Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1229

 

DATE :

16 août 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre

M. Louis Giguère, A.V.C.

Membre

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NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

BRUNO GAUTHIER (certificat numéro 181664, BDNI numéro 2344291)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

[1]           Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) sis au 4905 boul. Lapinière, 2e étage, à Brossard, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 15 décembre 2016.

[2]          La plaignante était représentée par Me Julie Piché, alors que l’intimé se représentait seul.

[3]          Le comité a demandé la transcription des notes sténographiques lesquelles lui sont parvenues le ou vers le 7 décembre 2017, date à laquelle le délibéré a commencé.

LA PLAINTE

1.      Dans la province de Québec,  le ou vers le 1er juin 2013, l’intimé a contrefait ou a permis à un tiers de contrefaire la signature de Fr.G. sur un formulaire « Renseignements concernant le conseiller », contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

2.      Dans la province de Québec, le ou vers le 1er juin 2013, l’intimé a contrefait ou a permis à un tiers de contrefaire la signature de Fr.G. sur un formulaire « Autorisation visant la constitution d’un dossier client et l’obtention de documents ou de renseignements personnels supplémentaires », contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

3.      À Rougemont, le ou vers le 1er juin 2013, l’intimé a fait à Fr.G. des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à l’impact fiscal de l’emprunt sur la police d’assurance vie numéro […], contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 12, 13, 14,  16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

4.      Dans la province de Québec, le ou vers le 6 juillet 2013, l’intimé a contrefait ou a permis  à un tiers de contrefaire la signature de Fr.G. et Fa.G. sur un formulaire de « Modification à votre proposition » pour la police […], contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

LA PREUVE

[4]          La procureure de la plaignante a déposé, avec le consentement de l’intimé, sa preuve documentaire (P-1 à P-12). Elle a fait entendre madame Lucie Coursol, enquêteure du bureau de la plaignante (Coursol), Fr.G. et Fa.G., les deux consommateurs impliqués dans la plainte, ainsi que monsieur Jean C. Dumont, spécialiste judiciaire en documents.

[5]          Pour sa part, l’intimé a témoigné, mais n’a pas déposé de preuve documentaire.

LE CONTEXTE

[6]          Fr.G. a rencontré l’intimé pour la première fois en 2009.

[7]          Il détenait déjà deux polices d’assurance vie, souscrites avec d’autres représentants, une première police de 125 000 $ et une deuxième avec une protection de base de 25 000 $ majorée des bonifications d’assurance libérée, portant le capital décès en 2013 à 50 000 $, laquelle est visée par le troisième chef d’accusation. Cette dernière police de London Life indiquait une valeur de rachat de 19 409,44 $ en 2013 (P-3).

[8]          Ce n’est qu’au printemps 2013, que Fr.G. a communiqué avec l’intimé, alors que sa fille Fa.G. voulait acheter une maison. Il désirait connaître les possibilités d’emprunt sur ses polices d’assurance afin de financer à même celles-ci 12 000 $ pour servir de
« garantie » lors de l’achat d’une maison par sa fille.

[9]          Fr.G. et l’intimé ont échangé par téléphone à tout le moins à une occasion précédant leur rencontre du 1er juin 2013, soit le 23 mai[1]. Lors de cet échange téléphonique, ils ont discuté de la possibilité de faire un retrait sur une de ses polices, mais l’intimé devait obtenir de plus amples informations.

[10]       Ils n’en ont reparlé que lorsque l’intimé s’est rendu le 1er juin 2013 pour une rencontre à son domicile de Rougemont[2], à laquelle a pris part sa fille Fa.G. qui désirait procéder, par l’entremise de l’intimé, à une demande de prêt hypothécaire.

[11]       Lors de cette rencontre, Fr.G. a signé un contrat de prêt avec London Life ainsi qu’une proposition d’assurance vie entière de 15 000 $ avec participation sur la vie de son petit-fils O.M., âgé de deux ans (P-5).

[12]       Fr.G. ne voulait pas que l’emprunt sur sa police ait un impact fiscal pour lui. Son besoin était de fournir une garantie pécuniaire pour sa fille qui avait besoin de 10 000 $ à 12 000 $. À la question de la procureure de la plaignante lui suggérant qu’il s’agissait d’une caution, il a répondu « si on veut » [3].

