Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1193

 

DATE :

25 janvier 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Monique Puech

Membre

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre

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LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MARIO LANGLAIS, (numéro de certificat 119074, BDNI 1523761)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 21 septembre 2017, au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, en la ville de Montréal, province de Québec, H3A 3H3, et a procédé à l'audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[2]           Alors que la plaignante déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir, l’intimé choisit de témoigner.

[3]           Ce dernier débuta en affirmant qu’à la suite des événements mentionnés à la plainte, son employeur ainsi que les autorités, soit l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la Chambre de la sécurité financière, avaient enquêté sur ses agissements et vérifié plusieurs de ses dossiers, mais que l’ensemble de leurs vérifications et investigations n’avait mené à aucune nouvelle charge disciplinaire contre lui.

[4]           Relativement aux emprunts qui lui ont été reprochés aux chefs 1, 2, 3 et 5, il raconta qu’au moment des événements, « il investissait dans l’immobilier, dans la rénovation, la modification, la transformation, etc. d’immeubles » et que les clients en cause avaient démontré un intérêt à s’associer à son entreprise. Il avait donc choisi de leur permettre de participer à celle-ci au moyen de prêts auxquels il avait attribué des rendements intéressants. Il ajouta que dans l’un des cas « le prêt avait été garanti au moyen d’une hypothèque sur immeuble ».

[5]           Il poursuivit en déclarant qu’il « comprenait maintenant les fautes qu’il commettait alors », qu’il « ne referait plus cela », ajoutant de plus que ses agissements avaient mené à une situation où « il a perdu beaucoup d’argent (environ un million de dollars [1 M$]) ».

[6]           Après avoir laissé entendre qu’il avait sous-estimé les risques inhérents à la location de logements ou de locaux, que le fonds de roulement de son entreprise était devenu insuffisant pour couvrir les réparations et les pertes de loyers et que c’est ce qui avait mené à sa « déconfiture », il ajouta qu’il n’avait pas su s’entourer de bons partenaires d’affaires.

[7]           Il reconnut, par ailleurs, qu’en agissant tel qu’il lui a été reproché, il s’était placé en situation de conflit d’intérêts, ce qui avait mené à son congédiement. Il indiqua qu’il avait alors dû se résigner à vendre sa clientèle.

[8]           Après avoir souligné qu’en plus d’être dorénavant privé d’un emploi rémunérateur, il avait « perdu sa résidence principale ». Il raconta que pendant un certain temps, l’ensemble de ses comptes bancaires « avait été gelé ».

[9]           Selon ce qu’il a rapporté, il aurait « été enquêté » pendant une période de trois à cinq ans. Et il aurait alors fourni aux autorités tous les documents financiers ainsi que toutes les pièces justificatives « des réparations, de l’entretien, des dépenses, des déboursés, etc. » de son entreprise.

[10]        Suivant ses affirmations, il n’aurait d’aucune façon utilisé les fonds de celle-ci pour voyager, pour des achats personnels importants ou à d’autres fins que pour ses « investissements en immobilier ».

[11]        Après avoir ainsi signalé qu’il ne s’était donc nullement enrichi, il mentionna avoir dû débourser à titre de frais « pour se défendre » une somme d’environ trente-deux mille dollars (32 000 $) et se trouver maintenant dans une situation financière précaire, ajoutant qu’il s’était néanmoins abstenu jusqu’à présent de faire cession de ses biens ou de déclarer faillite.

[12]        Il affirma ensuite que les risques qu’il ne récidive étaient, à son avis, « zéro » puisque s’il devait à nouveau choisir d’investir dans l’immobilier, « ce ne serait pas avec ses clients ».

[13]        Il conclut sur ces chefs en avouant que ses agissements avaient causé un préjudice important aux clients concernés.

