Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

CD00-1187

 

 

 

DATE :

9 janvier 2018

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Benoit Bergeron, A.V.A, Pl. Fin.

Membre

M. Stéphane Prévost, A.V.C

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

 

YVON CHARLEBOIS, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rentes collectives (numéro de certificat 106822, BDNI 141661)

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du consommateur dont les initiales apparaissent à la plainte ainsi que de tout renseignement permettant de l’identifier.

 

 

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 26 octobre 2017, au siège social de la Chambre sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, en la ville de Montréal, province de Québec, H3A 3H3, et a procédé à l'audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[2]           D’entrée de jeu, les parties indiquèrent n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir.

[3]           Elles soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[4]           La plaignante, par l’entremise de sa procureure, débuta en indiquant qu’elle recommandait au comité l’imposition de la sanction suivante :

-       Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte : la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois.

[5]           Elle ajouta réclamer de plus la publication d’un avis de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[6]           Elle indiqua que dans l’élaboration de ses recommandations elle avait notamment pris en considération les facteurs aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants :

-       La gravité objective de l’infraction;

-       Le même geste fautif commis par l’intimé à 25 reprises;

-       La « négligence » démontrée par ce dernier, compte tenu notamment qu’au moment des événements reprochés il possédait 15 ans d’expérience à titre de représentant;

-       Des fautes portant atteinte à l’image de la profession;

Facteurs atténuants :

-       L’intimé a agi seul et pour se « faciliter la vie »;

-       L’absence d’intention malicieuse de la part de ce dernier;

-       Un seul consommateur impliqué, donc une seule « victime » qui par ailleurs n’a pas subi de préjudice financier puisque les montants mentionnés aux chèques irrégulièrement endossés revenaient de droit à l’intimé;

-       Une situation où l’intimé n’a touché aucune somme qui ne lui « appartenait » pas;

-       L’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé.

[7]           Elle termina en versant au dossier, au soutien de ses recommandations, un cahier d’autorités comprenant quatre décisions antérieures du comité[1], où dans des situations qu’elle a qualifiées de nature semblable, les représentants fautifs ont été condamnés à des périodes de radiation temporaire de deux mois.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[8]           La procureure de l’intimé présente à l’audience par visioconférence, débuta ses représentations en manifestant son désaccord à l’imposition de « toute forme de radiation », suggérant plutôt, qu’à son avis, la sanction appropriée serait l’imposition d’une amende.

[9]           À l’appui de sa position, elle souligna d’abord que l’intimé, maintenant âgé de 66 ans, exerçait la profession depuis 39 ans et ne possédait aucun antécédent disciplinaire.

[10]        Elle affirma ensuite que, compte tenu de la situation dans laquelle il s’était retrouvé, ce dernier avait conclu que d’agir tel qu’il lui a été reproché était « ce qu’il pouvait faire de mieux » pour toucher les montants qui lui appartenaient.

[11]        Elle souligna de plus que bien qu’il ait irrégulièrement endossé 25 chèques, le comité était néanmoins confronté à une seule et même « mauvaise décision », répétée par la suite à plusieurs reprises.

[12]        Elle rappela également qu’au paragraphe 65 de sa décision sur culpabilité, le comité avait reconnu que ce dernier n’avait été animé d’aucune intention malhonnête puisque les montants indiqués aux chèques lui revenaient.

[13]        Elle indiqua enfin que, compte tenu des circonstances particulières, propres à cette affaire, il n’y avait, à son avis, à peu près aucun risque de récidive.

[14]        Elle invoqua ensuite l’impact qu’aurait l’imposition d’une sanction de radiation sur la pratique de l’intimé. Elle déclara que, dans une telle situation, ce dernier « n’avait aucune garantie » que les assureurs avec lesquels il transige et possède des contrats, « voudraient poursuivre » leur relation d’affaires avec lui.

[15]        Elle ajouta que dans l’éventualité où une radiation temporaire lui était imposée, il pourrait être privé de ses « commissions de suivi » pour le temps de la radiation.

[16]        Elle plaida que dans une telle situation, l’intimé qui avait manifesté le désir de bientôt prendre sa retraite pourrait devoir repousser dans le temps le début de celle-ci.

[17]        Elle rappela que l’intimé avait tout fait ce qu’il pouvait, tant auprès de M. H., de l’assureur, que de l’agent général en cause; qu’il avait cogné à toutes les portes avant de se résoudre à commettre les infractions qui lui ont été reprochées.

