Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1019

 

DATE :

14 mai 2018

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Monique Puech

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CHRISTIAN TURCOTTE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 194980)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ RÉITÈRE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

 

  • Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des nom et prénom du consommateur, des pièces P-3 à P-10 et P-12 à P-20 inclusivement ainsi que des renseignements qu’ils contiennent.

 

[1]          Le 8 février 2018, le comité de discipline (comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition sur sanction, à la suite de sa décision sur culpabilité rendue le 11 mai 2016.

[2]           La plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal.

[3]           Quant à l’intimé, bien que dument convoqué le 21 novembre 2017 au moyen d’une publication dans le journal La Tribune, il était absent et non représenté.

[4]           Après une dizaine de minutes d’attente, le comité a permis à la plaignante de procéder ex parte.

[5]           Le 11 mai 2016, l’intimé a été reconnu coupable sous chacun des quatre premiers chefs d’accusation contenus à la plainte, le comité ayant donné suite à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité sous chacun d’eux. Quant aux deux derniers chefs d’accusation contenus dans la même plainte, ils ont été retirés, la plaignante alléguant ne pouvoir se décharger de son fardeau de preuve en raison du manque de collaboration de la consommatrice impliquée.

[6]           Or, le 6 juin 2016, l’intimé a déposé une demande en retrait de plaidoyer, alléguant essentiellement qu’il n’avait pas été fait librement et volontairement. Toutefois, à la date fixée pour procéder sur sa requête, l’intimé a fait défaut de se présenter. Sa demande a été rejetée par décision rendue le 6 septembre 2017.

PREUVE ET REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[7]          Le procureur de la plaignante a d’abord rappelé les infractions desquelles l’intimé a été déclaré coupable.

[8]          Le premier chef d’accusation reprochait à l’intimé de s’être placé en conflit d’intérêts en empruntant à son client A.L., le 27 mai 2013, une somme de 50 000 $. En contrepartie du prêt, l’intimé s’engageait à verser des intérêts mensuels de 500 $ avec remboursement du capital un an plus tard, au mois de mai 2014. L’intimé n’a pas respecté ce contrat, sauf pour quatre versements d’intérêts faits entre le 9 juillet et le 6 octobre 2013, totalisant 2 000 $.

[9]          Le deuxième chef d’accusation est intimement lié au premier en ce qu’il reprochait à l’intimé d’avoir, ce 27 mai 2013, fait de fausses représentations auprès d’A.L. afin d’obtenir le prêt de 50 000 $, prétextant acheter la clientèle d’un autre représentant en assurances. Or, cet argent a servi à ses fins personnelles.

[10]       Pour ce qui est du troisième chef d’accusation, il est reproché à l’intimé d’avoir, le 28 mai 2013, falsifié ou permis que soit falsifié un état de compte de placement d’un autre de ses clients. L’intimé a remis ce document falsifié à A.L., lui laissant croire que les actifs y apparaissant étaient les siens, et voulant le rassurer quant à sa solvabilité.

[11]       Enfin, le quatrième chef d’accusation reproche à l’intimé d’avoir complété et remis à A.L. un formulaire le désignant comme bénéficiaire d’une assurance vie, lui laissant faussement croire qu’en cas de décès, il serait ainsi remboursé du prêt de 50 000 $. Or, cette police désignait déjà son épouse comme bénéficiaire irrévocable.

[12]       Il a souligné la vulnérabilité d’A.L. qui était un homme âgé, déjà à sa retraite depuis près de huit ans au moment des évènements, qualifiant de cynique l’abus de confiance dont l’intimé a profité. A.L. voulait acheter une maison à sa fille souffrant d’une certaine maladie et mère de deux enfants. Pour ce faire, l’intimé a fait contracter à A.L. une marge de crédit qui a servi d’une part à la mise de fonds pour l’achat de la maison de sa fille et d’autre part, au prêt de 50 000 $ en faveur de l’intimé, prêt qui lui rapporterait 500 $ par mois d’intérêts pendant un an.

