Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1257

 

DATE :

6 novembre 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Claude Mageau

Président

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Frédérick Scheidler

Membre

 

______________________________________________________________________

 

MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

SYLVAIN LETANG, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 121529)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom des consommateurs impliqués et de tout renseignement de nature personnelle ou économique permettant de les identifier.

[1]           Le 7 décembre 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s'est réuni à l’hôtel Four Points, situé au 35, rue Laurier à  Gatineau, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le
6 juillet 2017, dont la radiation provisoire avait été ordonnée le 17 juillet 2017[1].

[2]           La plainte est ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.    Dans la région de Gatineau, entre 2011 et le ou vers le 21 juin 2017, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à son client G.B. une somme d’environ 30 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

2.    Dans la région de Gatineau, entre 2012 et le ou vers le 21 juin 2017, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à son client G.V. une somme totale d’environ 20 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

3.    Dans la région de Gatineau, entre 2014 et le ou vers le 21 juin 2017, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à son client R.J. une somme d’environ 35 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

4.    Dans la région de Gatineau, entre 2016 et le ou vers le 21 juin 2017, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à son client D.S. une somme d’environ 800 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

5.    Dans la région de Gatineau, entre les ou vers les 2 novembre 2016 et 21 juin 2017, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à sa cliente J.B. une somme d’environ 6 500 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

6.    Dans la région de Gatineau, le ou vers le 2 février 2017, l’intimé s’est approprié la somme approximative de 5 000 $ que lui avait prêtée sa cliente, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

[3]           Le plaignant était représenté par Me Jean-François Noiseux et l’intimé, qui était présent, par Me Sébastien Gélineau.

[4]              En début d’audition, le président du comité demanda à l’intimé si celui-ci avait toujours l’intention d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité eu égard aux infractions portées contre lui, tel qu’en avait informé son procureur quelques jours auparavant.

[5]              L’intimé répondit qu’il avait effectivement l’intention de plaider coupable à chacun des chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire, ce qu’il fit.

[6]              Après s’être assuré que l’intimé comprenait bien qu’en plaidant coupable, il reconnaissait que la commission des gestes reprochés constituait une infraction déontologique, le comité prit acte de son plaidoyer de culpabilité et demanda au procureur du plaignant de faire une présentation sommaire des faits pertinents en l’espèce.

LA PREUVE DU PLAIGNANT

[7]          Après avoir informé le comité qu’il n’avait pas de preuve supplémentaire à offrir sur culpabilité autre que celle produite lors de la requête en radiation provisoire, le procureur du plaignant déposa, avec le consentement de la partie intimée, la même preuve documentaire, mais sous les cotes P-1 à P-8.

[8]          Le procureur du plaignant débuta ensuite la présentation sommaire des faits ayant mené au dépôt de la présente plainte disciplinaire.

[9]          Éprouvant des difficultés financières, l’intimé emprunta diverses sommes d’argent provenant d’amis qui étaient également ses clients.

[10]       Les chefs d’infraction numéro 1 à 4 visent des emprunts effectués auprès d’amis qui n’ont pas exigé le remboursement des sommes ni fixé de date d’échéance pour ce faire.

[11]       Relativement à la cliente visée aux chefs d’infraction numéro 5 et 6 de la présente plainte, soit J.B., celle-ci prêta la somme de 5 000 $ à l’intimé en novembre 2016, laquelle devait être remboursée le 2 février 2017 et devait lui rapporter 1 500 $ en intérêts (pièce P-3).

[12]       N’ayant pas remboursé la somme totale due à échéance, J.B. porta plainte en avril 2017 auprès de l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF ») qui la transféra à la Chambre de la sécurité financière (la « CSF ») (pièce P-2).

[13]        Le procureur du plaignant ajouta que J.B. perdit son conjoint en 2016 et que l’intimé l’aida à obtenir la prestation de l’assureur-vie, puisqu’il connaissait le défunt et en était le représentant.

[14]        J.B. reçut une somme de 90 000 $ de l’assureur-vie, et c’est dans ce contexte que le prêt de 5 000 $ a été consenti à l’intimé.