[18]        Après avoir ensuite souligné l’étroite collaboration de son client à l’enquête de la syndique, elle termina en indiquant que, compte tenu des conséquences possibles de celle-ci sur la poursuite de sa pratique, une radiation temporaire, fusse telle même d’une seule journée, serait « de trop ».

[19]        Puis, elle versa à son tour au dossier, à l’appui de sa position, un cahier d’autorités comportant quatre décisions antérieures du comité[2].

[20]        Après avoir commenté chacune desdites décisions, où les représentants fautifs, pour des infractions de nature semblable à celles qui ont été reprochées à l’intimé, ont été condamnés à des amendes, elle insista à nouveau sur le contexte factuel rattaché aux fautes de l’intimé, mentionnant notamment que la sanction devrait être décidée en fonction des circonstances propres au dossier.

[21]        Et, compte tenu de ce qui précède, elle indiqua suggérer au comité la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de deux mille dollars (2 000 $) (l’amende minimale).

 

 

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[22]        La procureure de la plaignante répliqua brièvement à la plaidoirie de la procureure de l’intimé notamment en signalant que les décisions citées par cette dernière « dataient déjà d’il y a quelques années » alors que celles qu’elle avait soumises étaient beaucoup plus d’actualité ou récentes.

[23]        Et elle conclut en laissant entendre que dans les dernières années, généralement, les infractions de falsification de signature « avaient mené à des sanctions de radiation ».

MOTIFS ET DISPOSITIF

[24]        Selon les affirmations de sa procureure, l’intimé, maintenant âgé de 66 ans, exerce la profession depuis 39 ans.

[25]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[26]        Il a entièrement collaboré à l’enquête de la syndique.

[27]        Bien qu’il ait cherché à se faire justice à lui-même en endossant et encaissant des chèques faits à l’ordre d’un tiers[3], il a agi de la sorte dans le but de récupérer des sommes qui lui appartenaient et n’était donc pas animé, à proprement parler, d’une intention malhonnête.

[28]        Selon ce qu’il a déclaré, il a cherché à se sortir d’une « situation difficile » et a simplement voulu récupérer des sommes qui lui revenaient.

[29]        Enfin, même s’il a irrégulièrement, voire même illégalement, endossé des chèques à 25 reprises, c’était toujours dans le but de pallier à la même situation, et dans le même contexte.

[30]        Tel que l’a souligné sa procureure, et sans que cela ne puisse pour autant excuser son comportement, avant d’agir tel qu’il lui a été reproché, l’intimé a tenté de surmonter les difficultés auxquelles il était confronté en communiquant avec toutes les parties concernées, soit le représentant qui lui avait vendu sa clientèle, l’assureur, et l’agent général en cause, mais sans aucun succès.

[31]        Ce n’est que lorsque les démarches auprès de ces derniers n’ont donné aucun résultat, et ce, après qu’il eût lui-même collaboré, notamment avec l’assureur concerné en se soumettant totalement aux exigences documentaires de ce dernier, qu’il s’est résigné à agir tel qu’il lui a été reproché.

[32]        Enfin, tel qu’il apparaît plus amplement à la décision sur culpabilité, les circonstances entourant les infractions qu’il a commises, sont particulières et l’on peut penser qu’elles ne risquent que peu ou pas de se reproduire. Dans cette perspective, les risques de récidive de sa part sembleraient peu élevés.

[33]        Néanmoins, la gravité objective de l’infraction sous laquelle il a reconnu sa culpabilité est indiscutable.

[34]        Elle va au cœur de l’exercice de la profession et est de nature à porter atteinte à l’image de celle-ci.

[35]        En endossant « irrégulièrement » des chèques qui n’étaient pas émis à son ordre, (mais pour des sommes qui, dans son esprit, auraient dû lui revenir), l’intimé a commis des infractions sérieuses.

[36]        Quels que soient les doléances ou reproches qu’il pouvait avoir à l’endroit de l’assureur qui avait émis les chèques, ce dernier était en droit de s’attendre que les signatures d’endossement qui y apparaitraient soient celles du bénéficiaire nommé,
M. H.

[37]        Enfin, si l’institution financière, qui a autorisé l’encaissement desdits chèques, avait été au courant du « subterfuge » de l’intimé, elle ne lui aurait en toute vraisemblance pas permis de les encaisser et de les déposer à son compte.