[13]       Selon Fr.G., le 1er juin 2013, l’intimé et lui ont discuté environ 30 à 45 minutes, admettant cependant qu’il ait pu manquer quelques détails quant aux explications de l’intimé, car il était très occupé.

[14]        Contre-interrogé par l’intimé et réinterrogé par la procureure de la plaignante, Fr.G. a déclaré qu’il ne se souvenait pas si l’intimé l’avait appelé après la rencontre du 1er juin 2013, avant de procéder à la demande de prêt, ni qu’il lui ait dit qu’une première tranche de l’emprunt était sans impact fiscal.

[15]       Quant à la demande de prêt, Fr.G. a affirmé l’avoir signée « en blanc », qu’il n’y avait rien d’écrit, l’intimé devant la compléter après avoir vérifié auprès de London Life le meilleur choix pour lui éviter tout impact fiscal. Il comprenait toutefois qu’il s’agissait d’un contrat de prêt. Selon Fr.G., il n’avait pas besoin d’argent comptant, mais devait seulement démontrer « au prêteur » que l’argent était disponible.

[16]       Dès le 6 juin 2013, London Life a émis à l’ordre de Fr.G. un chèque de 12 000 $, auquel était joint un relevé confirmant l’octroi du prêt qui portait intérêt au taux annuel de 8 % jusqu’au 22 mai 2014[4].

[17]       Selon Fr.G., quand il a reçu le chèque ainsi que le relevé indiquant un taux annuel d’intérêt de 8 %, il « a fait le saut ». D’une part, il s’agissait d’une situation temporaire et, d’autre part, il n’avait jamais été question d’un taux d’intérêt.

[18]       Au sujet d’un appel postérieur à London Life, il a déclaré : « il me semble que j’ai appelé chez London Life, il me semble »[5].

[19]       Questionné à savoir quand il a téléphoné à London Life, Fr.G. a répondu qu’il n’a rien trouvé dans son agenda jusqu’au 20 juillet 2017. Invité par le comité à consulter son agenda pour compléter son témoignage à ce sujet, après six à huit minutes[6] de plus amples recherches, il a mentionné un appel fait le 19 juillet 2013 à madame Desjardins, la remplaçante de l’intimé, pour fixer une rencontre avec celle-ci, laquelle s’est tenue le 30 juillet suivant.

[20]       Ré-interrogé par la procureure de la plaignante, Fr.G. a expliqué que lors de sa rencontre avec madame Desjardins, il lui a demandé de réviser son dossier d’assurance, lui faisant surtout part qu’il trouvait exagéré le taux d’intérêt de 8 % sur l’emprunt, lui demandant qu’il n’y ait pas d’impact fiscal ou voir à le diminuer. Celle-ci lui a répondu qu’elle s’informerait auprès de London Life.

[21]       Quant au formulaire de rachat de bonis en assurance libérée, daté du 20 août 2013, il a réitéré qu’il ne se souvenait pas avoir remboursé les 12 284,07 $[7], même s’il s’agit bien de sa signature sur le document.

[22]       Questionné par la procureure de la plaignante à savoir que la conséquence de la cession à London Life des bonis en assurance libérée pour 12 284,07 $ faisait en sorte qu’il a remis l’argent emprunté dans sa police, Fr.G. a répondu que c’était vague, que « ça n’allumait » rien.

[23]       Quant au formulaire « Modification à votre proposition », après consultation de son agenda, Fr.G. a affirmé qu’il n’a pas rencontré l’intimé le 6 juillet 2013, car il était parti faire l’achat de terre et autres produits et a fait des « plantations toute la journée ».

[24]       Au sujet de la signature de ce dernier formulaire, l’intimé a indiqué que Fr.G. ayant annulé leurs rendez-vous à trois ou quatre reprises, il a remis les documents à sa fille pour qu’elle lui fasse signer.

