Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1296

 

DATE :

11 décembre 2018

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LE COMITÉ:

Me Claude Mageau

Président

M. Michel Gendron

Membre

M. Antonio Tiberio

Membre

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MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

MARC ROUSSEAU, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurances et rentes collectives et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 129591, BDNI 1601831)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION RECTIFIÉE

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

-       Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non‑publication du nom et prénom de la consommatrice visée par la plainte disciplinaire ainsi que tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de l’identifier.

[1]              Le 6 juin 2018, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 12 décembre 2017 ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.         À Montréal, le ou vers le 7 avril 2016, l’intimé n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits en suggérant à sa cliente L.S.P., de transférer ses placements, sans avoir vérifié les impacts fiscaux d’un tel transfert, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 12 et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

2.         À Montréal, le ou vers le 7 avril 2016, l’intimé a fait des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur sa cliente L.S.P, quant aux impacts fiscaux du transfert de placements, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 12, 13, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

3.         À Montréal, entre les ou vers les 16 mai et 21 juin 2016, l’intimé a fait des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur sa cliente L.S.P., quant au produit auquel elle a souscrit, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 12, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]              Le plaignant était représenté par Me Caroline Chrétien et l’intimé par Me Sonia Paradis.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]              D’entrée de jeu, la procureure de l’intimé informa le comité que l’intimé avait l’intention de plaider coupable aux trois (3) chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire.

[4]              Après s’être assurée auprès de l’intimé qu’il comprenait bien les conséquences de son plaidoyer de culpabilité en ce qu’il reconnaissait ainsi que les gestes reprochés constituent des infractions déontologiques, le comité accepta ce plaidoyer et invita la procureure du plaignant à lui faire une présentation sommaire de la preuve.

LA PREUVE

[5]              La procureure du plaignant déposa, avec le consentement de la procureure de l’intimé, un cahier de pièces identifiées P-1 à P-22, à partir desquelles, elle présenta au comité un résumé des faits pertinents du présent dossier.

[6]              L’intimé, au moment de la commission des actes reprochés, était représentant en assurance de personnes depuis 1995 et représentant de courtier en épargne collective depuis 1999.

[7]               Au moment des gestes reprochés, il avait depuis près de douze (12) ans, une relation d’affaires avec la consommatrice L.S.P., qui était alors âgée de 76 ans.

[8]              Tout d’abord, en ce qui concerne le chef d’infraction numéro 3, le 26 août 2015, suivant les conseils de l’intimé, L.S.P. a signé une proposition d’assurance-vie universelle pour une valeur de 100 000 $ avec Desjardins Assurances.

[9]              Il était alors entendu que la prime annuelle serait au montant de 9 895,90 $ et, à cet effet, L.S.P. a remis à l’intimé deux (2) chèques pour un montant total de 21 740 $, soit pour couvrir le montant de 9 895,90 $ ci-haut mentionné pour le paiement de la prime annuelle, et un autre chèque comme dépôt additionnel au montant de 11 844,10 $.

[10]           L’intimé n’avait cependant pas indiqué à la cliente qu’elle faisait l’objet d’une surprime en raison de son âge et de ses antécédents médicaux, de telle sorte que de cette somme de 9 895,90 $ payée par la cliente, 9 498,72 $ allait au paiement du coût d’assurance, ce qui laissait uniquement un montant de 397,18 $ comme investissement.

[11]           De plus, cette question de surprime n’avait pas été prise en considération pour le calcul de la valeur de rachat de ladite police, ce qui faisait en sorte que la valeur de rachat représentée à la cliente était beaucoup plus élevée qu’elle aurait été en réalité.

[12]           Cette valeur de rachat avait aussi été surestimée à cause du fait qu’elle avait été calculée à partir d’un rendement beaucoup plus élevé que celui qu’aurait généré le placement conservateur choisi pour l’assurance-vie universelle.

[13]           Suite à la découverte de ce qui précède grâce à l’enquête et aux questions posées par le fils de L.S.P., la police d’assurance-vie universelle fut annulée en octobre 2016 et la cliente a subi une perte de 6 500 $ à titre de pénalité pour son annulation.

[14]           Pour ce qui est des chefs d’infraction 1 et 2, le 7 avril 2016, l’intimé avait convaincu la cliente de transférer les placements non enregistrés qu’elle détenait à la Banque Royale du Canada (« RBC ») pour une valeur d’environ 125 000 $ à Fidelity Investments.

[15]           À cet effet, l’intimé lui avait alors fait signer une autorisation de transférer ces placements (pièce P-4), sans avoir cependant vérifié au préalable les conséquences fiscales pour sa cliente advenant un tel transfert.

