Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1210

 

DATE :

12 mars 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Jacques Denis, A.V.A. Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Plaignante

c.

STEVE GOULET, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 171518)

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière émet, aux termes de l’article 142 du Code des professions, une ordonnance de non-diffusion, de non-divulgation et de non-publication de tous renseignements ou informations permettant d’identifier J.F. et S.F. et à l’égard de toutes informations financières les concernant.

 

 

I – LA PLAINTE ET LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE

[1]          Une plainte du 21 octobre 2016 a été portée contre l’intimé.

[2]          Les chefs d’infraction énoncés aux cinq paragraphes de cette plainte se lisent comme suit :

 

 

À l’égard de S.F.

 

1.         À Greenfield Park, le ou vers le 5 juin 2014, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements ni procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de S.F. alors qu’il lui faisait souscrire la police […], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants ;

 

2.         À Greenfield Park, le ou vers le 5 juin 2014, l’intimé a complété la section « Renseignements sur le bénéficiaire » de la proposition de contrat « Fonds distincts Idéal Signature 2.0 » après que S.F. ait signé la proposition, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

3.         À Greenfield Park, le ou vers le 5 juin 2014, l’intimé a procédé au transfert au comptant des fonds distincts de la police […] de S.F. à la police […] alors que cela ne correspondait pas à ses objectifs de placement ni à sa situation financière et personnelle, contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D‑9.2), 12, 24 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

À l’égard de J.F.

 

4.         À Greenfield Park, le ou vers le 5 juin 2014, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements ni procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de J.F. alors qu’il lui faisait souscrire la police […], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

 

5.         À Greenfield Park, le ou vers le 5 juin 2014, l’intimé a procédé au transfert au comptant des fonds distincts de la police […] de J.F. à la police […] alors que cela ne correspondait pas à ses objectifs de placement ni à sa situation financière et personnelle, contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D‑9.2), 12, 24 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

[3]          L’audience a eu lieu les 5 et 6 avril, 8 et 9 mai 2017 à Montréal.

[4]          M. Stéphane G. Côté a siégé les 5 et 6 avril 2017 mais il n’a pu le faire par la suite. M. Côté a en effet été appelé, dans le cadre de ses fonctions de conseiller municipal de l’Île Bizard, à épauler la population de cet arrondissement lors des importantes inondations de mai 2017.

[5]          Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) a donc poursuivi l’audience à deux membres (dont le président) tel que l’y autorise l’article 371 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).

[6]          La plaignante est représentée par Me Julie Piché et l’intimé par Me Martin Courville.

[7]          La plaignante a fait entendre à l’audience : M. Sébastien Lévesque, enquêteur à la Chambre de la sécurité financière (CSF) et J.F. (dont les initiales apparaissent à la plainte).

[8]          L’intimé a témoigné en défense.

[9]          Lors de l’audience, une question relative à la divulgation de la preuve a été soulevée; le comité en a disposé les 5 et 6 avril 2017.

[10]       Lors des audiences, des questions et des objections ont été soulevées en ce qui a trait à la nécessité, pour la plaignante, de présenter une preuve d’expert. Le comité a requis des parties la production de notes et autorités. L’intimé a produit des notes le
7 juin 2017 et la plaignante a fait de même le 18 août 2017.

[11]       Le comité a alors pris l’affaire en délibéré.

II - LA TRAME FACTUELLE

[12]       L’analyse de la preuve par le comité l’amène à retenir les faits suivants.

[13]       Par l’entremise du représentant Sylvain Goulet (le père de l’intimé), S.F. a souscrit en août 2011 un contrat de fonds distincts (sous forme de régime enregistré d’épargne-retraite) auprès d’Empire, compagnie d’assurance-vie (Empire)[1].

[14]       Le nom de J.F., l’épouse de S.F., y apparait à titre de bénéficiaire révocable.

[15]       La cotisation mensuelle de S.F. au régime enregistré d’épargne-retraite (REER), était de 400 $.

[16]       Le contrat prévoyait une garantie sur les fonds distincts de 75 % à l’échéance
(23 août 2021) et de 100 % au décès.

[17]       À la même époque et par l’entremise du même représentant, J.F. a également souscrit un contrat analogue auprès d’Empire[2]. Il y était prévu que S.F., le conjoint de J.F., cotise 400 $ à ce régime tous les mois.

[18]       Les garanties sur les fonds distincts étaient les mêmes (avec une date d’échéance fixée au 23 août 2025).

[19]       Sylvain Goulet était le représentant de J.F. et de S.F. depuis 2009.

[20]       S.F. travaillait à son compte comme serrurier; J.F. faisait la comptabilité pour l’entreprise de son conjoint; elle avait auparavant exploité une garderie.

[21]       En mars 2012, S.F. et J.F. ont appris que le premier souffrait d’un cancer; des traitements de chimiothérapie ont débuté en juillet 2012. S.F. a continué à travailler jusqu’en mai 2014.

[22]       S.F. souffrait alors de sérieux maux de dos; le 2 juin 2014, S.F. ne pouvait plus marcher et il a été transporté à l’hôpital où il est décédé le 8 juillet 2014.

[23]       Début juin 2014, J.F. a tenté de joindre Sylvain Goulet; il n’était pas disponible étant lui-même hospitalisé.