[25]       Contre-interrogée par l’intimé, la fille de Fr.G. a réitéré ne pas avoir rencontré ce dernier dans le stationnement de London Life. Elle n’a pas non plus, comme suggéré par ce dernier, reçu de documents de sa part, tels l’avis de cotisation et la police d’assurance de son fils.

[26]       À savoir comment elle a récupéré les documents qu’elle lui avait confiés pour sa demande de prêt hypothécaire, Fa.G. a affirmé ne pas les avoir reçus des mains de l’intimé, mais croire que c’était par madame Desjardins, sans toutefois pouvoir l’affirmer.

[27]       Coursol a rencontré l’intimé le 18 juillet 2014. En guise de témoignage, elle a lu certains passages de cette entrevue[8], desquels elle a conclu que l’intimé avait admis avoir indiqué à Fr.G. qu’il n’y aurait pas d’impact fiscal s’il empruntait sur la police.

[28]       Se fiant au sommaire de London Life en date du 8 août 2013[9], Coursol a indiqué qu’en conséquence de cet emprunt, il y avait un gain en capital imposable pour Fr.G. La valeur totale de rachat de la police étant passée à 7 359,90 $ alors qu’elle était de
19 409,44 $
avant l’emprunt. Les intérêts encourus sur l’emprunt pendant la période de deux mois s’élevaient à 165,70 $[10].

[29]       Selon Coursol, l’intimé a quitté London Life le 2 juillet 2013 et le dossier de Fr.G. a été confié vers le 23 juillet 2013 à sa remplaçante, madame Desjardins.

[30]       Coursol n’a rencontré ni Fr.G. ni sa fille, elle a cependant eu des échanges téléphoniques avec eux. Elle a également parlé avec madame Desjardins.

[31]       Monsieur Jean C. Dumont, l’expert retenu par la plaignante, est spécialiste judiciaire en documents. Il exerce depuis 1996 au sein du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale. Les policiers constituent sa principale clientèle. Il a été formé notamment en analyse comparative d’écriture et de signatures et en recherche en falsification, ainsi que sur différents procédés d’impression. Il a traité plus de 700 dossiers et témoigné pas moins de 58 fois à la Cour supérieure, la Cour du Québec et d’autres organismes dont l’OACIQ, ainsi que la CSF.

[32]       Son mandat était d’examiner différents documents aux fins de se prononcer sur l’authenticité des signatures de Fr.G. et Fa.G. y apparaissant. Ainsi, son étude a porté sur plusieurs originaux d’écritures et de signatures contemporaines aux documents en litige. Il a produit et expliqué le résultat de son expertise[11] concluant à la fausseté des signatures de Fr.G. et Fa.G. apposées sur les formulaires décrits aux chefs d’accusation 1, 2 et 4.

[33]       Contre-interrogé par l’intimé, monsieur Dumont a convenu que la signature d’un individu peut être différente d’une fois à l’autre ou à travers le temps, que la position du signataire peut induire des variations, mais en dépit de ces éléments, il a déclaré que le geste graphique demeure le même.

[34]       Pour sa part, l’intimé a témoigné que, lors de son échange téléphonique avec Fr.G. le 23 mai 2013, il a commencé à remplir la demande de prêt de 12 000 $ sur la police d’assurance vie de ce dernier, dont 10 000 $ pour le « cash down » de sa fille et
2 000 $ pour lui-même voulant terminer le terrassement de sa maison. Aussi, les informations s’y trouvant ont toutes été discutées et Fr.G. était au courant du taux d’intérêt de 8 %.

[35]       Fr.G. savait qu’il pouvait emprunter jusqu’à 17 000 $. Il a dit à l’intimé qu’il pouvait rembourser le tout dans la même année. Comme Fr.G. avait entrepris lui-même la construction de sa maison, il attendait de tout finaliser pour réhypothéquer sa maison et rembourser le prêt.

[36]       L’intimé se rappelle avoir informé Fr.G. qu’il pouvait emprunter jusqu’à 7 000 $, mais que tout montant supérieur entraînait un impact fiscal. Il devait s’informer des détails et communiquer de nouveau avec Fr.G, mais il ne l’a pas fait avant la rencontre du 1er juin 2013, date à laquelle Fr.G. lui a demandé de se rendre à son domicile. Néanmoins, l’intimé a convenu qu’ils étaient passés rapidement sur la question de l’impact fiscal, puisque Fr.G. lui disait pouvoir rembourser le tout avant la fin de l’année.

