Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1218

 

DATE :

6 mars 2018

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Marc Gagnon, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

M. Richard Charette

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

LUC COUTURE, conseiller en sécurité financière (certificat no 108371 / BDNI 1514881);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs mentionnés à la plainte ainsi que de tout document ou renseignement permettant de les identifier.

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni le 13 décembre 2017, au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, en la ville de Montréal, province de Québec, H3A 3H3 et a procédé à l’audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[2]           D’entrée de jeu, tant la plaignante que l’intimé déclarèrent n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir.

[3]           Ils soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[4]           La plaignante, par l’entremise de sa procureure, débuta en soulignant la nature des infractions pour lesquelles l’intimé avait été reconnu coupable, soit deux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir fait signer ou permis que soient signées partiellement en blanc des propositions d’assurance et deux chefs lui reprochant le défaut de procéder avant la signature desdites propositions à une analyse complète et conforme des besoins financiers (ABF) des clients.

[5]           Puis, après avoir rappelé certains paragraphes de la décision sur culpabilité, notamment les paragraphes 35 à 37 inclusivement, 53 et 54 ainsi que 86 à 88 inclusivement, elle indiqua proposer au comité l’imposition des sanctions suivantes :

Sous chacun des chefs d’accusation 1 et 2 :

        La condamnation de l’intimé à une radiation temporaire d’un (1) mois à être purgée de façon concurrente;

Sous le chef d’accusation 3 :

        La condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de cinq mille dollars (5 000 $);


 

Sous le chef d’accusation 4 :

        L’imposition d’une réprimande.

[6]           Elle ajouta réclamer de plus la publication d’un avis de la décision ainsi que la condamnation de l’intimé au paiement de la moitié des déboursés, compte tenu que son dossier a fait l’objet d’une audition conjointe avec celui de M. Gilbert Presseau (M. Presseau).

[7]           Elle souligna ensuite que dans l’élaboration de ses recommandations, elle avait notamment pris en considération les facteurs, à son opinion, aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants :

        La gravité objective des infractions reprochées;

        Une conduite dans l’ensemble clairement prohibée dans la profession;

        Une situation où, lors des événements, l’intimé agissait à titre de superviseur de M. Presseau, qui était alors en voie d’obtenir une certification dans le domaine de l’assurance de personnes;

        Deux consommateurs d’impliqués et l’obtention de la signature de ces derniers sur des propositions d’assurance dans le but, si l’on se fie au témoignage de l’intimé, de leur démontrer « qu’il y avait eu un certain travail de fait », attestant alors d’un « manque de sérieux » dans la démarche professionnelle;

        Des fautes de nature à discréditer l’image de la profession;

        La longue expérience de l’intimé (depuis 1982) qui aurait dû le mettre à l’abri de commettre le type d’infractions reprochées.


 

Facteurs atténuants :

        L’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé;

        La bonne collaboration de ce dernier à l’enquête de la syndique;

        L’absence de préjudice causé aux consommateurs en cause;

        Un seul événement impliquant un seul couple de consommateurs;

        L’absence d’avantage tiré par l’intimé de ses actions, ce dernier n’ayant notamment touché aucune commission ou rémunération pour son travail;

        Une situation où l’intimé, présentement à la retraite, ne détient plus aucune certification depuis environ le mois de février 2017;

        Compte tenu de ce qui précède et des circonstances, un risque de récidive, à son avis, nul ou peu élevé.

[8]           Elle termina en déposant au soutien de ses recommandations un cahier d’autorités contenant neuf décisions antérieures du comité qu’elle commenta[1].

[9]           Elle souligna notamment que dans les décisions Chaunt, Tremblay, Nemeth, Belle et Côté, pour des infractions semblables à celles mentionnées aux chefs 1 et 2, les représentants fautifs avaient été condamnés à des radiations temporaires d’un (1) mois ou de trente (30) jours et que, par ailleurs, dans les décisions Masse, Nemeth, Rozenek, Taillon et Tousignant, pour des infractions de nature semblable à celles mentionnées aux chefs 3 et 4, les représentants fautifs avaient été condamnés à des amendes variant entre quatre mille (4 000 $) et six mille (6 000 $) dollars.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[10]        L’intimé qui se représentait lui-même, débuta en discutant d’abord des infractions relatives au défaut de procéder à l’ABF des consommateurs en cause.

[11]        Il rappela alors les faits, indiquant que dès le début de la rencontre avec ces derniers il s’était rapidement rendu compte que ni l’un ni l’autre des conjoints ne semblait assurable.

[12]        Après avoir ensuite déclaré qu’il convenait de l’importance dans le cas de souscription de police d’assurance-vie, qu’il soit procédé à une ABF, il affirma qu’il y aurait procédé si ses démarches postérieures auprès des assureurs lui avaient indiqué la possibilité d’obtenir de l’assurance-vie pour l’un ou l’autre des membres du couple concerné.