[14]        Relativement au chef 4 lui reprochant d’avoir fait signer en blanc par son client des formulaires de substitution ou de conversion, il admit avoir alors commis « une erreur monumentale », mais signala qu’ayant débuté en 1987 dans la profession, à l’époque celle-ci « s’exerçait différemment ».

[15]        Il ajouta que le client en cause lui avait réclamé que les formulaires lui soient postés et s’était alors engagé à les signer et à les lui retourner.

[16]        Il insista avoir agi en toute bonne foi et sans aucune intention malveillante, mais déclara assumer « son erreur », mentionnant que relativement à ce chef, il était d’accord avec la suggestion que lui avait transmise la plaignante à l’effet qu’il lui soit imposé une radiation temporaire d’un mois.

[17]        Puis, après avoir relevé les conséquences malheureuses de l’ensemble de ses fautes, tant pour lui-même que pour sa famille et ses amis, il résuma la situation en déclarant qu’il en était aujourd’hui réduit, pour subvenir à ses besoins, à « faire du gazon l’été et à nettoyer les autoroutes l’hiver ».

[18]        Il termina en mentionnant qu’il n’était « pas intéressé » à continuer à œuvrer dans le domaine de la distribution de produits d’assurance ou financiers, mais indiqua qu’à titre de sanction « il serait disposé à donner des présentations » aux membres de la Chambre relativement aux conséquences découlant de gestes comme ceux qu’il a posés.

[19]        Après qu’il eût conclu son témoignage les parties soumirent au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[20]        La plaignante, par l’entremise de son procureur, débuta en indiquant qu’elle suggérait au comité l’imposition des sanctions suivantes :

          Sous chacun des chefs 1, 2, 3 et 5 :

La condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de cinq (5) ans, à être purgée de façon concurrente.

          Sous le chef d’accusation numéro 4 :

La condamnation de l’intimé à une radiation temporaire d’un (1) mois, à être purgée de façon concurrente avec toute autre sanction de radiation.

[21]        Elle ajouta réclamer de plus la publication d’un avis de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[22]        Elle signala que dans l’élaboration de ses recommandations, elle avait notamment pris en considération les facteurs, à son opinion, aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants :

-       Le préjudice important (de l’ordre de trois cent mille dollars – 300 000 $), subi par les clients, même si certains ont bénéficié d’un remboursement « partiel » de la part d’Investors;

-       L’avantage « direct » retiré par l’intimé du préjudice subi par les clients : « ce que ces derniers ont perdu, l’intimé l’a acquis »;

-       Une situation où un couple de consommateurs s’est vu « contraint » de souscrire un prêt hypothécaire de l’ordre de trois cent mille dollars (300 000 $) afin de disposer de la somme nécessaire pour prêter à l’intimé[1];

-       Des fautes de même nature, répétées et multiples avec « tout autant de victimes »;

-       Un risque, à son avis, élevé de récidive.

Facteur atténuant :

-       L’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé.

[23]        Elle termina en déposant au soutien de ses recommandations, un cahier d’autorités contenant six décisions antérieures du comité[2].

[24]        Dans chacune des trois décisions citées à l’appui de sa recommandation relativement aux chefs 1, 2, 3 et 5, les représentants ayant commis des infractions de nature semblable à celles y mentionnées ont été condamnés à des radiations temporaires de cinq (5) ans.

[25]        Dans chacune des trois décisions citées à l’appui de sa recommandation relativement au chef 4, les représentants fautifs, pour une ou des infractions similaires, ont été condamnés à des radiations temporaires de trente (30) jours ou d’un (1) mois.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[26]        L’intimé débuta en répétant son accord à l’imposition d’une radiation temporaire d’un (1) mois sous le chef 4, mais indiqua qu’il contestait la suggestion de la plaignante pour l’imposition de radiations temporaires de cinq (5) ans sous les chefs 1, 2, 3 et 5.

[27]        Il laissa entendre « avoir déjà été suffisamment puni » pour lesdites infractions, ayant « perdu » son emploi et plus généralement « subi la perte de l’ensemble de son patrimoine ».

