Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1213

 

DATE :

6 mars 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

 

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MICHEL BERNARD (numéro de certificat 102705)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 30 novembre 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition sur sanction, suite à sa décision sur culpabilité rendue le 30 août 2017.

[2]          Par cette dernière décision, le comité déclarait l’intimé coupable sous chacun des deux premiers chefs d’accusation pour avoir soumis des propositions d’assurance fictives auprès de deux compagnies d’assurance, ce qui lui a permis de percevoir sans droit des commissions substantielles. Quant au troisième chef d’accusation, il a été déclaré coupable d’entrave au travail de la syndique.

[3]          La plaignante était représentée par Me Sylvie Poirier.

[4]          Quant à l’intimé, quoique dument convoqué par avis signifié en mains propres, il était absent et non représenté.

[5]           Dans les circonstances, le comité a accueilli la demande de la plaignante de procéder en son absence.

[6]           En fin d’audience, la procureure de la plaignante a offert de faire parvenir au comité un résumé de son argumentation et des principaux éléments relevés dans les décisions fournies à l’appui de ses recommandations. Par conséquent, le comité a commencé son délibéré le 1er décembre 2017.  

 

LA PREUVE

[7]           Après avoir rappelé les faits ayant mené à la culpabilité de l’intimé, la procureure de la plaignante a déposé trois décisions rendues contre celui-ci par le comité au cours des dix dernières années, lesquelles constituent des antécédents disciplinaires.

[8]           Elle a aussi mentionné l’existence d’une autre plainte portée contre l’intimé dans le dossier CD00-1165, mais dont l’instruction n’a pas encore eu lieu.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[9]           La procureure de la plaignante a soumis les recommandations suivantes :

a)        Sous chacun des chefs d’accusation 1 et 2 (propositions d’assurance pour créances fictives) :

             La radiation permanente de l’intimé;

b)        Sous le chef d’accusation 3 (entrave) :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période de douze mois.

[10]       De plus, elle a recommandé la publication d’un avis de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[11]       N’ayant pu identifier aucun facteur atténuant, elle a invoqué les facteurs aggravants suivants :  

a)        La gravité objective indéniable des infractions commises;

b)        Ces infractions portent une atteinte grave à l’image de la profession;

c)         Il s’agit d’une conduite manifestement prohibée;

d)        L’intimé a agi seul et porte l’entière responsabilité des actes commis;

e)        Le niveau élevé de préméditation découlant du stratagème élaboré et orchestré par l’intimé;

f)          La répétition des infractions, sur une période de deux ans, à au moins 233 reprises, puisque 233 propositions d’assurance fictives ont été soumises;

g)        Le manque flagrant de probité et d’honnêteté de l’intimé;

h)         L’intimé a démontré par ses gestes être animé d’une intention malhonnête et frauduleuse;

i)          L’avantage tiré par l’intimé des infractions commises totalisant plus de
15,5 millions $; en commissions et bonis;

j)          Le préjudice pécuniaire subi par les assureurs pour un montant équivalent aux commissions ainsi obtenues frauduleusement;

k)         L’expérience de plus de 25 ans acquise par l’intimé dans la profession;

l)          L’absence totale de collaboration de l’intimé à l’enquête du bureau de la syndique, comme en témoigne la preuve au soutien du chef d’entrave;

m)       Un risque de récidive très élevé, la protection du public risquant d’être mise en péril si l’intimé était autorisé à exercer de nouveau la profession;

n)         L’existence des trois antécédents disciplinaires suivants :  

  Dans le premier dossier CD00-0090[1], la plainte comportait 27 chefs. d’accusation dont le 17e a été retiré. L’intimé a été déclaré coupable sous chacun des 26 chefs restants en 1998 et sanctionné en 1999.

