Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1166

 

DATE :

2 mai 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

JEAN-LÉON LAVOIE, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro 120102, BDNI 1715901)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Les 6 et 7 décembre 2016, ainsi que le 24 mai 2017, le comité de discipline
(le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni au siège social de la Chambre, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte portée contre l'intimé le 7 décembre 2015. 

[2]          Me Julie Piché représentait la plaignante. Pour sa part, l’intimé était présent et représenté par Me Nathalie Lavoie.

[3]          Avant la fin de l’instruction du  24 mai 2017, le comité a demandé la transcription de certains extraits des notes sténographiques, lesquels lui sont parvenus le ou vers le
7 juillet 2017, date de début du délibéré.

 

LA PLAINTE

1.         À Roberval, entre les ou vers les 16 mars 2009 et 16 février 2013, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en agissant à la fois comme représentant en épargne collective pour T.T. et à titre de mandataire de celle-ci en vertu d’une procuration générale, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

2.         À Roberval, entre les ou vers les 16 février et 11 avril 2013, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en agissant à la fois comme représentant en épargne collective et à titre de liquidateur de la succession de T.T., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

 

DÉROULEMENT DE LA PREUVE

 

  • Les 6 et 7 décembre 2016

[4]          D’entrée de jeu, le 6 décembre 2016, Me Lavoie a présenté pour l’intimé une requête verbale en vue d’obtenir copie du rapport d’enquête du bureau de la syndique de la CSF. La procureure de la plaignante, s’estimant prise par surprise, a indiqué avoir besoin de temps pour répondre aux arguments de l’intimé. En conséquence, l’audience a été suspendue, mais considérant les déplacements inhérents de l’intimé domicilié à Roberval et sa procureure venant de la ville de Québec, le comité n’a pas accédé à la demande de remise présentée par la partie plaignante.

[5]          Après avoir révisé les autorités en la matière et procédé à un voir-dire, la plaignante a été enjointe de remettre une copie du rapport, lequel s’est toutefois révélé caviardé dans son entièreté. Ensuite, après avoir été invitée à discuter de nouveau avec sa cliente en vue de la divulgation des informations et données du rapport d’enquête, la procureure de la plaignante a remis en fin de journée, le 7 décembre 2016, à la partie intimée une copie dudit rapport, cette fois, non caviardée[1] à environ 90 %. La plaignante ayant invoqué « le privilège relatif au litige » pour les extraits caviardés restants, sa procureure a fourni pour chacun d’eux les motifs de non-divulgation.

[6]          Enfin, ayant reçu une copie non caviardée mise sous scellé, le comité a décidé de concert avec les parties qu’il prendrait connaissance des passages ainsi caviardés afin de se prononcer quant aux motifs allégués par la plaignante pour leur non-divulgation. Dès janvier 2017, le comité a communiqué aux parties sa décision quant aux passages litigieux. Par la suite, la plaignante a procédé à la divulgation supplémentaire conformément aux indications du comité et la partie intimée s’en est déclarée satisfaite.

        Le 24 mai 2017

[7]          La procureure de la plaignante a fait entendre Me Vivianne Pierre-Sigouin, enquêteure pour le bureau de la syndique de la CSF.

[8]          Ce dossier ne lui a été confié qu’à partir du 16 novembre 2016 à la suite du départ de l’enquêteur précédent qui avait complété l’enquête à la fin de 2013 ou au début de 2014. Elle a pris connaissance du dossier d’enquête y compris de la collecte d’information. Elle a également parlé à D.L., frère de l’intimé, et à l’intimé lui-même. Ces échanges se sont déroulés entre janvier 2014 et décembre 2016, certains ont été enregistrés, d’autres pas. 

[9]           La preuve documentaire de la plaignante (P-1 à P-11) a été produite par l’enquêteure qui a expliqué le contexte entourant les gestes reprochés. L’intimé s’est opposé à la production de certaines pièces, objections qui ont été prises sous réserve. Toutefois, lors de sa plaidoirie, seule celle formulée à l’égard de la pièce P-12 a été conservée par l’intimé. Le comité en traitera au moment de l’analyse du deuxième chef d’accusation.