[13]       Ensuite, le procureur de la plaignante a produit en liasse des correspondances de l’intimé adressées tantôt à la présidente du comité de la CSF tantôt à la secrétaire adjointe du même comité, entre les 29 juin et 14 novembre 2016, se voulant des mises en demeure et des réclamations pécuniaires variant entre 100 000 $ et 1 000 000 $ (SP-1).

[14]       Il a également déposé une décision de la Cour du Québec en matière criminelle et pénale, rendue le 22 septembre 2016 contre l’intimé et une compagnie à numéro lui appartenant, qui a conclu à une peine de six mois de détention et au paiement d’amendes totalisant environ 163 000 $ (SP-2)[1]. Il a attiré notamment l’attention du comité sur le témoignage d’A.L., le consommateur impliqué dans la présente plainte, ainsi que sur certains passages de la décision qui permettent de constater que les 50 000 $ prêtés par A.L. à l’intimé ont servi à rembourser d’autres clients. Ce dernier déposait dans ses comptes personnels l’argent perçu de ses victimes et s’en servait à des fins domestiques ou « pour rembourser des épargnants plus insistants »[2]. Il en ressort également que l’enquête n’a révélé aucun achat de clientèle par l’intimé, alors qu’il s’agissait de l’investissement allégué par l’intimé à A.L.

[15]       Au titre des facteurs atténuants, il a expliqué n’en avoir relevé aucun, considérant que l’absence d’antécédent disciplinaire ne pouvait être prise en compte en l’espèce. En effet, ayant entrepris une deuxième carrière, l’intimé ne détenait un certificat en assurance de personnes que depuis le 23 juillet 2012, soit moins d’un an au moment des évènements en mai 2013.

[16]       Quant aux facteurs aggravants, il a signalé :

a)    L’abus de confiance;

b)    La malhonnêteté manifeste de l’intimé;

c)    La préméditation et le soin apporté par l’intimé pour rassurer A.L. quant à sa solvabilité;

d)    La vulnérabilité d’A.L., âgé d’environ 71 ans au moment des évènements, ayant peu de scolarité et de connaissances en placement;

e)    Le préjudice pécuniaire important subi par A.L.;

f)     Les tentatives de l’intimé pour faire avorter le processus disciplinaire adressant à la présidente ainsi qu’au secrétariat du comité de discipline de nombreuses correspondances menaçantes à la suite de la décision rendue sur culpabilité;

g)    L’absence totale de remords démontré par ce dernier comportement de l’intimé;

h)    Un risque élevé de récidive.

[17]        Le procureur de la plaignante a passé en revue les décisions[3] soumises au soutien de ses recommandations, soulignant les similitudes et les distinctions qui s’imposaient avec le cas en l’espèce. Il a recommandé, sous chacun des quatre chefs d’accusation, la radiation permanente de l’intimé, concluant que l’intimé devait être écarté de l’industrie.

[18]        En ce qui concerne la publication de l’avis de décision, il s’est dit d’avis que le Code des professions rendait celle-ci obligatoire pour la secrétaire du comité de la CSF, de sorte qu’il n’y avait pas lieu pour le comité de l’ordonner.

[19]       Subsidiairement, si le comité concluait plutôt à une ou des radiations temporaires, alors il demandait d’ordonner la publication de l’avis de la décision.

[20]       Il a également réclamé la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

ANALYSE ET MOTIFS

[21]       L’intimé détenait un certificat dans la discipline de l’assurance de personnes, seulement depuis le 23 juillet 2012.

[22]       Les quatre infractions dont l’intimé a été déclaré coupable ont été commises moins d’un an après avoir obtenu son droit de pratique.

[23]       Elles impliquent un seul consommateur et concernent un seul évènement.