[37]       Quant aux formulaires décrits aux deux premiers chefs d’accusation, l’intimé a témoigné que Fr.G. les a signés dès le début de la rencontre du 1er juin 2013, précisant que ce dernier avait commandé de la pizza qu’il distribuait à tout le monde.

[38]       En ce qui concerne l’assurance vie de son petit-fils, Fr.G. s’y connaissait assez bien. Il a été convenu qu’il en était le titulaire et qu’il la payait.

[39]       Lors de cette rencontre du 1er juin 2013, Fa.G., la fille de Fr.G., collaborait très bien, mais son conjoint F.M. lui a paru moins concerné. Il a dressé une liste de documents que le couple devait lui transmettre.

[40]       Tous les suivis ont été faits avec Fa.G. Entre les 1er et 6 juillet 2013, il a eu environ six à sept échanges avec elle, car il lui manquait des informations et documents.

[41]       Aux dires de l’intimé, il a eu, dans un premier temps, une conversation téléphonique avec Fa.G. le 6 juillet 2013, au cours de laquelle elle l’a informé qu’elle faisait affaire avec un courtier de Multi-Prêts qui lui offrait un meilleur taux hypothécaire. Elle lui a demandé de ravoir ses documents, afin de pouvoir faire la demande d’hypothèque auprès de cette autre institution. Dans un deuxième temps, ils se sont rencontrés le même jour dans le stationnement du Complexe St-Charles à Longueuil où sont les bureaux de London Life. À cette occasion, il lui a remis les originaux de ses documents, dont il avait conservé certaines copies. Il l’a aussi informée que London Life avait refusé sa demande de prêt hypothécaire étant donné la situation financière de son conjoint. Fa.G. est alors devenue « hystérique » et « frustrée », lui reprochant ce refus.

[42]       L’intimé se rappelle plusieurs détails de cette rencontre. Il a témoigné que Fa.G. cherchait un stationnement, mais étant incapable d’en trouver un, il est descendu au rez-de-chaussée. Sa voiture étant « un gros bordel », il lui a demandé de garder
« précieusement » la police d’assurance de son enfant pour la remettre à son père. Fa.G. lui a répondu qu’elle ne voulait pas en être responsable, lui disant de la poster.

[43]       L’intimé a déclaré que le témoignage de Fr.G. était à 97 % vrai, mais que celui de Fa.G. était faux. Il a réitéré qu’ils ont eu six ou sept conversations et se sont vus à trois reprises. Il avait en mains une grosse chemise de documents qu’il a remise à Fa.G. pour que celle-ci puisse procéder à la demande hypothécaire avec une autre institution.

[44]       Pour sa part, Fa.G. a témoigné ne pas se souvenir de cette rencontre, mais était catégorique quant au fait de ne pas avoir reçu les documents de la part de l’intimé en mains propres, croyant plutôt avoir obtenu l’enveloppe les contenant par l’entremise de madame Desjardins.

[45]       Contre-interrogé, l’intimé a indiqué que Fr.G. l’a appelé le 6 ou le 7 juin 2013 pour lui dire qu’il était content, car il avait reçu le dépôt bancaire des 12 000 $. L’intimé lui a répété les conditions du prêt et Fr.G. lui a réitéré qu’il remettrait le tout dans la même année fiscale. C’est la dernière fois qu’ils se sont parlé.

[46]       À son avis, si Fr.G. était mécontent du taux d’intérêt de 8 %, c’est parce qu’il a réalisé que ce taux était plus élevé que celui qu’il aurait pu obtenir à la banque.

[47]       Même s’il ne travaillait plus pour London Life en juillet 2013, il avait encore accès à son ancien bureau.

[48]       Il a vendu sa clientèle à madame Desjardins, le 20 juin 2013 par acte notarié, et celle-ci lui doit toujours 12 000 $.

