Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1150

 

DATE :

12 avril 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Diane Bertrand, Pl. Fin.

Membre

 

M. Frédérick Scheidler

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

GILLES DAIGLE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 108715)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ RÉITÈRE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des nom et prénom de la consommatrice impliquée dans la plainte amendée, ainsi que de toute information financière et médicale la concernant.

[1]           Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni pour procéder à l'audition sur sanction, suite à sa décision sur culpabilité rendue le 18 novembre 2018.

[2]           L’intimé a été déclaré coupable sous l’unique chef d’accusation de la plainte amendée, pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la CSF, s’étant placé en situation de conflit d’intérêts en se transférant la propriété de la police d’assurance sur la vie de sa cliente et s’en désignant l’unique bénéficiaire. 

[3]           La plaignante était représentée par Me Julie Piché, alors que l’intimé se représentait seul, comme sur culpabilité.

LA PREUVE

[4]          En guise de preuve supplémentaire sur sanction, la plaignante a déposé un extrait du Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer de l’Autorité des marchés financiers (AMF), en date du 1er avril 2019, confirmant que l’intimé détient toujours un certificat dans la discipline de l’assurance de personnes.

[5]          Pour sa part, l’intimé, dûment assermenté, a déclaré n’avoir que des représentations à présenter sur sanction, ayant déjà tout expliqué lors de l’audition sur culpabilité.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

        La plaignante

[6]           La procureure de la plaignante a recommandé d’ordonner la radiation temporaire de l’intimé pour une période se situant entre un et six mois, laissant au comité le soin d’en déterminer la durée.  

[7]           De plus, elle a demandé d’ordonner la publication d’un avis de la décision, ainsi que la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[8]          Ensuite, elle a mentionné les facteurs aggravants suivants :

a)    La gravité objective de l’infraction;

b)    Il s’agit d’une conduite clairement prohibée, tel que l’intimé l’avait lui-même reconnu[1] :

L’intimé ayant un lien familial avec le client, la règle élémentaire commandait de transférer le dossier à un autre représentant[2];

c)    Il s’agit d’une infraction qui porte atteinte à l’image de la profession;

d)    La préméditation :

L’intimé pouvait retarder ledit transfert de propriété en août 2009, les primes d’assurance étant payées jusqu’alors. L’intimé savait qu’il se plaçait potentiellement en conflit d’intérêts, ayant fait intervenir un de ses collègues qui a signé comme témoin;

e)    La vulnérabilité de la consommatrice :

Étant donné son âge avancé et son lien familial avec l’intimé. De plus, l’intimé connaissait les intentions de celle-ci ayant un enregistrement des discussions qu’elle avait eues avec les autres membres de sa famille;

f)     L’avantage tiré par l’intimé de cette infraction :

Selon les calculs de la plaignante, celui-ci serait d’environ 18 000 $, une fois soustraites les six primes semi-annuelles versées par l’intimé entre le transfert de propriété et le décès de C.F.;

g)    L’expérience de vingt ans de l’intimé au moment des évènements;

h)    La non-reconnaissance par l’intimé de sa faute et l’absence d’expression de remords, ces derniers facteurs étant sous réserve de ce que l’intimé pourrait faire valoir lors de ses représentations.

[9]          Au titre des facteurs atténuants, elle a évoqué :  

a)     Le fait que l’infraction remonte à plus de dix ans;

b)     Le fait qu’il s’agisse d’un acte isolé concernant une seule consommatrice impliquée;

c)      L’absence d’antécédent disciplinaire.

[10]        À l’appui de sa recommandation, elle a soumis quatre décisions[3] :

a)     Dans les affaires Parent et Blouin, les intimés ont été condamnés à une radiation temporaire de trois mois. Bien que traités séparément, ces dossiers sont liés et concernent la même infraction, les deux représentants étant des conjoints;

 

b)     Dans Blanchet, le comité a ordonné la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois, donnant ainsi suite aux recommandations communes des parties;

c)      Le dossier Huet a fait l’objet d’un débat contradictoire quant à la sanction. L’intimé a été condamné à une radiation temporaire de trois ans. Toutefois, l’intimé étant âgé de 76 ans et devenu inactif, la période de radiation devenait symbolique, de sorte qu’une amende de 6 000 $ y a été juxtaposée.   

        L’intimé

[11]        L’intimé s’est dit d’avis que son geste ne requérait qu’un « avertissement ».

[12]        Il a réitéré que c’est sa cliente C.F. qui avait pris l’initiative de lui offrir sa police d’assurance, ne pouvant plus en assumer les primes et n’ayant pas obtenu l’aide de ses enfants à cette fin.

