Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1285

 

DATE :

18 juin 2018

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LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Christian Fortin

Membre

M. Jasmin Lapointe

Membre

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LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CATHERINE SIMARD, conseillère en sécurité financière (certificat 172491)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière émet, aux termes de l’article 142 du Code des professions, une ordonnance de non-diffusion, de non-divulgation et non-publication du nom des personnes dont les initiales apparaissent à la plainte et de tout renseignement permettant de les identifier

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I.        LA PLAINTE ET LE DÉROULEMENT DE L’INSTANCE

[1]   La plaignante a déposé contre l’intimée une plainte portant la date du 25 octobre 2017 et dont les chefs d’infraction se lisent comme suit :

1.    Dans la province de Québec, le ou vers le 30 décembre 2013, l’intimée n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de A.C. alors qu’elle lui faisait souscrire la police […][1], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

  1. Dans la province de Québec, le ou vers le 30 décembre 2013, l’intimée n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de A.C. et L.A.S. alors qu’elle leur faisait soumettre une demande de modifications de la police […][2], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités de représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);
  2. Dans la province de Québec, le ou vers le 30 décembre 2013, l’intimée a signé, à titre de témoin, un formulaire d’autorisations afin de communiquer des renseignements personnels à l’assureur hors la présence de L.A.S., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]   Dans les jours précédant l’audience, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) a été informé qu’il était de l’intention de l’intimée de plaider coupable et de la volonté des parties de présenter des recommandations conjointes sur sanction.

[3]   À l’audience tenue à Québec le 1er mai 2018, la plaignante était représentée par
Me Jean-Philippe Lincourt et l’intimée par Me Jean-Paul Morin.

[4]   En début d’audience, l’intimée a réitéré son intention d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité quant aux paragraphes 1 et 2 de la plainte au regard des articles 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers pour ce qui est du paragraphe 3 de la plainte.

[5]   Les parties ont d’autre part suggéré que le comité ordonne l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions de rattachement énumérées à la plainte.

[6]   Après avoir vérifié si l’intimée comprenait bien le sens et la portée de son plaidoyer de culpabilité, le comité a prononcé un verdict de culpabilité et l’arrêt conditionnel des procédures selon ce qui est mentionné aux paragraphes précédents.

[7]   Les parties ont ensuite indiqué les sanctions et autres mesures qu’elles recommandaient, de façon conjointe, au comité d’imposer à l’intimée.

[8]   Les pièces P-1 à P-7 ont été produites; l’intimée a témoigné; les avocats ont complété l’exposé des faits pertinents et ils ont ensuite plaidé.

[9]   Au terme de l’audience, le comité a pris l’affaire en délibéré.

II.        LA PREUVE

[10]        L’intimée détient un certificat en assurance de personnes depuis 2007[3].

[11]        En octobre 2013, elle est appelée, une première fois, à rendre des services à A.C. et L.A.S., les personnes dont les initiales apparaissent à la plainte.

[12]        Elle complète alors pour A.C. et L.A.S. (lesquels forment un couple) un document coiffé du titre : « Analyse financière personnelle »[4] dans lequel on retrouve notamment des informations et analyses quant aux liquidités, actifs et passifs de ces clients. Une proposition d’assurance temporaire est alors souscrite.

[13]        Le 30 décembre 2013, alors que l’intimée est à son domicile à procéder aux préparatifs en vue des festivités du Nouvel An, A.C. se présente au lieu de travail de l’intimée (sans avoir convenu préalablement d’un rendez-vous) pour la rencontrer.

[14]        Informée de la chose, l’intimée se rend à son bureau et, à la demande de A.C., lui propose certains produits d’assurance tout en lui expliquant qu’il n’a pas de besoin véritable en matière d’assurance.

[15]        A.C. insiste pour souscrire un produit d’assurance additionnel à ceux qu’il détient déjà[5]; l’intimée donne suite à sa demande.

[16]        L’intimée fait également soumettre aux deux membres du couple une demande de modifications d’une autre police qu’ils détenaient déjà[6].

[17]        Les opérations décrites aux paragraphes 15 et 16 sont effectuées sans que l’intimée ne recueille toutefois auprès de A.C. et L.A.S., le 30 décembre 2013, tous les renseignements nécessaires et sans qu’elle ne procède à une analyse complète et conforme de leurs besoins financiers (chefs d’infraction 1 et 2 de la plainte).

