Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1176

 

DATE :

11 février 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

JEAN RONDEAU, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat 129421, BDNI 2854601)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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[1]          Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni, le 28 janvier 2019, pour procéder à l’audition sur sanction, à la suite de sa décision rendue le 8 août 2018, déclarant l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte disciplinaire.

[2]          La plaignante était représentée par Me Julie Piché. Pour sa part, l’intimé était présent et représenté par Me Martin Courville.

[3]          En réponse à une demande subséquente leur ayant été faite par le comité, les parties ont fourni des précisions et complété leurs représentations[1]. La prise du délibéré a donc commencé le 5 février 2019.

LA PREUVE

[4]          Les parties ont déclaré ne pas avoir de preuve additionnelle à offrir sur sanction, à l’exception pour la plaignante d’un extrait du Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer[2] provenant de l’Autorité des marchés financiers (AMF), en date du 23 janvier 2019. Ce document atteste que l’intimé détient toujours un certificat en assurance de personnes et de représentant de courtier en épargne collective.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

        La plaignante

[5]          D’entrée de jeu, la procureure de la plaignante a indiqué que sa cliente recommandait, sous l’unique infraction, la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $ ainsi qu’à celui des déboursés.

[6]          Les facteurs invoqués sont les suivants :

Aggravants 

a)     La gravité objective de l’infraction qui porte atteinte à l’image de la profession.

Atténuants

a)     La présence d’un acte isolé, d’un seul événement;

b)     L’absence d’intention malveillante;

c)      L’absence de préjudice pour le consommateur;

d)     L’absence d’antécédent disciplinaire;

e)     Le délai de sept ans écoulé depuis la commission de l’infraction.

[7]          À l’appui de sa recommandation, elle a déposé une série de décisions[3].

[8]          Quant à la dernière décision Delage, elle a précisé l’avoir fournie pour démontrer que l’amende est une sanction ordonnée pour ce type d’infraction et pour son lien avec celle de Bouchard, puisque ces intimés exerçaient dans le même cabinet.

[9]          Enfin, en raison de la suspension obtenue le 28 mars 2017 pour lui permettre de compléter la divulgation de la preuve et, anticipant les représentations de son confrère au sujet des déboursés de cette demi-journée d’audition, la plaignante a indiqué qu’après vérification, la divulgation s’était avérée complète. Par conséquent, il n’y avait pas lieu d’exempter l’intimé du paiement des frais de cette journée.

        L’intimé

[10]        Le procureur de l’intimé a suggéré au comité de plutôt imposer à l’intimé une réprimande.

[11]        Aux facteurs atténuants déjà mentionnés, il a ajouté la pleine collaboration de l’intimé tant à l’enquête de la plaignante que durant tout le processus disciplinaire. Il a soutenu que même si son client n’a pas enregistré un plaidoyer de culpabilité, cet élément ne pouvait constituer un facteur aggravant.

[12]        Il a rappelé que l’intimé n’était animé d’aucune intention malveillante ou malicieuse, citant à cette fin un passage de la décision sur culpabilité[4] :

« [62] Néanmoins, le comité ne met aucunement en doute la bonne foi de l’intimé qui a rendu un témoignage qui lui a paru sincère et honnête. Ainsi, il ne croit pas qu'il ait agi avec une intention malveillante ou malicieuse, mais, ce faisant, il a manifestement manqué de compétence et de professionnalisme.»

[13]        Ensuite, il a insisté sur l’absence de préjudice, tant pour le consommateur que pour B2B Trust, ne s’agissant que d’une demande préliminaire de prêt et non d’une proposition de fonds distincts ou communs, comme dans les décisions fournies par la plaignante. Selon le témoignage de l’intimé, ces demandes de prêt étaient soumises à l’institution par voie électronique et c’était seulement dans le cas d’acceptation que la copie papier était envoyée. Au surplus, il a été démontré qu’ayant été refusée dès la première étape, cette demande n’est pas allée plus loin[5].