[24]       Elle s’est alors entretenue au téléphone pendant une quinzaine de minutes avec l’intimé, lequel était représentant en assurance de personnes depuis novembre 2006[3] et travaillait avec son père, Sylvain Goulet.

[25]       L’intimé n’avait jamais rendu de services professionnels auparavant à S.F. ni à J.F.

[26]       Lors de son témoignage, l’intimé a expliqué que J.F. lui a indiqué que son époux était en situation d’invalidité et qu’il ne travaillait pas à cause d’une maladie. Elle lui a mentionné vouloir interrompre les dépôts mensuels dans les REER et vouloir retirer, chaque semaine, une somme dont elle n’a pas précisé le montant.

[27]       J.F. a témoigné avoir mentionné à l’intimé qu’elle voulait retirer l’argent des REER sans toutefois avoir à payer de frais.

[28]       Elle lui a alors expliqué vouloir que les retraits débutent le plus rapidement possible et a ajouté que la période de temps au cours de laquelle ceux-ci seraient effectués était incertaine.

[29]       J.F. a témoigné que l’intimé lui a indiqué que les sommes pourraient être transférées dans un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) sans toutefois lui mentionner qu’une telle opération entrainerait des frais.

[30]       À cette époque, J.F. avait très peu de connaissances en matière de placements (et notamment en ce qui a trait aux FERR).

[31]       Un rendez-vous a été fixé le 5 juin 2014 à l’hôpital. J.F. a témoigné que son époux n’a pas parlé à l’intimé entre le moment de la conversation téléphonique qu’elle a eue avec l’intimé et le 5 juin 2014.

[32]       De son côté, l’intimé a témoigné avoir parlé à S.F. avant le rendez-vous du 5 juin 2014 et que ce consommateur lui a dit être déçu des rendements générés par ses fonds et a manifesté le désir qu’on lui en propose de meilleurs.

[33]       Quant à cette entrevue du 5 juin 2014, J.F. a témoigné de ce qui suit.

[34]       Étaient présents dans la chambre à l’hôpital où son époux était hospitalisé : l’intimé, S.F. et elle.

[35]       Il n’avait pas encore été déterminé que S.F. serait opéré; cette décision n’a été prise par le médecin que le 8 juin 2014.

[36]       L’entrevue a duré de 45 minutes à 1 heure; il a d’abord été question de l’état de santé de Sylvain Goulet et des changements que l’intimé était à apporter à l’entreprise qu’il exploitait avec son père (Services financiers S. Goulet Inc.); une vingtaine de minutes ont ensuite été consacrées aux questions financières intéressant J.F. et S.F.

[37]       Un montant de retrait hebdomadaire de 1 000 $ a été déterminé par J.F. en prenant en compte le fait que son époux ne pouvait alors travailler comme serrurier, qu’il ne recevrait pas de prestations d’une police d’assurance (pendant sa période d’invalidité) et que les comptes à recevoir (du commerce de serrurier) pourraient bientôt être encaissés.

[38]       Elle a témoigné que l’intimé ne lui a pas posé de questions sur leurs actifs, leur salaire, leurs connaissances en matière de placements ni leur tolérance aux risques.

[39]       Confrontée aux deux documents : « Questionnaire : votre profil d’investisseur » sur lesquels apparaissent la date du 5 juin 2014, le nom de S.F.[4] et le sien[5], elle a témoigné ne pas avoir vu ces deux documents lors de l’entrevue à l’hôpital et ne pas en avoir reçu copie par la suite.

[40]       Appelée à examiner les réponses apparaissant au « Questionnaire » sur lequel son nom apparaît, elle a indiqué que plusieurs de celles-ci ne correspondent pas à celles qu’elle aurait pu fournir à l’époque.

[41]       Le 5 juin 2014, son conjoint et elle ont signé les propositions de contrat de fonds distincts (sous forme de FERR) en faveur de Standard Life[6]. Sur ces deux propositions, le nom et la signature de l’intimé apparaissent à titre de conseiller.

[42]       J.F. a témoigné ne pas avoir parcouru les pages de cette proposition[7] car elle faisait confiance à l’intimé. Elle a ajouté qu’il n’a pas été question, lors de cette entrevue à l’hôpital, que la signature de ces propositions entrainerait un changement de bénéficiaire. De plus, elle n’a pas compris à ce moment que l’acceptation des propositions annulerait les contrats avec Empire et que S.F. et elle « changeaient de compagnie ».

[43]       Elle a également témoigné que l’intimé ne lui a pas expliqué la clause prévoyant qu’en signant la proposition et l’autorisation de transfert de placements enregistrés, elle acceptait d’assumer la totalité des frais[8].

[44]       L’intimé s’est objecté à ce que J.F. témoigne de ce qu’elle aurait fait si elle avait su que l’opération financière proposée comportait des frais. Le comité a permis à J.F. de répondre sous réserve de disposer de l’objection dans la décision sur le fond.

[45]       Le comité rejette cette objection, il croit utile de connaître les possibilités qui s’offraient à J.F.

[46]       Elle a ainsi témoigné qu’elle n’aurait pas procédé à une transaction lui occasionnant des frais puisqu’elle aurait pu retirer l’argent dont le couple avait besoin de son compte à la banque ou à partir de la marge de crédit de l’entreprise de son conjoint serrurier.

[47]       Quant à l’entrevue à l’hôpital et aux évènements qui l’ont précédée, le comité retient ce qui suit du témoignage de l’intimé.