[18]        Le même jour, l’intimée signe, à titre de témoin de la signature de L.A.S., un formulaire d’autorisation afin  que soient communiqués à l’assureur des renseignements personnels au sujet de sa cliente; or, l’intimée n’a pas été témoin de la signature de L.A.S.[7] (chef d’infraction 3).

[19]        Sans aucunement nier les manquements dont elle a été reconnue coupable, l’intimée souligne que la langue maternelle de A.C. et de L.A.S. n’est ni le français ni l’anglais et que cet élément a pu contribuer à ce qu’elle commette ces fautes. Elle ajoute qu’elle aurait dû refuser de donner suite aux demandes de A.C. le 30 décembre 2013; il aurait été préférable qu’elle lui remette des documents et qu’elle lui demande de réfléchir avant d’aller de l’avant.

[20]        A.C. s’est plaint à l’Autorité des marchés financiers (l’AMF) de la conduite de l’intimée.

[21]        Les polices d’assurance ont été annulées et les clients ont été remboursés d’une somme de 4 923 $; ils n’ont donc pas véritablement subi de préjudice financier.

[22]        Depuis la commission de ces fautes, l’intimée est plus vigilante et rigoureuse dans l’exécution de ses tâches.

[23]        Son employeur a mis en place des procédures plus exigeantes afin qu’il soit procédé, de façon systématique, à l’analyse des besoins financiers des clients.

[24]        L’intimée n’a pas d’antécédents disciplinaires.

[25]        La plaignante a confirmé la collaboration totale de l’intimée à l’enquête.

III.        LES REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[26]        Les parties recommandent au comité d’imposer à l’intimée les sanctions et les mesures suivantes :

        la condamnation de l’intimée au paiement d’amendes de 5 000 $ (chef d’infraction 1) et de 2 000 $ (chef d’infraction 3) et l’imposition d’une réprimande (chef d’infraction 2);

        la condamnation de l’intimée au paiement des déboursés.

[27]        L’intimée demande qu’un délai de trois mois lui soit accordé pour payer les amendes totalisant 7 000 $; sur cette question, la plaignante s’en remet au comité.

[28]        La plaignante a souligné la gravité objective des infractions commises. Les parties ont invité le comité à prendre en compte les facteurs objectifs atténuants mis en preuve dont notamment la collaboration de l’intimée à l’enquête de la plaignante, l’absence d’antécédents disciplinaires ainsi que les circonstances particulières dans lesquelles les infractions ont été commises.

[29]        La plaignante a soumis des décisions afin de démontrer que les sanctions proposées ne s’écartaient pas de celles qui sont imposées, par notre comité, en semblables matières[8].

IV.        L’ANALYSE

[30]        L’intimée a commis des infractions dont la gravité objective est manifeste.

[31]        Le comité a rappelé à plusieurs reprises que l’obligation de recueillir tous les renseignements nécessaires et de procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers était une mesure préalable et essentielle à la souscription d’un contrat d’assurance de personnes; cette procédure est la pierre angulaire du travail du représentant. Elle lui permet de bien connaître les besoins financiers de son client et de le conseiller adéquatement.

[32]        L’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants énonce clairement les obligations imposées au représentant (chefs d’infraction 1 et 2). Cet article se lit comme suit :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d’assurance ou d’offrir un produit d’assurance de personnes comportant un volet d’investissement, dont un contrat individuel à capital variable, analyser avec le preneur ses besoins ou ceux de l’assuré.

 

Ainsi, selon le produit offert, le représentant en assurance de personnes doit analyser avec le preneur, notamment, ses polices ou contrats en vigueur ou ceux de l’assuré, selon le cas, leurs caractéristiques et le nom des assureurs qui les ont émis, ses objectifs de placement, sa tolérance aux risques, le niveau de ses connaissances financières et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à sa charge et ses obligations personnelles et familiales.