[13]        Il a soutenu que dans les affaires fournies par la plaignante, il y avait absence de lien familial entre les intimés et les consommateurs impliqués, contrairement au cas présent. Il a affirmé qu’en aucun cas, il n’aurait procédé ainsi avec un client avec lequel il n’avait pas de lien familial.

[14]        Aussi, il a souligné que le formulaire de l’assureur devant être utilisé lors d’un transfert de propriété d’assurance prévoyait un choix à faire relativement à la désignation de bénéficiaire.

[15]        Il a terminé en déclarant vouloir continuer d’exercer encore longtemps.

RÉPLIQUE

[16]       Étant donné la teneur des représentations de l’intimé, la plaignante a fait valoir que la non-reconnaissance de sa faute et l’absence d’expression de regrets par ce dernier devaient être retenues comme facteurs aggravants.

[17]       Elle a souligné que, contrairement au présent dossier, dans chacun de ceux soumis au soutien de sa recommandation, les consommateurs avaient été remboursés ou indemnisés à la suite des faits commis, de sorte que les intimés n’avaient pas conservé l’avantage tiré de leurs infractions.

ANALYSE ET MOTIFS

[18]       Le comité réitère l’ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication émise lors de la culpabilité, laquelle a été reproduite au début de la présente décision.

[19]       Le présent dossier illustre de façon flagrante combien un représentant, ayant un lien familial avec son client, risque de ne pas avoir le recul nécessaire pour continuer d’agir en toute indépendance et distinguer entre les intérêts de celui-ci et les siens.

[20]       Comme mentionné dans la décision sur culpabilité, en hâtant le transfert de propriété en sa faveur dès le mois de mars 2009, l’intimé a manifestement priorisé son intérêt à celui de sa cliente. Le conflit familial entre lui et les autres membres de la famille a sérieusement affecté son jugement, au point de contrevenir à ses obligations déontologiques en se plaçant en situation de conflit d’intérêts.

[21]       Le comité fait siens les facteurs aggravants et atténuants tant objectifs que subjectifs mentionnés par la plaignante. Aussi, comme l’intimé lui-même l’a signalé lors de ses représentations, le formulaire de transfert de propriété prévoyait un choix à faire à l’égard de la désignation des bénéficiaires. C’était là une occasion pour lui de se ressaisir, en maintenant les bénéficiaires désignés par C.F. Cela aurait sans doute changé le cours des choses et lui aurait potentiellement évité de vivre le présent processus disciplinaire et les conséquences en découlant sur sa vie professionnelle.

[22]       Toutefois, le comité croit l’intimé quand il affirme qu’il n’aurait jamais agi ainsi à l’égard d’un consommateur avec qui il n’avait aucun lien familial. Par ailleurs, il semble avoir mal compris les précautions à prendre par le conseiller en sécurité financière afin d’éviter de se placer en conflit d’intérêts, notamment lorsqu’il a un lien familial avec son client.

[23]       Par conséquent, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois, étant d’avis que cette sanction respecte les objectifs de protection du public, de dissuasion et d’exemplarité dont il doit tenir compte lors de la détermination de celle-ci. De plus, elle s’inscrit dans la fourchette des sanctions habituellement ordonnées dans des circonstances semblables. 

[24]       La publication de l’avis de la présente décision sera également ordonnée et l’intimé condamné au paiement des déboursés.

[25]       De plus, l’intimé a manifesté son désir de recevoir la présente décision par voie électronique. En l’absence de contestation de la plaignante, le comité ordonnera que la notification de la présente décision soit faite aux parties par un moyen technologique, conformément à l’article 133 du Code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-diffusion et la non-publication des nom et prénom de la consommatrice impliquée dans la plainte amendée, ainsi que de toute information financière et médicale la concernant;

ORDONNE, sous l’unique chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimé, et ce, pour une période de deux mois;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 7 de l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

ORDONNE que la notification de la présente décision soit faite aux parties par un moyen technologique, conformément à l’article 133 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.

 

 

(s) Janine Kean _____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

 

(s) Diane Bertrand___________________

Mme Diane Bertrand, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

(s) Frédérick Scheidler_______________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 3 avril 2019

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Décision sur culpabilité, par. 35.

[2] Décision sur culpabilité, par. 46.

[3] CSF c. Parent, 2005 CanLII 59627 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 24 novembre 2005; CSF c. Blouin, 2005 CanLII 59628 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 24 novembre 2005; CSF c. Blanchet, 2016 CanLII 92432 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 15 décembre 2016; CSF c. Huet, 2017 QCCDCSF 75, décision sur culpabilité et sanction du 27 novembre 2017.

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