[10]        En ce qui concerne le premier chef d’accusation, la procureure de l’intimé a fait l’admission suivante : « Il est admis que l’intimé, entre les 16 mars 2009 et 16 février 2013, a agi comme représentant en épargne collective pour T.T. et à titre de mandataire de celle-ci en vertu d’une procuration générale », sans admettre toutefois s’être placé en situation de conflit d’intérêts et contestant les autres infractions reprochées à ce chef. 

[11]       Après avoir entendu la preuve de la plaignante, la procureure de l’intimé a déclaré ne pas faire entendre l’intimé, mais se limiter à présenter ses arguments à l’encontre de la plainte portée contre celui-ci.  

 

 

LES FAITS

[12]        Selon l’attestation de droit de pratique de l’intimé en date du 2 décembre 2016, celui-ci détenait, au moment des événements reprochés, un certificat notamment dans la discipline de l’assurance de personnes depuis 1999 et dans celle de l’épargne collective depuis juin 2000[2].

[13]       La consommatrice T.T. est née le 20 mars 1930 et est décédée le 16 février 2013[3]. Elle était la mère de l’intimé.  

[14]       L’intimé était le représentant en assurance de T.T. depuis au moins 1995, lui ayant fait souscrire une police d’assurance vie ayant pour bénéficiaires ses ayants droit. Cette proposition qui avait un capital assuré de 20 000 $ a été signée le 14 septembre 1995 et la police a été mise en vigueur le 2 octobre 1995[4]. T.T. possédait également une autre police d’assurance avec La Laurentienne pour une somme de 50 000 $, mais l’enquête n’a pas permis de savoir si l’intimé était le représentant au moment de la souscription de cette police.

[15]       L’intimé a également agi en tant que représentant en épargne collective pour T.T. lors de la souscription de fonds communs[5]

[16]       Le 16 mars 2009, T.T. nommait l’intimé son mandataire avec pleine administration de ses biens, en vertu d’une procuration générale notariée[6].  Au moment de cette procuration, T.T. habitait une maison de retraite.  

[17]       Le 6 avril 2009, par son testament fait devant le même notaire, T.T. nommait l’intimé à titre de liquidateur de sa succession. Ce testament prévoyait non seulement sa nomination en tant que liquidateur, mais précisait qu’il serait responsable de la pleine administration des biens de la succession. L’article 8 dudit testament prévoit également que l’intimé a droit à une rémunération pour ses services. L’intimé a agi à titre de liquidateur, conformément à cette nomination, après le décès de T.T.

[18]       L’intimé, à titre de représentant en épargne collective, a ouvert pour T.T.,
le 1er février 2001, un compte auprès d’AGF pour 7 000 $ ayant pour bénéficiaire la succession de T.T. Il a continué à gérer ces comptes en vertu de la procuration à partir du 16 mars 2009, notamment pour toutes les transactions suivantes :

a)     le 1er octobre 2009 : achat de 500 $ par mois signé par l’intimé à la fois comme client en vertu de sa procuration et en tant que représentant;

b)     le 30 novembre 2010 : rachat de 4 500 $;

c)      le 8 juillet 2011 : rachat de 8 100 $;

d)     le 7 mai 2012 : lettre d’instruction pour la libération de 10 % des unités sans frais;

e)     le 7 mai 2012 : formulaire de l’échéance de titre;

f)       le 7 mai 2012 : achat de 7 000 $.

[19]       L’enquête a identifié des relevés des comptes de T.T. entre 2009 à 2013 qui confirment les transactions ci-haut mentionnées, ainsi que celles de 2011 confirmant un retrait de 8 100 $, le 13 juillet 2011.

[20]        T.T. détenait un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) dans un deuxième compte ouvert le 22 octobre 2002 et signé par elle, avec un placement initial de 6 000 $, provenant d’un placement précédent, et dont les bénéficiaires désignés étaient la succession. Il prévoyait un versement à raison d’une fois par année.

[21]       Après mars 2009, les différentes transactions, par exemple celles des
16 novembre 2009, 14 mai 2010 et 3 novembre 2011, renvoient à la procuration de l’intimé qui signe au nom de T.T. ainsi qu’à titre de représentant. Les états de compte pour les années 2009 et 2010, le sommaire financier du 2 novembre 2011 et les relevés de 2012 confirment ces dernières activités. L’adresse de T.T. est modifiée en 2012 pour celle du cabinet de l’intimé et apparaît également sur un relevé des placements de T.T. de 2013
.