[16]           Lorsque L.S.P. s’est rendue auprès de la RBC pour effectuer ledit transfert, elle fut informée alors par une conseillère de la banque que si elle effectuait un tel transfert, un impôt sur le gain de capital serait généré.

[17]           Compte tenu de cette information, la cliente n’a pas effectué ledit transfert.

[18]           Lors d’une rencontre le 11 octobre 2017 avec l’enquêteuse du plaignant, l’intimé admit ne pas s’être alors informé au préalable des conséquences fiscales possibles en raison dudit transfert, présumant qu’il n’y en avait pas.

[19]           Compte tenu de ce qui précède, le comité, séance tenante, déclara l’intimé coupable du chef d’infraction 1, pour avoir contrevenu à l’article 12 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, du chef d’infraction 2, pour avoir contrevenu à l’article 13 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, et du chef d’infraction 3, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[20]           Aussi, le comité ordonna l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions mentionnées auxdits chefs d’infraction.

[21]           Le comité demanda par la suite aux procureures des parties de lui faire leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DU PLAIGNANT

[22]           La procureure du plaignant informa le comité que les procureures des parties avaient une recommandation commune à faire au comité à titre de sanction, soit le paiement d’une amende de 5 000 $ pour chacun des chefs d’infraction pour un montant total de 15 000 $, de même que la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

[23]           Par la suite, elle allégua, selon elle, les facteurs aggravants suivants :

-           Les infractions reprochées sont graves et au cœur de l’exercice de la profession;

-           Le défaut de s’informer des caractéristiques des produits et des implications fiscales des opérations proposées sont des responsabilités de base d’un représentant;

-           L’expérience de l’intimé;

-           L’âge avancé de la cliente;

-           Le préjudice subi par la cliente;

-           Absence de regret montré lors de l’entrevue avec l’enquêteuse du plaignant.

[24]           Par la suite, elle souligna ce qu’elle considérait être des facteurs atténuants :

-           L’absence d’antécédent disciplinaire;

-           Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

-           Le fait que la consommatrice n’a pas eu à témoigner;

-           Le caractère isolé du geste de l’intimé.

[25]           Par la suite, la procureure du plaignant déposa une liste d’exemples jurisprudentiels[1].


[26]           Enfin, elle mentionna que la suggestion commune faite par les procureures des parties, selon elle, respectait le critère de l’intérêt public.

[27]           Elle mentionna finalement qu’elle n’avait pas d’objection à ce qu’un délai de douze (12) mois soit octroyé à l’intimé pour le paiement desdites amendes.

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DE L’INTIMÉ

[28]           Tout d’abord, elle confirma au comité que la recommandation de sanction mentionnée par Me Chrétien était une recommandation commune et demanda au comité qu’effectivement l’amende totale de 15 000 $ pour les trois (3) chefs d’infraction puisse être payée à l’intérieur d’un délai de douze (12) mois.

[29]           Elle mentionna par la suite que l’intimé reconnaissait par son plaidoyer de culpabilité que l’information transmise en ce qui concerne l’assurance-vie universelle était erronée.

[30]           Cependant, elle indiqua qu’il n’y avait pas eu de mauvaise intention de sa part ni d’intention de cacher la surprime à L.S.P.

TÉMOIGNAGE DE L’INTIMÉ

[31]           L’intimé, par la suite, témoigna brièvement devant le comité.

[32]           Tout d’abord, il reconnut ses erreurs.

[33]           Il indiqua au comité qu’il était représentant depuis vingt-trois (23) ans et n’avait jamais fait l’objet de plainte antérieurement au présent dossier.

[34]           Il expliqua aussi qu’il avait environ quatre cents (400) clients dans Les Laurentides, lesquels appréciaient grandement le fait qu’il se déplace pour ceux-ci en se rendant à leur domicile.

[35]           Il indiqua qu’il avait pris des dispositions avec son adjointe afin d’être plus rigoureux dans sa pratique de tous les jours.

[36]           Il exprima en terminant ses regrets pour sa cliente.

REMARQUES DU COMITÉ

[37]           Après avoir suspendu l’audition, le comité s’adressa aux procureures des parties afin de les informer qu’à première vue, la recommandation commune de sanction qui lui était faite lui apparaissait adéquate, sous réserve cependant qu’il considérait pertinent que l’intimé suive dans un avenir rapproché une formation en assurance-vie universelle, compte tenu des faits du présent dossier.

[38]           En effet, le comité indiqua aux avocats des parties qu’il était interpelé par la déficience de l’intimé quant à ses connaissances de base en matière d’assurance-vie universelle.

