Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1210

 

DATE :

9 novembre 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Jacques Denis, A.V.A. Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Plaignante

c.

STEVE GOULET, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 171518)

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

I – LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE SUR SANCTION

[1]          Par décision rendue le 12 mars 2018, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») a reconnu l’intimé coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 4 de la plainte au regard de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et de ceux décrits aux paragraphes 3 et 5 en ce qui a trait à l’article 12 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[2]          L’intimé a été acquitté du chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte.

[3]          L’audience sur sanction a eu lieu le 5 juin 2018. Me Julie Piché y représentait la plaignante et Me Martin Courville, l’intimé.

[4]          La plaignante a produit une pièce faisant état de la certification de l’intimé et celui-ci a témoigné.

[5]          Les avocats des parties ont plaidé.

[6]          Le 12 juin 2018, la plaignante a écrit au comité afin de lui indiquer le titre de la formation qui, selon elle, devrait faire l’objet d’une recommandation aux termes de l’article 160 du Code des professions.

[7]          Le comité a ensuite pris le dossier en délibéré.

II – LA PREUVE SUR SANCTION

[8]          Au moment de la commission des infractions dont il a été reconnu coupable, l’intimé détenait une certification en assurance de personnes depuis huit ans.

[9]          Au cours de son témoignage, l’intimé a expliqué qu’il était à l’emploi de la firme Services financiers S. Goulet inc. depuis 2003 et qu’il y occupe un double rôle : il aide, à titre d’adjoint administratif, les autres représentants de la firme et rend directement des services professionnels à certains clients. Il entend continuer à assumer ces deux fonctions dans l’avenir.

[10]       L’intimé a témoigné faire maintenant preuve d’une plus grande rigueur dans l’exécution des services professionnels qu’il rend à la clientèle.

[11]       Afin d’éviter de commettre des infractions en matière d’analyse des besoins financiers (chefs d’infraction 1 et 4), il complète le formulaire avec les clients, les invite à le signer et leur en remet une copie.

[12]       Pour ce qui est des transactions de la nature de celles décrites aux chefs d’infraction 3 et 5, il passe plus de temps avec les clients à leur fournir les explications requises et s’assure de leur bonne compréhension.

[13]       Il a témoigné avoir compris qu’il a la responsabilité de s’assurer que ses clients comprennent bien les renseignements communiqués.

III - LES CHEFS D’INFRACTION 1 ET 4 (NE PAS AVOIR RECUEILLI TOUS LES RENSEIGNEMENTS NI PROCÉDÉ À UNE ANALYSE COMPLÈTE ET CONFORME DES BESOINS FINANCIERS DE S.F. ET DE J.F.)

a)    Les représentations des parties

[14]       La plaignante recommande au comité de condamner l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ sur le chef d’infraction 1 et de lui imposer une réprimande sur le chef d’infraction 4.

[15]       L’intimé recommande également l’imposition d’une réprimande sur le chef d’infraction 4, mais considère que la condamnation au paiement d’une amende de 4 000 $ sur le chef d’infraction 1 est une sanction plus adéquate que celle proposée par la plaignante.

[16]       Au soutien de ses recommandations, la plaignante réfère le comité aux décisions rendues dans les affaires Derkson, Therrien, Gagnon et D’Aragon[1].

[17]       L’intimé commente les décisions soumises par la plaignante et ajoute les décisions prononcées dans les dossiers Delsouin Louis, Goulet, Corriveau et Rochon[2].

[18]       L’intimé souligne que les amendes imposées en semblables matières oscillent entre 4 000 $ et 6 000 $.