[15]        Suite à cette brève présentation des faits, le comité trouva l’intimé coupable des six chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire et demanda au procureur de l’intimé si celui-ci avait une preuve à présenter.

[16]        Le procureur de l’intimé informa alors le comité que celui-ci témoignerait et déposa, du même coup, les pièces SL-1 à SL-3.

TÉMOIGNAGE DE L’INTIMÉ

[17]        L’intimé mentionna être conseiller en sécurité financière depuis 1997, et ce, sans interruption.

[18]        Il indiqua que la présente plainte constituait les seules infractions qu’il a commises depuis son entrée dans la profession.

[19]        Concernant J.B., l’intimé mentionna qu’il lui a remboursé la somme totale de 6 500 $, ajoutant qu’elle n’avait ainsi rien perdu (pièce SL-1).

[20]        Il indiqua lui avoir donné des conseils comptables lors du décès de son conjoint et lui avoir mentionné qu’il avait besoin d’argent.

[21]        Relativement à la pièce P-7, l’intimé nia une conversation qu’aurait eue J.B. et l’enquêteur de la CSF, et ajouta qu’il est faux de prétendre qu’il ait demandé à J.B. de lui prêter de l’argent, ayant seulement évoqué ses difficultés financières.

[22]        Au moment du versement de ladite somme, l’intimé a demandé à J.B. de la rembourser plus tard que le 2 février 2017, date initialement prévue.

[23]        Il corrigea ensuite une allégation erronée contenue au paragraphe 22 de la décision sur la requête en radiation provisoire en ce qu’il n’aurait pas emprunté d’un client afin d’en rembourser un autre, ayant plutôt obtenu les fonds nécessaires auprès de membres de sa famille et de ses amis.

[24]        L’intimé évoqua ensuite les textos échangés avec J.B., entre le mois de février et le mois de mai 2017, relativement au remboursement de la somme due, qui était en retard (pièce SL-2).

[25]        Il ajouta qu’il croyait, qu’ayant touché la prime d’assurance-vie, J.B. n’avait pas de problème financier et que le remboursement pouvait en être ainsi reporté.

[26]        Il mentionna ensuite regretter profondément avoir placé J.B. dans une telle situation.

[27]        Par la suite, l’intimé évoqua les parutions dans les journaux suite à sa radiation provisoire (pièce SL-3).

[28]        Il indiqua que ces articles, notamment celui du Journal de Montréal, ont eu un effet dévastateur sur lui, et que certains de ses clients lui ont téléphoné afin de l’encourager.

[29]        Il mentionna s’en remettre au comité et ajouta avoir toujours protégé ses clients.

[30]        Il continua son témoignage en indiquant avoir été, en quelque sorte, dans l’impossibilité de rembourser ses clients avec l’imposition de la radiation provisoire qui l’empêcha de vendre sa pratique.

[31]        Par la suite, l’intimé évoqua les sommes qui restent dues aux quatre (4) autres clients visés par la plainte, ajoutant que ces emprunts ont débuté aux environs de l’année 2011.

[32]        L’intimé mentionna verser mensuellement à G.B. la somme de 350 $, capital et intérêts inclus, et qu’il lui reste un solde de 25 000 $ à acquitter.

[33]        Une somme de 20 000 $ reste due à G.V. et 45 000 $ à R.J.

[34]        Il évoqua ensuite ne pas avoir été en mesure de vendre sa pratique en novembre 2016, soit au moment où il a emprunté à J.B., en raison de ses problèmes avec Revenu Québec.

[35]        Il indiqua être depuis en mesure de rembourser Revenu Québec, grâce à l’aide financière apportée par sa sœur.

[36]        Il reconnut le caractère déontologiquement répréhensible d’emprunts effectués auprès de clients, et reconnut également avoir agi en contravention avec son code de déontologie, et ce, depuis 2011.

[37]        Il indiqua qu’il éprouve toujours des difficultés financières.

[38]        Le procureur de l’intimé déclara ensuite sa preuve close, et le comité entendit les représentations sur sanction des parties, aucune recommandation conjointe ne lui étant soumise.