[14]        Se reportant à la décision sur culpabilité[6], le procureur de l’intimé a rappelé que même si son client a signé, alors qu’il n’avait pas la qualification de représentant en courtier en épargne collective, il avait été clairement établi que les fonds choisis n’étaient pas inscrits. Qui plus est, dans l’éventualité où des fonds distincts eurent été cochés, il n’y aurait pas eu de plainte, puisque l’intimé détenait le certificat approprié. Sa signature a été apposée par inadvertance[7].

[15]        Comme le comité en a conclu, il a rappelé que l’intimé n’avait pas fait de fausses représentations aux consommateurs quant au produit choisi, le choix n’étant pas encore exercé au moment de remplir ce formulaire. D’ailleurs, le consommateur n’était pas à l’origine de l’enquête et aucune preuve n’a été administrée voulant qu’il ait été trompé.

[16]        Le procureur de l’intimé a fait valoir qu’en dépit de la décision concluant à la commission d’une infraction déontologique, une réprimande constitue une sanction juste et raisonnable dans les circonstances. Il a précisé que l’enquête, laquelle a mené à la plainte portée contre l’intimé, a été instituée à la suite d’informations obtenues dans une autre enquête concernant le frère de l’intimé.

[17]        En ce qui concerne les frais de la demi-journée du 28 mars 2017, il s’est dit d’avis que la divulgation n’avait pas été faite, puisqu’en aucun temps l’intimé ne savait d’où venait l’enquête, l’ayant découvert que lors de l’audition du mois de mars 2017. Si la plaignante avait pris les mesures nécessaires pour s’assurer que la divulgation avait été complète, il n’aurait pas été nécessaire de faire la preuve sur culpabilité en deux temps. Par conséquent, la plaignante devait en assumer les frais.

[18]        Quant aux autorités de la plaignante, bien qu’il s’agisse de signature apposée comme témoin de la signature des consommateurs en l’absence de ces derniers ou pour un autre représentant, il a soulevé les distinctions qui s’imposaient.

 

ANALYSE ET MOTIFS

[19]       L’intimé a été déclaré coupable d’avoir manqué de compétence et de professionnalisme sous le seul chef d’accusation porté contre lui.

[20]       Par sa signature comme conseiller désigné sur le formulaire de demande de prêt, l’intimé attestait détenir le certificat approprié pour la distribution du produit souhaité par l’emprunteur[8]. Or, cette dernière information y était absente. Ce n’est que subséquemment à son envoi à Québec que ledit formulaire, avec la signature de l’intimé ainsi que celle du client, a été complété en indiquant entre autres les fonds communs, pour lesquels l’intimé ne détenait pas de permis.

[21]       Les autorités fournies par la plaignante à l’appui de sa recommandation d’une amende de 5 000 $ concernent notamment des signatures de conseiller au lieu et place d’un autre, ou encore comme témoin de la signature de clients en leur absence. Les décisions ont toutes été rendues à la suite de plaidoyers de culpabilité et de recommandations communes sur sanction.

[22]       À l’instar du procureur de l’intimé, le comité est d’avis que des distinctions s’imposent entre celles-ci et le présent cas.

[23]       Alors qu’en l’espèce, il est question d’une demande de prêt investissement, les affaires soumises ont trait à des infractions concernant des propositions d’assurance ou de fonds distincts. Quant aux intimées Demers et Bouchard, l’une était responsable de la conformité et l’autre directrice du cabinet[9]. Ces éléments ajoutent certes à la gravité des infractions commises.

[24]       Dans l’affaire Côté, la plainte amendée impliquait quatre clients distincts et comportait quatorze chefs relatifs à des propositions d’assurances, dont quatre reprochant à l’intimé d’avoir signé comme témoin de la signature en l’absence de clients. Quant aux autres infractions, même si le nom de l’intimé était inscrit sur les formulaires, c’est son adjoint qui a procédé à la vente des produits, qui n’a pas fourni l’information requise quant au remplacement des polices d’assurance et qui a envoyé de façon tardive les avis de remplacement. En outre, le comité en a conclu qu’il s’agissait d’un mode de fonctionnement pour l’intimé et le cabinet pour lequel il pratiquait.