[19]       Pour l’essentiel, l’analyse que fait l’intimé de la jurisprudence soumise par les parties l’amène à plaider que le comité devrait lui imposer une sanction moins sévère sur le chef d’infraction 1 que celle recommandée par la plaignante du fait qu’il a tout de même procédé à une certaine analyse (bien qu’elle ait été incomplète) des besoins financiers de ses clients.

b)   L’analyse

[20]       Dans les décisions soumises par les parties, on retrouve, parmi les facteurs considérés dans la détermination des sanctions, plusieurs des éléments suivants :

        un représentant qui possède un certain bagage d’expérience;

        une conduite empreinte de négligence et de manque de professionnalisme plutôt que de mauvaise foi;

        des infractions commises à l’égard d’un nombre restreint de consommateurs;

        une bonne collaboration de la part du professionnel à l’enquête du syndic;

        l’absence d’antécédents disciplinaires;

        des modifications apportées par le représentant à sa façon de faire afin de ne plus commettre, à l’avenir, de telles fautes.

[21]       On retrouve tous ces éléments dans le présent dossier et ils seront pris en compte dans la détermination des sanctions.

[22]       Dans ces décisions, le comité rappelle que l’analyse des besoins financiers est la pierre d’assise du travail du représentant; que cet exercice permet au professionnel de bien connaître les besoins de son client de façon à lui recommander un produit financier qui convient à sa situation et à ses objectifs; qu’il doit procéder à cette cueillette et à l’analyse des informations avec rigueur et de façon complète; et que le défaut de satisfaire à ces obligations est une infraction déontologique grave.

[23]       Le comité réitère les mêmes observations au regard des manquements (chefs d’infraction 1 et 4) dont l’intimé a été reconnu coupable.

[24]       Dans la majorité des décisions soumises, les représentants ont été condamnés au paiement d’amendes de 5 000 $. Dans le dossier D’Aragon[3], le représentant avait un antécédent disciplinaire et le comité l’a condamné au paiement d’une amende de 6 000 $.

[25]       Dans l’affaire Borgia[4], le comité a condamné l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ en dépit du fait que la preuve avait démontré qu’il avait procédé à la cueillette de plusieurs éléments d’information nécessaires à une analyse des besoins financiers. Cependant, aucune analyse en bonne et due forme n’avait été complétée par celui-ci.

[26]       Dans les décisions rendues contre les représentants André Goulet et Gaston Gélinas[5], ces professionnels ont été condamnés à payer des amendes de 4 000 $.

[27]       André Goulet invoquait comme facteur atténuant que l’analyse des besoins financiers à laquelle il s’était livré était incomplète, parce que son client avait été réfractaire à lui fournir de l’information. Ce refus de collaborer est au nombre des éléments considérés par le comité dans l’imposition de la sanction.

[28]       Dans l’affaire Gélinas[6], le professionnel a invoqué le refus des clients de divulguer des informations complètes et il a été condamné au paiement d’une amende de 4 000 $.

[29]       Pour les motifs énoncés aux paragraphes 103 à 120 de la décision sur culpabilité prononcée dans le présent dossier, le comité a conclu que l’intimé n’avait pas procédé à une analyse satisfaisante des besoins financiers de ses clients. Or, les lacunes constatées ne peuvent être attribuées à un quelconque refus de collaborer de ses clients.

[30]       De plus, dans le présent dossier, les quelques éléments consignés par l’intimé sont loin de satisfaire à l’obligation imposée au représentant au regard de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[31]       Cela dit, la gravité objective des infractions commises et les facteurs subjectifs mentionnés au paragraphe 20 de la présente décision amènent le comité à condamner l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ pour le chef d’infraction 1 et à lui imposer une réprimande pour le chef d’infraction 4. L’imposition d’une réprimande pour le chef d’infraction 4 est justifiée du fait que les deux infractions ont été commises le même jour dans les mêmes circonstances et à l’égard des deux membres d’un couple.

[32]       Le comité est d’avis qu’il s’agit là de sanctions justes et opportunes au regard des exigences de dissuasion et d’exemplarité et qu’elles contribueront à assurer la protection du public.

IV - LES CHEFS D’INFRACTION 3 ET 5 (AVOIR PROCÉDÉ AU TRANSFERT DES FONDS DISTINCTS DES POLICES QUE DÉTENAIENT S.F. ET J.F. CHEZ EMPIRE À DES POLICES CHEZ STANDARD LIFE ALORS QUE CELA NE CORRESPONDAIT PAS À LEURS OBJECTIFS DE PLACEMENT NI À LEUR SITUATION FINANCIÈRE ET PERSONNELLE)

a)    Les représentations des parties

[33]       La plaignante recommande au comité d’imposer à l’intimé deux mois de radiation temporaire pour chacun des chefs d’infraction ces périodes de radiation devant être purgées concurremment.

