Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1280

 

DATE :

26 mars 2018

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Claude Mageau

Président

M. Guy Julien, A.V.C.

Membre

M. Jasmin Lapointe

Membre

_____________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

 

RAFAEL LEFEBVRE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 207731)

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication du nom et prénom du consommateur concerné par le dossier, et de tout renseignement permettant de l’identifier.

[1]           Le 18 janvier 2018, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au bureau du Tribunal administratif du travail, sis au 900, boul. René-Lévesque Est, 5e étage, à Québec, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 3 octobre 2017 ainsi libellée :

LA PLAINTE

Dans la région de Québec, le ou vers le 10 avril 2015, l’intimé a signé, à titre de témoin, un formulaire de signatures afférent à la proposition de contrat individuel de rente à capital variable numéro 5140630 hors la présence de J.-M.B, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]           La plaignante était représentée par Me Jean-Philippe Lincourt et l’intimé se représentait seul.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]           En début d’audition, le comité fut informé par le procureur de la plaignante et par l’intimé de l’intention de ce dernier de plaider coupable à l’unique chef d’accusation de la plainte.

[4]           À cet effet, le plaidoyer de culpabilité signé par l’intimé et daté du 17 janvier 2018 fut produit de consentement comme pièce P-10.

[5]           Audit plaidoyer de culpabilité, l’intimé reconnaît avoir commis les faits reprochés à la plainte et que ceux-ci constituent une infraction déontologique.

[6]           Le comité s’est aussi assuré auprès de l’intimé qu’il comprenait bien les conséquences de son plaidoyer de culpabilité et, qu’en ce faisant, il reconnaissait qu’il avait commis une infraction déontologique.

 

LA PREUVE

[7]           Le procureur de la plaignante déposa avec le consentement de l’intimé une preuve documentaire (pièces P-1 à P-9) et il résuma brièvement les faits du présent dossier à partir desdits documents.

[8]           L’intimé, au moment de la commission de l’infraction reprochée, venait tout juste de terminer son stage à titre de conseiller en sécurité financière au bureau d’Industrielle Alliance, à Jonquière, où son père Martin Lefebvre avait été représentant jusqu’au 26 mars 2015.

[9]           Il avait été entendu entre l’intimé et son père que la clientèle de ce dernier détenue à Industrielle Alliance serait transférée au nom de l’intimé.

[10]        Le cabinet avait cependant insisté pour qu’un nouveau contrat soit signé pour les clients transférés, dont J.-M.B., lequel faisait partie de la clientèle du père de l’intimé depuis environ trois (3) ans.

[11]        Il est à noter que J.-M.B., qui est toujours un client de l’intimé, résidait à Québec.

[12]        J.-M.B. a signé à Québec la proposition pièce P-2, le 10 avril 2015 et a envoyé le document au bureau de l’intimé à Jonquière par courrier.

[13]        L’intimé a signé ladite proposition à titre de témoin à Jonquière hors la présence de J.-M.B.

[14]        À remarquer cependant que la directrice de l’intimé Christine Duval, qui l’avait supervisé pendant toute la durée de son stage, était présente au moment de la signature par l’intimé et a même contresigné cette signature, faite hors la présence de J.-M.B.

[15]        L’intimé a été interrogé par l’enquêteur de la plaignante le 21 mars 2017 et il a sans hésitation reconnu les faits reprochés.

[16]        Suite à cet exposé sommaire fait par le procureur de la plaignante et après avoir pris connaissance de la documentation P-1 à P-9, le comité trouva l’intimé coupable de l’unique chef d’infraction de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[17]        Le comité ordonna aussi l’arrêt conditionnel des procédures en ce qui concerne l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 11 et 34 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, lesquelles dispositions avaient aussi été alléguées audit chef d’infraction.

[18]        Le comité invita par la suite le procureur de la plaignante et l’intimé à lui faire immédiatement les représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[19]        Tout d’abord, le procureur de la plaignante fit des commentaires sur la nature de l’infraction reprochée à l’intimé et l’importance pour l’assureur du rôle d’un conseiller en sécurité financière lorsque celui-ci déclare avoir assisté à la signature du client sur une proposition.

[20]        Il mentionna que pour ce genre d’infraction, les sanctions habituellement rendues par le comité sont des amendes de l’ordre de 3 000 $ à 5 000 $.