[28]        Il affirma que les conséquences de ses fautes, tant pour lui-même que pour sa famille et ses amis, avaient été considérables et douloureuses.

[29]        Il termina en mentionnant à nouveau que plutôt que de se voir imposer une radiation temporaire de cinq (5) ans il serait disposé à « donner des conférences » ou des exposés aux membres de la Chambre afin de les sensibiliser aux conséquences de gestes comme ceux qui lui ont été reprochés, et ce, de façon à éviter qu’ils commettent les mêmes erreurs que lui.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[30]        Selon ce qu’a déclaré l’intimé, il a débuté dans le domaine de la distribution de produits et de services financiers ou d’assurance en 1987. Suivant l’attestation de droit de pratique déposée au dossier, il détient des certificats depuis 1991.

[31]        Selon ce qu’il a affirmé, il est maintenant âgé de 56 ans.

[32]        Il ne possède aucun antécédent disciplinaire.

[33]        Tel qu’il l’a plus amplement lui-même exposé devant le comité, il a certes vécu depuis le début des événements qui lui ont été reprochés une période difficile, et ce, tant personnellement que professionnellement.

[34]        Il a été congédié par son employeur et a dû supporter comme conséquence de ses actes et de ses fautes la perte d’une grande partie, sinon de l’ensemble du patrimoine qu’il était parvenu à se constituer jusqu’alors.

[35]        Afin de gagner sa vie et de pourvoir aux besoins de sa famille, tel que précédemment rapporté, il travaille maintenant, selon ce qu’il a déclaré, « au gazon l’été et au déneigement l’hiver ».

[36]        La malhonnêteté ne caractérise pas ses agissements et la preuve ne révèle pas qu’il ait été animé d’intentions malveillantes.

[37]        Des enquêtes sérieuses, tant de la part de son employeur que des autorités, n’ont pas permis, en toute vraisemblance, d’établir qu’il aurait commis des fautes déontologiques autres que celles qui lui ont été reprochées à la plainte.

[38]        Il faut de plus ajouter qu’il a pleinement collaboré avec les autorités chargées d’enquêter sur ses agissements.

[39]        Relativement aux infractions qui lui ont été reprochées aux chefs 1, 2, 3 et 5, les sommes empruntées des clients semblent avoir servi aux fins auxquelles elles étaient destinées, soit au fonctionnement ou aux opérations de l’entreprise qu’il détenait dans le domaine immobilier. La preuve n’a pas révélé qu’elles puissent avoir servi à des fins personnelles tel l’achat de biens de luxe importants ou pour lui permettre de se payer des voyages, par exemple.

[40]        Lors de son témoignage, il a affirmé avoir maintenant appris « d’éviter à tout prix » de se placer en situation de conflit d’intérêts. Il a alors indiqué avoir « compris » les fautes qu’il a commises. Il est apparu de bonne foi lorsqu’il a déclaré qu’il ne referait plus jamais ce qu’il a fait.

[41]        Relativement au chef numéro 4, il a admis avoir commis une erreur qu’il a par ailleurs, de lui-même, qualifiée de « monumentale ».

[42]        Devant le comité, il a exprimé des regrets pour les gestes qu’il a posés qui ont semblé sincères.

[43]        Néanmoins, la gravité objective des infractions qu’il a commises ne fait aucun doute.

[44]        Elles vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à ternir l’image de celle-ci.

[45]        De plus et d’une part, pour un représentant, emprunter de ses clients est une faute des plus sérieuses. En agissant de la sorte, ce dernier se place en situation de conflit d’intérêts et fait défaut de sauvegarder son indépendance.

[46]        Or, en l’espèce, l’intimé a commis ce type d’infraction de façon répétée : il a, à quatre (4) reprises, emprunté des sommes importantes de ses clients; quatre consommateurs distincts ont été « victimes » de ses agissements.