[34]       Elle souligne la gravité objective des infractions commises.

[35]       Elle fait valoir notamment les éléments suivants :

        compte tenu de l’invalidité de S.F. et des problèmes de liquidité temporaires que cela occasionnait, les clients cherchaient à retirer, sans frais, de leurs placements REER des sommes d’argent pendant une courte période de temps;

        l’intimé aurait dû réaliser que des sommes d’argent importantes pouvaient être retirées sans frais (ou à peu de frais) des placements REER que détenaient S.F. et J.F. chez Empire;

        l’intimé leur a plutôt recommandé de transférer des fonds distincts d’une police à une autre, changements qui ne correspondaient pas aux objectifs des consommateurs;

        les modifications apportées aux placements des consommateurs se sont avérées inappropriées et désavantageuses (frais de sortie, nouvelle « cédule » de frais, impossibilité de réinitialiser les garanties, garantie au décès moins avantageuse);

        les clients avaient des connaissances limitées en matière de placements.

[36]       D’autre part, la plaignante a invité le comité à prendre en compte, à titre de facteurs atténuants, les éléments suivants :

        les infractions commises l’ont été à l’occasion d’un seul événement et n’impliquent qu’un couple de consommateurs;

        les frais de sortie ont été remboursés à J.F. et ils correspondent, à peu de chose près, au montant de la commission touchée par l’intimé;

        l’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires;

        l’intimé a pris des mesures pour que de telles infractions ne se reproduisent plus à l’avenir.

[37]       La plaignante a référé le comité aux décisions dans les affaires Morin, Mejlaoui, D’Aragon et Gélinas[7].

[38]       L’avocat de l’intimé a recommandé que le comité condamne son client au paiement d’une amende de 5 000 $ sur le chef 3 et qu’il lui impose une réprimande sur le chef 5.

[39]       Il a plaidé que l’imposition d’une période de radiation temporaire serait une sanction inadéquate et punitive dans les circonstances.

[40]       À l’appui de ces recommandations, il a fait valoir, outre ceux soulignés par la plaignante, les facteurs atténuants suivants :

        la collaboration de l’intimé à l’enquête de la syndique;

        l’expérience limitée de l’intimé qui a surtout agi comme adjoint administratif au sein de la firme pour laquelle il travaille;

        les mesures prises par l’intimé pour que de telles fautes ne se reproduisent plus et le cours que le conseil d’administration de la CSF pourrait l’obliger à suivre font en sorte que le risque de récidive est faible (voir la section V de la présente décision);

        l’absence de préjudice économique pour les consommateurs vu le remboursement des frais de sortie.

[41]       Il a également plaidé que la détermination de la gravité des fautes de l’intimé doit être effectuée en fonction des éléments qui avaient été portés à sa connaissance et non des événements qui ont eu lieu par la suite (soit le décès de S.F.).

[42]       L’avocat de l’intimé a soumis au comité les décisions rendues dans les affaires Thibodeau, Borgia, Aron et Beaudoin[8].

[43]       En réponse à une question du comité relative à la gravité des infractions commises, l’avocat de l’intimé a plaidé que les fautes dont son client avait été reconnu coupable étaient moins graves que celles commises par des représentants dans plusieurs des décisions soumises par la plaignante.

[44]       De façon plus précise, il a plaidé que l’intimé avait recommandé à ses clients de procéder au transfert de leurs fonds distincts de polices d’assurance émises par Empire à des polices d’assurance émises par Standard Life; il ne les a pas amenés à souscrire à un produit qui ne convenait pas du tout à leurs besoins (par exemple, un prêt levier ou un placement qui ne correspondaient pas à leur niveau de tolérance au risque).