[49]       Questionné par le comité à savoir s’il avait des notes de l’échange du 23 mai 2013 ou un suivi chronologique, l’intimé a répondu qu’il n’a pas eu accès à son dossier lequel avait été transféré à madame Desjardins. 

[50]       À ce sujet, ré-assermentée, Coursol a confirmé n’avoir rien reçu de l’intimé, sauf des échantillons de sa signature. C’est madame Desjardins qui lui a fait suivre le dossier de l’intimé et elle n’a pas de raison de croire que cette dernière ait omis de lui transmettre l’entièreté du dossier client.

ANALYSE ET MOTIFS

[51]       L’intimé a cessé d’œuvrer pour London Life vers le début juillet 2013. Toutefois, il a détenu un certificat en assurance de personnes jusqu’en 2016, en assurance collective de personnes jusqu’en avril 2017 et est depuis devenu inactif, ayant cessé d’exercer dans toutes les disciplines (P-1).

[52]       Les quatre chefs d’accusation reprochent deux types d’infractions :

a)     Avoir contrefait ou permis à un tiers de contrefaire la signature du (des) consommateur(s) - Chefs d’accusation 1, 2 et 4;

b)     Avoir fait au consommateur des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à l’impact fiscal de l’emprunt sur la police d’assurance vie de ce dernier - Chef d’accusation 3.

[53]       Le comité traitera les chefs d’accusation séparément et rapportera sous chacun d’eux les faits qu’il juge les plus pertinents aux fins de la présente décision.

Chefs d’accusation 1 et 2

[54]       Les dispositions alléguées à l’appui de ces chefs sont :

Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) :

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) :

11. Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité.

35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.

[55]       Ces deux premiers chefs concernent les formulaires « Renseignements concernant le conseiller » (P-6) et « Autorisation visant la constitution d’un dossier client et l’obtention de documents ou de renseignements personnels supplémentaires » (P-7). Ceux-ci sont exigés des représentants à l’interne, qui doivent les faire signer par leurs clients.

[56]       Ces deux formulaires sont datés du 1er juin 2013 et la signature de Fr.G. est celle en litige. En plus de sa signature, sont apposées sur le deuxième formulaire, les initiales de ce dernier.

[57]        Fr.G. a nié sa signature sur les deux formulaires, ainsi que ses initiales sur le deuxième.

[58]        Le comité n’a pas de raison de douter du témoignage de Fr.G. à ce sujet.

[59]        L’expertise de monsieur Dumont, spécialiste judiciaire en document, a conclu qu’il s’agissait d’une fausse signature par imitation, la contrefaçon ayant été réalisée à l’aide d’un ou de plusieurs modèles de signature de Fr.G. Par ailleurs, en ce qui concerne les initiales apposées sur le formulaire visé par le deuxième chef, il conclut qu’elles sont le fruit d’une imitation appelée « de fantaisie », car n’ayant pas été réalisées à même un modèle.

[60]        Pour sa part, l’intimé a reconnu être celui qui a inscrit les dates sur les formulaires. Sa seule défense a été de demander pourquoi il aurait imité la signature de Fr.G. sur ces formulaires, alors qu’il l’avait rencontré le même jour à Rougemont.

[61]        Le comité a souvent l’occasion de constater qu’il arrive que des représentants omettent de faire signer par leur client tous les documents exigés. Ces oublis leur imposent des déplacements supplémentaires, ce qui en amène certains à prendre un raccourci et à contrefaire sa signature ou à permettre à un tiers de le faire. 

[62]        Dans le présent dossier, le comité est d’avis que la preuve administrée par la plaignante démontre de façon prépondérante que les signatures en litige et initiales de Fr.G. ont été contrefaites, alors que ces documents étaient sous le contrôle de l’intimé.

[63]        Par ailleurs, le comité ne peut conclure comme plaidé par la plaignante, que c’est l’intimé qui est l’auteur des fausses signatures. Selon son expert, dans les cas de fausses signatures par imitation, l’identification du faussaire est excessivement difficile, voire impossible, ce dernier s’appliquant à imiter un modèle. Le repérage des caractéristiques personnelles de l’auteur présumé devient ainsi hasardeux y étant arrivé qu’une seule fois au cours de ses nombreuses années d’expérience. Aussi, en l’espèce, il ne pouvait conclure que l’intimé était l’auteur de ces fausses signatures.

