article 14 du Règlement.

[25]        Les consommateurs n’ont toutefois subi aucun préjudice en conséquence de ces gestes. Selon les faits rapportés par le procureur du plaignant, c’est par souci d’efficacité que l’intimée a agi ainsi, ses manquements ne visaient qu’à rendre service à ses clients et à lui permettre de mieux les servir.

[26]        Néanmoins, en procédant de la sorte, elle a fait défaut d’agir de manière responsable, avec compétence et professionnalisme.

[27]        Même si la preuve n’a pas révélé une conduite malhonnête de la part de l’intimée, par leur signature sur un document en blanc, ses clients se trouvaient à valider des informations qu’ils n’avaient pas vues.

[28]        Ce type d’infraction, qui va au cœur du travail du représentant, est de nature à discréditer la profession.

[29]        Faire signer à ses clients des documents en blanc est une faute sérieuse, une pratique fautive et répréhensible[3], notamment parce qu’elle met en péril la protection du public[4]. Elle met à risque le client, celui-ci se trouvant à approuver à l’avance des renseignements absents du document au moment où il le signe pouvant, dans certaines situations, lui causer préjudice ainsi qu’à l’institution financière concernée.

        Chefs d’accusation 1 et 5 - Avoir signé comme témoin, en l’absence des clients

[30]        Sous ces chefs, l’intimée a été reconnue coupable d’avoir signé dix-huit formulaires à titre de témoin hors la présence de douze clients distincts contrevenant ainsi à l’article 14 du Règlement pour le premier chef et à l’article 16 de la Loi pour le chef 5.

[31]        Ces infractions vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à discréditer celle-ci. Leur gravité objective ne fait aucun doute. L’obtention de signatures sur des documents en blanc expose les clients à des risques inutiles.

[32]        En agissant comme elle l’a fait, l’intimée trompait l’institution concernée laquelle doit pouvoir se fier sur le représentant qui signe à titre de témoin afin notamment que celui-ci puisse, si cela s’avérait utile un jour, garantir l’authenticité de la signature du client sur ledit document.

[33]        Relativement aux motifs qui l’auraient motivé à agir de la sorte, selon le résumé rapporté par le procureur de la plaignante, il s’agissait d’un souci d’efficacité dans l’intérêt de son client.

[34]        Même si l’intimée n’était pas animée d’une intention malveillante et n’a pas tiré un intérêt particulier de ses gestes, elle n’était pas pour autant autorisée à agir au détriment de ses obligations déontologiques.

[35]        En témoignant de la signature de son client alors qu’elle n’a pas assisté à celle-ci, l’intimée s’est comportée de façon irresponsable, a manqué de compétence et de professionnalisme, peu importe les bonnes intentions qui ont pu l’animer.

        Chef d’accusation 2 – Modification de dix formulaires

[36]        Comme décrit à ce chef, l’intimée « a modifié ou permis à un tiers de modifier dix (10) formulaires, soit en y insérant une page de signature provenant d’un autre formulaire, laissant ainsi croire à l’institution financière que le client avait signé le formulaire, soit en y modifiant la date ». Ces gestes ont été commis à l’égard de cinq clients distincts.

[37]        L’utilisation d’une signature apposée sur un formulaire aux fins d’un autre, ou en y modifiant la date, relève de la contrefaçon. La gravité objective de ces infractions ne fait aucun doute. Selon la preuve rapportée par les procureurs, l’intimée en est toutefois pleinement consciente. À leur avis, le risque de récidive s’avère, dans les circonstances, plutôt faible.

[38]        Ils ont soutenu qu’il y avait absence d’intention malhonnête ou malveillante et qu’aucun préjudice n’a été causé aux consommateurs.

[39]        Le comité est conscient des effets malheureux de tels gestes sur la vie personnelle et professionnelle de l’intimée.

[40]        L’intimée a son propre cabinet. Sa radiation temporaire pour une période de deux mois, recommandée également sous ce chef, n’est pas sans conséquence, non seulement en raison des revenus dont elle sera privée et des coûts liés au processus disciplinaire, mais de la réalité de l’industrie faisant en sorte que les institutions concernées risquent d’imiter la London Life et de mettre fin à leur contrat avec elle.

[41]        Les sanctions proposées pour chacun des cinq chefs sont conformes à celles habituellement imposées pour des infractions de cette nature. Aussi, comme maintes fois rapporté en droit disciplinaire[5], le comité ne devrait s’écarter des recommandations communes des parties que s’il les juge contraires à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice[6].

[42]        Compte tenu de ce qui précède, des faits propres à cette affaire, des facteurs objectifs et subjectifs qui lui ont été soumis, le comité donnera suite aux recommandations communes des parties, étant d’avis que la condamnation de l’intimée à une radiation temporaire de deux mois à être purgée de façon concurrente sous chacune des cinq infractions, constitue une sanction juste, appropriée et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion qui ne peuvent être ignorés.

[43]        Enfin, le comité ordonnera la publication de l’avis de la décision et condamnera l’intimée au paiement des frais liés à celle-ci ainsi que des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms des consommateurs impliqués dans la plainte, ainsi que de toute information permettant de les identifier;

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sous chacun des cinq chefs d’accusation mentionnés à la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimée coupable sous chacun des cinq chefs d’accusation de la plainte, pour avoir contrevenu à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières sous les chefs 1, 2 et 4, ainsi qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers sous les chefs 3 et 5;

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions invoquées sous chacun des chefs d’accusation contenus dans la plainte.

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE, sous chacun des chefs d’accusation 1 à 5, la radiation temporaire de l’intimée et ce, pour une période de deux mois à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où cette dernière a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Diane Bertrand___________________

Mme Diane Bertrand, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Alain Legault____________________

M. Alain Legault

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Michel Lacoste

BRUNET & BRUNET s.n.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 1er février 2019

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-1 à P-8.

[2] CSF c. Hannoush, 2016 CanLII 24456 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité du 20 avril 2016 et sur sanction du 19 juillet 2016; CSF c. Prévost, 2017 QCCDCSF 52, décision sur culpabilité et sanction du 28 septembre 2017; CSF c. Gauthier, 2015 QCCDCSF 6, décision sur culpabilité et sanction du 9 février 2015; CSF c. Pham, 2014 CanLII 64647 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 20 juin 2014; CSF c. Perron, 2013 CanLII 59570 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction rectifiée du 10 septembre 2013.

[3] Voir note 2.

[4] En l’espèce, plusieurs des documents en cause étaient d’importance et les informations demandées aux paragraphes laissés en blanc n’étaient pas anodines.

[5] Notamment Médecins (Ordre professionnel des) c. Legault, 2016 CanLII 91699 (QC CDCM), décision sur culpabilité et sanction du 16 décembre 2016; CSF c. Charbonneau-Desjardins, CD00-1186, décision sur culpabilité et sanction du 26 janvier 2017.

[6] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

 

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