 

Le représentant en assurance de personnes doit consigner les renseignements recueillis pour cette analyse dans un document daté. Une copie de ce document doit être remise au preneur au plus tard au moment de la livraison de la police. »

[33]        En ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 3 de la plainte, la culpabilité de l’intimée a été retenue au regard de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers qui se lit comme suit :

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

[34]        Le comité est d’avis que l’intimée n’a pas agi de façon malhonnête ou déloyale; elle a plutôt fait défaut d’agir avec compétence et professionnalisme.

[35]        En signant en tant que témoin de la signature de la consommatrice, l’intimée a ainsi faussement indiqué à l’assureur qu’elle était présente, qu’elle avait vu sa cliente signer et qu’elle pourrait en témoigner, si cela s’avérait nécessaire. Elle a ainsi (incorrectement) assumé, par cette déclaration, une responsabilité tant envers l’assurée qu’envers l’assureur.

[36]        Les avocats des parties ont souligné, avec raison, plusieurs facteurs atténuants :

        la difficulté de communication entre les consommateurs (dont la langue maternelle n’était ni l’anglais ni le français) et l’intimée;

        l’insistance du client A.C. à souscrire un produit d’assurance additionnel le
30 décembre 2013;

        l’expérience, somme toute limitée, de l’intimée;

        sa collaboration entière à l’enquête de la plaignante;

        son plaidoyer de culpabilité;

        l’absence d’antécédents disciplinaires;

        les leçons que l’intimée a tirées de ces événements; les changements qu’elle a apportés à sa pratique et les risques minimes de récidive;

        l’absence de préjudice financier subi par les consommateurs (ils ont été remboursés d’une somme de 4 923 $ suite à l’annulation des polices d’assurance).

[37]        Les avocats des parties ont également plaidé que les infractions avaient toutes été commises le même jour à l’égard des mêmes consommateurs; ils ont invoqué le principe de la globalité des sanctions à l’appui de leurs recommandations quant à l’imposition d’une réprimande pour le chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte.

[38]        Le comité constate que les recommandations formulées se situent dans la fourchette des sanctions imposées par notre comité dans des dossiers de ce genre.

[39]        Les sanctions recommandées satisfont aux critères de dissuasion et d’exemplarité propres au droit disciplinaire et contribueront très certainement à assurer la protection du public.

[40]        La jurisprudence est claire : les recommandations conjointes formulées par les parties ne doivent être écartées que si le comité les juge contraires à l’intérêt public ou s’il est d’avis qu’elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice[9].

[41]        Le comité est convaincu que les sanctions proposées ne doivent pas être écartées; il y donnera donc suite.

[42]        Le comité accordera à l’intimée, tel qu’elle l’a demandé, un délai de trois mois pour payer les amendes; l’article 156 du Code des professions lui permet en effet d’assortir les sanctions imposées de conditions et de modalités.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimée;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimée prononcée à l’audience quant aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

PRONONCE l’arrêt conditionnel des procédures en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte au regard des articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimée prononcée à l’audience quant au chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

PRONONCE l’arrêt conditionnel des procédures en ce qui a trait au chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte au regard des articles 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ET, PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 5 000 $ au regard du chef d’infraction énoncé au paragraphe 1 de la plainte en ce qui a trait à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

IMPOSE à l’intimée une réprimande au regard du chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte en ce qui a trait à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 2 000 $ au regard du chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte en ce qui a trait à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

ACCORDE à l’intimée trois mois pour payer ces amendes totalisant 7 000 $;

CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

 

 

 

 

(S) Sylvain Généreux

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Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

 

(S) Christian Fortin

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M. Christian Fortin

Membre du comité de discipline

 

 

 

(S) Jasmin Lapointe

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M. Jasmin Lapointe

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-Philippe Lincourt

BÉLANGER LONGTIN, S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jean-Paul Morin

TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY, S.E.N.C.R.L

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

1er mai 2018

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Les paragraphes 1 et 2 font référence à 2 polices d’assurance différentes.

[2] Les paragraphes 1 et 2 font référence à 2 polices d’assurance différentes.

[3] P-1.

[4] P-3.

[5] P-4.

[6] P-5.

[7] P-6.

[8]     CSF c. Villeneuve, 2016 QCCDCSF 32; CSF c. Lacasse, 2016 QCCDCSF 29; CSF c. Tchassom, 2016 QCCDCSF 8, CSF c. Tremblay, 2015 QCCDCSF 21.

[9] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

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