[48]       Il a examiné ce que J.F. et S.F. pouvaient modifier dans leurs placements chez Empire et il a constaté qu’il leur en coûterait 3 % de frais pour chaque retrait hebdomadaire de 1 000 $. Puisque J.F. et S.F. voulaient effectuer des retraits pendant une courte période de temps, il a cherché, dans d’autres produits que ceux disponibles chez Empire, un produit qui permettrait des retraits sans frais tout en présentant un risque peu élevé.

[49]       Il a préparé des tableaux[9] afin de démontrer aux consommateurs que des retraits à raison de 1 000 $ par semaine ne pourraient être faits sur une longue période de temps. Il a témoigné que S.F. et J.F. ont bien compris et qu’ils lui ont expliqué que ces retraits d’argent ne seraient faits que sur une courte période de temps (S.F. voulant reprendre le travail après l’opération mineure qu’il subirait). Il a été convenu qu’ils se reverraient dans un mois ou deux. L’intimé a mentionné au comité que cette entrevue subséquente aurait pu être l’occasion de redistribuer dans d’autres fonds les sommes d’argent investies, d’examiner la possibilité de réduire le montant des retraits, de recommencer à contribuer au régime « et [de] penser à faire un REER ».

[50]       Il a aussi été mentionné, lors de cette entrevue, que Sylvain Goulet pourrait prendre la relève auprès de J.F. et S.F. après son hospitalisation.

[51]       L’entrevue a duré environ 45 minutes.

[52]       L’intimé a témoigné avoir posé des questions à J.F. et à S.F. et avoir complété leur profil d’investisseur[10]. Au cours de l’exercice, ils ont eux-mêmes qualifié leur situation de « précaire » puisque S.F. était « le seul revenu » du couple et qu’il n’était pas en mesure de travailler.

[53]       L’intimé a expliqué au comité qu’il n’avait pas posé à J.F. et S.F. les questions apparaissant aux documents « Questionnaire : votre profil d’investisseur » préparés par Industrielle Alliance, mais des questions analogues.

[54]       Il a témoigné avoir ensuite parlé du produit proposé aux consommateurs et leur avoir mentionné que s’il y avait des frais : « on va vous les rembourser ».

[55]       Il a de plus posé des questions à S.F. et à J.F. quant à leurs placements et dettes. N’ayant pas sa tablette quadrillée, il a mémorisé les réponses des consommateurs et rédigé la note manuscrite I-7 lorsqu’il est revenu à son bureau.

[56]       Il a complété avec J.F. et S.F. les propositions de contrat de fonds distincts à soumettre à Standard Life[11]. Quant à l’item 7 de la proposition de S.F. « Renseignements sur le bénéficiaire », S.F. lui a dit de ne rien écrire, « car ça attire la mort ». Il a par ailleurs coché « succession » sur la proposition de J.F. suivant en cela les instructions de S.F.

[57]       L’intimé a précisé qu’il a fourni de plus longues explications à J.F. le 5 juin 2014, car elle était « plus parlable » que son conjoint lequel « avait hâte de signer ». Il a ajouté que c’était S.F. qui « dirigeait ».

[58]       Suite à cette entrevue du 5 juin 2014, J.F. a reçu, aux alentours du 24 juin 2014, un premier chèque de retrait. S.F. est décédé le 8 juillet 2014. Les retraits se sont poursuivis jusqu’au 14 août 2014 (J.F. avait alors encaissé certains comptes à recevoir de l’entreprise de son défunt conjoint ainsi que la prestation d’une police d’assurance vie).

[59]       Réalisant que le transfert des fonds distincts d’Empire à Standard Life avait entrainé des frais de sortie au montant de 3 896,50 $, J.F. a porté une plainte à l’Autorité des marchés financiers (AMF) contre l’intimé le 7 juillet 2014[12].

[60]       L’intimé en a été informé le 21 juillet 2014.

[61]       Au moyen de chèques du 25 juillet 2014, Services financiers S. Goulet Inc. a remboursé cette somme de 3 896,50 $ à J.F.[13].

III – L’ANALYSE RELATIVE AUX CHEFS D’INFRACTION 1, 3, 4 ET 5

a)   L’intimé est-il coupable d’avoir procédé, le 5 juin 2014, au transfert au comptant des fonds distincts des polices que détenaient chez Empire, S.F. (chef 3) et J.F. (chef 5) à des polices chez Standard Life, alors que ces transferts ne correspondaient pas à leurs objectifs de placement ni à leur situation financière et personnelle et d’avoir ainsi contrevenu aux articles 16 et 27 de la LDPSF et 12, 24 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CD)?

[62]       L’avocat de l’intimé, lors de ses représentations en fin d’audience, a plaidé, en référant au libellé des chefs d’infraction 3 et 5 de la plainte, que le manquement reproché était spécifiquement d’avoir procédé au « transfert au comptant des fonds distincts » d’une police à une autre. La preuve ayant révélé qu’il était de l’essence même des fonds distincts que les transferts ne puissent être faits autrement « qu’au comptant » (plutôt qu’en « biens »), il en découlait, selon lui, que l’intimé devait par conséquent être acquitté de ces deux chefs d’infraction.  