[45]       À cette même question, la plaignante a répliqué que les fautes de l’intimé étaient graves, car il avait recommandé aux clients un transfert complet des fonds distincts qu’ils détenaient alors que l’objectif indiqué par ceux-ci était de retirer des montants d’argent, sans frais, pendant une courte période de temps afin de pallier à un problème de liquidité temporaire. Elle a ajouté que ce transfert était inapproprié et qu’il avait été fait à des conditions désavantageuses.

b)   L’analyse

[46]       Les parties ont clairement exprimé leurs divergences de vues; il appartient maintenant au comité de décider si l’intimé doit être sanctionné par l’imposition d’une sanction de radiation temporaire ou par la condamnation au paiement d’une amende.

[47]       Examinons certaines des décisions soumises par les parties.

[48]       Dans l’affaire Morin[9], le représentant a été reconnu coupable d’avoir fait investir des montants importants à un client et à son épouse dans des parts d’organismes de placements collectifs, ce qui ne correspondait pas à leur profil d’investisseur.

[49]       Les deux clients avaient plus de 70 ans, ne possédaient pas de connaissances en matière d’investissement et recherchaient des placements sûrs.

[50]       Le comité a conclu que le représentant, bien que n’ayant pas agi de mauvaise foi, avait amené (par manque de connaissances) les consommateurs à prendre des risques qu’ils n’étaient pas en mesure de supporter.

[51]       Ce représentant avait une dizaine d’années d’expérience et n’avait pas d’antécédents disciplinaires. De plus, la preuve n’a pas révélé que les consommateurs avaient subi une perte financière puisque leur réclamation avait fait l’objet d’un règlement dont le comité n’a pas été informé de la teneur.

[52]       Le comité a imposé à l’intimé des périodes de radiation temporaire de deux mois (à être purgées concurremment) et a recommandé au conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) de lui imposer l’obligation de suivre des cours.

[53]       Le représentant Morin[10] a fait l’objet d’une autre plainte pour des faits survenus à la même époque que la première.

[54]       Dans ce deuxième dossier, il a plaidé coupable aux infractions d’avoir fait souscrire, à trois reprises, à la même cliente, des fonds communs de placement dont la répartition ne correspondait pas au profil d’investisseur de celle-ci.

[55]       La cliente, âgée de 70 ans, avait peu de connaissances en matière d’investissement; elle a subi un préjudice pécuniaire de 10 000 $ et elle a été indemnisée à hauteur de 2 500 $ par un tiers.

[56]       Le comité a également pris en compte la collaboration de l’intimé à l’enquête de la syndique, l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité et l’absence d’intention malhonnête ou malveillante.

[57]       Le comité lui a imposé des périodes de radiation temporaire de deux mois (à être purgées concurremment).

[58]       Dans le dossier Mejlaoui[11], le représentant a plaidé coupable aux infractions d’avoir fait souscrire à son client des fonds communs de placement dans son REER dont la répartition ne correspondait pas à son profil d’investisseur et d’avoir amené d’autres clients à contracter une marge de crédit hypothécaire aux fins d’investir dans un REER, ce qui ne répondait pas non plus à leur profil.

[59]       Au moment de la commission des infractions, l’intimé avait cinq ans d’expérience et n’avait pas d’antécédents disciplinaires.

[60]       Le comité a notamment retenu que le représentant avait eu tort de concentrer une partie importante des sommes investies dans un seul pays émergent alors que le profil du client était « modéré dynamique » et non « dynamique ». Le comité a également fait grief au représentant d’avoir ajusté le profil du client en fonction des placements choisis au lieu du contraire.

[61]       Les commissions perçues par le professionnel ont servi à compenser les consommateurs pour leur perte.

[62]       L’intimé s’est vu imposer des périodes de radiation temporaire de deux mois.

[63]       Dans l’affaire D’Aragon[12], l’intimé a plaidé coupable aux infractions d’avoir recommandé à des clients l’utilisation d’un prêt hypothécaire aux fins d’investissement alors que cela ne correspondait pas à leur situation personnelle et financière, ainsi qu’à leurs objectifs et horizon de placement et de leur avoir également recommandé de souscrire une police d’assurance-vie universelle alors que cela ne convenait pas à leurs besoins financiers ni à leur situation.

