Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1303

 

DATE :

23 mars 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Frédérick Scheidler

Membre

 

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

JACQUES DUFOUR

Partie plaignante

c.

ALAIN SICOTTE, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 130853, BDNI 1247881)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni à Montréal, pour procéder à l'instruction d’une plainte disciplinaire privée portée contre l'intimé le 1er février 2018, mais complétée le 19 juin suivant.  

[2]           Le plaignant, monsieur Jacques Dufour (le plaignant), se représentait seul. L’intimé pour sa part était représenté par Me Jo-Anne Demers et Me Brigitte Savignac.

[3]          Les parties ont convenu que les reproches allégués contre l’intimé par le plaignant, tels que précisés dans sa plainte du 19 juin 2018, sont les suivants.

LA PLAINTE

« 1. Mr. Sicotte failed to obey the “ know your client rule ” by failing to invest my money in investment appropriate to my situation and education;

2.    Mr. Sicotte, without colour of right, misappropriated between $ 25,000 and $ 30,000 from the account that I had opened with him as my advisor at Placements Optifond[s] between November 6, 1998 and December 1999. »[1]

[4]          Au soutien de chacun de ces deux chefs d’accusation, le plaignant a allégué les articles 3, 11, 12, 14, 17, 25 et 29 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (Code).

LA PREUVE

[5]          Le plaignant, dûment assermenté, a déposé une preuve documentaire[2] et a témoigné. Son épouse, madame Suzanne Demers-Dufour (madame Demers), a également été entendue. 

[6]           Me Demers a déposé la preuve documentaire[3] de l’intimé, dont une déclaration assermentée de monsieur Philippe-Antoine Truchon-Poliard (M. Truchon-Poliard), conseiller en conformité chez Desjardins sécurité financière investissements inc. Elle a aussi fait entendre monsieur Ryan Sicotte (M. R. Sicotte), fils de l’intimé, et l’intimé lui-même.

[7]          Enfin, elle a soumis des documents de travail, consistant en deux tableaux des comptes ouverts par le plaignant par l’entremise de l’intimé. Le premier porte sur le compte de retraite immobilisé (CRI – « Locked-In Account »)[4] et le deuxième sur le Régime enregistré de retraite (RER – « Non Locked-In Account (LIRA) »)[5]

LE CONTEXTE

[8]          L’intimé est conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective, depuis septembre 1989. Il exerce, depuis ses débuts, au sein de SFL Investissements inc., une filiale de Desjardins Sécurité financière Investissements inc.

[9]           Le plaignant a rencontré l’intimé vers 1997-1998, alors que leurs enfants jouaient dans la même équipe de hockey. C’est ainsi qu’il a appris que l’intimé était conseiller en sécurité financière.

[10]        Depuis 1975, le plaignant travaillait chez ADT Sécurité, mais a été mis à pied en janvier 1998, ayant refusé de déménager dans l’ouest du pays pour occuper le même poste.

[11]       Le régime enregistré de retraite d’ADT était administré par la compagnie Sun Life du Canada. Le plaignant y cotisait depuis son adhésion. Ses cotisations audit régime s’élevaient alors à 80 956,15 $ et elles lui ont été remboursées.

[12]        En mars 1998, le plaignant a pris contact avec l’intimé afin que celui-ci l’assiste pour le placement des 80 956,15 $ ainsi reçus. Ils se sont rencontrés au bureau de l’intimé.

[13]        Ces cotisations du plaignant ont été versées dans deux comptes, ouverts en 1998 par l’entremise de l’intimé, auprès de Placement La Laurentienne[6] :

a)        Un Régime enregistré de retraite (RER – « Non Locked-In Account (LIRA) »), comprenant ses cotisations avant 1990, soit 26 935,84 $;

b)        Un compte de retraite immobilisé (CRI – « Locked-In Account »), comprenant ses cotisations après 1990, soit 54 020,31 $[7].

[14]        Parmi les documents déposés par le plaignant, se trouvent notamment[8] :  

a)        Trois demandes de retrait signées par lui en novembre 1998, mars 1999 et septembre 1999 (lettres d’instructions et de désenregistrement)[9];

b)        Les informations reçues par écrit concernant les détails des transactions financières ayant été effectuées dans ses deux comptes (CRI et RER)[10].