[24]       Le consommateur A.L. était mécanicien, mais avait pris sa retraite quelques années auparavant. Il détenait peu de scolarité et peu de connaissances en placement, ce qui le rendait particulièrement vulnérable.

[25]        L’intimé a abusé de sa confiance et de sa naïveté, en faisant de fausses représentations afin de lui emprunter 50 000 $ qu’il n’a, par ailleurs, jamais remboursés.

[26]        Pour rassurer A.L., l’intimé a falsifié un relevé de placements appartenant à un autre client pour le convaincre de sa solvabilité. Il a de plus falsifié une déclaration de désignation de bénéficiaire de sa police d’assurance vie afin de faire croire à celui-ci qu’il l’avait désigné bénéficiaire, alors que son épouse était bénéficiaire irrévocable.

[27]        La gravité objective des infractions commises par l’intimé est indéniable. La commission de ces infractions par l’intimé démontre un manque flagrant de probité et d’honnêteté chez celui-ci. Leur préméditation ne fait non plus aucun doute.

[28]        Le comportement de l’intimé étant de nature à briser la relation de confiance, laquelle doit exister entre le public et les représentants, porte sans conteste une atteinte grave à la profession.

[29]       En mai 2016, l’intimé a été reconnu coupable d’infractions criminelles par la Cour du Québec et condamné à une période d’emprisonnement. L’extrait suivant de cette décision résume le comportement de l’intimé :

« Le défendeur s’est servi pendant plusieurs mois de son statut de détenteur d’un certificat lui permettant d’œuvrer en assurance de personnes […] pour s’approprier, sans droit et à plusieurs reprises, des sommes importantes qui lui avaient été confiées. »[4].

[30]       Il s’avère ainsi que l’intimé a adopté un comportement délinquant et agi en escroc. Dans les circonstances, le risque de récidive ne fait aucun doute.

[31]       À la lumière de l’ensemble des faits et des nombreux facteurs aggravants en l’espèce le comité ne peut que conclure que la seule sanction suffisamment dissuasive, exemplaire et qui assurera adéquatement la protection du public est la radiation permanente de l’intimé lequel s’est montré totalement indigne d’exercer cette profession

[32]       Par conséquent, le comité retiendra, sous chacun des chefs d’accusation 1 à 4, la recommandation de la plaignante et ordonnera la radiation permanente de l’intimé.

[33]       À l’instar de son procureur, le comité est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de l’avis de cette décision, celle-ci étant obligatoire pour la secrétaire du comité. 

[34]       L’intimé sera également condamné au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des nom et prénom du consommateur impliqué, des pièces P-3 à P-10 et P-12 à P-20 inclusivement ainsi que des renseignements qu’ils contiennent;

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé sous chacun des quatre chefs d’accusation contenus dans la plainte;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(S) Janine Kean

___________________________Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(S) Monique Puech

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Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Bruno Therrien

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M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

Me Mathieu Cardinal

CDNP AVOCATS

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé était absent et non représenté.

 

Date d’audience :

Le 8 février 2018

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] AMF c. Turcotte, 2016 QCCQ 9703.

[2] Ibid, paragraphe 96.

[3] Chef 1 : CSF c. Torabizadeh, 2010 CanLII 58 (QC CDCSF); CSF c. Marapin, 2014 CanLII 54812 (QC CDCSF); CSF c. Duchesne, 2016 QCCDCSF 39.

Chef 2 : CSF c. Messier, 2012 CanLII 97159 (QC CDCSF); CSF c. Trempe, 2010 CanLII 99863 (QC CDCSF); CSF c. Duchesne, 2016 QCCDCSF 39.

Chefs 3 et 4 : CSF c. Messier, 2012 CanLII 97159 (QC CDCSF); CSF c. Marois, 2009 CanLII 33064 (QC CDCSF).

[4] AMF c. Turcotte, 2016 QCCQ 9703, paragraphe 99.

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