[64]       Le représentant avait onze ans d’expérience; il en était à son premier prêt levier et proposait également pour la première fois à des consommateurs une police d’assurance-vie universelle alors que ceux-ci n’avaient pas de réels besoins d’assurance.

[65]       Dans la détermination des sanctions, le comité a notamment considéré les regrets sincères de l’intimé et sa déclaration à l’effet qu’il avait « appris sa leçon ». De plus, bien que l’intimé ait touché des commissions de plus de 23 000 $, le comité n’a pas conclu qu’il avait agi par seul appât du gain; les fautes ayant été commises à l’égard de personnes proches de ses beaux-parents, le comité a été enclin à accréditer l’affirmation de l’intimé suivant laquelle il aurait agi dans ce qu’il croyait être leur intérêt.

[66]       Par contre, le comité a pris en compte le fait que l’intimé avait un antécédent disciplinaire et surtout que les produits et la stratégie recommandés étaient tout à fait inappropriés aux besoins et attentes des consommateurs; le comité a conclu qu’il s’agissait d’infractions sérieuses.

[67]       Le comité a alors imposé à l’intimé des périodes de radiation temporaire de trois mois (à être purgées concurremment).

[68]       Dans le dossier Gélinas[13], le représentant a été déclaré coupable d’avoir recommandé à deux clients de placer dans un fonds immobilier les sommes qu’ils détenaient dans leurs comptes REER et FEER alors que cela ne convenait pas à leur profil d’investisseur.

[69]       À la lecture de la documentation disponible au sujet de ce fonds, le représentant aurait dû constater qu’il était possible que les administrateurs doivent recourir à un moratoire temporaire sur les rachats alors que la situation de ses clients (à la retraite ou sur le point d’y arriver) commandait une source de revenus réguliers pour rencontrer leurs besoins.

[70]       Il n’était pas approprié de leur recommander d’investir la totalité des sommes qu’ils détenaient dans leurs comptes REER et FEER dans un tel fonds.

[71]       De plus, bien que sa probité n’était pas en cause, le comité a souligné que le représentant avait fait fi du principe élémentaire qui commande la diversification des placements.

[72]       Au moment de la commission des infractions, l’intimé avait une quinzaine d’années de pratique et n’avait pas d’antécédents disciplinaires.

[73]       Le comité a également pris en compte que le représentant n’avait pas agi de mauvaise foi et qu’il avait pris des mesures pour modifier sa façon de faire; que les fautes avaient été commises à l’égard d’un seul couple et que les consommateurs avaient subi un préjudice.

[74]       Le comité a souligné, dans cette affaire, la gravité objective indéniable des infractions commises et a imposé à ce représentant des périodes de radiation temporaire de deux mois à être purgées concurremment, en plus de recommander au conseil d’administration de la CSF de lui imposer l’obligation de suivre un cours.

[75]       Dans le dossier Thibodeau[14], le représentant a plaidé coupable à trois infractions interreliées commises le même jour à l’égard d’un même consommateur. Il lui était reproché d’avoir fait défaut de connaître les objectifs de placement de son client avant de lui faire souscrire un contrat de fonds distincts; de ne pas lui avoir fourni, au sujet de ce contrat de fonds distincts, tous les renseignements utiles, nécessaires et complets; et de lui avoir recommandé de souscrire à ce contrat de fonds distincts alors que ce produit ne correspondait pas à son objectif de placement.

[76]       Le comité a conclu que ces fautes ne résultaient pas d’un comportement malhonnête, mais plutôt d’une négligence certaine et d’un manque de rigueur.

[77]       Le comité a souligné, dans ses motifs, que le consommateur avait témoigné avoir beaucoup d’expérience en investissement. Bien qu’il ait invoqué avoir subi une perte financière comme conséquence des fautes du représentant, il n’a pu la quantifier de sorte que la démonstration n’en a pas été faite au comité.

[78]       L’intimé s’est vu, au total, condamné au paiement d’amendes de 10 000 $ et imposé une réprimande.