[15]       Le plaignant ne se souvient pas d’avoir demandé à l’intimé de retirer de l’argent dans son compte. Même si les trois formulaires signés en novembre 1998, mars et septembre 1999 font état de ventes de placements, donc de retraits[11], selon lui, les trois n’avaient pour but que de transférer des investissements. Ces retraits totalisent 16 000 $ net[12].

[16]        À propos des montants « nets » indiqués sur lesdits formulaires, le plaignant a expliqué que cela représentait le solde des sommes, une fois effectuées les déductions des taxes, des frais de gestion et des pénalités imposées par les fonds, le cas échéant.

[17]       Il a déclaré faillite à trois reprises au cours des années, mais ne pouvait préciser les périodes.

[18]        De mémoire, il rencontrait l’intimé une à deux fois par année, et ils se parlaient souvent au téléphone. L’intimé a témoigné que leurs rencontres se tenaient à son bureau, sauf une qui a eu lieu à leur domicile.  

[19]       En 2014, le plaignant a rencontré l’intimé pour lui demander à combien s’élevait son compte. Selon lui, n’ayant retiré entre 2008 et 2014 que les 10 % annuels permis sans frais, il ne comprenait pas que son compte n’affiche qu’un solde d’environ 67 000 $. Il a, dès lors, transféré chez Sun Life la balance de son compte qui s’élevait, à ce moment-là, à un peu plus de 68 000 $.

[20]       Au sujet des allégués de la plainte et bien qu’il l’ait signée, le plaignant a indiqué n’avoir lu celle-ci que partiellement. Il a concédé que certaines informations étaient inexactes, par exemple celle voulant qu’il n’ait complété qu’un Secondaire II, alors qu’il a témoigné plutôt avoir un Secondaire V, bien que ne détenant pas le diplôme correspondant.

[21]       De même, l’information indiquant qu’il voulait prendre sa retraite en 1998 s’avérait erronée, puisque lors de sa rencontre avec l’intimé en 1998, il n’avait que 41 ans. De plus, dès février 1998, il avait repris le travail auprès d’ADT, occupant toutefois un autre poste. Il y travaille toujours d’ailleurs, même si la compagnie a changé de nom.   

[22]       Quant au reproche allégué « failed to [obey the] know your client rule », il a témoigné ne pas savoir ce que cela signifiait, car c’est l’avocat qu’il a consulté qui l’a écrit. Questionné, il n’a pas non plus pu dire en quoi les placements faits par l’intimé ne convenaient pas à sa situation personnelle et financière.

[23]       Le plaignant a expliqué qu’à la première rencontre avec l’intimé, ce dernier lui a posé des questions sur son profil d’investisseur et ils ont passé à travers un formulaire. Il se souvient peu du contenu de ce dernier ni davantage de ce que l’intimé lui a dit. Quant à ses demandes à l’intimé, il lui avait indiqué vouloir des rendements avec l’argent qu’il lui confiait. Il ne peut pas dire si les discussions ont porté sur ses besoins ni sur la durée des investissements.

[24]       Il a confirmé recevoir les états de compte des « maisons » de fonds. Il a toutefois ajouté qu’il les regardait sans vraiment les comprendre, mais n’a pas communiqué avec l’intimé pour obtenir des explications sur ceux-ci.  

[25]       Il ne détient pas de preuve démontrant que l’intimé s’est approprié entre 25 000 $ et 30 000 $ lui appartenant.

[26]        Il n’a pas vérifié lui-même auprès de son institution financière si des dépôts avaient été faits dans ses comptes en 1998 et 1999, période visée par la plainte, son épouse étant celle qui s’occupe des suivis bancaires, paie les comptes et autres.

[27]        Son épouse, madame Demers, a confirmé avoir fait des démarches pour obtenir leurs relevés bancaires auprès de responsables de la banque, mais ceux-ci ont indiqué ne pouvoir les récupérer, étant donné le nombre d’années écoulées, l’institution ne pouvant remonter pour la période avant 2009.  

[28]        Le couple habite toujours à la même adresse qu’en 1998.