[63]       Plaidant un second argument relié au premier, ce procureur a fait valoir que de retenir une interprétation plus large de ces deux chefs d’infraction serait injuste pour l’intimé lequel a présenté une défense pour contrer le manquement qui lui était spécifiquement reproché soit d’avoir « procédé au transfert au comptant de fonds distincts ».

[64]       Le comité rejette ces deux arguments. L’intimé fonde sa prétention sur une lecture trop étroite de ces deux chefs d’infraction.

[65]       La plaignante reproche en effet à l’intimé d’avoir procédé à des transferts qui ne correspondaient pas aux objectifs de placement ni à la situation financière et personnelle des consommateurs.

[66]       La mention « au comptant » ne sert qu’à préciser la façon dont les transactions ont été effectuées; il ne s’agit pas d’un élément essentiel des infractions reprochées.

[67]       Un argument de même nature a été soulevé par un ingénieur qui faisait l’objet d’une poursuite disciplinaire dans l’affaire Tremblay c. Dionne[14].

[68]       Deux des chefs d’infraction comportaient les mots « … dans le cadre d’un mandat relatif à la surveillance de la construction du viaduc … ». Le Tribunal des professions a considéré que l’ingénieur n’avait pas exercé la surveillance de l’exécution des travaux; il avait plutôt exécuté un mandat de conception. Le Tribunal des professions a ainsi acquitté l’intimé.

[69]       En révision judiciaire, le syndic de l’Ordre a prétendu que le Tribunal des professions avait fait preuve, au sujet de la rédaction de la plainte, d’un formalisme qui était étranger au droit disciplinaire en accordant aux mots « … dans le cadre d’un mandat relatif à la surveillance de la construction … » une portée qu’ils n’ont pas; ces termes ayant pour but d’identifier les circonstances dans lesquelles les infractions reprochées avaient été commises.

[70]       La Cour d’appel a retenu l’argument du syndic et a écrit ce qui suit :

« [84] D'une part, les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des professions, [2003] R.J.Q. 1277, paragr. [136] (C.S.); Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, précité; Béchard c. Roy, précité; Sylvie POIRIER, précitée, à la p. 25). De plus, le Code des professions exige simplement que le libellé de l'infraction indique sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel (article 129) et permette à l’intimé de présenter une défense pleine et entière (article 144). J'estime ces exigences remplies en l'espèce. Enfin, en lisant les chefs 1 et 4 de la plainte, il me paraît clair, comme le souligne l'appelant, qu'on ne peut raisonnablement prétendre que leurs termes introductifs ʺ dans le cadre d'un mandat relatif à la surveillance de la construction ʺ ont pu induire l'intimé en erreur sur la portée réelle des infractions reprochées. »  

[71]       De la même façon, dans notre dossier, l’intimé a été en mesure et a, de fait, présenté tant lors de l’enquête que de la plaidoirie, des faits et des arguments à l’encontre des manquements énoncés aux chefs d’infraction 3 et 5 tels qu’ils doivent être lus et compris.

[72]       Pour ces motifs, les arguments de l’intimé relatifs à la formulation de ces deux chefs d’infraction ne sont pas retenus.

[73]       L’intimé a également rappelé que la plaignante avait le fardeau de démontrer que les transferts auxquels il a procédé ne correspondaient pas aux objectifs de placement ni à la situation financière et personnelle de J.F. et de S.F. Cela dit, il a plaidé que cette démonstration requérait une preuve d’expert; la plaignante n’en ayant pas présentée, l’intimé devrait être acquitté.

[74]       Après analyse de celle-ci, le comité rejette l’argument.

[75]       Dans plusieurs décisions, on fait état de la nécessité pour un plaignant de présenter une preuve d’expert lorsqu’au chef d’infraction l’on invoque une disposition  imposant au professionnel l’obligation d’agir selon les normes ou les principes généralement reconnus au sein de sa profession[15]. L’expert est alors appelé à faire la preuve de la norme ou du principe généralement reconnu et, une fois cette preuve faite, son témoignage aide les décideurs à déterminer si le professionnel a dérogé ou non à la norme mise en preuve[16], et si c’est le cas, à déterminer dans quelle mesure il l’a fait. Le professionnel pourra être reconnu coupable si le comité est convaincu qu’est significatif l’écart entre la norme et la conduite mises en preuve. Aux chefs d’infraction 3 et 5, il n’est pas fait référence, dans les articles de rattachement, à l’obligation, pour le représentant, d’agir selon une norme ou un principe généralement reconnu; une preuve d’expert n’est donc pas imposée par le libellé de ces dispositions.

[76]       Dans d’autres circonstances, il peut s’avérer utile (ou même nécessaire dans certains cas), de présenter une preuve d’expert afin d’apporter aux décideurs l’éclairage requis au sujet d’une question technique ou scientifique complexe relative aux éléments essentiels d’un chef d’infraction. Par contre, une telle preuve ne sera pas requise s’il n’y a « au regard des éléments essentiels du chef d’infraction aucune question de nature scientifique, technique ou d’une complexité telle qu’elle [nécessite] l’éclairage d’une personne plus avertie »[17].

[77]       Dans un jugement récent[18], la Cour du Québec (siégeant en appel d’une décision du comité de discipline de la CSF) mentionnait que notre comité « possède une connaissance d’office plus grande que les tribunaux judiciaires » et qu’il « peut se référer à sa jurisprudence, à ses connaissances professionnelles en tant que membre de cet Ordre et aux définitions des différents produits financiers et d’assurances disponibles ».