[21]        Il déclara aussi que l’intimé allait réclamer du comité qu’une réprimande lui soit imposée et non pas qu’une amende lui soit ordonnée.

[22]        Le procureur de la plaignante expliqua que selon lui, en l’espèce, une amende était nécessaire comme sanction.

[23]        Il mentionna qu’une réprimande ne constituerait pas une sanction adéquate pour l’intimé compte tenu que l’infraction reprochée est au cœur même de l’exercice de la profession de conseiller en sécurité financière.

[24]        Le procureur de la plaignante expliqua qu’en plus de devoir agir dans les meilleurs intérêts de son client, le conseiller en sécurité financière agit aussi à titre de représentant de l’assureur.

[25]        À cet effet, la déclaration du conseiller en sécurité financière faite à l’assureur qu’il a bien assisté à la signature du client est très importante, car elle constitue pour l’assureur la confirmation que le client a bien signé le document.

[26]        Pour ce qui est des circonstances de l’infraction reprochée, le procureur de la plaignante référa le comité à la pièce P-9, qui est un courriel de l’intimé expliquant celles‑ci et envoyé au bureau du secrétariat le 16 octobre 2017.

[27]        Enfin, le procureur de la plaignante réclama du comité qu’une amende de 5 000 $ soit ordonnée à l’intimé de même que le paiement des déboursés.

[28]        Pour motiver une telle demande, il énuméra les facteurs aggravants suivants :

-                 La gravité objective de l’infraction reprochée;

-                 L’importance du rôle de l’intimé comme représentant de l’assureur;

-                 L’infraction reprochée étant au cœur de l’exercice de la profession;

-                 La négligence démontrée par l’intimé et non pas une simple erreur.

[29]        Par la suite, le procureur de la plaignante énuméra les facteurs atténuants suivants :

-                 Le plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé à la première occasion;

-                 La collaboration de l’intimé au processus disciplinaire;

-                 L’inexpérience de l’intimé qui venait tout juste de terminer son stage comme conseiller en sécurité financière.

TÉMOIGNAGE ET REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[30]        L’intimé est au début de la trentaine et est père de trois (3) jeunes enfants en bas âge.

[31]        L’intimé est ingénieur civil de formation et avant d’être conseiller en sécurité financière avait œuvré comme ingénieur pour un entrepreneur général pendant deux (2) ans.

[32]        L’intimé a quitté l’Industrielle Alliance en juin 2015 et agit depuis comme représentant autonome dans un cabinet de quatre (4) représentants, dont son père, qui avait lui aussi été représentant chez Industrielle Alliance.

[33]        L’intimé a mentionné à son témoignage que J.-M.B. est encore son client.

[34]        Il déclara regretter beaucoup le geste reproché et qu’il avait l’intention de continuer à agir comme conseiller en sécurité financière.

[35]        Enfin, compte tenu des circonstances en l’espèce qui sont décrites à son courriel, pièce P-9, l’intimé demanda au comité qu’il fasse montre de clémence à son égard en lui imposant une réprimande ou en le condamnant à l’amende minimale.

[36]        Aussi, advenant que le comité le condamne au paiement d’une amende, il réclama du comité qu’il lui soit accordé un délai d’un (1) an pour l’acquitter.

ANALYSE ET MOTIFS

[37]        Le comité est d’accord avec le procureur de la plaignante que l’infraction reprochée est au cœur de l’exercice de la profession de conseiller en sécurité financière et que cette pratique de déclarer faussement avoir assisté à la signature du client doit être sanctionnée.

[38]        Pour convaincre le comité de l’opportunité de condamner l’intimé au paiement d’une amende, le procureur de la plaignante déposa la décision du comité rendue dans l’affaire Goyette[1].

[39]        Dans cette affaire, le comité avait condamné l’intimé à payer une amende de 5 000 $ en ce qui concerne un chef d’accusation similaire à celui reproché à l’intimé en l’espèce.

[40]        L’intimé avait alors faussement déclaré avoir été témoin de la signature de son client pour sa contribution annuelle à un REÉR alors qu’il était confronté à de très courts délais pour finaliser la transaction.