REPRÉSENTATIONS DU PLAIGNANT

[39]           Le procureur du plaignant suggéra au comité l’imposition d’une période de radiation temporaire de cinq (5) ans pour les chefs d’infraction numéro 1 à 5 (conflit d’intérêts) et de dix (10)  ans pour le chef d’infraction numéro 6 (appropriation de fonds), accompagnée de la publication d’un avis de la décision, aux frais de l’intimé, conformément à l’article 156, alinéa 7 du Code des professions, et de la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés en vertu de l’article 151 du Code des professions.

[40]       Il invoqua ensuite les facteurs qui, selon lui, sont aggravants :

-        Les infractions reprochées vont au cœur de l’exercice de la profession;

-        La gravité objective de celles-ci est indéniable;

-        La probité et l’intégrité de l’intimé sont affectées;

-        Une conduite clairement prohibée par la profession;

-        La longue période pendant laquelle les infractions ont été commises;

-        Cinq (5) consommateurs impliqués;

-        L’intimé savait depuis le début que les gestes qu’il posait constituaient des infractions déontologiques et les a tout de même commis;

-        L’intimé aurait pu vendre son entreprise avant d’emprunter des sommes auprès de J.B., ou à tout le moins entamer les démarches pour ce faire;

-        La situation financière de l’intimé est toujours précaire;

-        Le risque de récidive est toujours présent et le demeurera tant que l’intimé éprouvera des difficultés financières;

-        J.B. était dans un état de vulnérabilité, son conjoint étant décédé depuis peu au moment où elle a consenti le prêt à l’intimé;

-        Aucun remboursement des sommes empruntées auprès des consommateurs visés par les chefs d’infraction numéro 1 à 4;

-        La longue expérience de l’intimé (entre quinze (15) et vingt (20) ans).

[41]       Par la suite, le procureur du plaignant évoqua les facteurs atténuants suivants :

-        J.B. a depuis été remboursée;

-        L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire;

-        Les regrets sincères exprimés par l’intimé;

-        Sa collaboration complète à l’enquête du syndic;

-        Son plaidoyer de culpabilité.

[42]       À l’appui des sanctions suggérées, il déposa une série de décisions[2] qu’il commenta.

[43]       Il insista notamment sur la décision Marapin[3], indiquant que les faits de ce dossier se rapprochent le plus du présent cas.

[44]       Dans cette affaire, l’intimé a été condamné à une radiation temporaire pour une période de cinq (5) ans pour trois (3) chefs de conflit d’intérêts et de dix (10) ans pour deux (2) chefs d’appropriation de fonds.

[45]       Ce comité avait alors retenu la suggestion des parties relativement aux sanctions à imposer précisant qu’il s’agissait, dans cette affaire, d’emprunts qui avaient été offerts par les consommateurs dans le but d’aider l’intimé plutôt qu’à la demande expresse de ce dernier.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[46]       Le procureur de l’intimé débuta ses représentations en invitant le comité à considérer le plaidoyer de culpabilité de l’intimé comme un facteur atténuant prépondérant.

[47]       Il poursuivit ensuite ses représentations en énumérant les autres facteurs atténuants en l’espèce :

-        En ce qui a trait à l’appropriation de fonds, il s’agit d’un acte isolé pour une carrière échelonnée sur une période de vingt (20) ans;

-        Un seul consommateur impliqué, toujours en ce qui a trait à l’appropriation de fonds;

-        Le montant approprié n’est pas significatif;

-        L’intimé n’était pas animé d’une intention malhonnête;

-        Il a exprimé des remords.

[48]       Le procureur de l’intimé ajouta que le risque de récidive était presque nul, puisque l’intimé a désormais des ressources financières qu’il n’avait pas à l’époque, évoquant l’aide apportée par sa sœur.

[49]       Il revint ensuite sur les facteurs aggravants énumérés par le procureur du plaignant et exprima son accord en ce que les gestes posés vont au cœur de l’exercice de la profession.

