Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1134

 

DATE :

 25 septembre 2018

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Alain Gélinas

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Président

Membre

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

RÉJEAN TALBOT, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier (numéro de certificat 131874, BDNI 1747171)  

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication du nom des consommatrices mentionnées à la plainte disciplinaire et de tout renseignement ou document permettant de les identifier, et ce, dans le but d’assurer la protection de leur vie privée.

 

[1]           Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») s’est réuni pour procéder à l'audition sur culpabilité et sanction de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé. La plainte amendée se lit comme suit :

LA PLAINTE AMENDÉE

            1.      À Québec, le ou vers le 9 février 2015, l’intimé s’est approprié la somme de 20 000 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement G.L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 160, 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

            2.      À Québec, le ou vers le 17 février 2015, l’intimé a confectionné et utilisé ou a permis que soit utilisé un faux spécimen de chèque laissant croire à SFL Placements que les parts de fonds communs de placement achetés par G.L. étaient payés par elle, alors que l’argent provenait de Les investissements Talbot inc., une société non inscrite auprès de l’Autorité des marchés financiers, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 16, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 160, 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

            3.      À Québec, le ou vers le 10 avril 2014, l’intimé s’est approprié la somme de
7 000 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement D.B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 160, 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1)
.

 

[2]           La plaignante était représentée par Me Sylvie Poirier et l’intimé par Me Martin Courville.

[3]           L’intimé a fait l’objet d’une radiation provisoire, le 7 juillet 2015.

[4]           L’intimé a changé son plaidoyer initial et a enregistré un plaidoyer de culpabilité[1] à la plainte amendée. Il reconnaît avoir eu l’occasion de consulter son avocat sur les implications du plaidoyer et que sa décision est prise librement, sans menace ni contrainte et représente sa volonté. Il fut déclaré coupable par le Comité séance tenante sous les trois chefs d’infraction.

[5]           Le Comité procéda par la suite aux représentations sur sanction.

[6]           La preuve déjà déposée a été versée de consentement[2].

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[7]           Les infractions d’appropriation de fonds se retrouvent aux chefs 1 et 3.

[8]           Concernant le chef 3, l’intimé avait reçu de sa cliente, une personne retraitée, une somme de 8 000 $ à des fins de placement. Un chèque de 1 000 $ avait été fait au nom du cabinet de l’intimé et fut effectivement investi. Une traite bancaire de 7 000 $ au nom de la cliente et endossée par cette dernière à la demande de l’intimé fut déposée dans le compte de la compagnie de ce dernier. Ce dernier montant a été utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles il avait été confié.

[9]           Pour les chefs 1 et 2, la cliente, une personne âgée et malade, voulait confier un montant d’argent pour un placement. Elle aurait signé un chèque de 20 000 $. L’intimé aurait utilisé un faux spécimen de chèque pour cacher le fait que les fonds provenaient de la société de l’intimé.

[10]        La procureure de la plaignante mentionna qu’il y a une suggestion commune quant aux sanctions à savoir : une radiation permanente pour chacun des trois chefs, la condamnation au paiement des déboursés et la publication d’un avis de la décision.

[11]        Pour la plaignante, les facteurs aggravants sont les suivants :

        L’appropriation de fonds et la contrefaçon sont les infractions les plus graves qu’un représentant puisse commettre;

        Il y eut préméditation en l’espèce;

        Les fautes ont été commises à plusieurs reprises et sur une période relativement longue;

        Les deux victimes étaient âgées et l’une d’entre elles était très malade;

        Une cliente aurait perdu 20 000 $ n’eût été la vigilance de la famille. La remise en état de la part de l’intimé n’avait que pour but de cacher l’acte fautif;

        L’autre cliente a été indemnisée par la firme;

        Les clientes ont subi un stress et la perte de confiance à l’égard des professionnels envers qui elles auraient dû avoir confiance;

        L’image de la firme a pu être entachée ainsi que la confiance de la clientèle envers celle-ci;

        Au moment de la commission des infractions, l’intimé aurait pu s’enrichir d’une somme de 27 000 $.

[12]        Voici les facteurs neutres selon la procureure de la plaignante :

        L’intimé est inactif depuis sa radiation provisoire;

        Il avait plus de vingt ans d’expérience dans l’industrie au moment de la commission des infractions;

        Vu son absence lors de l’audition, on ne peut savoir s’il a des remords ou s’il a fait des efforts de réhabilitation;

        Il existe selon la procureure de la plaignante des risques de récidive si l’intimé était à nouveau autorisé à exercer.

[13]        Voici les facteurs atténuants pour la procureure de la plaignante :

        L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité, et ce, même si celui-ci n’a pas été fait à la première occasion;

        L’intimé n’a pas d’antécédent disciplinaire.

[14]        Elle souligna qu’en général l’appropriation de fonds mène à une radiation permanente ou une radiation pour une longue période dans des cas où des sommes minimes ont été appropriées.

[15]        Elle termina en déposant au soutien de sa recommandation un cahier d’autorités consistant en quatre décisions antérieures du comité et une décision de la Cour du Québec. Le Comité reviendra sur ces décisions.

 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[16]        D’entrée de jeu, le procureur de l’intimé souligna qu’il s’agissait de recommandations communes. Il ne contesta pas, qu’en règle générale, la radiation permanente est la sanction imposée par le comité de discipline en matière d’appropriation de fonds.

[17]        Il exprima son désaccord avec la prétention de la plaignante à l’effet qu’il y a eu préméditation. L’intimé n’a pas témoigné compte tenu de son état de santé et des circonstances.

[18]        Il contesta également qu’il y ait un risque de récidive élevé. Il n’y a aucune preuve à cet effet. Il s’agissait à son avis de gestes isolés, même s’ils sont répréhensibles. La preuve est à l’effet que l’intimé a plaidé coupable et qu’il y a absence d’antécédent disciplinaire.