[78]       Dans une décision rendue par notre comité en 2014[19], on retrouve les passages suivants :

       « [59] En terminant, il faut souligner que l’intimé, par l’entremise de son procureur, a invoqué pour sa défense le fait qu’aucune preuve au moyen d’un expert n’a été présentée pour contester l’évaluation qu’il faisait de ses clients en leur recommandant d’investir dans le Fonds immobilier Great-West et/ou pour analyser la justesse de la stratégie de placement qu’il leur a suggérée.

[60Or, de l’avis du comité, dans un cas aussi évident que celui en l’espèce, nul besoin n’est de recourir à des expertises, les faits étant simples et facilement intelligibles. »

[79]       Dans le présent dossier, la preuve d’expert est-elle nécessaire? Le comité ne le croit pas. La situation financière et personnelle des consommateurs, leurs objectifs de placement et les caractéristiques offertes par les produits en cause sont des éléments de preuve qui ne présentent pas un degré élevé de complexité.

[80]       Les faits pertinents ont été établis par les témoignages des témoins des faits et par la production de documents (notamment les contrats avec les compagnies d’assurance, les relevés transmis aux consommateurs et les notices explicatives[20]).

[81]       La situation financière et personnelle des consommateurs ainsi que leurs objectifs de placement sont des faits qui devaient être mis en preuve par des témoins ordinaires (ils ne requéraient pas de témoignage d’opinion). Les caractéristiques offertes par les produits d’Empire et de Standard Life sont intelligibles à la simple lecture de la preuve documentaire soumise.

[82]       La compréhension de l’ensemble de ces éléments est manifestement à la portée du comité et les constats qu’il retient sont tirés de l’analyse qu’il fait des éléments mis en preuve. La preuve par expert n’est donc pas nécessaire.

[83]       Après avoir analysé l’ensemble de la preuve, le comité est convaincu que le besoin des clients (ou, en d’autres termes, leurs objectifs de placement compte tenu de leur situation financière) était d’interrompre leurs contributions mensuelles aux REER, le retrait sans frais (et le plus rapidement possible, de façon hebdomadaire, pour une période indéterminée mais probablement brève) de sommes d’argent de leur REER afin de pallier un manque à gagner résultant de l’invalidité de S.F.

[84]       Or, les fonds distincts détenus par S.F. et J.F. dans leur REER auprès d’Empire leur permettaient de retirer des fonds (sans frais ou à peu de frais). Au moment du transfert le 5 juin 2014, les fonds distincts détenus chez Empire pour S.F. s’élevaient à 46 938,56 $[21] et ceux qui l’étaient pour J.F. totalisaient 77 886,22 $[22].

[85]       S.F. et J.F. pouvaient retirer annuellement, sans frais de sortie, jusqu’à 12 % des fonds au crédit de leur régime chez Empire. De plus, S.F. détenait chez Empire, au moment du transfert, 7 668 $ de fonds libres sans frais et 5 198 $ dont les frais de sortie étaient de 140,18 $[23].

[86]       Le rachat des fonds détenus chez Empire en vue du transfert chez Standard Life a entraîné des frais de sortie de 1 164,60 $ pour S.F. et de 2 731,90 $ pour J.F.[24].

[87]       Cette démonstration convainc le comité que S.F. et J.F. pouvaient, à partir de leur régime chez Empire, retirer sans frais, pendant plusieurs semaines, la somme de 1 000 $ dont ils prévoyaient avoir besoin de façon temporaire.

[88]       L’intimé, quant à lui, a d’abord témoigné (en interrogatoire en chef) que chez Empire, il en aurait coûté à S.F. et à J.F. 3 % de frais pour chaque retrait hebdomadaire de 1 000 $. Cette constatation l’avait alors amené à chercher pour les consommateurs d’autres produits que ceux offerts par Empire.

[89]       En contre-interrogatoire, il a admis que ce qu’il avait dit à ce sujet, en réponse aux questions de son avocat, était incorrect et qu’à chaque année 12 % des fonds pouvaient être effectivement retirés sans frais des REER de S.F. et de J.F. chez Empire.

[90]       Cet élément, qui était pourtant au centre des demandes des consommateurs, n’a pas été pris en compte de façon adéquate par le représentant. Il a plutôt cherché des produits qui pourraient permettre l’atteinte d’objectifs autres que ceux qui étaient au coeur des préoccupations exprimées par les consommateurs, tels un rendement plus élevé et une plus grande flexibilité.

[91]       L’intimé a pourtant témoigné que les retraits hebdomadaires ne devaient durer qu’un mois ou deux; que les consommateurs et le conseiller devant ensuite se revoir et qu’il était même possible que Sylvain Goulet, le représentant de S.F. et de J.F. depuis plusieurs années, soit alors disponible pour reprendre le dossier.

[92]       Le comité s’explique mal pourquoi l’intimé (qui a agi comme « frappeur de relève » à l’égard de consommateurs à qui il n’avait jamais rendu auparavant de services professionnels, dans une situation de relative urgence où une solution temporaire était recherchée) a recommandé à J.F. et à S.F. de transférer des fonds distincts d’une police à une autre alors que cette opération a entraîné des frais pour eux de 3 896 $.

[93]       L’intimé a témoigné avoir dit à J.F. et à S.F., lors de l’entrevue à l’hôpital le 5 juin 2014, que s’il y avait des frais, « on va vous les rembourser ». J.F. a témoigné au contraire qu’il n’avait pas été question de frais.