[50]       Il invita toutefois le comité à pondérer ce facteur aggravant à la lumière des facteurs subjectifs propres au présent dossier.

[51]       À l’appui de ses recommandations, il déposa et commenta une série d’autorités[4].

[52]       Sans formuler de recommandation spécifique au comité quant aux sanctions qui devraient être imposées, le procureur de l’intimé insista sur la décision Létourneau[5], indiquant notamment que la partie plaignante avait alors réclamé des périodes de radiation temporaire de cinq (5) ans pour les chefs de conflit d’intérêts et de dix (10) ans pour les chefs d’appropriation de fonds, mais que le comité avait plutôt ordonné une période de radiation temporaire respectivement d’un (1) mois et de trois (3) mois.

[53]       Il cita entre autres les passages suivants de la décision sur sanction de ce dossier :

« [51] En l’espèce, bien que l’intimé se soit placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant de sa cliente une somme de 10 000 $ et qu’il se soit ensuite approprié ladite somme pour ses fins personnelles en faisant défaut de procéder à terme au remboursement dudit emprunt, tel que mentionné au paragraphe 53 de la décision sur culpabilité : “ Le comité n’est (néanmoins) pas en présence d’un professionnel qui aurait systématiquement sous le couvert d’emprunt auprès d’eux fraudé ses clients. ”

[52]    Tel que l’indiquait également le comité à sa décision : “ Le degré de faute d’un représentant reconnu coupable d’appropriation de fonds peut varier considérablement. ”

[53]    En la présente affaire, aucune preuve permettant au comité de conclure que l’intimé aurait été animé d’une intention malveillante, frauduleuse ou malhonnête n’a été présentée au comité.

[54]    De plus, l’ensemble des circonstances, le contexte factuel propre ainsi que les facteurs subjectifs précédemment mentionnés viennent tempérer la gravité objective des fautes commises par l’intimé. »

[54]       Il demanda également la clémence du comité, faisant référence à la radiation provisoire qui a été ordonnée dans le présent dossier, ainsi qu’à la publicité qui s’en est suivie (pièce SL-3).

[55]       Enfin, il demanda qu’un délai de douze (12) mois soit accordé à l’intimé pour le paiement des déboursés, considérant les difficultés financières éprouvées par ce dernier.

RÉPLIQUE DU PLAIGNANT

[56]        À la suite des représentations de la partie intimée, le procureur du plaignant formula certains commentaires.

[57]       Il indiqua que les décisions Kendall et Létourneau, citées par Me Gélineau, font état de cas particuliers et exceptionnels qui se distinguent du cas en l’espèce.

[58]       Il insista également sur la vulnérabilité de J.B., laquelle avait récemment perdu son conjoint au moment de l’emprunt.

[59]       Il mentionna maintenir ses recommandations quant aux sanctions que devrait imposer le comité à l’intimé.

[60]       À la suite de la réplique du plaignant, le comité, avec l’accord du procureur de l’intimé, posa certaines questions à ce dernier.

RÉINTERROGATOIRE DE L’INTIMÉ

[61]       Le comité demanda des détails à l’intimé relativement au litige qui l’oppose à Revenu Québec et dont il a évoqué l’existence lors de son témoignage.

[62]       L’intimé indiqua avoir eu des problèmes de santé en 2009 et ne pas avoir produit ses déclarations de revenus pendant sept (7) ans, soit de 2009 à 2015, inclusivement.

[63]       Il reçut un avis de cotisation provenant de Revenu Québec lui réclamant la somme de 96 000 $, accompagné d’une lettre datée du 19 janvier 2015.

[64]       Questionné sur ses sources de revenus, il répondit posséder une clientèle composée de sept à huit cents clients, qu’il désire vendre, et ajouta que sa principale source de revenus provient de ventes de garage qu’il organise.

ANALYSE ET MOTIFS

[65]           L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des six (6) chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire et a été trouvé coupable de ceux-ci par le comité, séance tenante.