ANALYSE JURISPRUDENTIELLE

[19]        Dans le dossier Lebrun[3], le comité de discipline a imposé une radiation permanente pour un chef d’appropriation de fonds de 15 000 $. L’infraction était de nature non répétitive et impliquait un seul client. Le comité note l’absence de préjudice pécuniaire, l’intimé est inactif et l’absence d’antécédent disciplinaire. Au niveau des facteurs aggravants, le comité note les suivants : une conduite de toute évidence prohibée, un acte volontaire et prémédité, l’existence d’une intention malhonnête, la vulnérabilité du client, les fausses représentations et l’expérience de l’intimé.

[20]        Une radiation permanente a également été imposée dans le dossier Murphy[4], pour une appropriation de fonds de 50 000 $ d’une cliente qui lui avait remis cette somme à des fins d’investissement. Le comité souligna que la radiation permanente est la sanction normalement ordonnée pour ce type d’infraction.

[21]        Dans le dossier Astouati[5], la radiation permanente de l’intimée fut imposée sous les deux chefs contenus à la plainte. Le comité nota ainsi la gravité objective des infractions :

« [27] La contrefaçon de document dans le but de procéder à des détournements, ainsi que l’appropriation illégale et frauduleuse de fonds appartenant à des clients, figurent parmi les infractions les plus sérieuses qui puissent être reprochées à un représentant. »

[22]        Dans le dossier Langlois[6], une radiation permanente fut imposée sous tout un chacun des dix chefs d’infraction d’appropriation de fonds et de contrefaçon de signature. L’ensemble des infractions était intrinsèquement lié et visait une somme de 97 000 $.

[23]        Une radiation permanente fut imposée dans le dossier Messier[7], pour une appropriation de fonds de 18 249,87 $ ainsi que pour la confection de faux relevés. Le comité souligna tout d’abord que la radiation permanente est la norme en matière d’appropriation de fonds. Il admet cependant qu’il puisse exister des circonstances pouvant justifier une radiation temporaire. Le comité note cependant que non seulement l’intimé s’est approprié ce montant, mais qu’il a tenté de camoufler cette appropriation.

 

ANALYSE ET MOTIFS

[24]          L’intimé a été déclaré coupable d’appropriation de fonds pour un montant de 27 000 $ et d’avoir confectionné un faux spécimen de chèque pour camoufler les faits reprochés au chef n˚ 1, séance tenante.

[25]        La gravité objective des infractions d’appropriation de fonds et de confection d’un faux ne fait aucun doute. Dans le spectre des infractions qu’un représentant peut commettre, il s’agit sans nul doute des infractions les plus graves.

[26]        Ces infractions vont au cœur de l’exercice de la profession et portent atteinte à l’image des représentants, des cabinets et de manière plus globale à l’image de l’industrie financière.

[27]        De plus dans le présent dossier, l’intimé a abusé de la confiance de personnes âgées dont une était très malade.

[28]        La radiation permanente est normalement la sanction appropriée pour une infraction d’appropriation de fonds. Le Comité n’est pas dans une situation de sommes minimes ou exceptionnelles.

[29]        L’intimé est une personne d’expérience qui aurait dû savoir que de tels gestes étaient fort répréhensibles. Les infractions sont répétitives et se sont échelonnées sur une période d’un an.

[30]        L’absence de préjudice découle, d’une part, de la vigilance de la famille d’une des clientes et, d’autre part, d’un paiement fait par la firme.

[31]        L’image de la firme et de l’industrie est ternie par de telles gestes. Les marchés financiers reposent sur la confiance des clients et du public en général.

[32]        Considérant tant les facteurs aggravants et atténuants en l’espèce, ainsi que tous les faits pertinents à cette affaire, le Comité est d’avis que la recommandation commune d’une radiation permanente est juste et raisonnable, répond aux critères d’exemplarité et de dissuasion et est compatible avec les sanctions imposées pour appropriation de fonds et confection d’un faux chèque.

[33]        Par conséquent, sous chacun des trois chefs d’infraction, la radiation permanente de l’intimé sera ordonnée.

[34]        De plus, le Comité condamnera l’intimé au paiement des déboursés. La présente décision fera de plus l’objet de la publication d’un avis, conformément aux dispositions de l’article 180 du Code des professions.

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous tout un chacun des trois chefs d’infraction contenus à la plainte amendée;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée séance tenante par le Comité sous chacun des trois chefs d’infraction;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé sous tout un chacun des chefs d’infraction 1 à 3 contenus à la plainte amendée;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément à l’article 151 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26;

ET SI TANT EST QU’IL PUISSE LE FAIRE :

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 180 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

 

 

 

 

 

(s) Alain Gélinas____________________

Me ALAIN GÉLINAS

Président du comité de discipline

 

 

 

(s) Dyan Chevrier___________________

Mme DYAN CHEVRIER, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

(s) Marc Binette_____________________

M. MARC BINETTE, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Sylvie Poirier

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LGB AVOCATS

Procureurs de la partie intimée

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Pièce I-2.

[2] Pièces P-1 à P-7 (comprenant les pièces R-3 à R-14).

[3] Chambre de la sécurité financière c. Lebrun, 2016 CanLII 27451 (QC CDCSF).

[4] Chambre de la sécurité financière c. Murphy, 2016 QCCDCSF 4.

[5] Chambre de la sécurité financière c. Astouati, 2015 QCCDCSF 42.

[6] Chambre de la sécurité financière c. Langlois, 2014 CanLII 43666 (QC CDCSF).

[7] Chambre de la sécurité financière c. Messier, 2012 CanLII 97159 (QC CDCSF).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.