[47]        Et même si la preuve a révélé qu’il a remboursé partiellement, voir même en totalité dans le cas du prêt mentionné au premier chef, les sommes empruntées, elle a aussi démontré que les consommateurs concernés ont, dans l’ensemble, subi un préjudice important.

[48]        Aussi, compte tenu de ce qui précède, après considération de l’ensemble des faits et circonstances du dossier, la suggestion de la plaignante de condamner l’intimé sous chacun des chefs 1, 2, 3 et 5 à une radiation temporaire de cinq (5) ans, à être purgée de façon concurrente, apparaît justifiée. Ladite suggestion est de plus conforme aux précédents jurisprudentiels applicables[3].

[49]        D’autre part, tel que le comité l’a répété à plusieurs reprises, faire signer en blanc ou partiellement en blanc un formulaire ou document à ses clients n’est pas une faute bénigne. Les représentants ne sont pas en droit d’exiger de ces derniers qu’ils confirment à l’avance des informations dont ils ne prendront peut-être jamais connaissance.

[50]        Aussi, la suggestion de la plaignante de condamner l’intimé à une radiation temporaire d’un (1) mois sous le chef 4, tel que l’intimé l’a d’ailleurs lui-même reconnue, apparaît fondée et conforme.

[51]        En résumé donc, après considération des éléments tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été présentés, le comité est d’avis, qu’en l’espèce, l’imposition d’une radiation temporaire de cinq (5) ans sous les chefs 1, 2, 3 et 5 et d’une radiation temporaire d’un (1) mois (toutes les sanctions de radiation devant être purgées de façon concurrente) sous le chef 4 seraient des sanctions justes, appropriées, adaptées aux infractions ainsi que respectueuses des principes de dissuasion et d’exemplarité dont il ne peut faire abstraction.

[52]        Le comité donnera donc suite aux suggestions de la plaignante.

[53]        Par ailleurs, en l’absence d’éléments particuliers qui le justifieraient d’agir autrement, le comité ordonnera la publication d’un avis de la décision.

[54]        Enfin, relativement à l’acquittement des déboursés, conformément à la règle voulant que le représentant fautif en assume généralement le coût, le comité condamnera l’intimé au paiement de ceux-ci.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            Sous chacun des chefs numéro 1, 2, 3 et 5 mentionnés à la plainte :

CONDAMNE l’intimé à une radiation temporaire de cinq (5) ans, à être purgée de façon concurrente;

            Sous le chef numéro 4 mentionné à la plainte :

CONDAMNE l’intimé à une radiation temporaire d’un (1) mois, à être purgée de façon concurrente avec toute autre sanction de radiation;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, RLRQ, c.
C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

 

 

 

(S) François Folot

 

Me François Folot

Président du comité de discipline

 

(S) Monique Puech

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Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

(S) Serge Lafrenière

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M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

21 septembre 2017

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir à cet effet le paragraphe 23 de la décision sur culpabilité.

[2]     Chefs 1, 2, 3 et 5 :

      -     Chambre de la sécurité financière c. Malenfant, 2015 QCCDCSF 27;

      -     Chambre de la sécurité financière c. St-Jean, 2014 CanLII 50603 (QC CDCSF);

      -     Chambre de la sécurité financière c. Torabizadeh, 2010 CanLII 58 (QC CDCSF);

      Chef 4 :

-     Chambre de la sécurité financière c. Chaunt, 2016 QCCDCSF 28;

      -     Chambre de la sécurité financière c. Nemeth, 2015 QCCDCSF 24; et

      -     Chambre de la sécurité financière c. Bossé, 2016 QCCDCSF 37.

[3]     Signalons que sous ces chefs, la sanction offerte ou suggérée par l’intimé, bien qu’issue vraisemblablement d’une intention louable, en plus d’être, de l’avis du comité, tout à fait inappropriée, ne cadre aucunement avec les sanctions énumérées au Code des professions, et pour lesquelles le comité a juridiction.

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