[22]       Le 10 janvier 2013, un mois avant le décès de T.T., l’intimé a procédé à une dernière transaction pour l’achat d’un fonds auprès de Mackenzie pour 50 385,49 $ dans un compte non enregistré, dont les bénéficiaires étaient les héritiers. Il a signé en tant que représentant de T.T. et pour elle en vertu de sa procuration. Cette somme provenait du placement antérieurement détenu auprès d’AGF.  

[23]       Le 8 mars 2013, à la suite du décès de T.T., le 16 février 2013, l’intimé a signé en tant que représentant et liquidateur de la succession un formulaire de commande de Peak visant le rachat du fonds Mackenzie acheté en janvier 2013.  

[24]       Le 20 mars 2013, une lettre d’instruction adressée à Mackenzie est complétée et signée par l’intimé en tant que liquidateur de la succession de T.T. pour le rachat total du compte à laquelle sont joints notamment l’attestation de décès et le testament. Il y demande d’émettre un chèque au nom de la succession, lequel sera émis le 12 avril 2013[7].

[25]       En ce qui concerne la rémunération, l’enquête a confirmé que l’intimé n’a pas reçu, comme représentant pour sa mère, d’autre rémunération que la commission de
2 % pour les placements Mackenzie, laquelle est partagée avec son cabinet dans une proportion toutefois inconnue. Ces 2 % représentent une commission s’inscrivant dans les normes habituelles.

[26]       L’enquête n’a pas permis de savoir si T.T. était présente lors de la signature des formulaires de transactions sur lesquelles apparaît la signature de l’intimé à titre de mandataire de T.T. ni si elle y avait ou non consenti.

[27]       Il ressort de l’enquête qu’il n’y a pas eu davantage de transactions ou de changement dans la façon de travailler de l’intimé comme représentant dans les comptes de T.T. après 2009. Quant au changement d’adresse de T.T. à partir de 2012, l’enquête n’a pas révélé le contexte entourant ce changement.

[28]       Entre janvier et avril 2013, le fonds Mackenzie, placé en janvier 2013 par l’intimé, a généré un profit de sorte que la succession n’a pas subi de perte pour ce placement.

[29]       Selon l’enquête, rien ne démontre que l’intimé ait agi à l’encontre des intérêts de sa mère, sauf peut-être le choix exercé pour les frais d’acquisition qui diminuent d’autant le capital investi. Après le décès de T.T., selon l’enquête, l’intimé n’a plus agi comme représentant de celle-ci.

[30]       L’intimé a agi comme liquidateur de la succession de sa mère conformément à sa nomination dans le testament. À cette enseigne, l’enquête n’a relevé aucun geste de l’intimé démontrant qu’il ait agi au détriment des héritiers alors qu’il assumait la responsabilité de liquidateur.

[31]       Enfin, l’enquête n’a pas révélé une absence de consentement de T.T. ou même d’incapacité de cette dernière à le donner. 

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[32]        La procureure de la plaignante a déposé un cahier d’autorités au soutien de  ses prétentions[8]

[33]        La procureure de l’intimé a fait de même en produisant un cahier de notes et autorités qui comporte également des extraits de doctrine portant notamment sur les règles d’interprétation des lois par P.-A. Côté et le droit des personnes physiques par
E. Deleury et D. Goubau [9].

[34]        Le comité a révisé minutieusement la preuve présentée ainsi que les arguments des parties, sans négliger de prendre connaissance des notes et autorités qu’elles ont soumises. 

OBJECTION PRISE SOUS RÉSERVE

[35]       L’intimé s’est objecté au motif de non-pertinence à la production de la pièce P-12 qui fait état de la rémunération reçue par l’intimé pour sa fonction de liquidateur.

[36]       À l’instar de la procureure de la plaignante, le comité estime que cette preuve peut lui permettre d’avoir une vue d’ensemble du dossier. Il en déterminera la valeur probante qu’il doit lui accorder, le cas échéant.

[37]       Par conséquent, cette objection est rejetée.