Sous le premier chef d’accusation, l’intimé avait contrefait la signature de son client, son beau-frère et mari de sa sœur, après le décès de ce dernier, sur un formulaire de changement de bénéficiaire. Le défunt détenait une police d’assurance vie de deux-millions $ dont le bénéficiaire était sa succession. La succession s’annonçait insolvable. L’intimé a ainsi changé le bénéficiaire pour y désigner sa sœur, la conjointe du défunt.

Tous les autres chefs d’accusation concernaient de fausses représentations faites par l’intimé à plusieurs de ses clients. Il leur laissait croire qu’ils pouvaient augmenter la protection d’assurance des polices qu’ils détenaient, moyennant une prime unique minime. Il acheminait ensuite à l’assureur des demandes d’emprunt ou de retrait de dividendes sur les polices de ceux-ci, à leur insu et sans leur autorisation, afin de payer les primes.

L’intimé, jeune représentant à l’époque, a bénéficié de la clémence du comité qui lui a accordé une seconde chance afin d’éviter de compromettre sa carrière, croyant que celui-ci avait pris les démarches nécessaires pour régler ses problèmes personnels. Il a ordonné la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois sous le premier chef d’accusation et le paiement d’une amende de 4 000 $ sous chacun des chefs 3 et 4, ainsi qu’une réprimande sur tous les autres chefs d’accusation. Il a également recommandé une formation.

  Dans le deuxième dossier CD00-0923[2], la plainte comportait un seul chef d’accusation portant sur le défaut de s’acquitter du mandat d’une cliente, l’intimé ne s’étant pas assuré que la demande de souscription pour un contrat d’assurance vie et invalidité soit complétée et transmise à l’assureur. Cette affaire présente toutefois peu de similarité avec le présent dossier.

  Dans le troisième dossier CD00-1107[3], le comité a déclaré l’intimé coupable d’avoir, à trois occasions, fourni à un assureur de faux renseignements le concernant lors de la souscription et des renouvèlements d’une police d’assurance responsabilité professionnelle. 

[12]        La procureure de la plaignante a ensuite passé en revue les décisions soumises au soutien de ses recommandations sous les deux chefs de propositions d’assurance pour créances fictives[4] ainsi que sous le chef d’entrave[5]. Elle a souligné les similitudes et les distinctions qui s’imposaient avec le cas en l’espèce.

[13]        Concernant le chef d’entrave, elle a expliqué que même si les décisions citées imposaient une période de radiation temporaire d’au plus six mois, elle suggérait d’imposer en l’espèce une période de radiation de douze mois, notamment en raison de la gravité des infractions sur lesquelles l’enquête de la syndique avait porté et dont l’entrave de l’intimé risquait de compromettre.

[14]        Elle s’est dite d’avis que l’entrave constituait une infraction grave exigeant une sanction sévère, non seulement parce qu’elle porte atteinte au mécanisme mis en place par le législateur pour assurer la protection du public, mais aussi pour atteindre les objectifs de dissuasion et d’exemplarité.

[15]       Enfin, sans avoir reçu copie des procédures intentées contre l’intimé, elle a mentionné qu’une saisie avant jugement des biens de ce dernier paraît avoir été pratiquée par les assureurs impliqués dans la présente plainte et qu’à la suite de celle-ci, l’intimé aurait déclaré faillite.

ANALYSE ET MOTIFS

[16]       Le comité reprend ci-après essentiellement le contexte factuel des infractions commises résumé par la procureure de la plaignante :

a)        L’intimé est âgé d’environ 53 ans et est inactif depuis septembre 2017. Il a accumulé plus de 27 ans d’expérience dans le domaine financier;

b)        L’intimé a soumis à un gestionnaire de programmes d’assurance collective de créancier, pour deux assureurs, des propositions « fictives » d’assurance pour des pseudos assurés, pour couvrir prétendument des créances qui étaient inexistantes; 

c)         Selon les informations inscrites sur les propositions pour les prélèvements bancaires, les primes étaient prélevées soit :

  Soit à même des comptes bancaires dont l’intimé ou une société qu’il contrôlait était le réel titulaire;