[79]       Dans l’affaire Borgia[15], l’intimé a été reconnu coupable d’avoir recommandé à un client et à sa conjointe d’investir dans un portefeuille de fonds communs constitué à 100 % de titres étrangers à capital et rendement non garantis, alors que de tels investissements ne correspondaient pas à leurs profils et objectifs de placement.

[80]       Les clients n’avaient pas de connaissances en matière de placements; ils souhaitaient tous deux prendre leur retraite dans une dizaine d’années et souhaitaient augmenter le rendement de leur portefeuille respectif.

[81]       Le comité a souligné que les clients ne pouvaient ignorer qu’ils devaient prendre des risques pour améliorer le rendement de leurs placements, mais a conclu que l’intimé les avait amenés à prendre des risques au-delà de leur seuil de tolérance.

[82]       La preuve a été faite des pertes financières importantes subies par les consommateurs.

[83]       Dans la détermination de la sanction, le comité a pris notamment en compte qu’au moment de la commission de l’infraction, l’intimé détenait une certification dans la discipline pertinente depuis cinq ans; qu’il n’avait aucun antécédent; qu’il n’a pas agi de façon malveillante; qu’il a cessé toute pratique en épargne collective; qu’il consacre maintenant son temps à la « planification philanthropique »; qu’il a créé une fondation afin de combattre la pauvreté dans sa région; qu’il a souffert sur le plan personnel et professionnel de cette affaire compte tenu des procédures judiciaires largement médiatisées intentées contre lui; qu’il est maintenant rattaché à un cabinet et qu’il utilise de meilleurs outils de travail.

[84]       Le comité a condamné ce représentant au paiement d’une amende de 5 000 $.

[85]       Dans le dossier Beaudoin[16], le représentant a été reconnu coupable d’avoir fait défaut de respecter le profil et les objectifs de son client en lui faisant transférer l’ensemble de ses placements vers des fonds dont les caractéristiques ne correspondaient pas à sa situation financière ni à ses objectifs.

[86]       Afin de déterminer les sanctions à imposer, le comité a pris en compte l’absence d’intention malveillante de l’intimé; la collaboration du représentant à l’enquête de la syndique et l’absence d’antécédents disciplinaires; l’absence de bénéfice pour l’intimé; le peu d’expérience de l’intimé au moment des faits reprochés (quatre ans) et le fait que le client (un membre de la famille de l’intimé) n’avait rien perdu du capital investi.

[87]       Le comité a condamné l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ et lui a imposé une réprimande.

[88]       Il est à noter, dans cette même décision, que pour des infractions d’une autre nature (conflit d’intérêts) n’ayant aucun rapport avec le client mentionné précédemment, le comité a imposé au professionnel une radiation temporaire de 12 mois.

[89]       Cette revue des autorités soumises par les parties étant complétée, le comité tient à rappeler qu’il n’est pas lié par les décisions rendues par d’autres formations.

[90]       Chaque dossier présente ses particularités. De plus, certaines des décisions ont été prononcées à la suite de recommandations conjointes ou dans des affaires où le grand nombre de chefs d’infraction de nature différente rend moins évidents les enseignements que l’on peut tirer des sanctions imposées sous les chefs d’infraction sur lesquels porte notre analyse.

[91]       Il est vrai que l’intimé, dans le présent dossier, n’a pas proposé aux clients de contracter un prêt levier et que le comité ne lui fait pas grief de les avoir amenés à investir dans des produits qui ne correspondaient pas à leur seuil de tolérance au risque.

[92]       Cependant, il a recommandé à ses clients de transférer les fonds distincts qu’ils détenaient, d’une police d’assurance à une autre, alors que ceux-ci recherchaient une solution temporaire et urgente à un manque de liquidité résultant de l’incapacité de S.F. de travailler.