[94]       Le comité ne retient pas cette portion du témoignage de l'intimé quant à cette question de frais.

[95]       Le comité fonde cette conclusion sur le témoignage crédible de J.F. et sur le fait que ce remboursement n’a été effectué (le 25 juillet 2014) qu’après que l’intimé eût été informé (le 21 juillet 2014) du dépôt de la plainte de J.F. auprès de l’AMF.

[96]       Bien que les frais aient été remboursés après que l’intimé eût été informé du dépôt de la plainte à l’AMF, il n’en demeure pas moins que le transfert de fonds qu’il a orchestré a généré des frais de sortie de près de 4 000 $ pour régler un problème de liquidité qui ne devait qu’être temporaire (et qui, dans les faits, l’a été : du 26 juin au 14 août 2014).

[97]       Ne serait-ce que pour cette question de frais de sortie, le comité est d’avis qu’il était inapproprié de procéder à l’annulation des contrats détenus auprès d’Empire et à la souscription de polices auprès de Standard Life.

[98]       Mais il y a plus; par le transfert de fonds distincts chez Standard Life, on astreignait les consommateurs à une nouvelle « cédule » de frais. Ajoutons à cela que les contrats avec Empire offraient la possibilité de réinitialiser les garanties tandis que ceux avec Standard Life ne le permettaient pas. Soulignons également que la garantie au décès dans le cas des contrats avec Empire était de 100 % tandis qu’elle n’était que de 75 % dans les contrats avec Standard Life.

[99]       Pour toutes ces raisons, ce transfert ne correspondait pas aux objectifs de placement de J.F. et de S.F. ni à leur situation financière et personnelle, le 5 juin 2014.

[100]    En procédant de la sorte, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme et compétence (article 16 LDPSF); il n’a pas recueilli les renseignements lui permettant d’identifier le besoin des clients (article 27 LDPSF); il n’a pas agi en conseiller consciencieux et il n’a pas donné à ses clients tous les renseignements nécessaires ou utiles (article 12 CD); il ne s’est pas acquitté de son mandat de façon diligente (article 24 CD); et il a exercé ses activités de façon négligente (article 35 CD).

[101]    L’intimé sera donc reconnu coupable, pour ce qui est des chefs d’infraction 3 et 5, d’avoir contrevenu à l’article 12 du CD (il s’agit de la disposition qui décrit le mieux sa faute).

[102]    Afin de respecter la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, le comité ordonnera par ailleurs la suspension conditionnelle des procédures en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la LDPSF et 24 et 35 du CD.

b)    L’intimé est-il coupable de ne pas avoir recueilli, le 5 juin 2014, tous les renseignements ni procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de S.F. (chef 1) et de J.F. (chef 4) alors qu’il leur a fait souscrire des polices et d’avoir ainsi contrevenu aux articles 16 et 27 de la LDPSF et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (Règlement)?

[103]    L’article 6 du Règlement est clair quant à la teneur des obligations imposées aux représentants en assurance de personnes.

[104]    Cet article se lit comme suit :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d’assurance ou d’offrir un produit d’assurance de personnes comportant un volet d’investissement, dont un contrat individuel à capital variable, analyser avec le preneur ses besoins ou ceux de l’assuré.

Ainsi, selon le produit offert, le représentant en assurance de personnes doit analyser avec le preneur, notamment, ses polices ou contrats en vigueur ou ceux de l’assuré, selon le cas, leurs caractéristiques et le nom des assureurs qui les ont émis, ses objectifs de placement, sa tolérance aux risques, le niveau de ses connaissances financières et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à sa charge et ses obligations personnelles et familiales.

Le représentant en assurance de personnes doit consigner les renseignements recueillis pour cette analyse dans un document daté. Une copie de ce document doit être remise au preneur au plus tard au moment de la livraison de la police. »

[105]    L’intimé prétend avoir satisfait à ces obligations :

      en complétant le « Questionnaire : votre profil d’investisseur » avec chacun des consommateurs[25];

      en inscrivant, à son retour au bureau, sur une feuille de papier quadrillée, les informations que lui avaient fournies J.F. et S.F., quant à leurs placements et à leurs dettes, à l’hôpital le 5 juin 2014 et qu’il avait mémorisées[26].

[106]    L’intimé a transmis, le 23 septembre 2015, à l’enquêteur Sébastien Lévesque, un courriel sur lequel il a indiqué : « Je n’ai pas trouvé de preuve que j’ai remise l’ABF [analyse de besoins financiers] à la cliente ».[27]

[107]    J.F a témoigné que l’intimé ne leur avait pas posé de questions quant à leurs dettes et placements, ne pas avoir vu, à l’hôpital, le 5 juin 2014, les documents « Questionnaire : votre profil d’investisseur »[28] et ne pas en avoir reçu copie par la suite[29].

[108]    Après analyse des témoignages de J.F. et de l’intimé, le comité conclut qu’une portion d’environ 30 minutes de l’entrevue du 5 juin 2014 a été consacrée aux questions qui relèvent de l’expertise d’un représentant.

[109]    Une partie de cette brève période de temps aurait servi à expliquer les tableaux sur lesquels apparaissent des retraits annuels de 52 000 $ et divers taux de rendement[30] et à expliquer et compléter les propositions à soumettre à Standard Life[31] (un produit difficile à comprendre et à expliquer selon le témoignage de l’intimé).