 

ANALYSE

[38]        Rappelons que les deux chefs d’accusation portés contre l’intimé lui reprochent de s’être placé en situation de conflits d’intérêts et allèguent à leur soutien les mêmes dispositions soit les articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières et 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[39]        Comme signalé par la procureure de la plaignante, ces dispositions sont libellées en termes impératifs.

[40]        Avant de commencer l’analyse de chacun de ces chefs, mentionnons que la preuve n’a révélé aucune faute de l’intimé en l’espèce concernant les actes qu’il a posés dans les comptes de sa mère ou de ceux de la succession. 

Chef d’accusation no 1

[41]       Pour ce premier chef, l’intimé ayant admis avoir agi tant comme représentant en épargne collective pour T.T. que comme mandataire de celle-ci en vertu d’une procuration générale, le comité doit déterminer si, ce faisant, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts, entre les ou vers les 16 mars 2009 et 16 février 2013.

[42]       La Cour du Québec, notamment dans l’affaire Giroux, définit le conflit d’intérêts comme suit :

[42] Le “ conflit d’intérêts ” à savoir le conflit moral que la déontologie vise à réprimer est justement celui par lequel le professionnel est susceptible de voir son jugement affecté, dans ses conseils ou sa conduite en général des affaires confiées par son client, entre ses intérêts propres et ceux de son client.

[43] Le but de ces dispositions déontologiques, celui qui est toujours central en semblable matière, est la protection du public. Il est inévitable que le professionnel dont les intérêts personnels ne sont aucunement en jeu protégera plus ou mieux ou encore risque fortement de protéger plus ou mieux les intérêts du public et de ses clients que celui qui doit composer avec le choix constant entre le conseil favorable au client et celui favorable à ses propres intérêts.

[43]        Sur le profil d’investisseur de T.T., préparé le 10 janvier 2013, le même jour que l’ouverture du compte chez Mackenzie, l’intimé y a choisi un horizon de plus de quinze ans, alors que T.T. était déjà âgée de 83 ans. Un terme de cette durée permet une prise de risques accrue lors du choix des placements. D’ailleurs, la note inscrite par l’intimé voulant que ce portefeuille soit sujet à des variations va dans le même sens. En comparaison, tous les profils en 2009, 2011 et 2012 indiquent un horizon de placement de moins de cinq ans.

[44]        Le comité convient avec la partie plaignante qu’une situation de conflit d’intérêts risque de surgir ou surgit quand celui qui choisit les fonds est celui qui est rémunéré, le consommateur peut ainsi être privé de conseils objectifs et indépendants.

[45]        Pour les transactions révélées par l’enquête et antérieures à ce placement auprès de Mackenzie en janvier 2013, l’intimé a choisi des frais différés comme l’indique par exemple l’état de compte de 2009 pour AGF. Or, c’est le compte d’AGF qui a été transféré pour ce placement auprès de Mackenzie en janvier 2013, avec frais d’acquisition à 2 % partagée avec le cabinet Peak. Or, un investisseur ou un autre représentant aurait pu choisir une structure de frais lui paraissant plus avantageuse pour ce placement, considérant notamment l’âge de T.T.

[46]        Ceci est un exemple qui illustre le manque potentiel de distance que l’intimé avait concernant les intérêts de T.T. en tant que mandataire et les siens comme représentant. Rappelons que la preuve a démontré que ce placement avait engendré un profit lors du rachat au printemps 2013 après le décès de T.T. Toutefois, le conflit d’intérêts existe même en l’absence de préjudice.  

[47]        Ainsi, le comité est d’avis que les énoncés du comité dans l’affaire Suzanne Lavoie[10], citée par la plaignante, sont pertinents en l’espèce en ce que l’intimé « se devait de connaître les règles déontologiques encadrant sa profession et notamment son obligation d’éviter toute situation de conflit d’intérêts ou même d’apparence de conflits d’intérêts… ». Aussi, les règles de transparence demandaient que le dossier de celle-ci soit transféré et traité par un autre représentant à compter de sa nomination comme mandataire, le 16 mars 2009, avec pleine administration des biens de T.T., conformément à la procuration générale notariée qu’elle a signée.