[93]       Pour les raisons mentionnées notamment aux paragraphes 83 à 100 de la décision sur culpabilité, l’intimé aurait pu satisfaire aux besoins des clients à partir des fonds distincts qu’ils détenaient déjà. Les changements proposés se sont avérés inutiles, coûteux (frais de sortie)[17] et désavantageux pour les consommateurs (nouvelle « cédule de frais », impossibilité de réinitialiser les garanties et diminution du pourcentage de garantie au décès).

[94]       Eu égard à l’argument soulevé par l’intimé et auquel il est fait référence au paragraphe 41 de la présente décision, le comité tient à préciser qu’il tire ces conclusions quant aux conséquences pour les consommateurs des fautes commises sans égards au fait que S.F. soit par la suite décédé.

[95]       Bref, les transferts recommandés par l’intimé ne correspondaient manifestement pas aux objectifs de placement de J.F. et de S.F. ni à leur situation personnelle; il s’agit d’infractions objectivement graves et la façon dont l’intimé a procédé dans les circonstances va clairement à l’encontre des obligations imposées à un représentant.

[96]       Selon le comité, les verdicts de culpabilité prononcés commandent l’imposition de sanctions sévères.

[97]       Comme dans plusieurs des décisions examinées précédemment dans lesquelles des sanctions de radiation temporaire ont été imposées au représentant, l’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires; il a collaboré à l’enquête de la syndique; il a pris des moyens pour éviter de commettre, de nouveau, de telles fautes; les clients ont été remboursés pour les frais de sortie et les risques qu’il récidive semblent faibles.

[98]       Le comité écarte cependant l’argument soumis par l’intimé quant à son manque d’expérience. En effet, il travaille dans le milieu depuis 2003 et il détient une certification en assurance de personnes depuis 2006.

[99]       Bien qu’il rencontrait peu de clients à l’époque de la commission des infractions, il ne pouvait ignorer des obligations aussi fondamentales que celles qu’il a enfreintes.

[100]    Après avoir pris en compte la gravité objective des infractions commises et évalué la portée des facteurs subjectifs aggravants et atténuants pertinents à la lumière de la jurisprudence soumise, le comité conclut que des périodes de radiation temporaire doivent être imposées.

[101]    Cependant, les périodes de radiation temporaire de deux mois recommandées par la plaignante sont, aux yeux du comité, trop sévères.

[102]    L’imposition de périodes de radiation temporaire d’un mois sur chacun des chefs 3 et 5 est, de l’avis du comité, une sanction suffisamment dissuasive et exemplaire (sans pour autant être punitive); ces périodes de radiation temporaire devraient contribuer à assurer la protection du public. Les chefs d’infraction étant reliés, le comité ordonnera qu’elles soient purgées concurremment.

V - RECOMMANDATION AUX TERMES DE L’ARTICLE 160 DU CODE DES PROFESSIONS

[103]    Les parties suggèrent au comité de recommander au conseil d’administration de la CSF qu’il oblige l’intimé à compléter avec succès le cours «L’analyse des besoins d’épargne (28036)  ». Le comité formulera une telle recommandation.

VI - LE DÉLAI POUR PAYER L’AMENDE

[104]    L’intimé demande qu’un délai de douze mois lui soit accordé pour payer l’amende à laquelle il pourrait être condamné.

[105]    La plaignante n’a pas d’objection, mais suggère que le comité impose à l’intimé l’obligation de payer l’amende par versements mensuels égaux et consécutifs et que le défaut de respecter ces modalités entraîne la perte du bénéfice du terme.

[106]    Les modalités de paiement proposées par la plaignante s’harmonisent mieux, de l’avis du comité, avec l’effet dissuasif recherché par l’imposition d’une sanction. De plus, l’intimé n’a pas fait la preuve qu’il lui serait difficile de payer cette somme par des versements mensuels.

[107]    Le comité permettra donc à l’intimé de payer l’amende de 5 000 $ par douze versements mensuels égaux et consécutifs et prévoira la déchéance du terme, en cas de défaut d’acquitter l’une ou l’autre des mensualités.

VII - LA PUBLICATION D’UN AVIS DANS UN JOURNAL

[108]    La démonstration n’a pas été faite de circonstances exceptionnelles devant l’amener à s’écarter de ce qui est habituellement décidé, le comité ordonnera donc qu’il y ait publication de la décision dans un journal suivant les modalités prévues à l’article 156 (7) du Code des professions.

