Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1229

 

DATE :

22 mars 2019

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre

M. Louis Giguère, A.V.C.

Membre

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NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

BRUNO GAUTHIER (certificat numéro 181664, BDNI numéro 2344291)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A RÉITÉRÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

[1]          À la suite à la décision sur culpabilité rendue le 16 août 2018[1], le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni pour procéder sur sanction. 

[2]          L’audience a eu lieu le 29 janvier 2019 par voie de visioconférence, madame Suzanne Côté, membre du comité, ayant avisé la veille qu’elle était empêchée de se déplacer à Montréal.

[3]          Ainsi, l’intimé, la procureure de la plaignante, Me Julie Piché, et la secrétaire adjointe étaient en présence des deux autres membres du comité à Montréal, alors que madame Côté était à Gatineau.

[4]           Le délibéré a commencé le 23 février 2019, après réception de certains documents que l’intimé s’est engagé à fournir et des représentations de la plaignante à leur égard[2].

LA PREUVE

[5]           La plaignante a déposé deux fiches de l’individu extraites du Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer provenant de l’Autorité des marchés financiers (AMF), en date du 23 janvier 2019[3]. Il y est indiqué que le numéro de certificat de l’intimé n’est associé à personne ni qu’aucun résultat n’a été obtenu avec son nom, ce qui démontre, selon la plaignante, que celui-ci ne possède plus de certificat auprès de l’AMF.

[6]           L’intimé a déclaré, pour sa part, ne pas avoir de preuve additionnelle à offrir sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[7]           La plaignante a recommandé d’ordonner la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois, à purger de façon concurrente, sous les chefs d’accusation 1, 2 et 4, et sa condamnation au paiement des déboursés.

[8]           Elle a demandé que la période de radiation ne soit purgée par l’intimé qu’à compter de sa demande de réinscription auprès de l’AMF et qu’il en soit de même de la publication de l’avis de la décision.

[9]          Ensuite, elle a mentionné les facteurs suivants :  

Aggravants 

a)     La gravité objective des infractions, celles-ci portant aussi atteinte à l’image de la profession;

b)     La présence de préméditation, vu la nature des infractions;

c)      La répétition de l’infraction à l’égard de trois documents différents, même si commise sur une courte période;

d)     Deux consommateurs impliqués;

e)     L’expérience de quatre ans de l’intimé;

f)       L’absence potentielle de remords, puisque l’intimé n’avait pas encore témoigné ou fait valoir ses représentations.

Atténuants

a)     L’absence d’antécédent disciplinaire;

b)     L’absence d’avantage tiré par l’intimé de ces infractions;

c)      Un risque de récidive se révèle faible, l’intimé étant inactif.

[10]        À l’appui de sa recommandation, la procureure de la plaignante a déposé quatre autorités[4], concluant à une radiation de deux mois pour des infractions de contrefaçon, à l’exception de la décision Roy, ayant ordonné une radiation de trois mois.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[11]        D’entrée de jeu, l’intimé a indiqué que les autorités soumises par la plaignante n’étaient pas pertinentes, car le contexte et le nombre des infractions différaient de son cas.

[12]        Il a argumenté que, dans les trois premières affaires, il y avait répétition des infractions et à l’égard de clients distincts, et dans l’affaire Dagenais, la cliente a été lésée, cet intimé ayant procédé à un retrait d’argent dans le compte de celle-ci à son insu.

[13]        Par ailleurs, l’intimé a concédé qu’il avait pu imiter les initiales du consommateur sur le formulaire « Renseignements concernant le conseiller », décrit au premier chef d’accusation, affirmant toutefois ne pas avoir agi pour tromper.

[14]        Quant à la contrefaçon de signature du formulaire « Modification à votre proposition », reprochée au quatrième chef d’accusation, il a maintenu que c’était bien la fille du consommateur qui l’avait signé. 

[15]        Avant le dépôt de la plainte à l’AMF, il possédait une importante clientèle d’environ 750 clients et des revenus annuels atteignant près des 140 000 $.

[16]        Il a affirmé avoir tout perdu, ayant dû quitter depuis le domaine, étant incapable d’obtenir un rattachement à un autre cabinet.