[48]        Ainsi, afin d’éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts, aussitôt qu’il y a un risque et afin d’empêcher qu’il se matérialise, le représentant doit se retirer ne pouvant plus assurer la distance nécessaire pour continuer d’agir en toute indépendance. Il possède des connaissances que le consommateur n’a pas. Ce dernier fait appel au professionnel afin d’avoir un éclairage avisé et indépendant sur les placements. Or, en l’espèce, la procuration donnait à l’intimé la pleine administration des biens de T.T. alors qu’il lui faisait souscrire des fonds d’où la potentielle confusion entre son rôle de représentant et de mandataire.

[49]        Comme soutenu par la plaignante, l’écueil provient du fait que l’intimé n’avait pas toute la distance voulue pour agir dans ce cas. Une fois que la procuration dans le compte de la consommatrice lui est donnée, cela lui donnait en quelque sorte carte blanche comme représentant.

[50]        Il est indéniable qu’en l’espèce, l’intimé agissant pour T.T. en vertu de sa procuration générale devenait en quelque sorte « son propre client » tout en agissant en même temps comme le représentant en épargne collective. Ainsi, l’intimé a joué un double rôle en agissant comme mandataire de T.T. et comme son représentant en épargne collective, comme d’ailleurs l’intimé dans l’affaire Gauthier[11]. En portant ces deux chapeaux, il peut devenir difficile de distinguer entre ses intérêts et ceux de son client.

[51]        Le comité estime que l’article 18 du Code de déontologie de la CSF énonçant que le représentant doit en tout temps sauvegarder son indépendance et éviter toute situation de conflit d’intérêts constitue la disposition qui répond de façon plus précise aux gestes reprochés à l’intimé. 

[52]        Par conséquent, l’intimé sera déclaré coupable de s’être placé, au cours de la période alléguée à ce chef, en situation de conflit d’intérêts en agissant à la fois comme mandataire et représentant en épargne collective de T.T. contrevenant ainsi à cette disposition. 

[53]        Quant à l’article 19 du même Code, la preuve des faits en l’espèce ne permet pas de le retenir. Aussi, signalons que la capacité d’une personne se présume. Par conséquent, en l’absence de preuve à l’effet contraire ou de l’existence d’un régime de protection pour T.T. comme notamment mentionné au 3e alinéa de cet article, ce dernier ne trouve pas application en l’espèce. L’intimé en sera donc acquitté.  

[54]        Soulignons aussi qu’en l’absence de preuve mettant en cause l’honnêteté ou l’intégrité de l’intimé, la première partie de l’article 16 de la LDPSF ne peut non plus s’appliquer, par conséquent seul le deuxième alinéa relatif à la compétence et au professionnalisme dont le représentant doit faire preuve s'applique.

[55]        Enfin, étant donné la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures à l’égard du 2e alinéa de l’article 16 de la LDPSF, de l’article 20 du Code de déontologie de la CSF et des articles 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières.

Chef d’accusation no 2

[56]        Ce deuxième chef reproche à l’intimé de s’être placé, entre les ou vers les
16 février et 11 avril 2013, en situation de conflit d’intérêts en agissant à la fois comme représentant en épargne collective et comme liquidateur de la succession de T.T.

[57]        Il paraît opportun de préciser qu’à ce deuxième chef, il est reproché à l’intimé d’avoir agi comme représentant en épargne collective de la succession et non pas de T.T., comme la procureure de l’intimé a semblé l’interpréter au cours de son argumentation. Cette interprétation ressort également du libellé de ce chef qu’elle a fourni dans son cahier de notes et autorités.

[58]        La preuve repose sur le formulaire de commande de rachat du placement Mackenzie, au profit de la succession, signé par l’intimé le 8 mars 2013, à peine une vingtaine de jours après le décès de T.T. survenu le 16 février 2013. Or, sa signature y apparaît tant à titre de liquidateur de la succession de T.T. qu’à titre de représentant[12].  

[59]        Il y a absence de preuve d’ouverture de compte pour la succession chez Peak qui aurait démontré que l’intimé ait obtenu un mandat de la succession en tant que représentant en épargne collective. L’intimé n’a pas non plus témoigné pour apporter  un éclairage différent au sujet de sa signature en tant que représentant. 

[60]        Par ailleurs, l’intimé ne pouvait ignorer que dès le décès de T.T. son mandat de représentant en épargne collective pour celle-ci prenait fin. Aussi, en signant à titre de représentant sur ce formulaire mis à la disposition des représentants de Peak, il s’investissait de facto du rôle de représentant en épargne collective de la succession de T.T.