[64]        Par conséquent, l’intimé sera déclaré coupable sous chacun de ces deux premiers chefs d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le comité ordonnera l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions alléguées au soutien de ces chefs.

Chef d’accusation 4

[65]       Les dispositions alléguées au soutien de ce chef d’accusation sont les mêmes que les précédentes.

[66]        Ce chef d’accusation vise les signatures de Fr.G. et de sa fille Fa.G. sur le formulaire « Modification à votre proposition » concernant l’assurance vie souscrite par Fr.G. sur la vie de son petit-fils, signé prétendument à Rougemont et daté du 6 juillet 2013 (P-8).

[67]       À l’instar des formulaires visés par les deux premiers chefs d’accusation, Fr.G. a nié sa signature. Il en est de même de sa fille Fa.G.

[68]        Aux dires de celle-ci, elle n’a jamais revu l’intimé après la rencontre du 1er juin 2013, ne lui ayant parlé qu’au téléphone. Bien que son témoignage puisse être sujet à caution sur ce dernier fait, les témoignages de Fr.G. et de Fa.G., concernant leurs signatures, ont été clairs, précis et concordants.

[69]        Selon monsieur Dumont, spécialiste judiciaire en documents, il s’agit encore une fois de signatures par imitation (P-11).

[70]       En outre, selon la description faite par l’intimé de l’attitude de Fa.G. lors de sa rencontre avec elle du 6 juillet 2013, dans le stationnement de l’immeuble où était située London Life, il paraît plutôt invraisemblable qu’elle ait signé ce document, comme l’intimé le prétend.

[71]       À tout évènement, l’intimé traitait indifféremment l’accusé de réception de la police de Fr.G. sur la vie de son petit-fils, pourtant non visé par la plainte, et le formulaire de modification visé par le quatrième chef, rendant ainsi un témoignage plutôt confus à ce sujet. Qui plus est, comme souligné par la plaignante, l’intimé ayant témoigné qu’il n’était pas présent lors de la signature du formulaire de modification par Fr.G., mais qu’il a quand même apposé sa signature comme témoin, constitue certes un élément que le comité ne peut ignorer.

[72]        Enfin, l’étude de la preuve documentaire démontre que cette modification changeait le nom du petit-fils apparaissant sur la proposition à titre de propriétaire éventuel pour celui de sa mère, et non le nom de sa mère prétendument inscrit Fa.M. pour celui de Fa.G., comme déclaré par l’intimé. Force est de constater que l’intimé voulait ainsi corriger l’erreur qu’il avait commise sur la proposition d’assurance en inscrivant le nom de l’enfant plutôt que celui de sa mère à titre de propriétaire éventuel.

[73]       Par conséquent, la plaignante s’étant déchargée de son fardeau de preuve, l’intimé sera déclaré coupable sous ce quatrième chef pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le comité ordonnera l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions alléguées à son soutien.

Chef d’accusation 3

[74]        Ce troisième chef d’accusation reproche à l’intimé d’avoir fait à Fr.G., le ou vers le 1er juin 2013, des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à l’impact fiscal de l’emprunt sur sa police d’assurance vie (P-4).

[75]        Fr.G. a témoigné ne pas avoir reçu les informations appropriées quant à l’impact fiscal de l’emprunt qu’il a contracté sur sa police d’assurance vie par l’entremise de l’intimé.

[76]        La preuve administrée sous ce chef découlant des témoignages de Fr.G., de sa fille Fa.G. et de l’intimé, lesquels sont contradictoires à plusieurs égards, le comité a par conséquent revu l’entièreté des témoignages, y compris l’échange de l’intimé avec Coursol, afin de pouvoir apprécier leur crédibilité.