[17]        Par la suite, ses revenus n’étant que d’environ 30 000 $, il a fait une proposition aux consommateurs. Il verse à cette fin 200 $ mensuellement, et ce, pour une période de cinq ans qui se terminera dans deux ans[5]. En attendant, il ne peut obtenir de crédit, mais a pu conserver sa maison.

[18]        L’intimé a affirmé avoir toujours agi dans l’intérêt de ses clients. Il a témoigné, encore à ce jour, douter avoir contrefait les signatures reprochées, sauf peut-être les initiales du consommateur sur un des formulaires.

[19]        Il a cependant admis qu’il s’agissait d’infractions très graves, mais pour lesquelles il était déjà puni.

[20]        Ses tentatives pour obtenir sa réinscription auprès de l’AMF ont échoué. Il a subi des pertes financières importantes et sa capacité de gagner sa vie est largement limitée, ne pouvant devenir à nouveau représentant en raison de sa proposition au consommateur. De plus, les délais depuis le dépôt de la plainte à l’AMF et les subséquents lui ont causé beaucoup d’angoisse et de stress.

[21]        Quant aux déboursés qui lui sont réclamés, il s’est dit incapable de les assumer, ceux-ci s’élevant déjà à 2 800 $, selon le projet de mémoire de frais daté d’octobre 2018 que la plaignante lui a remis le matin même.

[22]        Bien qu’il n’ait pas d’enfant à charge, il doit s’occuper de son père qui ne travaille pas et qui habite avec lui. Les revenus annuels de sa conjointe s’élèvent à environ 25 000 $. Quant à lui, il travaille depuis un peu plus de deux ans chez un concessionnaire automobile. Au début, il gagnait entre 35 000 $ et 40 000 $ annuellement. La dernière année, son revenu atteignait environ 50 000 $[6].  

ANALYSE ET MOTIFS

[23]       Au moment des événements, l’intimé exerçait depuis environ quatre ans. Il a cessé d’agir comme représentant vers 2015, coïncidant avec le dépôt de la plainte auprès de l’AMF. Dès lors, faute d’obtenir un rattachement à quelque cabinet que ce soit, ses tentatives de réinscription ont échoué.

[24]        Selon l’intimé, il a déjà été suffisamment puni pour ses fautes. Certes, il a depuis vécu, comme il l’a relaté au comité, des moments difficiles tant personnellement que professionnellement.

[25]       En l’espèce, il s’agit, en somme, d’un seul événement impliquant un seul consommateur. Il y a absence de préjudice pour ce dernier et les documents visés étaient sans conséquence financière pour ce consommateur. Pour sa part, par ses gestes, l’intimé ne recherchait pas un profit personnel.

[26]       Aussi, le comité ne croit pas que l’intimé ait été animé d’une intention malhonnête. Comme mentionné dans la décision sur culpabilité, il estime plutôt que celui-ci a agi pour éviter de communiquer à nouveau avec son client et se déplacer pour le faire signer ou parapher les formulaires exigés pour le dossier à l’interne par London Life[7]. Il en est de même de la modification de la proposition aux fins de corriger l’erreur initialement commise à celle-ci.

[27]        L’intimé n’a pas non plus d’antécédent disciplinaire.

[28]       Le comité convient avec l’intimé que dans la plupart des décisions soumises par la plaignante, le comité de discipline était confronté à la commission de nombreuses infractions de même nature ou à l’égard de plusieurs consommateurs, ce qui diffère de son dossier.

[29]        Cependant, contrefaire la signature d’un client est une infraction sérieuse dont la gravité est indéniable. Cette conduite ne peut en aucun cas être tolérée. 

[30]        De l’avis du comité, l’expression de regrets par l’intimé s’est avérée très mitigée, celui-ci réitérant douter avoir agi comme reproché. 

[31]       Par conséquent, tenant compte des particularités de cette affaire, des circonstances tant aggravantes qu’atténuantes, le comité condamnera l’intimé à une période de radiation temporaire d’un mois sous chacun des deux premiers chefs d’accusation relatifs aux documents exigés pour le dossier à l’interne, mais de deux mois sous le quatrième chef d’accusation visant le formulaire de modification de la proposition.

[32]       Ces périodes de radiation devront être purgées de façon concurrente.