[61]        Au surplus, le relevé de Mackenzie au nom de la succession de T.T., pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, affiche le nom de l’intimé comme le représentant ou conseiller en placements[13].

[62]       Ce faisant, l’intimé a joué encore une fois deux rôles pour cette demande de rachat après le décès de T.T. Il a agi à la fois comme liquidateur de la succession de cette dernière et comme représentant en épargne collective pour cette même succession.

[63]       Force est de conclure que tant l'intimé que le cabinet Peak le considéraient comme le représentant en épargne collective de la succession.

[64]       Néanmoins, une lettre d’instructions, datée du 20 mars 2013, a été adressée à Mackenzie signée par l’intimé en tant que liquidateur, réclamant également le rachat du fonds Mackenzie à laquelle sont joints entre autres l’attestation de décès et le testament de T.T. [14].

[65]       Cette lettre porte une étampe de Mackenzie datée du 11 avril 2013 et l’institution a émis un chèque le 12 avril 2013 en conséquence du rachat du fonds[15].

[66]       Il est permis de présumer que le formulaire rempli le 8 mars 2013 n’est pas celui qui a fait agir Mackenzie, mais plutôt la lettre d’instructions envoyée par l’intimé le
20 mars 2013. Ceci est cohérent avec le fait que les compagnies de fonds ont l’obligation d’exécuter rapidement la transaction demandée.  

[67]       Cependant, peu importe l’acte qui a permis de procéder au rachat, il est indéniable que l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en agissant à la fois en tant que liquidateur de la succession et représentant en épargne collective de celle-ci.

[68]       Soulignons que l’intimé a, comme liquidateur, néanmoins agi avec célérité et dans l’intérêt de la succession. Quant à la rémunération reçue à ce titre, le comité estime qu’en l’espèce, elle ne constitue pas un élément à considérer pour décider du reproche fait à l’intimé par ce chef d’accusation, aucune preuve n’ayant démontré une réclamation de l’intimé non conforme à ce qui était prévu au testament pour assumer la responsabilité de liquidateur.

[69]       Pour tous ces motifs, le comité déclarera l’intimé également coupable sous le deuxième chef d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la CSF.

[70]       Pour les autres dispositions alléguées au soutien de ce chef, le comité réitère ce qu’il a indiqué à ce sujet sous le premier chef d’accusation.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre lui, pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ACQUITTE l’intimé à l’égard du premier alinéa de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi que sous l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière allégués au soutien de chacun des deux chefs d’accusation;

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions soulevées au soutien de chacun de ces deux chefs d’accusation;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Benoit Bergeron__________________

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Marc Binette  ____________________

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Nathalie Lavoie

BCF AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

Les 6 et 7 décembre 2016, ainsi que le 24 mai 2017.

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] I-R-1.

[2] P-1.

[3] P-5.

[4] P-6.

[5] P-7.

[6] P-3.

[7] P-11.

[8] CSF c. Gauthier, 2013 CanLII 43416, décision sur culpabilité du 4 juin 2013; CSF c. Lavoie,
CD00-0705, décision sur culpabilité du 25 mai 2009; CSF c. Béland, CD00-0953, décision sur culpabilité et sanction du 9 juillet 2013.

[9] Lévesque c. Giroux, 2011 QCCQ 11691; CSF c. Gilbert, 2013 CanLII 43415; CSF c. Gauthier,
2013 CanLII 43416; Laliberté c. Guinta, 2000 CanLII 19241 ainsi que des extraits des articles de doctrine cités au soutien de ses arguments.

[10] CSF c. Lavoie, CD00-0705, décision sur culpabilité du 25 mai 2009, par. 48 et 49.

[11] CSF c. Gauthier, CD00-0911, décision sur culpabilité du 4 juin 2013, par. 95.

[12] P-11, p. 000595. Sur ce formulaire, l’intimé y signe son nom sur la ligne réservée à la signature du client précisant qu’il le fait à titre de liquidateur ainsi que son nom seulement sur la ligne réservée à celle du représentant.

[13] P-11, p. 000599.

[14] P-11, p. 000596.

[15] P-11, p. 000602.

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