[29]        Selon l’intimé, à l’époque des événements, il n’existait pas chez SFL de formulaire pour l’analyse des besoins financiers (ABF), mais il utilisait un questionnaire qui lui permettait d’établir tant les besoins du client que le profil d’investisseur[13].

[30]        Lors de sa première rencontre avec le plaignant, il lui a notamment expliqué que les sommes investies tant dans le compte immobilisé (« lock-in ») que dans le compte enregistré de retraite (« non-lock in ») lui serviraient de revenus lors de sa retraite.

[31]        Dans les deux cas, il s’agissait de placements à long terme. Toutefois, il pouvait faire des retraits dans le deuxième compte, mais il y aurait des déductions pour des frais administratifs, dont des frais de sortie et les retenues fiscales.

[32]        Au sujet des retraits effectués en 1998 et 1999 par le plaignant, l’intimé a témoigné que ce dernier l’a appelé expliquant vivre des difficultés financières. Les rencontres avaient lieu à son bureau et madame Demers y était toujours présente. Chaque fois, il passait à travers les fonds que le plaignant détenait et expliquait dans lesquels seraient effectués les retraits pour arriver au montant dont son client avait besoin.  

[33]        Lors de ces rencontres, après avoir discuté du fonds qui s’y prêtait le mieux, ils remplissaient les formulaires appropriés. Une fois ceux-ci complétés, l’intimé les remettait au cabinet qui les envoyait aux compagnies de fonds, et la transaction suivait son cours. C’est la compagnie de fonds qui émettait le chèque et le faisait parvenir au client. Seule une confirmation de l’activité était transmise au représentant.

[34]        L’échéance des fonds ayant servi au premier retrait était de cinq ou six ans. Le plaignant a demandé deux autres retraits. Toutes ces transactions ont été faites à même son RER, entre le 6 novembre 1998 et le 5 octobre 1999[14] :

a)     Novembre 1998 : 7 800,13 $;

b)     Mars/Avril 1999 : 8 380,13 $;

c)      Septembre/Octobre 1999 : 8 747,64 $.

[35]        Ces retraits n’ont jamais transité par ses comptes bancaires ni d’ailleurs par SFL[15].

[36]        Après le dernier retrait de 1999, il ne restait dans ce compte du plaignant qu’environ 1 100 $. Ainsi, en l’an 2000, le solde de ce compte n’étant que de 1 115,16 $[16] étant donné les frais, il a recommandé à son client de le fermer et d’investir cette somme dans son Fonds CI.

[37]        En aucun temps, le plaignant n’a communiqué avec lui ou indiqué qu’il n’avait pas reçu l’argent. Il ne s’est jamais plaint avant 2014.

[38]        L’intimé a nié s’être approprié quelque argent que ce soit appartenant à
son client.

[39]        Quant aux 10 % que le plaignant prétend avoir retirés entre 2008 et 2014, l’intimé a précisé qu’il s’agissait plutôt de 2,4 % à 7 % des Fonds de rente viagère (FRV), placés chez MRS.

[40]        Au cours des années précédant la présente plainte, à la demande de la syndique de la CSF, il a remis toutes les informations concernant le dossier du plaignant. Le 21 avril 2017, la syndique lui écrivait procéder à la fermeture du dossier d’enquête le concernant.

[41]        Enfin, par sa déclaration assermentée, M. Truchon-Poliard a confirmé, en tant que conseiller en conformité chez Desjardins, que les sommes versées au plaignant à la suite de ses demandes de désenregistrement lui ont été remises directement par les compagnies de fonds et n’ont jamais transité via l’intimé.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[42]       Le plaignant n’a fait aucune représentation, ayant déclaré n’avoir rien à ajouter.

[43]       Les procureures de l’intimé, après avoir passé en revue une série de décisions[17], notamment celles portant sur le fardeau de preuve incombant au plaignant, ont fait valoir que celui-ci ne s’en était pas déchargé.

[44]       Dans les circonstances, elles ont demandé le rejet de la plainte portée contre l’intimé et la condamnation du plaignant au paiement des déboursés.