[13]        Il mentionna qu’il aurait alors « rappelé » ces derniers et aurait procédé avec eux à une ABF.

[14]        Insistant donc que dans une telle situation il aurait procédé à une ABF, il affirma ne pas vouloir être injustement comparé à quelqu’un qui « ne fait généralement pas d’ABF » avec ses clients.

[15]        Et parce qu’il doutait de l’assurabilité des consommateurs en cause, il indiqua « s’être dit » qu’avant de procéder à une ABF, il « devait attendre » que celle-ci ne lui soit confirmée.

[16]        Il déclara en effet alors « à quoi bon conclure à un besoin d’assurance-vie de deux cent mille dollars (200 000 $) quand tu ne peux pas offrir à ton client une police de cinquante mille dollars (50 000 $) parce qu’il n’est pas assurable ».

[17]        Relativement aux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir fait signer à ses clients (ou permis que ceux-ci signent) des propositions d’assurance partiellement en blanc, il répéta ce qu’il avait déclaré lors de l’audition sur culpabilité, à savoir que s’il avait connu l’existence d’un quelconque formulaire permettant aux clients de consigner par écrit leurs problèmes de santé, il n’aurait pas utilisé pour ce faire lesdites propositions.

[18]        Il ajouta qu’après que ces derniers eurent indiqué aux propositions leurs problèmes de santé, s’il leur avait fait signer celles-ci c’est qu’il se méfiait d’eux.

[19]        Il rappela enfin que, selon l’entente qu’il avait avec M. Presseau, s’il y avait eu souscription d’une police d’assurance-vie il n’aurait touché que 30 % de la commission. Il indiqua « travailler » de cette façon avec ce dernier depuis déjà environ deux ans et demi, et ce, dans le but de l’aider.

[20]        Puis, après avoir souligné qu’il était maintenant âgé de 70 ans, il termina ses représentations en demandant au comité d’être indulgent à son endroit et de tenir compte que tandis qu’il exerçait la profession depuis 1982, aucun reproche, tant par l’ensemble des autorités que par le bureau du syndic, ne lui avait été adressé.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE 

[21]        La plaignante, par l’entremise de sa procureure, répliqua brièvement aux propos de l’intimé en soulignant, parmi les responsabilités du représentant l’importance de l’ABF, insistant alors que l’exercice devait s’effectuer avant la signature de toute proposition d’assurance-vie.

[22]        Elle affirma qu’une ABF en bonne et due forme devait toujours précéder la signature par le client d’une proposition d’assurance-vie.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[23]        L’intimé exerce dans le domaine de la distribution de produits et services financiers ou d’assurance depuis 1982.

[24]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[25]        Il a entièrement collaboré à l’enquête de la syndique.

[26]        Suivant ses affirmations, il est maintenant âgé de 70 ans et est présentement à la retraite.

[27]        Il a abandonné l’exercice de la profession au printemps dernier et ne possède plus, depuis lors, aucune certification.

[28]        Dans une telle perspective, tel que reconnu par la plaignante, les risques de récidive de sa part sont en toute vraisemblance inexistants ou, à tout le moins, fort peu élevés.

[29]        Par ailleurs, même s’il a fait l’objet de quatre (4) chefs d’accusation, ils sont tous reliés à un seul et même événement : la rencontre qu’il a eue, accompagné de M. Presseau, avec F.M. et C.T., un couple qui avait manifesté un intérêt pour une couverture en assurance-invalidité et/ou en assurance-vie.

[30]        Enfin, il faut aussi mentionner qu’il n’a retiré aucun avantage pécuniaire de ladite rencontre, celle-ci n’ayant mené à aucune rémunération ou commission.

[31]        Néanmoins, la gravité objective des infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable est indiscutable.

[32]        Elles vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à ternir l’image de celle-ci.

[33]        Faire signer ou permettre que soit signée partiellement en blanc par des clients une proposition d’assurance-vie est une faute sérieuse, une pratique reprochable que le comité a condamnée à plusieurs reprises.

[34]        Les représentants ne sont, en effet, pas en droit d’obtenir des consommateurs qu’ils signent à l’avance des documents où seront par la suite consignées des informations dont ils pourraient ne jamais devoir prendre connaissance.

[35]        Le degré de faute peut différer d’un cas à l’autre, mais en agissant de la sorte, le représentant fait défaut d’agir avec compétence et professionnalisme.

[36]        Aussi, compte tenu de ce qui précède, après considération des éléments tant objectifs que subjectifs, aggravants qu’atténuants qui lui ont été présentés, la condamnation de l’intimé, de l’avis du comité, sous les chefs 1 et 2 à une radiation temporaire d’un (1) mois à être purgée concurremment, tel que recommandé par la plaignante, serait en l’espèce des sanctions justes, appropriées, adaptées aux infractions ainsi que respectueuses des principes de dissuasion et d’exemplarité dont il ne peut faire abstraction.

