Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1298

 

DATE :

1er juin 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Marco Gaggino

Président

M. Michel McGee,

Mme France Stewart, A.V.C.

 Membre

 Membre

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Plaignante

c.

 

MARIE-CHRISTINE JOBIN, conseillère en sécurité financière (certificat numéro 162266)

 

Intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte ainsi que de tout renseignement permettant de les identifier.

[1]           L’intimée est citée devant le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») suite à une plainte disciplinaire du 12 décembre 2017 libellée comme suit :

1.    Dans la région de Québec, le ou vers le 24 novembre 2016, l’intimée a signé, à titre de témoin, le formulaire « Désignation de bénéficiaire révocable » pour la police numéro […] hors la présence de G.P., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

2.    Dans la région de Québec, le ou vers le 23 novembre 2016, l’intimée a soumis le formulaire « Changement de propriété » pour la police […] sans avoir reçu un tel mandat de la part de S.M. et sans avoir validé son consentement, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

[2]           Le Comité a tenu une audience le 21 février 2018 pour disposer de cette plainte.

[3]           La plaignante était représentée par Me Jean-Philippe Lincourt et l’intimée par Me Johane Lachapelle.

I- PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[4]           Lors de l’audience, les parties ont avisé le Comité de l’intention de l’intimée d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’égard des deux (2) chefs de la plainte disciplinaire portée contre elle.

[5]           De même, les procureurs ont également fait part au Comité que, quant aux sanctions à imposer à l’intimée, ceux-ci soumettraient une recommandation commune.

[6]           Après que l’intimée eut confirmé son intention de plaider coupable aux chefs de la plainte de même que sa compréhension des conséquences de son plaidoyer et du fait que la recommandation commune ne liait pas le Comité, il fut pris acte dudit plaidoyer de culpabilité et le Comité trouva donc coupable séance tenante l’intimée des deux (2) chefs de la plainte disciplinaire portée contre elle.

[7]           Les parties soumirent par la suite leurs représentations et preuve au soutien de la recommandation commune sur sanction.


 

II- LES FAITS

[8]           La plaignante, par le biais de son procureur, procéda, de consentement avec la procureure de l’intimée, à déposer les pièces P-1 à P-5 puis présenta un exposé sommaire des faits.

[9]           De même, l’intimée a brièvement témoigné.

[10]        L’intimée, âgée de 46 ans, détient un certificat en assurance de personnes depuis le 27 février 2015. Elle est actuellement à l’emploi de la compagnie d’assurance Co‑operators où elle occupe un poste de directrice depuis 2014.

[11]        GP et SM sont les consommateurs impliqués dans la plainte disciplinaire contre l’intimée. L’intimée est la belle-sœur de GP, laquelle était la conjointe de SM.

[12]        SM était actionnaire à 51 % d’une compagnie dans laquelle GP possédait 49 % des actions (la « Compagnie »).

[13]        Au moment des faits visés par la plainte, SM et GP étaient en instance de divorce.

[14]        La Compagnie était propriétaire de la police d’assurance visée par la plainte (la « Police »).

[15]        Selon la demande d’enquête formulée par SM à l’égard de l’intimée[1], GP aurait falsifié la signature de SM sur un formulaire intitulé Changement de propriété (cession absolue) par lequel la propriété de la Police se voyait alors transférée de la Compagnie à GP[2].

[16]        L’intimée a reçu ce formulaire par télécopie le 23 novembre 2016 et l’a traité afin de procéder au changement de propriétaire de la Police, qui est désormais GP.

[17]        Dans sa demande d’enquête, SM indique que l’intimée n’a jamais vérifié auprès de lui si sa signature apposée au document de changement de propriété de la Police était bien la sienne.

[18]        Le lendemain, soit le 24 novembre 2016, GP transmet à l’intimée un formulaire intitulé Désignation de bénéficiaire révocable[3] dans lequel elle désigne ses enfants, soit CPO et TG, comme bénéficiaires à 50 % chacun de la Police.

[19]        Dans ce document, l’intimée signe à titre de témoin, mais cette signature se fait à distance, soit hors la présence de GP.

[20]        Selon la demande d’enquête P-2, SM ne s’est rendu compte qu’en mai 2017, « par un pur hasard », des modifications apportées à l’identité du propriétaire de la Police de même que quant à ses bénéficiaires.

[21]        SM a alors dû impliquer ses avocats auprès de Co-operators et auprès de l’intimée afin de rectifier la situation, engendrant ainsi des coûts.

[22]        Dans son témoignage, l’intimée reconnaît avoir commis une erreur professionnelle en ayant fait preuve de naïveté dans une affaire de famille. Elle assure le Comité qu’une situation semblable ne surviendra plus jamais.