  Soit suite à un transfert entre ces derniers comptes et d’autres détenus par des tiers autres que les personnes désignées sur les propositions;

d)        L’intimé a ainsi soumis 105 propositions fictives, au nom de 210 prétendus assurés pour la souscription d’assurance collective de créancier auprès de la compagnie E;

e)        Il a fait de même auprès de la compagnie F en lui soumettant 128 propositions fictives, au nom de 251 prétendus assurés pour la souscription d’assurance collective de créancier;

f)          Ce stratagème a permis à l’intimé de percevoir frauduleusement des commissions de la compagnie E s’élevant à plus de 8,8 millions $ et de la compagnie F de plus de 6,7 millions $;

g)        L’intimé a également fait défaut de fournir à l’enquêteur du bureau de la syndique de la CSF les dossiers que celui-ci a requis, en plus de faire défaut de se présenter à une rencontre à laquelle il avait été dûment convoqué par l’enquêteur.

[17]        Comme représenté par la procureure de la plaignante, aucun facteur atténuant ne peut être identifié en l’espèce. Néanmoins, l’abondante preuve documentaire a permis au comité de constater les nombreux facteurs aggravants soulevés par la procureure de la plaignante.

[18]        Les gestes de l’intimé sont d’une extrême gravité. Le stratagème ourdi par ce dernier nécessite une préméditation certaine. Le caractère répétitif des infractions commises à l’égard de deux assureurs à environ 233 reprises, entre décembre 2013 et avril 2016, ajoute à la gravité de celles-ci.

[19]        Au surplus, au moment des évènements, l’intimé était dans la cinquantaine et avait exercé pendant plus de 25 ans dans le domaine de l’assurance. Respecter les prescriptions de la loi et sa règlementation est fondamental pour tout professionnel.

[20]        Les antécédents disciplinaires de l’intimé illustrent le caractère peu scrupuleux de celui-ci quand vient le temps de fournir des informations justes tant à ses clients qu’aux assureurs.

[21]        L’intimé n’a manifestement pas tiré de leçon à la suite de son premier dossier disciplinaire, ne saisissant pas l’occasion que le comité lui avait alors donnée de se réhabiliter et d’adopter une conduite professionnelle adéquate.

[22]        Par ses gestes, l’intimé a contrevenu à ses obligations de probité, d’honnêteté et d’intégrité, qualités essentielles que tout représentant doit posséder, mais dont l’intimé est, de toute évidence, dépourvu.

[23]        Même si le deuxième dossier CD00-0923 a peu de lien avec les infractions commises en l’espèce, le contexte de la commission de l’infraction reprochée révèle que l’intimé a toujours été créatif pour la souscription d’assurance sans son concours, faisant appel à des tiers. Au surplus, le paragraphe 29 de la décision sur sanction dans ce dossier révèle que l’intimé a fait valoir au comité les mêmes difficultés, eu égard à sa vie personnelle et professionnelle, qu’il avait soulevées dans le dossier précédent toujours afin d’obtenir la clémence du comité. En outre, l’intimé a démontré, même au stade de la sanction dans cette affaire, avoir de la difficulté à reconnaître ses torts. Aussi, les conduites répréhensibles de l’intimé qui ont suivi ne sont pas étonnantes.

[24]        L’ampleur des fautes commises par l’intimé en l’espèce témoigne d’un comportement délinquant qui a subi une importante escalade.

[25]        L’intimé a largement démontré être indigne d’exercer cette profession. Comme la plaignante, le comité est d’avis que la protection du public commande qu’il soit radié de façon permanente sous chacun des deux premiers chefs d’infraction.

[26]        Quant à l’infraction d’entrave, le comité convient avec la procureure de la plaignante que lorsque la gravité de l’infraction sous enquête expose celui qui l’a commise à une sanction beaucoup plus sévère que celle qu’il pourrait avoir s’il était reconnu coupable d’entrave, la tentation de choisir l’entrave afin d’échapper à la sanction des actes commis peut devenir pour le professionnel une option plus attrayante.