[37]        D’autre part, relativement aux chefs 3 et 4 reprochant à l’intimé le défaut de procéder à une ABF avant que soient remplies et signées par les clients les propositions d’assurance-vie en cause, il s’agit d’infractions en clair contradiction de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[38]        Ledit article se lit, en effet, comme suit :

« Le représentant en assurance de personnes doit, avant[2] de faire remplir une proposition d’assurance ou d’offrir un produit d’assurance de personnes comportant un volet d’investissement, dont un contrat individuel à capital variable, analyser avec le preneur ses besoins ou ceux de l’assuré.

Ainsi, selon le produit offert, le représentant en assurance de personnes doit analyser avec le preneur, notamment, ses polices ou contrats en vigueur ou ceux de l’assuré, selon le cas, leurs caractéristiques et le nom des assureurs qui les ont émis, ses objectifs de placement, sa tolérance aux risques, le niveau de ses connaissances financières et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à sa charge et ses obligations personnelles et familiales.

Le représentant en assurance de personnes doit consigner les renseignements recueillis pour cette analyse dans un document daté. Une copie de ce document doit être remise au preneur au plus tard au moment de la livraison de la police. »

[39]        Elles comportent toutefois un lien de connexité indiscutable avec les infractions mentionnées aux chefs 1 et 2.

[40]        La faute commise en l’espèce par l’intimé consiste essentiellement à avoir fait signer des propositions en blanc par ses clients. Les reproches qui lui sont adressés relativement au défaut de procéder à une ABF procèdent de cette même faute.

[41]        Aussi, compte tenu des éléments tant objectifs que subjectifs, aggravants qu’atténuants qui lui ont été soumis, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire d’un (1) mois sous chacun des chefs 3 et 4, à être purgée de façon concurrente avec les sanctions de radiation temporaire imposées à l’égard des chefs 1 et 2, seraient, en l’occurrence, des sanctions justes, appropriées, adaptées aux infractions ainsi que respectueuses des principes de dissuasion et d’exemplarité dont il ne peut faire abstraction.

[42]        Par ailleurs, relativement à la demande de la plaignante pour la publication, aux frais de l’intimé, d’un avis de la décision, puisqu’aucune « raison exceptionnelle » qui le justifierait de s’écarter de la règle habituelle[3] ne lui a été présentée, le comité fera droit à celle-ci.

[43]        Enfin, pour les motifs plus amplement invoqués lors de l’audition par la plaignante, le comité condamnera l’intimé au paiement de 50 % des déboursés.

[44]        Toutefois , compte tenu de la condition de retraité de l’intimé, le comité accordera à ce dernier un délai de 18 mois de la date des présentes pour l’acquittement de ceux-ci.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous chacun des chefs d’accusation 1 et 2 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un (1) mois, lesdites sanctions de radiation devant être purgées de façon concurrente entre elles et avec toute autre sanction de radiation imposée à l’intimé en vertu de la présente décision;

Sous chacun des chefs d’accusation 3 et 4 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un (1) mois, lesdites sanctions de radiation devant être purgées de façon concurrente entre elles et avec toute autre sanction de radiation imposée à l’intimé en vertu de la présente décision;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156 (5) du Code des professions RLRQ, c. C‑26

CONDAMNE l’intimé au paiement de 50 % des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément à l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

ACCORDE à l’intimé un délai de 18 mois pour l’acquittement de sa part desdits déboursés.

 

 

 

 

 

(S) François Folot

__________________________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(S) Marc Gagnon

__________________________________

M. MARC GAGNON, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Richard Charette

__________________________________

M. RICHARD CHARETTE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Caroline Isabelle

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé Luc Couture se représente lui-même.

 

Date d’audience :

13 décembre 2017

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Chambre de la sécurité financière c. Chaunt, CD00-1097, 7 juillet 2016;

      Chambre de la sécurité financière c. Tremblay, CD00-1074, 7 mai 2015;

      Chambre de la sécurité financière c. Nemeth, CD00-1035, 4 juin 2015 et 15 juin 2016;

      Chambre de la sécurité financière c. Belle, CD00-1039, 17 mars 2014;

      Chambre de la sécurité financière c. Côté, CD00-0841, 7 avril 2011;

      Chambre de la sécurité financière c. Masse, CD00-1095, 16 juin 2016;

      Chambre de la sécurité financière c. Taillon, CD00-1114, 20 mai 2016;

      Chambre de la sécurité financière c. Rozenek, CD00-1031, 16 décembre 2014; et

      Chambre de la sécurité financière c. Tousignant, CD00-0994, 12 juin 2014.

[2]     Notre souligné.

[3]     Voir à cet effet Wells c. Notaires (Corporation professionnelle des), [1993] D.D.C.P. 240 (TP).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.