REPRÉSENTATIONS DU PROCUREUR DE LA PLAIGNANTE

[23]         Le procureur de la plaignante soumet au Comité que les parties se sont entendues pour suggérer de façon commune les sanctions suivantes :

-       Quant au chef d’accusation 1 : Une amende de 4 000 $;

-       Quant au chef d’accusation 2 : Une radiation temporaire de trois (3) mois.

[24]        Le procureur de la plaignante justifie le caractère raisonnable de la suggestion commune en faisant d’abord état de la gravité objective de l’infraction puis des différents facteurs aggravants et atténuants applicables aux deux (2) chefs d’accusation.

[25]        Quant à cette gravité objective et aux facteurs aggravants, le procureur de la plaignante relève les suivants :

-       Il s’agit d’une conduite clairement prohibée par les règles qui régissent la profession et d’une gravité objective certaine;

-       Ces gestes portent atteinte à l’image de la profession ainsi qu’à celle de l’employeur de l’intimée;

-       Le consommateur a subi un dommage financier directement lié aux gestes posés par l’intimée.

[26]        Quant aux facteurs atténuants, le procureur de la plaignante les résume ainsi :

-       L’intimée n’a pas agi avec l’intention de retirer et n’a pas retiré d’avantages personnels par ses gestes;

-       L’intimée n’a aucun antécédent disciplinaire;

-       L’intimée a reconnu les faits et a plaidé coupable à la première occasion;

-       L’intimée a fait preuve d’un repentir sincère, a reconnu sa faute et a appris sa leçon;

-       L’intimée a collaboré à toutes les étapes du dossier.

[27]        Par ailleurs, le procureur de la plaignante soumet des décisions appuyant ses propos selon lesquelles les sanctions proposées s’insèrent dans la fourchette des sanctions imposées dans le cas d’infractions de semblable nature[4].

[28]        Finalement, le procureur de la plaignante soumet au Comité que la recommandation commune satisfait aux critères d’intérêt public et de saine administration de la justice.

[29]        En effet, le plaidoyer de culpabilité de l’intimée permet d’éviter un procès qui se serait sûrement étalé sur plus d’une journée d’audience.

[30]        De même, considérant les facteurs de crédibilité impliqués à l’égard de certains faits qui auraient fait l’objet de contestation, le plaidoyer de culpabilité permet d’éviter aux consommateurs GP et SM de devoir venir témoigner dans un contexte lié à leurs problèmes de couple.

[31]        De même, le procureur de la plaignante soumet au Comité que SM, qui a formulé la demande d’enquête à la Chambre de la sécurité financière dans ce dossier et qui s’est intéressé à l’évolution de toutes les étapes de celui-ci, a été avisé de la recommandation commune.

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DE L’INTIMÉE

[32]        La procureure de l’intimée se déclare essentiellement en accord avec les propos du procureur de la plaignante.

ANALYSE ET MOTIFS

[33]        Lorsque des sanctions sont suggérées conjointement par les parties, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de celles-ci. Il doit y donner suite, sauf s’il les considère contraires à l’intérêt public ou si elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice, et ce, tel que la Cour suprême le rappelait[5] :

« [36]         Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi. »

 

[34]        Il s’agit donc d’un seuil élevé qui ne peut être franchi à la légère, par exemple, parce que le décideur considère qu’il aurait imposé une autre sanction en appliquant les critères usuels de détermination de la sanction.

[35]        Par ailleurs, cela n’empêchera pas un comité d’intervenir si, à première vue, il y a une telle disproportion entre la sanction suggérée et celle normalement applicable, que celle-ci devient controversée et qu’elle semble porter atteinte à l’intérêt public ou à l’administration de la justice.

[36]        Dans un tel cas, le comité devrait demander des explications sur les considérations et les concessions qui sont à la base de la recommandation commune en tenant pour acquis, par ailleurs, que les avocats des parties sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’intimé puisque, en principe, ils connaîtront très bien la situation de ce dernier ainsi que les circonstances de l’infraction et les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. À cet effet, la Cour suprême précise ainsi cette démarche :

« [39]         Troisièmement, en présence d’une recommandation conjointe controversée, le juge du procès voudra sans aucun doute connaître les circonstances à l’origine de la recommandation conjointe, en particulier tous les avantages obtenus par le ministère public ou toutes les concessions faites par l’accusé. Plus les avantages obtenus par le ministère public sont grands, et plus l’accusé fait de concessions, plus il est probable que le juge du procès doive accepter la recommandation conjointe, même si celle‑ci peut paraître trop clémente. Par exemple, si la recommandation conjointe est le fruit d’une entente par laquelle l’accusé s’engage à prêter main‑forte au ministère public ou à la police, ou si elle reflète une faille dans la preuve du ministère public, une peine très clémente peut ne pas être contraire à l’intérêt public. Par contre, si la recommandation conjointe ne découlait que du constat de l’accusé qu’une déclaration de culpabilité était inévitable, la même peine pourrait faire perdre au public la confiance que lui inspire le système de justice pénale. »