ANALYSE ET MOTIFS

[45]        Au sujet du fardeau de preuve exigé en matière disciplinaire, il y a lieu de rappeler les enseignements du Tribunal des professions dans Vaillancourt c. Avocats[18] :

« [62] En matière disciplinaire, il est établi depuis longtemps que le fardeau de la preuve, d'une part, incombe totalement à la plaignante, et d'autre part, que ce fardeau en est un de prépondérance des probabilités, identique à celui qui a cours en droit civil[41], énoncé de la manière suivante par l'article 2804 du Code civil du Québec :

La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

(…)

[65] La Cour rappelle que ‘‘ la preuve doit être toujours claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ’’[44] tout en reconnaissant toutefois qu'il n'existe aucune norme objective pour déterminer si elle l'est suffisamment. Cependant, la norme de la prépondérance des probabilités présuppose un examen attentif et minutieux de tous les éléments pertinents de preuve qui permettent de conclure dans un sens ou dans l'autre. (…)

[66] L'arrêt McDougall clarifie donc la question de la norme de preuve applicable en matière civile mais n'évacue pas de son application des considérations liées à la gravité des allégations ou de leurs conséquences. (…)

[…]

(…). Pour que le syndic s'acquitte de son fardeau, il ne suffit pas que sa théorie soit probablement plus plausible que celle du professionnel. Il faut que la version des faits offerts par ses témoins comporte un tel degré de conviction que le Comité le retient et écarte celle de l'intimé parce que non digne de foi.

Si le Comité ne sait pas qui croire, il doit rejeter la plainte, le poursuivant n'ayant pas présenté une preuve plus persuasive que l'intimé. Il ne suffit pas que le Comité préfère la théorie du plaignant par sympathie pour ses témoins ou par dégoût envers les gestes reprochés au professionnel. Il est essentiel que la preuve à charge comporte un degré de persuasion suffisant pour entraîner l'adhésion du décideur et le rejet de la théorie de l'intimé.

(…)

[67] (…) la preuve en droit disciplinaire requiert une preuve sérieuse, claire et sans ambiguïté. »

[46]        Aussi, encore récemment, dans l’affaire Bisson c. Lapointe[19], la Cour d’appel du Québec s’est prononcée au sujet du fardeau de preuve exigé en matière disciplinaire :

« [66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le ‘‘ sérieux ’’ de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences.

[67]  Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.

[68]  Comme le rappelle la Cour suprême, ‘‘ [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités ’’. »

(Nos soulignements.)

[47]       Précisons que le plaignant privé est soumis aux mêmes règles que le syndic, comme énoncé dans l’affaire Kozlowska[20] :

« [90] Par ailleurs, il est reconnu que le plaignant privé est soumis aux mêmes règles que le syndic en matière disciplinaire et que son statut de plaignant privé ne lui confère pas le droit de contourner les exigences explicites de la loi. »

[48]       Ceci dit, qu’en est-il de la preuve au soutien des chefs d’accusation en l’espèce?

        Premier chef d’accusation : « Failed to know your client rule »

[49]       À ce premier chef d’accusation, le plaignant reproche à l’intimé de lui avoir conseillé des investissements qui ne convenaient pas à sa situation financière, ni à son niveau d’éducation, ni à son profil d’investisseur.

[50]       Au soutien, il a invoqué les articles 3, 11, 12, 14, 17, 25 et 29 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière :

3. Le représentant doit veiller à ce que ses employés ou mandataires respectent les dispositions du présent règlement de même que celles de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2) et celles de ses règlements d’application.

11. Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité.

12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client.

14. Le représentant doit fournir à son client ou à tout client éventuel les explications nécessaires à la compréhension et à l’appréciation du produit ou des services qu’il lui propose ou lui rend.

17. Le représentant ne peut s’approprier, pour ses fins personnelles, les sommes qui lui sont confiées ou les valeurs appartenant à ses clients ou à toute autre personne et dont il a la garde.

25. Le représentant ne doit pas, dans l’exercice de ses activités, par malhonnêteté, fraude, supercherie ou autres moyens dolosifs, éluder ou tenter d’éluder sa responsabilité civile professionnelle ou celle du cabinet ou de la société autonome au sein duquel il exerce ses activités.

29. Le représentant doit remettre sans délai à un client ou à toute personne que ce dernier lui indique les livres et documents appartenant au client, même si ce dernier lui doit des sommes d’argent.