[77]        Ainsi, après l’étude attentive des échanges entre l’intimé et Coursol et plus particulièrement des extraits concernant l’impact fiscal cités[12] par cette dernière, il s’avère que l’intimé n’a pas répondu aussi catégoriquement qu’elle l’a avancé. Interrogé sur les façons d’obtenir de l’argent à même la police d’assurance de Fr.G., l’intimé a expliqué lui avoir proposé trois solutions. Il s’en suit un échange entre lui et Coursol qui insiste sur l’impact fiscal et ses réponses se révèlent plutôt « tout dépendant », « en principe », « en principe, il n’y en avait pas », « sans avoir nécessairement d’impact » ou encore de façon plus précise « si tu fais un emprunt, tu n’auras pas nécessairement un impact fiscal »[13]. Ce qui s’en dégage, c’est qu’il pouvait y avoir un impact fiscal dépendant de la somme empruntée.

[78]        Pour sa part, l’intimé a indiqué au comité avoir donné les informations appropriées à Fr.G. une première fois le 23 mai 2013, en avoir rediscuté le 1er juin 2013 lors de la signature de la demande de prêt et les avoir complétées par la suite le
6 ou 7 juin 2013, lorsque Fr.G. a reçu le chèque et le relevé de l’assureur. Fr.G. lui aurait indiqué « qu’il s’arrangerait pour remettre dans la police assez d’argent pour qu’il n’y ait pas d’impact fiscal »[14]. Toutefois, même si Fr.G. ne nie pas avoir parlé à l’intimé le 23 mai, il ne se souvient pas lui avoir parlé quand il a reçu le relevé de l’emprunt et le chèque de 12 000 $.

[79]        Toutefois, dès le mois d’août 2013, Fr.G. a remis dans sa police les 12 000 $ empruntés, ce qui est concordant avec la version de l’intimé.

[80]       Fa.G., fille de Fr.G., a tenu à signaler qu’elle souffrait d’un déficit d’attention. Néanmoins, lors des évènements en 2013, elle avait 38 ans, était employée en tant que coordonnatrice aux ventes dans une agence organisant des activités scolaires et, à ce titre, remplissait beaucoup de documents.

[81]        Selon cette dernière, le 1er juin 2013, l’intimé et son père ont discuté pendant
30 à 45 minutes des conséquences fiscales de l’emprunt par ce dernier. Cet élément était un élément très important pour son père qui voulait s’assurer de faire les choses correctement. Son père était présent pour la majorité de cette rencontre avec l’intimé laquelle a duré près de deux heures, sauf pour une demi-heure consacrée aux échanges intervenus entre l’intimé, son conjoint et elle-même au sujet de leur demande d’hypothèque pour l’achat d’une maison. La rencontre s’est terminée par un échange entre l’intimé et son père à propos d’une assurance que celui-ci voulait souscrire pour O.M., son petit-fils (fils de Fa.G.).

[82]        Ainsi, si des discussions de 30 à 45 minutes sur les conséquences fiscales de l’emprunt ont eu lieu le 1er juin 2013 entre l’intimé et Fr.G., durée confirmée d’ailleurs par ce dernier, ceci paraît suffisant pour compléter les discussions déjà entreprises à ce sujet le 23 mai précédent.

[83]        Fr.G. a déclaré avoir, le 1er juin 2013, signé la demande d’emprunt « en blanc ». Pour sa part, Fa.G. a reconnu sa signature comme témoin sur cette demande, mais ne se rappelait pas si elle était partiellement ou complètement remplie, ajoutant qu’il est rare que quelqu’un signe s’il n’y a rien d’écrit.

[84]        Fr.G. s’est révélé être un homme intelligent et très discipliné dans la gestion de ses affaires et l’organisation de ses documents. Il possède un agenda dans lequel il note tout, même la date à laquelle il achète des fleurs.

[85]        Aussi, le comité estime que le témoignage de Fr.G. voulant qu’il ait signé la demande « en blanc » doit être mis en doute. Interrogé par le comité sur chacune des sections de la demande de prêt qu’il a prétendu avoir ainsi signée, Fr.G. s’est montré plutôt réticent à répondre, arborant même un ton et un non verbal condescendants. Devenant beaucoup moins catégorique, il répondait plutôt qu’il « ne pensait pas » que les informations s’y trouvaient ou encore qu’il « ne s’en rappelait pas ». Il a aussi répété au comité qu’il ne se souvenait pas avoir remboursé les 12 284,07 $[15] sur sa police de London Life, le 20 août 2013.