[25]       Quant à Di Salvo, il a servi de prête-nom, ce qui permettait au représentant ayant agi de contourner une clause de non-concurrence et éviter les conséquences pénales reliées. Comme souligné par le procureur de l’intimé, il en découle une intention de cacher la vérité à l’institution, sans compter la présence de répétition des infractions. Qui plus est, hormis les trois infractions de même nature qui lui ont valu une amende de 4 000 $ et deux réprimandes, il a été condamné à une radiation temporaire de cinq ans pour un chef relatif à un conflit d’intérêts.

[26]       Enfin, en plus des critères établis par la Cour d’appel dans Daigneault[10] qui rappelle que la sanction doit coller aux faits du dossier, le comité doit tenir compte du préjudice causé aux clients et des avantages tirés de l’infraction, comme stipulé à l’alinéa 2 de l’article 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[27]       En l’espèce, l’intimé n’a tiré aucun avantage de l’infraction et la preuve a démontré qu’il y avait absence de préjudice.

[28]       Le comité est en présence ici d’un acte isolé, un accident de parcours de l’intimé au long de ses vingt ans d’exercice de la profession. L’enquête a été entreprise à l’égard de l’intimé en raison de la découverte d’un document obtenu dans l’enquête concernant son frère. L’intimé en est à sa première infraction, sans antécédent disciplinaire alors qu’il exerce depuis plus de vingt ans, et aucune plainte n’a été déposée depuis l’infraction en cause.

[29]       Par conséquent, le comité estime qu’une réprimande, combinée à l’expérience du processus disciplinaire et des coûts liés à celui-ci, constitue une sanction juste, appropriée et respectueuse des objectifs de dissuasion et d’exemplarité dont le comité ne peut faire abstraction lors de la détermination des sanctions.

[30]       Enfin, quant à la demande d’exemption des frais de la demi-journée du
28 mars 2017, présentée par l’intimé, mentionnons que la plaignante a alors demandé une suspension pour s’assurer d’avoir procédé à une divulgation complète de la preuve, en fonction de certains éléments qui ressortaient du contre-interrogatoire de l’enquêteuse. Considérant les précisions fournies par les deux parties à ce propos, le comité estime que la preuve prépondérante a démontré que la plaignante avait rempli ses obligations en temps utile. Dans les circonstances, il paraît difficile de lui reprocher sa prudence. Cette demande de l’intimé sera donc rejetée.

[31]       Aucun motif ne lui ayant été présenté pour déroger à la règle habituelle voulant que la partie qui succombe assume les frais, l’intimé sera condamné à leur paiement.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

IMPOSE à l’intimé, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, une réprimande;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean _____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Benoit Bergeron___________________

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Shirtaz Dhanji____________________

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

AD LITEM AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 28 janvier 2019

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Correspondances entre le 31 janvier et le 4 février 2019.

[2] SP-1.

[3] CSF c. Côté, 2011 CanLII 99469 (QC CDCSF); CSF c. Demers, 2013 CanLII 43433 (QC CDCSF);
CSF c. Di Salvo, 2013 CanLII 77930 (QC CDCSF); CSF c. Bouchard, 2017 QCCDCSF 46; CSF c. Delage, 2018 QCCDCSF 59.

[4] CSF c. Rondeau, 2018 QCCDCSF 61 (CanLII).

[5] Décision sur culpabilité paragr. 20.

[6] Décision sur culpabilité paragr. 34 et 36.

[7] Décision sur culpabilité, paragr. 55.

[8] P-2.

[9] Dans Bouchard, l’autre représentant impliqué était Delage lequel fait l’objet de la dernière décision fournie par la plaignante.

[10] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

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