[27]        Le comité note que le législateur a pris la peine d’amender l’article 130 du Code des professions pour y préciser que cette infraction d’entrave pouvait donner ouverture à une demande de radiation provisoire, ce qui en confirme la gravité.

[28]        Ainsi, la sanction d’une infraction d’entrave devrait être suffisamment sévère pour éviter que cette infraction ne devienne une alternative plus avantageuse pour la personne enquêtée et nuise au mécanisme mis en place par le législateur pour assurer la protection du public qui risque ainsi d’être compromise.

[29]        Le comité donnera donc suite à la recommandation de la plaignante sous le troisième chef d’accusation et ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de douze mois, estimant que celle-ci est non seulement dissuasive à l’égard de l’intimé, mais répond plus particulièrement au critère d’exemplarité à l’égard des représentants qui seraient tentés de l’imiter.

[30]       Considérant les faits propres à ce dossier ainsi que les facteurs pertinents en l’espèce, le comité est d’avis que les sanctions suggérées par la plaignante satisfont les critères devant le guider et qu’elles sont compatibles aux sanctions prononcées pour des infractions de même nature.

[31]       Par conséquent, sous chacun des deux premiers chefs d’infraction, le comité ordonnera la radiation permanente de l’intimé.

[32]       Quant au troisième chef d’accusation portant sur l’entrave, il ordonnera sa radiation temporaire pour une période de douze mois à purger de façon concurrente.

[33]       Le comité ordonnera également la publication d’un avis de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

 

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE, sous chacun des deux premiers chefs d’accusation, la radiation permanente de l’intimé;

ORDONNE, sous le troisième chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de douze mois à purger de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

(S) Janine Kean

__________________________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

 

(S) Stéphane Côté

__________________________________

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

 

(S) Shirtaz Dhanji

__________________________________

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Sylvie Poirier

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé était absent et non représenté.

 

Date d’audience :

Le 30 novembre 2017

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Comité de surveillance de l’Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec c. Bernard, CD00-0090, décision sur culpabilité du 11 novembre 1998 et sur sanction du 6 avril 1999.

[2] CSF c. Bernard, CD00-0923, décision sur culpabilité du 3 juillet 2013 et décision sur sanction du 11 mars 2014.

[3] CSF c. Bernard, CD00-1107, décision sur culpabilité et sanction du 20 novembre 2017.

[4] Radiation temporaire variant entre un et cinq ans : CSF c. Lacasse, 2016 CanLII 47381 (QC CDCSF); CSF c. Ouellette Laramée, 2017 CanLII 33188 (QC CDCSF); CSF c. Platis, 2012 CanLII 97175 (QC CDCSF); CSF c. Philippon, 2014 CanLII 36421 (QC CDCSF); CSF c. Bal, 2004 CanLII 59843 (QC CDCSF);
CSF c. Giroux,
2005 CanLII 59612 (QC CDCSF).

Radiation permanente : CSF c. Aghazarian, 2003 CanLII 57178 (QC CDCSF); CSF c. Gingras, 2002 CanLII 49131 (QC CDCSF); CSF c. McBrearty, 2002 CanLII 49152 (QC CDCSF); CSF c. Corbeil ET CSF c. Roy, 2015 CanLII 98730 (QC CDCSF).

[5] CSF c. Bernier, 2013 CanLII 43428 (QC CDCSF); CSF c. Labarre, 2008 CanLII 34532 (QC CDCSF);
CSF c. Morinville,
2011 CanLII 99444 (QC CDCSF); CSF c. Duchaine, 2016 CanLII 19343 (QC CDCSF); CSF c. Moore, 2016 CanLII 28776 (QC CDCSF); CSF c. Lessard, 2016 CanLII 69547 (QC CDCSF).

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