 

[37]        C’est selon les critères élaborés par la Cour suprême du Canada que le Comité examinera la recommandation commune des parties, et ce, afin de déterminer si celle-ci est contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[38]        Les parties suggèrent au Comité d’imposer à l’intimée :

-       Une amende de 4 000 $ pour le chef d’accusation 1;

-       Une radiation temporaire de trois (3) mois pour le chef d’accusation 2.

[39]        Tel que la jurisprudence produite par la plaignante le démontre, les infractions reprochées à l’intimée sont d’une gravité objective sérieuse et elles portent atteinte à l’image de la profession.

[40]        Par ailleurs, la recommandation commune ne s’écarte pas de la fourchette des sanctions imposées pour de semblables infractions, et ce, considérant l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants soumis par les parties dans la présente instance.

[41]         Le Comité ne voit pas de disproportion telle entre les sanctions recommandées par les parties et la gravité objective des gestes reprochés qui permettrait de croire que l’intérêt public serait affecté.

[42]        À cet égard, il faut noter que les sanctions sont sévères et en lien avec la gravité objective des infractions.

[43]        Par ailleurs, un plaidoyer de culpabilité est nettement favorable à l’administration de la justice en ce qu’il permet notamment à celle-ci de sauver de précieuses ressources en évitant une audition.

[44]        À cet égard, le plaidoyer de culpabilité de l’intimée a pour effet d’éviter que les consommateurs impliqués dans cette affaire aient à comparaître et à témoigner devant le Comité sur des faits qui, sans nul doute, toucheraient à leur vie privée. 

[45]        Le Comité donnera donc suite à la recommandation commune des parties puisque celle-ci ne contrevient pas à l’intérêt public et ne va pas à l’encontre de l’administration de la justice.

[46]        Par ailleurs, le Comité fera droit à la demande de l’intimée de disposer d’un délai de six (6) mois pour le paiement de l’amende de 4 000 $ qui lui sera imposée sous le chef no. 1 à laquelle la plaignante ne s’oppose pas.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, non-publication et non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs visés par la plainte ainsi que de tout renseignement permettant de les identifier;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur les deux (2) chefs d’accusation contenus à la plainte;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimée prononcée séance tenante sous les deux (2) chefs d’accusation contenus à la plainte en ce qui a trait à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions invoquées dans la plainte.

ET, STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 4 000 $ sous le chef d’accusation numéro 1;

ACCORDE à l’intimée un délai de six (6) mois à compter de la date de la présente décision pour le paiement de ladite amende;

IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire de trois (3) mois sous le chef d’accusation numéro 2;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal où cette dernière a son domicile professionnel ou à tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

 

 

(s) Marco Gaggino __________________

Me Marco Gaggino

Président du Comité de discipline

 

 

 

(s) Michel McGee___________________

M. Michel McGee

Membre du Comité de discipline

 

 

 

(s) France Stewart__________________

Mme France Stewart, A.V.C.

Membre du Comité de discipline

 

 

 

Me Jean-Philippe Lincourt

BÉLANGER LONGTIN, S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

 

Me Johane Lachapelle

GROUPE CO-OPERATORS LIMITÉE

Procureure de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

21 février 2018

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINALS SIGNÉ



[1] Pièce P-2.

[2] Pièce P-3.

[3] Pièce P-4.

[4] Chef 1 : Chambre de la sécurité financière c. Baillargeon, 2010 CanLII 99871 (QC CDCSF) - 3 000 $ d’amende; Chambre de la sécurité financière c. Bellerose, 2012 CanLII 97156 (QC CDCSF) – 3 000 $ d’amende; Chambre de la sécurité financière c. Bodin, 2017 CanLII (QC CDCSF) – 5 000 $ d’amende; Chambre de la sécurité financière c. Goyette, 2017 QCCDCSF 36 – 5 000$ d’amende.

Chef 2 : Chambre de la sécurité financière c. Chrétien, 2017 QCCDCSF 15 – radiation temporaire de six (6) mois; Chambre de la sécurité financière c. Stamatopoulos, 2016 QCCDCSF 42 – radiation temporaire de 30 jours; Chambre de la sécurité financière c. Boucher, 2015 QCCDCSF 62 – radiation temporaire de six (6) mois; Chambre de la sécurité financière c. Simard 2016 QCCDCSF 17 – radiation temporaire de quatre (4) mois.

 

[5] R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 R.C.S. 204.

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