[41]        Il est à noter que dans cette affaire, environ un (1) an avant la commission de l’infraction reprochée, l’intimé avait été informé par l’Autorité des marchés financiers de l’importance de témoigner de la signature d’un client en la présence de ce dernier et qu’il avait même signé un engagement de respecter cette obligation[2].

[42]        Le procureur de la plaignante référa aussi à la décision du comité rendue dans l’affaire Bodin[3], où pour ce même genre d’infraction, alors que l’intimé avait un antécédent disciplinaire, le comité accepta la recommandation de la plaignante et condamna l’intimé à une amende de 5 000 $.

[43]        Aussi, le procureur de la plaignante cita la décision du comité dans l’affaire Bellerose[4], où pour deux (2) chefs d’accusation similaires au présent cas, le comité avait ordonné le paiement d’une amende de 3 000 $ sur le premier chef et imposé une réprimande sur le second, alors que la plaignante avait demandé une amende de 5 000 $ pour chacun des chefs d’accusation.

[44]        Il est à remarquer que dans cette décision, le comité avait alors référé à la décision rendue dans l’affaire Abbey[5].

[45]        Enfin, le procureur de la plaignante a soumis la décision rendue dans l’affaire Baillargeon[6], où après une audition au mérite, l’intimé avait été trouvé coupable de trois (3) chefs d’accusation dont celui de ne pas avoir assisté à la signature du client.

[46]        L’intimé n’avait alors aucun antécédent disciplinaire et pour le chef d’accusation similaire à celui reproché à l’intimé en l’espèce, la plaignante avait suggéré qu’une amende de 4 000 $ lui soit ordonnée alors que celui-ci avait demandé au comité qu’une réprimande lui soit plutôt imposée.

[47]        Le comité avait alors ordonné à l’intimé dans cette affaire de Baillargeon[7] le paiement d’une amende de 3 000 $ pour chacun des trois (3) chefs d’accusation.

[48]        Dans l’affaire Abbey[8], l’intimé qui était alors âgé de 72 ans, avait été trouvé coupable de cinq (5) chefs d’accusation, dont un (1) d’avoir faussement témoigné de la signature de son client, un deuxième chef d’accusation d’avoir signé en blanc un formulaire de transaction pour une autre cliente et de trois (3) autres chefs d’accusation connexes.

[49]        Pour l’accusation d’avoir signé en blanc, l’intimé avait alors apposé sa signature sur le formulaire à la demande de son directeur et en ce qui concerne le chef d’accusation d’avoir faussement déclaré avoir assisté à la signature de sa cliente, l’intimé avait commis le geste reproché à la demande du liquidateur de la succession de son client en qui il avait pleinement confiance.

[50]        L’intimé Abbey avait au moment de la sanction trente-sept (37) ans d’expérience, n’avait tiré aucun avantage des manquements qui lui étaient reprochés et il s’était écoulé plus de dix (10) ans depuis la commission desdites infractions.

[51]        De plus, toujours dans cette affaire de Abbey[9], aucun préjudice n’avait été causé aux clients concernés et l’intimé n’était plus actif professionnellement, étant devenu invalide en plus d’être en instance de faillite.

 

[52]        La procureure de la plaignante avait alors suggéré comme sanction une radiation temporaire d’un (1) mois pour le chef d’accusation d’avoir signé en blanc le formulaire de transaction et des amendes de 3 000 $ pour chacun des quatre (4) autres chefs d’accusation, dont celui d’avoir faussement témoigné de la signature de son client.

[53]        Le comité a alors exceptionnellement imposé à l’intimé Abbey une réprimande sur chacun des chefs d’accusation.

[54]        Cette décision rendue dans l’affaire Abbey[10] est la seule répertoriée par le comité où une réprimande a été imposée pour l’infraction commise par l’intimé.

[55]        Comme on sait, la réprimande est la moins lourde des sanctions disciplinaires et elle peut être imposée lorsque l’infraction reprochée est un devoir envers la profession.