[33]        Par ailleurs, comme le certificat de l’intimé n’est plus en vigueur, ces périodes de radiation ne seront exécutoires qu’à partir de sa demande de réinscription auprès de l’AMF ou autre autorité compétente[8]. Il en sera de même de la publication d’un avis de la présente décision.

[34]       Quant aux déboursés, en dépit de l’empathie que le comité peut avoir à l’égard de la situation de l’intimé, celle-ci ne constitue pas des circonstances exceptionnelles permettant au comité de déroger à la règle habituelle voulant que la partie qui succombe soit condamnée au paiement de ceux-ci.

[35]       Le comité ne peut cependant pas ignorer que l’intimé a perdu son emploi, à la suite de son congédiement deux jours après l’audience[9], en raison de la décision sur culpabilité ayant été portée à la connaissance de son employeur

[36]       Aussi, considérant la situation financière dans laquelle l’intimé se retrouve, et qu’il a déjà été pénalisé financièrement depuis le dépôt de la plainte à l’AMF en 2015, considérant qu’il a été déclaré coupable à l’égard de trois des quatre chefs d’accusation de la plainte, le comité le condamnera au paiement des 3/4 des déboursés.

[37]       Quant au délai ou modalités de leur paiement, il revient à l’intimé d’en discuter avec la personne responsable à la CSF.

[38]       Enfin, l’intimé ayant manifesté son désir de recevoir la présente décision par voie électronique pour limiter les déboursés à encourir et, en l’absence de contestation de la plaignante, le comité ordonnera que la notification de la présente décision soit faite aux parties par un moyen technologique, conformément à l’article 133 du Code de procédure civile du Québec.   

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-diffusion et la non-publication des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier;

ORDONNE, sous les chefs d’accusation 1 et 2, la radiation temporaire de l’intimé, pour une période d’un mois, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE, sous le chef d’accusation 4, la radiation temporaire de l’intimé, pour une période de deux mois, à être aussi purgée de façon concurrente;

ORDONNE que ces radiations temporaires ne soient exécutoires qu’à compter de la réinscription de l’intimé auprès de l’Autorité des marchés financiers ou autre autorité compétente;

ORDONNE au secrétaire du comité de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où celui-ci a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession, conformément aux dispositions de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

ORDONNE au secrétaire du comité de ne procéder à cette publication qu’à compter de la réinscription de l’intimé auprès de l’Autorité des marchés financiers ou autre autorité compétente;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, dans une proportion de 75 % (RLRQ, c. C-26);

ORDONNE que la notification de la présente décision soit faite aux parties par un moyen technologique, conformément à l’article 133 du Code de procédure civile du Québec.

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Suzanne Côté ___________________

Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Louis Giguère____________________

M. Louis Giguère, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 29 janvier 2019

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Par cette décision, le comité a déclaré l’intimé coupable sous trois des quatre chefs d’accusation contenus dans la plainte, l’ayant acquitté sous le troisième chef.

[2] Ses avis de cotisation pour 2016 et 2017, une preuve de revenus pour 2018 et une copie de sa proposition aux consommateurs.

[3] SP-1.

[4] CSF c. Roy, 2013 CanLII 43411 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 13 juin 2013; CSF c. Pham, CD00-0996, décision sur culpabilité et sanction du 20 juin 2014; CSF c. Gauthier, 2015 QCCDCSF 6, décision sur culpabilité et sanction du 9 février 2015; CSF c. Dagenais, 2015 QCCDCSF 1, décisions sur culpabilité du 26 janvier 2015 et sur sanction du 14 septembre 2015.

[5] Toutefois, l’intimé a fait défaut de fournir une copie de cette proposition comme il s’y était engagé.  

[6] Les avis de cotisation 2015, 2016 et 2017 de l’intimé, transmis conformément à ses engagements, reflètent ces montants.

[7] P-1 – « Renseignements concernant le conseiller » et « Autorisation visant la constitution d’un dossier client et l’obtention de documents ou de renseignements personnels supplémentaires ».

[8] Ordre des infirmiers et infirmières auxiliaires du Québec c. Labelle, 2005 CanLII 31276 (QC TP); Lambert c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 39.

[9] Lettre de son employeur datée du 31 janvier 2019.

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