[38]        Ajoutons qu’en se comportant tel qu’il l’a fait, l’intimé exposait le bénéficiaire nommé desdits chèques à un potentiel préjudice puisque fiscalement parlant, les revenus provenant de ceux-ci risquaient d’être erronément attribués à ce dernier alors que c’était lui qui, dans les faits, avait touché lesdites sommes.

[39]        En résumé, par la faute de l’intimé, l’institution bancaire qui a autorisé l’encaissement des chèques a été induite à croire en la présence de signatures d’endossement authentiques alors qu’elle se trouvait en présence de faux.

[40]        L’intimé, qui a agi de façon délibérée, préméditée, volontaire et voulue, ne pouvait ignorer le caractère clairement prohibé de ses gestes.

[41]        De plus, le comité n’est pas confronté à une seule faute isolée, mais à des fautes multiples et répétées; à une façon de faire qui s’est poursuivie dans le temps. Et si l’intimé a agi tel qu’il lui a été reproché, c’était strictement dans le but de satisfaire ses intérêts personnels.

[42]        Dans l’affaire Brazeau[4], la Cour du Québec a émis les principes qui doivent guider le comité en matière de contrefaçon de signature.

[43]        Dans son jugement, ladite Cour a écrit :

« [136] Le fait d’imiter des signatures et de les utiliser est en soit un geste grave qui justifie une période de radiation. Cette période de radiation sera plus ou moins longue toutefois, selon que la personne concernée pose ce geste avec une intention frauduleuse ou non. […] ».

[44]        Elle a ensuite imposé au représentant reconnu coupable de contrefaçon, qui avait agi sans intention malveillante, une période de radiation temporaire de deux mois, à être purgée de façon concurrente, sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre lui.

[45]        Signalons que généralement, depuis ce jugement, à quelques exceptions près, dans les cas de contrefaçon de signature, le comité a imposé aux représentants fautifs une sanction de radiation temporaire.

[46]        Aussi, compte tenu de ce qui précède, après analyse et considération des éléments tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été présentés, le comité en arrive à la conclusion que la condamnation de l’intimé, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, à une radiation temporaire d’un mois serait, en l’espèce, une sanction juste et appropriée, adaptée à l’infraction, ainsi que respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il ne peut faire abstraction.

[47]        Le comité imposera donc à l’intimé une telle sanction.

[48]        Relativement à la publication d’un avis de la décision, dans l’affaire Wells c. Notaires (Corporation professionnelle des), [1993] D.D.C.P. 240, le Tribunal des professions écrivait :

« L’objectif poursuivi par le Code des professions étant la protection du public, il est essentiel que toute mesure disciplinaire grave soit connue du public. Ce n’est que pour des raisons exceptionnelles que le comité et par la suite le Tribunal des professions pourra émettre une dispense de publication. »

[49]        En l’espèce, aucune telle « raison exceptionnelle » ne lui ayant été présentée, le comité ne croit pas qu’il serait justifié de s’écarter de la règle précitée. Le comité ordonnera donc la publication, aux frais de l’intimé, d’un avis de la décision.

[50]        Enfin, relativement à l’acquittement des déboursés, puisque ces derniers correspondent aux frais engagés par les procédures nécessaires au règlement du dossier de l’intimé et qu’aucun motif ne lui a été soumis qui lui permettrait de passer outre à la règle habituelle voulant que les déboursés nécessaires à la condamnation du représentant fautif lui soient généralement imputés, le comité condamnera ce dernier au paiement de ceux-ci.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

            ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un (1) mois;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession, le tout conformément à l’article 156(5) du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

(S) François Folot

 

Me François Folot

Président du comité de discipline

 

(S) Benoit Bergeron

__________________________________

M. Benoit Bergeron, A.V.A, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Stéphane Prévost

__________________________________

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Andrée-Ann Lebreux

NOËL ET ASSOCIÉS S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

26 octobre 2017

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Chambre de la sécurité financière c. Bourdeau, CD00-0887, 13 janvier 2014 (CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Naimi, CD00-1069, 1er octobre 2015 (CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Gauthier, CD00-1054, 9 février 2015 (CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Merdjane, CD00-1118, 5 février 2016 (CDCSF).

[2]     Chambre de la sécurité financière c. Beaudet, 2001 CanLII 27718 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Milot, 2003 CanLII 57182 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Girard, 2003 CanLII 57222 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Dorais, 2001 CanLII 27715 (QC CDCSF).

[3]     De qui il avait acquis la clientèle.

[4]     Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.