[56]        Il est utile de référer aux passages suivants de la décision rendue dans l’affaire Gaudet[11] par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) :

« [92]    Ce qui amène le Comité à se questionner sur la réprimande à titre de sanction appropriée. Bien entendu, cette question a déjà fait l’objet d’analyse. Ainsi, il est de jurisprudence constante que les comités de discipline considèrent la réprimande comme sanction appropriée lorsque les intimés, sans antécédent disciplinaire, reconnaissent leurs fautes, s’en excusent et expriment leur repentir;

[93]       Le Comité est d’avis qu’une réprimande constitue un blâme empreint d’une certaine sévérité que l’on adresse à un intimé afin que ce dernier se corrige. Il ne faut pas prendre cette dernière à la légère, car il demeure un constat d’inaptitude de la part de l’intimé. Le Comité doit considérer que pour en venir à la conclusion qu’une réprimande constitue la sanction appropriée, il doit être convaincu que non seulement cette dernière préserve la confiance du public à l’endroit de la profession et de l’OACIQ, mais ultimement assurera une meilleure conduite future de l’intimé;

 [94]      C’est pourquoi, le Comité ne peut passer outre la réceptivité de l’intimé qui se présente devant lui, qui constitue aux yeux de ce dernier un indice important de son état d’esprit afin de l’orienter sur la sanction à imposer pour l’écart de conduite de ce dernier. Or, de façon générale dans les circonstances du présent dossier, le Comité est convaincu qu’il ne s’agit pas de la part de l’intimé d’un refus de reconnaître son manquement, mais plutôt d’une incapacité d’en mesurer et d’en apprécier le sérieux ayant probablement comme source première une certaine ignorance ou méconnaissance de ses propres obligations déontologiques;

 [95]      À la lumière de la nombreuse jurisprudence émanant des divers comités de discipline au Québec, le Comité conçoit aisément que de recourir à la réprimande comme mesure disciplinaire appropriée n’aura de sens et ne sera crédible aux yeux du public que dans la mesure où l’intimé lui-même n’en viennent à l’accepter avec dignité, tout en reconnaissant ses manquements et en faisant preuve d’un désir sincère de s’amender. À défaut de tels sentiments, le recours à la réprimande devient absolument inutile, voire même dérisoire. En effet, la réprimande n’est pas une sanction automatique dans un contexte de gradation de sanction basée sur la première infraction; »

[57]        Aussi, il est pertinent de référer au passage suivant de la décision rendue par le Tribunal des professions dans l’affaire Cloutier[12]:

« [47]    De l'avis du Tribunal, dans le cas d'un premier délinquant trouvé coupable d'un manquement déontologique ne mettant pas directement en péril la protection du public, le Comité de discipline devrait expliquer, avant d'imposer toute autre forme de sanction, en quoi la réprimande n'est pas appropriée, à l'exception évidemment des cas où la sanction est mandatoire. » (nos soulignés)

[58]        De plus, le Tribunal des professions a rappelé dans l’affaire Picard[13] « qu’une réprimande peut parfois constituer la sanction appropriée, particulièrement dans le cas d’un délinquant primaire ».

[59]        En l’espèce, le comité est d’opinion qu’une réprimande devrait être imposée à l’intimé plutôt qu’une amende telle que proposée par le procureur de la plaignante.

[60]        L’intimé est un jeune représentant dynamique qui a admis sans hésitation sa faute à l’enquêteur de la plaignante.

[61]        Il a plaidé coupable à l’infraction reprochée à la première occasion et il a témoigné de façon crédible devant le comité relativement aux circonstances de l’infraction reprochée et aussi quant à sa situation personnelle.

[62]        Il a déclaré regretter amèrement son geste.

[63]        Il a expliqué avec honnêteté les circonstances particulières dans lesquelles l’infraction a été commise, alors qu’il débutait sa carrière de conseiller en sécurité financière et que son père, qui l’avait été aussi à la même institution, désirait lui transférer des clients, dont J.‑M.B.

[64]        Cependant, Industrielle Alliance, l’employeur de l’intimé, avait insisté pour qu’un nouveau contrat soit signé par J.-M.B. avec l’intimé y apparaissant comme représentant  plutôt que de tout simplement transférer le compte de J.-M.B. au nom de l’intimé.

[65]        De plus, de façon assez étonnante, la directrice de l’intimé a contresigné la signature de l’intimé au moment même où il signait et déclarait faussement qu’il avait été témoin de la signature du client.