[110]    Si tant est que l’intimé (tel qu’il en a témoigné) a complété, avec chacun des consommateurs, le formulaire visant à établir leur profil d’investisseur[32], le comité ne croit pas qu’il se soit livré (dans un laps de temps aussi court) avec les consommateurs (lesquels avaient peu de connaissances en ces matières) à une analyse satisfaisante de plusieurs éléments mentionnés à l’article 6 du Règlement avant de leur faire souscrire les propositions de contrat en faveur de Standard Life.

[111]    Il n’a pas analysé avec eux les caractéristiques des contrats qu’ils détenaient auprès d’Empire quant aux sommes qu’ils pouvaient retirer sans frais de sortie; quant aux garanties, quant aux dates d’échéance et quant à la possibilité de réinitialisation.

[112]    Il n’a pas non plus analysé de façon adéquate leur revenu (compte tenu de l’état d’invalidité de S.F.) ni leurs obligations personnelles et familiales; il n’a pas non plus établi leur bilan financier.

[113]    L’intimé a témoigné avoir rédigé de mémoire sur une feuille quadrillée[33] ce que les consommateurs lui avaient fourni comme informations à l’hôpital quant à leurs placements et à leurs dettes.

[114]    Le comité est d’avis que cette façon de procéder est nettement insatisfaisante.

[115]    De plus, les informations recueillies sur cette feuille quadrillée ne sont pas complètes.

[116]    Le comité constate, entre autres, qu’on ne retrouve à ce document aucune mention de la valeur de la propriété de J.F. et de S.F. ni des comptes à recevoir de l’entreprise de S.F.

[117]    Au-delà de cette cueillette d’informations trop sommaire, le comité ne voit pas dans la preuve d’éléments pouvant l’amener à conclure que l’intimé a procédé à une analyse satisfaisante des besoins financiers des consommateurs pouvant justifier qu’il leur soit proposé de souscrire des polices (comportant un FERR) en remplacement de leur police (comportant un REER) dans un contexte où ils recherchaient avant tout une solution à un problème temporaire d’une durée indéterminée.

[118]    Le comité est d’avis que l’intimé n’a pas agi avec compétence et professionnalisme (article 16 LDPSF); qu’il n’a pas recueilli les renseignements nécessaires lui permettant d’identifier les besoins de ses clients afin de leur proposer le produit d’assurance qui leur convient le mieux (article 27 LDPSF) et qu’il n’a pas rempli, de façon satisfaisante, les obligations prévues à l’article 6 du Règlement.

[119]    Ce dernier article décrivant le mieux la faute commise par l’intimé, le comité, pour ce qui est des chefs d’infraction 1 et 4, déclarera l’intimé coupable d’y avoir contrevenu.

[120]    Afin de respecter la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, le comité ordonnera par ailleurs la suspension conditionnelle des procédures en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la LDPSF.

IV – LES FAITS PERTINENTS AU CHEF D’INFRACTION 2 ET L’ANALYSE

L’intimé doit-il être reconnu coupable d’avoir complété, le ou vers le 5 juin 2014, la section « Renseignements sur le bénéficiaire » de la proposition du contrat « Fonds distincts Idéal Signature 2.0 » après que S.F. ait signé la proposition et d’avoir ainsi contrevenu aux articles 16 de la LDPSF et aux articles 11, 34 et 35 du CD?

[121]    La preuve présentée révèle notamment ce qui suit.

[122]    Le 12 mars 2015, l’intimé a fait parvenir aux enquêteurs de la CSF la copie (« 3e exemplaire – conseiller ») qu’il avait conservée de la proposition de contrat signée par S.F. le 5 juin 2014, en faveur de Standard Life[34] [35]. À la section « 7 – Renseignements sur le bénéficiaire », de cette copie, il n’y a pas de crochet à l’endroit où on retrouve les mots «   □Succession du titulaire du contrat ou □Bénéficiaire ».

[123]    Par contre, sur l’original de ce contrat obtenu par les enquêteurs de la CSF de Standard Life (« Original – Standard Life »), un crochet est indiqué à la main : « þSuccession du titulaire du contrat »[36].

[124]    L’intimé a témoigné qu’à l’hôpital, le 5 juin 2014, S.F. lui a demandé de ne rien écrire à cette section, car « ça attire la mort ».

[125]    L’intimé n’a donc rien coché, il a transmis l’original du contrat à l’entreprise Agenz (qui agissait comme intermédiaire entre le représentant et les assureurs) afin qu’il soit ensuite acheminé à Standard Life.

[126]    Par la suite, le 11 juin 2014, madame Jacqueline Danis de Agenz, lui a écrit; elle lui a demandé de lui indiquer le nom du bénéficiaire[37]. L’intimé a communiqué avec elle et il lui a dit de laisser cette section en blanc, de ne rien cocher, car c’était là la volonté du client.

[127]    Lors de l’audience, l’intimé a expliqué qu’il était d’avis que le résultat serait le même que cette section soit cochée ou qu’elle ne soit pas complétée; dans un cas comme dans l’autre, selon lui, l’argent revenait à la conjointe de S.F.