 

[66]           Le comité retient, de la preuve présentée par les parties, que D.S., G.B., G.V. et R.J. sont des clients et amis de l’intimé qui ont offert de lui prêter des sommes d’argent et qui n’ont imposé aucune échéance, connaissant les difficultés financières éprouvées par l’intimé.

[67]           Le comité retient également que, quant à J.B., dont le défunt conjoint était un client de l’intimé et dont elle a elle-même requis ses services pour traiter avec l’assureur‑vie, celle-ci lui a prêté la somme de 5 000 $ et lui a imposé un délai pour en effectuer le remboursement.

[68]           Lui ayant seulement remboursé la somme de 1 500 $ à échéance, J.B. a déposé, en avril 2017, une plainte auprès de l’AMF qui transféra le dossier à la CSF (pièce P-2).

[69]           Depuis ce moment, l’intimé a remboursé l’intégralité des sommes qui étaient dues à J.B., capital et intérêt, sans toutefois rembourser intégralement les quatre (4) autres clients visés par la plainte.

[70]           Ces derniers n’ayant imposé aucune échéance, la présente plainte disciplinaire ne comporte donc qu’un (1) seul chef d’appropriation de fonds, soit le chef d’infraction numéro 6 visant le prêt octroyé par J.B.

[71]           En empruntant de ses clients, l’intimé savait qu’il se plaçait en situation de conflit d’intérêts.

[72]           Lorsqu’interrogé par son procureur à ce propos, l’intimé reconnut qu’un emprunt auprès de clients est un acte déontologiquement répréhensible et qu’il savait qu’il agissait à l’encontre de son code de déontologie, et ce, dès le début des emprunts.

[73]           Pour le comité, il ne fait aucun doute que l’intimé a posé ces gestes en toute connaissance de cause.

[74]       Selon la définition du terme « appropriation » généralement acceptée en droit disciplinaire, faire défaut de rembourser un prêt à échéance constitue une forme d’appropriation de fonds[6].

[75]           Ainsi, en faisant défaut de rembourser J.B. à l’échéance convenue lors de l’emprunt (pièces P-4 et SL-1), l’intimé commettait une appropriation de fonds.

[76]       Comme rappelé dans la plupart des décisions soumises par les procureurs, l’appropriation de fonds constitue l’une des infractions les plus graves qu’un représentant puisse commettre et porte une atteinte sérieuse à l’image de la profession.

[77]       Le comité est toutefois d’avis que les sanctions proposées par le procureur du plaignant sont trop sévères eu égard aux faits propres au présent dossier.

[78]       En effet, le plaignant base ses recommandations sur des cas jurisprudentiels qui se distinguent du cas d’espèce.

[79]       Dans la décision Robitaille, l’intimé n’a remboursé aucun montant sur les
20 000 $ empruntés à son client et a affirmé être désormais invalide et insolvable.

[80]       Toujours dans ce dossier, le consommateur impliqué avait même engagé des frais légaux afin de tenter de recouvrer le montant prêté, ayant requis les services d’avocats pour l’envoi d’une mise en demeure.

[81]       Dans la décision Malenfant, l’intimé a abusé de la confiance d’une personne qu’il savait être vulnérable et aucune somme ne lui a été remboursée, l’intimé ayant déposé une proposition de consommateurs, reconnaissant une dette totale de 123 000 $ à la cliente impliquée.

[82]       En ce qui concerne la décision St-Jean, l’intimé s’est approprié des sommes d’argent sous de fausses représentations. Une somme totale de 18 850 $ a été empruntée et moins de 6 000 $ a été remboursé au consommateur impliqué.

[83]       Dans cette dernière affaire, le comité a reconnu que l’intimé avait abusé de la confiance de son client et avait profité de sa naïveté pour lui emprunter de l’argent; ce qui n’est pas le cas de l’intimé en l’espèce.

[84]       Dans l’affaire Marapin, les sommes empruntées sont importantes (environ 65 000 $) et l’intimé n’avait remboursé que 2 000 $.

[85]       Le comité ayant rendu cette décision a évoqué plusieurs facteurs aggravants qui ne se retrouvent pas dans le présent dossier, dont le préjudice financier important causé aux consommateurs impliqués ainsi que des fautes commises sur une longue période, soit de 1998 à 2012.