[51]        Le plaignant a très peu de souvenirs de ses rencontres avec l’intimé.

[52]        À propos de leur première rencontre en 1998, lors de laquelle il a ouvert deux comptes pour sa retraite, il se souvient que l’intimé lui a posé des questions au sujet de son profil d’investisseur, mais sans pouvoir dire s’il y en a eu concernant ses besoins. Il se rappelle d’un formulaire, mais pas précisément de celui produit par l’intimé[21].

[53]        Le plaignant a déclaré que c’est l’avocat qu’il a consulté qui a rédigé ce premier reproche et ne se rappelle pas lui avoir toutefois dit quoi que ce soit à ce sujet.  

[54]        Pour sa part, l’intimé a témoigné que lors de leur première rencontre à son bureau, le plaignant et lui ont établi les besoins de celui-ci, ainsi que sa tolérance aux risques comme investisseur. Il a déposé à cette fin le formulaire qui a été alors rempli. Les sommes investies étaient destinées à servir de revenus lors de la retraite du plaignant. Par conséquent, il a constitué pour ce dernier un portefeuille « Growth Oriented Portfolio », permettant aux investissements de croître à long terme.

[55]       De plus, il a expliqué au plaignant que s’il retirait des montants de son RER, les impôts, les frais de sorties (« Deferred Sales Charges ») des différents fonds d’investissement, ainsi que les frais de gestion seraient prélevés à même ces sommes.

[56]        Or, répondant sans aucune hésitation à la question du comité à ce sujet, le plaignant a démontré avoir très bien compris ces explications.

[57]        Par conséquent, en l’absence d’autre preuve, la version des faits offerte par l’intimé, combinée à la preuve documentaire, paraît digne de foi et comporte un tel degré de conviction que le comité ne peut l’exclure.

[58]        Bref, la preuve prépondérante a plutôt établi que l’intimé a satisfait à ses obligations de bien connaître son client.

[59]        Aucune des dispositions alléguées au soutien de ce chef d’accusation par le plaignant ne trouve application en l’espèce.

[60]        Par conséquent, le plaignant ne s’étant pas déchargé de son fardeau de preuve, laquelle se devait d’être claire et convaincante, le comité rejettera ce chef d’accusation et en acquittera l’intimé. 

        Deuxième chef d’accusation : Appropriation de fonds

[61]       Par ce chef d’accusation, le plaignant reproche à l’intimé de s’être approprié, entre le 6 novembre 1998 et décembre 1999, une somme de 25 000 $ à 30 000 $ lui appartenant.

[62]       Comme l’a plaidé la procureure de l’intimé, même si les articles 3, 11, 12, 14, 17, 25 et 29 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière sont allégués au soutien de celui-ci, l’article 17 s’avère être celui répondant le mieux à l’accusation faite sous ce chef.

[63]       À tout événement, comme rapporté par la procureure de l’intimé, la notion d’appropriation en droit disciplinaire a été définie par la jurisprudence et la doctrine. À ce sujet, voici quelques passages de la décision de la Cour du Québec dans Haché[22] qui siégeait en appel de celle du comité de discipline de la CSF :

« [151] (…) le Comité précise son raisonnement afin d'évaluer s'il y a eu effectivement appropriation de fonds de la part de l'appelant lorsqu'il écrit :

‘‘ […]

[23] En matière de droit disciplinaire, l’infraction d’appropriation de fonds est une infraction qui, selon la jurisprudence développée par le Tribunal des professions, doit être interprétée de façon large et libérale. Elle ne nécessite pas la preuve d’intention malhonnête.

[24] Elle s’apparente simplement à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à un client, sans son autorisation, et ce, même de façon temporaire ou même avec l’intention de les lui remettre. Elle est essentiellement fondée sur l’absence d’autorisation du client [1]. ’’

[Référence omise.]

(…)

[159] Pour le Comité, l'appelant s'est approprié, pour ses fins personnelles, les différents montants d'argent allégués aux quatre Chefs d'accusation au motif que l'argent a transité dans son compte bancaire commercial ouvert à son nom, bien qu'il n'ait pas participé personnellement, en totalité ou en partie, au détournement ou à l'appropriation des fonds, tel que le conclut le Comité.