[39]           À cette remarque de la part du comité, l’intimé déclara consentir à s’engager à suivre une telle formation en assurance-vie universelle.

[40]           Par conséquent, les deux (2) procureures furent d’accord pour que cette dimension additionnelle fasse partie de leur recommandation commune sur sanction faite au comité.

[41]           Le comité prit acte de l’engagement de l’intimé de suivre une telle formation concernant l’assurance-vie universelle et prit le dossier en délibéré.

 ANALYSE ET MOTIFS

[42]           L’intimé a plus de vingt (20) ans d’expérience à titre de conseiller en sécurité financière.

[43]           Au moment de la commission des gestes reprochés, la consommatrice L.S.P. était sa cliente depuis près de douze (12) ans et était alors âgée de 76 ans.

[44]           L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire et n’a pas fait l’objet de plainte de la part d’autres clients.

[45]           Il a collaboré à l’enquête du plaignant, a plaidé coupable auxdites infractions et a ainsi évité à cette cliente âgée le stress de venir témoigner.

[46]           L’intimé a témoigné devant le comité, a reconnu ses erreurs et a indiqué qu’il avait pris des dispositions avec son adjointe pour être plus rigoureux dans sa pratique de tous les jours.

[47]           Il a aussi lors de son témoignage exprimé ses regrets à l’égard de sa cliente pour les gestes et erreurs qu’il a commis.

[48]           De plus, suite à l’intervention du comité, l’intimé a confirmé vouloir suivre une formation en assurance-vie universelle, lequel domaine concerne le chef d’infraction 3.

[49]           Il n’en demeure pas moins que les infractions commises par l’intimé sont au cœur même des fonctions d’un conseiller en sécurité financière.

[50]           Plus particulièrement, par la commission des infractions reprochées, l’intimé a fait preuve d’une négligence et d’une ignorance flagrante face aux deux (2) situations dans lesquelles sa cliente s’est retrouvée.

[51]           D’ailleurs, n’eût été de la vigilance de l’institution financière de la cliente et de son fils, la cliente aurait pu subir encore plus de préjudice.

[52]           La recommandation commune des procureures ne va pas à l’encontre de l’intérêt public au sens de l’arrêt Anthony-Cook[2].


[53]           Le comité condamnera donc l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ pour chacun des chefs d’infraction pour un montant total de 15 000 $.

[54]           Il lui octroiera un délai de douze (12) mois pour payer ladite amende.

[55]           Il ordonnera aussi à l’intimé le paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

[56]           Enfin, le comité recommandera également que l’intimé suive la formation de la Chambre intitulée « Les produits d’assurance-vie » de la Chambre (code : 27644L1FR).

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur chacun des chefs d’infraction de la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé sous le chef d’infraction 1, pour avoir contrevenu à l’article 12 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé sous le chef d’infraction 2, pour avoir contrevenu à l’article 13 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé sous le chef d’infraction 3, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

RÉITÈRE l’arrêt conditionnel des procédures en ce qui concerne les autres dispositions mentionnées auxdits chefs d’infraction.

ET PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

CONDAMNE l’intimé à payer une amende de 5 000 $ sous chacun des chefs d’infraction 1, 2 et 3, totalisant la somme de 15 000 $;

ACCORDE un délai de douze (12) mois à l’intimé pour payer lesdites amendes;

RECOMMANDE au conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière d’imposer à l’intimé de suivre à ses frais la formation de la Chambre de la sécurité financière intitulée « Les produits d’assurance-vie » (code : 27644L1FR) ou l’équivalent, et de produire audit conseil d’administration une attestation à l’effet qu’il a suivi avec succès ladite formation, dans les six (6) mois de sa résolution, le défaut de s’y conformer entraînant la suspension de son droit d’exercer par l’autorité compétente jusqu’à la production d’une telle attestation;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

 

 

 

 

 

(s) Claude Mageau                                           

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

 

(s) Michel Gendron                                           

M. MICHEL GENDRON

Membre du comité de discipline

 

 

 

(s) Antonio Tiberio                                            

M. ANTONIO TIBERIO

Membre du comité de discipline

 

Me Caroline Chrétien

BÉLANGER LONGTIN S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Sonia Paradis

DONATI MAISONNEUVE S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 6 juin 2018

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Chambre de la sécurité financière c. Dagenais, 2015 QCCDCSF 1 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Rochon, 2015 CanLII 80862 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Thibodeau, 2017 QCCDCSF 85 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Lemire, 2013 CanLII 55038 (QC CDCSF).

[2] R. c. Anthony‑Cook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43 (CanLII).

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