[86]       Finalement, dans l’affaire Messier, l’intimé avait confectionné de faux relevés afin de cacher son appropriation de fonds et une radiation permanente avait alors été ordonnée.

[87]       Dans ce dernier cas, le comité avait soulevé le comportement malhonnête de l’intimé lors de la commission des infractions de même que lors de son témoignage devant le comité; ce qui n’est pas le cas de l’intimé en l’espèce.

[88]       Le comité constate en l’espèce le fait que la situation financière de l’intimé semble toujours précaire et qu’il peut exister un risque de récidive tant que l’intimé éprouvera des difficultés financières même si actuellement il a témoigné à l’effet qu’il avait reçu de l’aide financière de la part de sa sœur.

[89]       L’intimé ne se retrouve pas non plus dans un cas exceptionnel, tout comme dans la décision Létourneau, citée par son procureur, et le comité est d’opinion qu’imposer une radiation temporaire de quelques mois ne remplirait pas l’objectif de protection du public.

[90]       Tel que récemment réitéré par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lacasse[7], repris par le Tribunal des professions[8], les fourchettes de sanctions généralement imposées ne sont pas rigides et le comité doit analyser chaque dossier et tenir compte de ses particularités propres :

« [58]    Il se présentera toujours des situations qui requerront l’infliction d’une peine à l’extérieur d’une fourchette particulière, car si l’harmonisation des peines est en soi un objectif souhaitable, on ne peut faire abstraction du fait que chaque crime est commis dans des circonstances uniques, par un délinquant au profil unique. La détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Elle fait appel à une panoplie de facteurs dont les contours sont difficiles à cerner avec précision. C’est la raison pour laquelle il peut arriver qu’une peine qui déroge à première vue à une fourchette donnée, et qui pourrait même n’avoir jamais été infligée par le passé pour un crime semblable, ne soit pas pour autant manifestement non indiquée. Encore une fois, tout dépend de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas. Je rappelle les propos du juge LeBel à ce sujet :

Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

 (Nasogaluak, par. 44) »

(Nos soulignés)

[91]       Ainsi, le comité est d’avis que d’imposer une radiation temporaire d’un (1) an eu égard à chacun des chefs d’infraction de conflit d’intérêts et de cinq (5) ans eu égard à l’unique chef d’infraction d’appropriation de fonds constitue des sanctions justes et appropriées aux circonstances en l’espèce.

[92]       En effet, le présent dossier se distingue de la majorité des décisions soumises par le procureur du plaignant, en ce que l’intimée a toujours maintenu le contact avec la consommatrice et que celle-ci a été remboursée de la totalité de la somme prêtée, incluant les intérêts.

[93]       Le comité considère donc qu’une période de radiation temporaire d’une (1) année sous chacun des cinq (5) chefs d’infraction de conflit d’intérêts et une période de radiation temporaire de cinq (5) ans pour le chef d’infraction d’appropriation de fonds est raisonnable en l’espèce.

[94]       Cependant, l’intimé faisant l’objet d’une radiation provisoire dans le présent dossier, le comité suivra les enseignements du Tribunal des professions et en tiendra compte dans la détermination de la sanction à lui être imposée.

[95]       À cet égard, le comité reprend les propos du Tribunal des professions dans l’affaire Castonguay[9] :

« [31] […] le Tribunal des professions a reconnu depuis longtemps que la période de radiation provisoire peut être considérée au moment de l’imposition de la sanction, en raison des impacts sur l’exercice de la pratique professionnelle comme plusieurs autres facteurs12. À ce sujet, dans Campagna c. Psychologues13, le Tribunal des professions mentionnait que :

La norme pénale n’est pas aussi simple que l’appelant le suggère et le calcul se termine à la date du prononcé de la sentence. Par droit prétorien, le Tribunal des professions tient compte, dans le dispositif de sa décision, du temps de radiation provisoire. Le Tribunal n’a pas l’intention de modifier cette pratique dans le sens suggéré par l’appelant.