(…)

[162] Cependant, encore faut-il que la prépondérance de la preuve établisse, d'une part, l'essentiel du libellé des différents Chefs d'accusation que l'on reproche à l'appelant, et d'autre part, les éléments constitutifs reliés aux dispositions de rattachement, ce que la preuve n'a pas révélé en l'instance.

[163] Il s'agit de deux éléments essentiels afin que le Comité puisse retenir la culpabilité de l'infraction aux Chefs d'accusation 1, 3, 4 et 5, telle que libellée, en fonction des différentes dispositions de rattachement.

[164] Or, le Comité conclut de la preuve que les quatre plaignants allégués aux Chefs 1, 3, 4 et 5 ne sont pas clients de l'appelant au moment des faits reprochés.

[165] Outre le transit des différents montants d'argent dans le compte d'affaires émis au nom de l'appelant, la prépondérance de la preuve n'a pas permis au Comité de conclure que l'appelant s'est approprié ceux-ci pour des fins personnelles. »

[64]       En l’espèce, la preuve prépondérante a révélé que le plaignant a retiré 16 000 $ entre les 6 novembre 1998 et 5 octobre 1999, au moyen de trois retraits.

[65]       À cela s’ajoute le témoignage de ce dernier, confirmant avoir toujours habité à la même adresse, soit celle se trouvant à la correspondance produite au soutien notamment des versements faits à son nom par les compagnies de fonds pour chacun des trois retraits.

[66]       De même, évoquant avoir dû déclarer faillite personnelle à trois reprises au cours de ces années, son témoignage constitue une certaine corroboration des propos de l’intimé voulant qu’il lui ait dit vivre des difficultés financières pour justifier ses demandes de retraits.

[67]       Le plaignant ne pouvait se contenter de dire qu’il ne se souvient pas avoir fait ces retraits ou avoir reçu cet argent, alors qu’il a admis que la signature apposée sur les différents formulaires de désenregistrement était bien la sienne. Il ne pouvait pas non plus ignorer la preuve documentaire démontrant la vente des fonds décrits aux fins de ces retraits et celle relative aux versements faits par lesdites compagnies de fonds à son nom.

[68]        Par conséquent, comme pour le chef d’accusation précédent, le plaignant ne s’étant pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait, le comité rejettera ce deuxième chef d’accusation et en acquittera l’intimé.

LE PAIEMENT DES DÉBOURSÉS

[69]        Au soutien de sa demande pour la condamnation du plaignant au paiement des déboursés, l’intimé a allégué que le processus disciplinaire n’a pas pour objectif de fournir des explications au plaignant qui se questionne sur des transactions financières effectuées depuis plus de vingt ans.

[70]        En dépit de la documentation et des autres informations qu’il a reçues, le plaignant a réitéré le même questionnement devant le comité. Somme toute, il s’est contenté de répéter qu’il ne se souvenait pas avoir fait de tels retraits et qu’il croyait qu’il ne s’agissait que de transferts de fonds effectués dans ces comptes.

[71]        Aux fins de se prononcer sur cette demande de l’intimé relative au paiement des déboursés, il est opportun de rappeler le texte de l’article 151 du Code des professions[23] :

Code des professions, RLRQ c. C-26, article 151 :

151. Le conseil peut condamner le plaignant ou l’intimé aux déboursés ou les condamner à se les partager dans la proportion qu’il doit indiquer.

Toutefois, lorsque le plaignant est une personne qui a porté plainte en vertu du deuxième alinéa de l’article 128, le conseil ne peut le condamner aux déboursés que si l’intimé a été acquitté sur chacun des chefs contenus dans la plainte et que la plainte était abusive, frivole ou manifestement mal fondée.

(…)

[72]        L’affaire Kozlowska[24] citée par l’intimé à ce propos énonce :

« [183] L’article 151 du Code des professions prévoit que lorsqu’une plainte est portée par un plaignant privé, le Conseil de discipline ne peut le condamner aux déboursés que si la partie intimée a été acquittée sur chacun des chefs contenus dans la plainte et que la plainte est qualifiée d’abusive, frivole ou manifestement mal fondée. »

[73]        Le comité estime qu’en l’espèce, la plainte est non seulement manifestement mal fondée, mais est abusive, entre autres du fait que le plaignant a obtenu au préalable entre 2014 et 2016, la documentation pertinente, les informations et explications de SFL et de l’intimé et de ses procureures, qui lui démontraient sans conteste les retraits auxquels il avait procédé et les versements faits en conséquence à son nom par les compagnies de fonds.