[66]        À cet effet, le comité réfère à la pièce P-9 produite par la plaignante qui est un courriel d’explication transmis par l’intimé au greffe ou au secrétariat et qui se lit comme suit :

« Bonjour

Pour le dossier CD00-1280 en pièce jointe, vous pourrez constater que j’ai bien signé le document.  J’aimerais porter à votre attention les faits de ce dossier :

                Ma directrice d’équipe a contre-signé (sic) le document au même moment que moi

                Malgré que le client avait déjà un compte ouvert dans la clientèle de Martin Lefebvre, la compagnie a insistée (sic) pour l’ouverture d’un nouveau contrat plutôt que du transfert des comptes du client à mon nom

 

                L’ensemble de mes transactions étaient contresignées par l’un ou l’autre de ma directrice (Christine Duval) ou de mon directeur d’agence (Laurier Gagnon) à partir du 26 mars 2015

                Des discussions téléphoniques avec le client avant l’envoi et lors de la réception du document ont eu lieu pour en faire l’explication et indiquer les endroits à signer

                La gestion documentaire a été faite selon les directives de ma directrice.

Premièrement, le client avait déjà un compte ouvert dans la clientèle de Martin Lefebvre.  La direction de l’agence insistait pour l’ouverture d’un nouveau contrat plutôt que de me transférer le client.  Vous constaterez que je n’ai pas complété les informations nominatives malgré mon questionnement et mon premier refus.  Christine Duval m’a expliqué qu’elle voulait un nouveau contrat et que la preuve de transport était suffisante pour la conformité de la signature.  Ma période de stage s’est terminée en février 2015 ainsi chacune de mes transactions devaient être contre signée (sic) par la directrice d’équipe.

Suite au départ de Martin Lefebvre, à partir du 26 mars 2015, toutes les transactions étaient toujours contresignées par Christine Duval, signature que vous retrouvez sur le document.  Vous comprendrez que le lien de confiance que j’avais avec la compagnie et la signature de ma directrice sur le document ont malheureusement mis fin à mon questionnement.

Avec du recul et les formations appropriées tel (sic) qu’unité 10 en conformité, je comprends maintenant que la procédure pour cette signature aurait dû être effectuée autrement.

Bonne journée » (nos soulignés)

[67]        Même si l’infraction commise par l’intimé est d’une gravité objective certaine, il n’en demeure pas moins que pour le comité, les circonstances en l’espèce lui apparaissent exceptionnelles.

[68]         En effet, le manquement déontologique a été commis par un jeune représentant sans expérience venant tout juste de terminer son stage et suite aux directives de sa directrice qui a même signé le document en même temps que l’intimé déclarait faussement avoir assisté à la signature du document.

[69]        Le comité n’a pas été informé par le procureur de la plaignante si la directrice avait aussi fait l’objet d’une plainte similaire à la présente pour avoir été à l’origine du manquement commis par l’intimé.

[70]        D’ailleurs, si on réfère à la pièce P-8, c’est-à-dire l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’intimé et l’enquêteur de la plaignante, l’intimé a indiqué à celui-ci que sa directrice avait bien contresigné sa signature faite hors la présence du client.

[71]        Il est vrai que l’infraction reprochée est objectivement sérieuse, et que le comité se doit de dénoncer cette pratique pouvant exister dans l’industrie.

[72]        Cependant, le comité est d’opinion que dans les circonstances, ne pas imposer une réprimande à l’intimé alors que l’infraction commise a été faite suite aux directives et avec l’assentiment de sa directrice qui a assisté au geste reproché et qui l’a approuvé en contresignant la signature de l’intimé, lui apparaîtrait inapproprié et inéquitable.

[73]        Le comité a effectivement comme mission de protéger le public.

[74]        Cependant, le comité déplore qu’en l’espèce, il semble que seulement l’intimé ait fait l’objet d’une plainte disciplinaire.

[75]        Le comité est convaincu à la lumière du témoignage clair et sincère de l’intimé qu’il regrette amèrement son geste et que le risque de récidive chez lui est très faible sinon inexistant.

[76]        Le processus disciplinaire, selon le comité, constitue pour l’intimé un effet dissuasif suffisant pour le convaincre de ne pas récidiver.

[77]        De plus, le comité ne croit pas à la nécessité d’ordonner à l’intimé de payer une amende pour satisfaire le critère d’exemplarité.