[32] La pratique semble être acceptée par les divers intervenants en droit disciplinaire de créditer, à raison du ratio de un pour un, la période de radiation provisoire. La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Mailloux14 confirme cette façon de faire :

[163] (…) En principe, (…), la période de radiation provisoire doit être soustraite de la durée de la sanction. (…) »

(références omises)

[96]       Ainsi, la radiation provisoire de l’intimé ayant été ordonnée le 17 juillet 2017, le comité soustraira quinze (15) mois de la période de radiation temporaire de cinq (5) ans pour le chef d’infraction 6.

[97]       Aussi, malgré la publicité qui a pu découler de la radiation provisoire, il ordonnera néanmoins qu’un avis de la décision soit publié conformément à l’alinéa 7 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

[98]       En effet, aucune circonstance exceptionnelle ne lui a été démontrée qui justifierait la dispense d’un tel avis, les articles de journaux suivant une radiation provisoire ne constituant pas à eux seuls une circonstance exceptionnelle.

[99]       Enfin, l’intimé sera condamné au paiement des déboursés, et un délai lui sera accordé pour le paiement de ceux-ci, vu notamment l’absence d’opposition de la part du plaignant et les difficultés financières toujours éprouvées par l’intimé.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion du nom des consommateurs impliqués et de tout renseignement de nature personnelle ou économique permettant de les identifier ;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction 1 à 5 pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D‑9.2, r.3);

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction 6 pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D‑9.2, r.3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant à toutes les autres dispositions alléguées au soutien desdits chefs d’infraction;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE, sous chacun des chefs d’infraction 1, 2, 3, 4 et 5, la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un (1) an;

ORDONNE, sous le chef d’infraction 6, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq (5) ans;

ORDONNE que ces périodes de radiation soient purgées de façon concurrente;

SOUSTRAIT quinze (15) mois de la sanction globale de cinq (5) ans, laissant ainsi une période de radiation temporaire de quarante-cinq (45) mois quant au chef d’infraction 6;

ORDONNE à la secrétaire adjointe du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 7 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

 

ACCORDE à l’intimé un délai de douze (12) mois pour l’acquittement des déboursés.

 

 

 

 

__________________________________

Me Claude Mageau

Président du comité de discipline

 

 

 

__________________________________

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

__________________________________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-François Noiseux

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Sébastien Gélineau

LETELLIER GOSSELIN DUCLOS AVOCATS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

7 décembre 2017

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]     Chambre de la sécurité financière c. Letang, 2017 QCCDCSF 39.

[2]     Chambre de la sécurité financière c. Robillard, 2017 CanLII 15106 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Malenfant, 2015 QCCDCSF 27; Chambre de la sécurité financière c. St-Jean, 2014 CanLII 50603 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Marapin, 2014 CanLII 54812 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Messier, 2012 CanLII 97150 (QC CDCSF).

[3]     Ibid.

[4]     Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA); Martel c. Chambre de la sécurité financière, 2012 QCCQ 90, Ledoux c. Chambre de la sécurité financière, 2011 QCCQ 15733; Bernard c. Chauvin, 2008 QCCQ 9077; Champagne c. Grecoff, 2011 QCCQ 6847; Chambre de la sécurité financière c. Kendall, 2017 CanLII 66027 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Pop, 2016 CanLII 86842 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Létourneau, 2012 CanLII 97211 (QC CDCSF); Thibeault c. Wheeler, 2009 CanLII 49413 (QC CDCSF).

[5]     Ibid.

[6]     Chambre de la sécurité financière c. Létourneau, préc., note 3, par. 38-40. Voir aussi, entre autres : Chambre de la sécurité financière c. Baril, CD00-0681 ; Chambre de la sécurité financière c. Longpré, CD00-0797 ; Chambre de la sécurité financière c. Torabizadeh, CD00-0747.

[7]     R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.

[8]     Voir notamment Chbeir c. Médecins (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 4.

[9]     Technologues (Ordre professionnel des) c. Castonguay, 2018 QCTP 8.

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