[128]    À l’audience, l’intimé a dit constater que l’original du contrat détenu par Standard Life comporte un crochet, mais il a témoigné qu’il n’a pas coché l’original après que S.F. l’ait signé le 5 juin 2014 ni demandé à ce qu’un crochet soit apposé.

[129]    Il a produit à l’audience sa copie du document « Autorisation de transfert de placements enregistrés » adressée à Standard Life dans le dossier de J.F.[38] et l’a comparée à l’original obtenu par les enquêteurs de la CSF de Standard Life[39].

[130]    À la section 3 de ce document, l’intimé avait écrit, à la main, les coordonnées de l’institution cédante (Empire). Sur l’original[40], on voit que ces mentions ont été biffées et remplacées par d’autres coordonnées.

[131]    L’intimé a souligné qu’il avait également transmis ce document à Agenz et que celle-ci l’avait ensuite acheminé à Standard Life.

[132]    L’intimé a témoigné qu’il ne reconnaissait pas l’écriture de la personne qui avait biffé et apporté les modifications sur ce document d’autorisation de transfert et il a émis l’hypothèse que les changements avaient été apportés par Agenz.

[133]    Le comité ne croit pas que l’intimé a complété la section « Renseignements sur le bénéficiaire » de la proposition[41] le 5 juin 2014 après que S.F. l’ait signée.

[134]    En effet, Mme Danis a écrit à l’intimé le 11 juin 2014[42] pour qu’il le fasse. Pourquoi lui aurait-elle écrit, si l’intimé avait déjà coché cette section?

[135]    L’aurait-il fait par la suite? Les éléments au dossier tendent plutôt à démontrer qu’une autre personne que l’intimé aurait apposé un crochet sur l’original de la proposition[43].

[136]    Ajoutons à cela que l’intimé a mentionné être d’avis que de cocher ou non cette section n’avait pas d’impact : dans un cas comme dans l’autre, l’argent, selon lui, revenait à J.F.

[137]    L’opinion ou l’état d’esprit qu’avait l’intimé sur cette question (qu’il ait raison ou tort) amènent le comité à conclure qu’il n’avait pas de motif pour compléter cette section de la proposition après que S.F. l’ait signée.

[138]    La plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau; elle n’a pas fait la preuve, de façon prépondérante, de la culpabilité de l’intimé.

[139]    L’intimé sera donc acquitté du chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction énoncé au paragraphe 1 de la plainte en ce qui a trait à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction énoncé au paragraphe 1 de la plainte en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

ACQUITTE l’intimé du chef d’infraction énoncé au paragraphe 2 de la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte en ce qui a trait à l’article 12 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction énoncé au paragraphe 3 de la plainte en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et aux articles 24 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction énoncé au paragraphe 4 de la plainte en ce qui a trait à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction énoncé au paragraphe 4 de la plainte en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction énoncé au paragraphe 5 de la plainte en ce qui a trait à l’article 12 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction énoncé au paragraphe 5 de la plainte en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et aux articles 24 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

CONVOQUE les parties à l’audience sur sanction et demande à la secrétaire du comité de faire le nécessaire à cet égard.

 

 

 

 

 

 

(s) Sylvain Généreux  ________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

 

 

(s) Jacques Denis  ___________________

M. Jacques Denis, A.V.A. Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la plaignante

 

Me Martin Courville

LGB Avocats Regroupement d'avocats autonomes

Procureurs de l’intimé

 

 

 

Dates d’audience :

 5 et 6 avril, 8 et 9 mai 2017

 

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-5.

[2] P-6.

[3] P-1.

[4] P-8.

[5] I-9.

[6] P-10 et P-11.

[7] P-11.

[8] P-11, section 4 de l’autorisation de transfert de placements enregistrés.

[9] I-5.

[10] P-8 et I-9.

[11] P-9 et P-10.

[12] P-2.

[13] P-16.

[14] 2006 QCCA 1441.

[15] Mongrain c. Infirmières, 1999 QCTP 36 (CanLII); Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff 2001 QCTP 008 (CanLII); Malo c. Infirmières 2003 QCTP 132; Gourgi c. Dentistes 2003 QCTP 121.

[16] Une telle preuve d’expert n’est cependant pas requise dans des cas où l’inconduite est tellement manifeste que le sens commun suffit à la constater. Mongrain c. Infirmières, 1999 QCTP 36 (CanLII); Malo c. Infirmières 2003 QCTP 132.

[17] Jondeau c. Acupuncteurs 2006 QCTP 87.

[18] Lelièvre c. Bonnici, 2017 QCCQ 5601, par. 34.

[19] Champagne c. Gélinas, 2014 CanLII 39920, par. 59 et 60.

[20] P-12 et P-13.

[21] P-5.

[22] P-6.

[23] P-9.

[24] P-3.

[25] P-8 et I-9.

[26] P-7.

[27] P-7.

[28] P-8 et I-9.

[29] P-8 et I-9.

[30] I-5.

[31] P-8 et P-10.

[32] P-8 et I-5.

[33] P-7.

[34]   P-10.

[35]   Il a été mis en preuve que les propositions et autres formulaires relatifs à la réalisation d’une transaction comportaient un original (sur le dessus) et trois copies (en dessous) séparés par du papier carbone et que les inscriptions et signatures étaient apposées sur l’original.

[36] P-9.

[37] I-6.

[38] I-3.

[39] P-11.

[40] P-11.

[41] P-10.

[42] I-7.

[43] P-10.

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