[78]        Le comité doit se rappeler, tel que mentionné à l’arrêt de la Cour d’appel dans Pigeon[14], qu’en matière de détermination des sanctions en droit disciplinaire, chaque cas est somme toute un cas d’espèce :

« [37]    La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier.   Chaque cas est un cas d'espèce.

[38]       La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants:  au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), 1998 QCTP 1687 (CanLII), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

[39]       Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, …   Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement.   La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

[40]       Ces principes étant posés tant au niveau du pouvoir d'intervention de la Cour du Québec qu'au niveau de l'imposition des sanctions disciplinaires, il s'agit d'en faire l'application aux faits de l'espèce. »

[79]        Le comité réfère aussi à l’arrêt de la Cour d’appel du Québec rendue dans l’affaire Castiglia[15], laquelle s’exprimait ainsi sur le rôle du décideur dans l’analyse des précédents qui lui sont soumis :

« [83]    L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait une analyse erronée des précédents en matière de sanction.   Le reproche est mal fondé.   La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant[8].   L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[9].   Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre.   En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement. » (nos soulignés et références omises)

[80]        Ainsi, comme c’était le cas dans la décision Abbey[16], il arrive que les circonstances de l’espèce fassent en sorte qu’une réprimande soit la sanction appropriée :

« [59]    En somme, les facteurs atténuants en l’espèce sont non seulement nombreux, mais les circonstances font en sorte qu’il paraît injuste au comité d’imposer à l’intimé une sanction de radiation et des amendes pour le dissuader, pas plus qu’elles ne lui paraissent nécessaires pour servir d’exemple aux autres membres de la profession, la présente affaire étant unique en son genre. 

[60]      Compte tenu de ce qui précède, le comité imposera une réprimande pour chacun des cinq chefs d’infraction étant d’avis qu’elle constitue dans les circonstances une sanction juste et raisonnable sous chacun de ceux-ci. »

[81]        Il en fut de même dans la décision rendue par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec dans l’affaire Garber[17], où celui-ci a imposé une réprimande à une professionnelle en raison des circonstances de l’espèce, et ce, même si les infractions dont elle avait été déclarée coupable était « au cœur même de la pratique médicale et que, par voie de conséquence, elles menaçaient directement la protection du public ».

[82]        Par conséquent, vu le contexte exceptionnel dans lequel l’infraction reprochée à l’intimé a été commise et les facteurs subjectifs extrêmement favorables à ce dernier, le comité lui imposera une réprimande.

[83]        En plus, il sera condamné aux dépens conformément à l’article 151 du Code des professions.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé pour l’unique chef d’accusation contenu à la plainte disciplinaire en vertu de l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions légales mentionnées audit chef unique d’accusation;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

IMPOSE à l’intimé une réprimande sous l’unique chef d’accusation de la plainte disciplinaire;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

 

(S) Claude Mageau

_______________________________

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

(S) Guy Julien

_______________________________

M. GUY JULIEN, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Jasmin Lapointe

_______________________________

M. JASMIN LAPOINTE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-Philippe Lincourt

BÉLANGER LONGTIN, S.E.N.C.R.L.

Avocats de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

 

Date d’audience :

18 janvier 2018

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Chambre de la sécurité financière c. Goyette, 2017 QCCDCSF 11 (CanLII).

[2] Préc., note 1, par 44.

[3] Chambre de la sécurité financière c. Bodin, 2017 CanLII 30078 (QC CDCSF).

[4] Chambre de la sécurité financière c. Bellerose, 2012 CanLII 97156 (QC CDCSF).

[5] Chambre de la sécurité financière c. Abbey, 2010 CanLII 99868 (QC CDCSF).

[6] Chambre de la sécurité financière c. Baillargeon, 2010 CanLII 99871 (QC CDCSF).

[7] Préc., note 6.

[8] Préc., note 5.

[9] Préc., note 5.

[10] Préc., note 5.

[11] Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Gaudet, 2015 CanLII 32937 (QC OACIQ)

[12] Cloutier c. Ingénieurs forestiers, 2004 QCTP 36 (CanLII).

[13] Denturologistes (Ordre professionnel des) c. Picard, 2008 QCTP 149 (CanLII), par. 46.

[14] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[15] Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303 (CanLII).

[16] Préc., note 5.

[17] Médecins (Ordre professionnel des) c. Garber, 2015 CanLII 3818 (QC CDCM), par. 45.

 

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