[86]        Il paraît invraisemblable que ce type de personne qu’est Fr.G. signe aveuglément une demande d’emprunt de cette importance. Il est tout aussi inconcevable que celui-ci ne se rappelle pas avoir remboursé l’emprunt par la cession à London Life des bonis en assurance libérée.

[87]        Ce qui ressort davantage de l’ensemble de la preuve, c’est que Fr.G. a réagi en voyant le taux d’intérêt de 8 % inscrit sur le relevé de l’assureur reçu vers le
6 juillet 2013[16].

[88]        Non seulement le trouvait-il exagéré, mais il a choisi de céder à London Life, dès le mois d’août 2013, les bonis en assurance libérée équivalant au montant de l’emprunt et des intérêts courus, conservant ainsi les 12 000 $ empruntés. Ceci est aussi concordant avec le témoignage de l’intimé voulant que Fr.G. lui ait dit, dès le
23 mai 2013 et répété par la suite, qu’il rembourserait rapidement.

[89]        Aussi, le dernier sommaire de la police en preuve est antérieur au remboursement ainsi fait par Fr.G. au moyen d’une cession équivalente des bonis en assurance libérée. Enfin, il y a absence de preuve quant à l’existence d’un impact fiscal dans le cas d’un remboursement dans la même année, comme c’était anticipé en l’espèce, Fr.G. ayant reconnu que c’était une situation temporaire.

[90]        Rappelons que le fardeau de la preuve en droit disciplinaire est celui de la prépondérance des probabilités[17]. Comme la Cour d’appel le confirmait encore récemment dans Bisson c. Lapointe[18] :

« [67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. (…) »

[91]        Le comité étant d’avis que la plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve quant à ce troisième chef d’accusation, l’intimé en sera acquitté.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-diffusion et la non-publication des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier;

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs d’accusation 1, 2 et 4, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel à l’égard des autres dispositions invoquées au soutien des chefs d’accusation 1, 2 et 4;

ACQUITTE l’intimé des infractions décrites au chef d’accusation 3;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

(S) Janine Kean

__________________________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(S) Suzanne Côté

__________________________________

Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Louis Giguère

__________________________________

M. Louis Giguère, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 6 septembre 2017.

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Consultant son agenda, Fr.G. a indiqué avoir contacté l’intimé à deux reprises les 17 mai 2013 à 15h38 et 21 mai 2013 à 16h05, lui laissant un message sur sa boîte vocale. Toutefois, ils n’ont réussi à se parler que le 23 mai 2013. Notes sténographiques (N.S.) 6 septembre 2017, p. 123.

[2] Consultant son agenda, Fr.G. a indiqué que, le 1er juin 2013, il procédait à tourber son terrain et l’intimé venait le rencontrer. Étaient également présents sa fille Fa.G., son conjoint de l’époque F.M., son fils F.G., sa belle-fille L.M. ainsi que son petit-fils O.M.

[3] N.S. 6 septembre 2017, p. 131.

[4] P-4, p. 0252.

[5] N.S. 6 septembre 2017, p. 134, l. 8-9.

[6] Procès-verbal d’audience du 6 septembre 2017.

[7] P-4, p. 0378.

[8] P-12, minutes 1:07:09 à 1:18:50.

[9] P-4, p. 000120. Notons que ce sommaire précède le remboursement de l’emprunt le 20 août 2013.

[10] N.S. 6 septembre 2017, pp. 36-39.

[11] P-11.

[12] P-12, minutes1:06:12 à 1:18:50. Notons que la transcription a pu parfois porter à confusion changeant le sens de la réponse.

[13] P-12, minutes 1:18:50.

[14] N.S. 6 septembre 2017, pp. 345-347.

[15] P-4,pp. 0378-0379. L’emprunt de 12 000 $ plus les intérêts courus.

[16] N.S. 6 septembre 2017, pp. 132, 134, 137 et 181.

[17] Osman c. Médecins (Corp. professionnelle des), [1994] D.D.C.P. 257; Vaillancourt c. Avocats (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 126.

[18] 2016 QCCA 1078.

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