[74]        Insatisfait des réponses et documents obtenus, le plaignant a porté plainte à l’Autorité des marchés financiers. Cette plainte a été en conséquence transmise pour enquête à la syndique de la CSF, laquelle a fermé le dossier après étude des éléments soulevés. Insatisfait de cette dernière décision, il l’a soumise au comité de révision qui a confirmé la décision de la syndique.

[75]        Malgré ces deux rejets, le plaignant a persisté et a déposé contre l’intimé la présente plainte privée. Or, il s’est présenté devant le comité, avec aucun autre document que ceux déjà soumis ou autre preuve supportant le contraire.

[76]        À ses dires, il ne croyait pas signer des retraits, mais plutôt des changements dans ses placements, sans toutefois développer davantage. Certes, le passage du temps ne lui a pas permis d’obtenir de London Life, ou des compagnies de fonds, des copies des chèques émis en exécution de ces retraits ou la preuve de l’absence de tels versements dans ses comptes bancaires. Toutefois, l’ensemble de la documentation et correspondance des compagnies de fonds et de SFL le démontrent clairement.

[77]        Le comité estime que le plaignant a fait preuve d’un entêtement déraisonnable, voire même d’un acharnement, en faisant ainsi usage du processus disciplinaire.

[78]        Pour ces motifs, le comité condamnera le plaignant au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la plainte portée contre l’intimé;

ACQUITTE l’intimé sous chacune des deux infractions alléguées dans la plainte;

CONDAMNE le plaignant au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

(s) Janine Kean   ____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Frédérick Scheidler________________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Dyan Chevrier____________________

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Le plaignant se représentait seul.

 

Me Jo-Anne Demers et Me Brigitte Savignac

CLYDE & CIE CANADA, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

Les 3 et 4 octobre 2018

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Plan d’argumentation de l’intimé, par. 5.

[2] Ces pièces ont été classées sous des onglets selon les années suivantes : 1998, 1999, 2014, 2016 et 2017.

[3] D-1 à D-17 et D-20.

[4] DT-18.

[5] DT-19.

[6] D-6.

[7] D-3 – Formulaire de Sun Life.

[8] Onglet 2016, p. 13 et suivantes : Détails des transactions de 1998 à 2014 et transfert du solde du compte du RER à MRS (M.R.S. Trust Company) en 2000.

[9] Onglet 2016, pp. 5, 8 et 10.

[10] Ces informations proviennent du bureau de l’intimé (novembre 2014) et de M. Truchon-Poliard, en tant que conseiller en conformité chez Desjardins (SFL Investissement Inc.), en 2016 et 2017.

[11] Onglet 2016, pp. 5, 8 et 10.

[12] Les deux premiers de 5 000 $ et un troisième de 6 000 $.

[13] D-5 – Formulaire d’Analyse du profil d’investisseur du plaignant, non daté et non signé.

[14] Les chiffres correspondent aux montants bruts.

[15] D-20.

[16] D-16 et D-18.

[17] Vaillancourt c. Avocats (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 126A, jugement rectifié du 21 novembre 2012; Kozlowska c. Jeglinski, 2018 QCCDBQ 63, décision sur culpabilité du 5 juillet 2018; CSF c. Cauchon, 2008 CanLII 5145 (QC CDCSF), décision sur culpabilité du 7 février 2008; Haché c. CSF, 2013 QCCQ 4082, jugement du 24 avril 2013.

[18] Vaillancourt c. Avocats (Ordre professionnel des), préc., note 16.

[19] Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078.

[20] Kozlowska c. Jeglinski, préc., note 16.

[21] D-5.

[22] Haché c. CSF, préc., note 16

[23] Le 2e alinéa de l’article 128 CP vise la plainte portée par une autre personne que le syndic de l’ordre.

[24] Kozlowska c. Jeglinski, préc., note 16.

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