VIII - LES DÉBOURSÉS

[109]    L’avocat de l’intimé recommande que son client soit condamné au paiement de 4/5 des déboursés, au motif qu’il a été acquitté de l’un des cinq chefs portés contre lui.

[110]    La plaignante suggère plutôt que l’intimé soit condamné au paiement de l’ensemble des déboursés; elle invoque que la durée de l’audience n’a pas véritablement été modifiée par le débat portant sur le chef dont il a été acquitté.

[111]    Le comité ne retient pas l’argument proposé par la plaignante; bien que cela ne soit pas une règle que l’on doive obligatoirement appliquer, le comité est d’avis que la recommandation de l’intimé sur cette question doit prévaloir.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ en ce qui a trait au chef d’infraction énoncé au paragraphe 1 de la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois en ce qui a trait au chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte;

IMPOSE à l’intimé une réprimande en ce qui a trait au chef d’infraction énoncé au paragraphe 4 de la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois en ce qui a trait au chef d’infraction énoncé au paragraphe 5 de la plainte;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire soient purgées concurremment;

ACCORDE à l’intimé un délai de douze mois pour le paiement de l’amende de 5 000 $, lequel devra être fait au moyen de douze versements mensuels égaux et consécutifs à compter du 31e jour de la signification de la présente décision, le montant total encore dû devenant exigible à défaut par l’intimé de payer l’une ou l’autre des mensualités à la date prévue;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la décision rendue dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156(7) du Code des professions;

RECOMMANDE au conseil d’administration de la CSF d’obliger l’intimé à compléter avec succès le cours de perfectionnement : «L’analyse des besoins d’épargne (28036) »;

CONDAMNE l’intimé au paiement de 4/5 des déboursés (autres que ceux relatifs à la publication d’un avis dans un journal lesquels sont entièrement à la charge de l’intimé) conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

 

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

 

(s) Jacques Denis____________________

M. Jacques Denis, A.V.A. Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LGB Avocats Regroupement d’avocats autonomes

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

5 juin 2018

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 



[1] CSF. c. Derkson, 2015 QCCDCSF 32; CSF c. Therrien, 2015 QCCDCSF 74; CSF c. Gagnon, 2016 QCCDCSF 26; CSF c. D’Aragon, 2015 QCCDCSF 7.

[2] CSF c. Delsoin Louis, 2017 QCCDCSF 1; CSF c. Goulet, 2017 QCCDCSF 10; CSF c. Corriveau, 2016 QCCDCSF 54; CSF c. Rochon, 2015 QCCDCSF 61.

[3] Préc., note 1.

[4] Préc., note 2.

[5] Préc., note 2; CSF c. Gélinas 2015 QCCDCSF 55.

[6] Préc., note 1.

[7] CSF c. Morin, CD00-0825 décision sur sanction du 20 septembre 2012; CSF c. Morin 2016 QCCDCSF 3; CSF c. Mejlaoui, CD00-0898 décision sur culpabilité et sanction du 27 septembre 2012; CSF c. D’Aragon,  préc., note 1; CSF c. Gélinas, préc., note 1.

[8] CSF c. Thibodeau, 2017 QCCDCSF 85 (CanLII); CSF c. Borgia, préc., note 2; CSF c. Aron, 2016 CanLII 14088 (QC CDCSF); CSF c. Beaudoin, 2011 CanLII 99468 (QC CDCSF).

[9] CSF c. Morin, préc., note 7.

[10] CSF c. Morin, 2016 QCCDCSF 3.

[11] CSF c. Mejlaoui, préc., note 7.

[12] CSF c. D’Aragon, Préc., note 1.

[13] CSF c. Gélinas, préc., note 1.

[14] CSF c. Thibodeau, préc., note 8.

[15] CSF c. Borgia, préc., note 2.

[16] CSF c. Beaudoin, préc., note 8.

[17] J.F. a cependant été remboursé.

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