Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1174

 

DATE :

15 janvier 2018

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MARTINE BERTHELET (certificat numéro 102858 et BDNI numéro 387741)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni à Montréal pour procéder à l’instruction de la plainte disciplinaire portée contre l'intimée le 30 mars 2016.

[2]          En réponse à une demande du comité, les parties ont fait suivre leurs arguments respectifs sur une question non abordée lors de l’audience ainsi qu’une attestation récente de droit de pratique de l’intimée vers le 30 septembre 2016, date à laquelle a commencé le délibéré.

[3]          La plaignante était représentée par Me François Montfils.

[4]          L’intimée était présente et représentée par Me Sébastien Pierre-Roy.


 

LA PLAINTE

1.      À Montréal, durant l’année 2013, l’Intimée a inscrit et/ou permis que soient reconnues à environ 7 planificateurs financiers et/ou représentants de courtier en épargne collective des unités de formation continue auprès de la Chambre de la sécurité financière et de l’Institut québécois de planification financière, et ce, pour des formations non conformes ou n’ayant pas encore été suivies, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

2.      À Montréal, durant l’année 2013, l’intimée a préparé environ 8 factures pour honoraires professionnels contenant des informations fausses ou inexactes, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

PLAIDOYER ET DÉCLARATION DE CULPABILITÉ

[5]          L’intimée a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous chacun des deux chefs d’accusation contenus dans la plainte portée contre elle.

[6]          Après s’être assuré qu’elle comprenait que, par ce plaidoyer, elle reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité a donné acte à son plaidoyer.

[7]           Ensuite, se référant à la preuve documentaire produite de consentement[1], le procureur de la plaignante a rapporté le contexte factuel des infractions commises par l’intimée.

[8]          Après une révision de la preuve documentaire et un court délibéré, le comité a déclaré l’intimée coupable sous chacun des deux chefs d’accusation de la plainte portée contre elle.

[9]          Enfin, les procureurs ont indiqué qu’ils s’étaient entendus sur une sanction sous le premier chef d’accusation, mais que celle sous le deuxième chef ferait l’objet d’un débat

LES FAITS

[10]        Pour l’essentiel, le contexte factuel entourant les infractions commises résumé par le procureur de la plaignante est le suivant.

[11]        Au moment des infractions, l’intimée travaillait comme planificatrice financière pour Fiducie Desjardins (Desjardins). Elle a été congédiée en juillet 2014, à la suite des gestes reprochés dans la présente plainte.

[12]        Au moment des événements, l’intimée était formatrice reconnue tant à l’Institut québécois de planification financière (IQPF) qu’à la Chambre de la sécurité financière (CSF).

[13]        À l’été 2013, sa chef d’équipe a demandé si elle voulait offrir une formation accréditée par ces deux institutions à certains de ses collègues et ainsi permettre à ceux-ci de compléter leurs unités de formation continue (UFC) pour le cycle se terminant en novembre 2013.

[14]        Le premier chef d’accusation concerne plusieurs irrégularités dans le cadre des formations offertes par l’intimée.

[15]        Ainsi, bien que certaines des formations fussent accréditées pour deux ans, l’intimée les a dispensées en dépit de leur expiration. Elle a de plus faussement inscrit que lesdites formations avaient été suivies par ses collègues-étudiants en mai 2013, soit au cours de leur période de validité, alors qu’elles avaient plutôt été suivies postérieurement, à l’automne 2013.  

[16]        À l’égard d’une deuxième catégorie de formations, bien qu’accréditées, certaines ont été données à distance par l’intimée, et ce, contrairement à l’obligation d’être suivies en salle tel que prescrit par la CSF[2]. En résumé, jusqu’à cinq formations différentes ont faussement été reconnues ou accréditées pour chaque représentant.

[17]        Pour les formations de la CSF, l’intimée entrait elle-même dans le système les UFC obtenues pour chacun de ses collègues. L’intimée a par exemple enregistré pour un collègue sept UFC manquantes, alors que les cours n’ont été suivis que postérieurement, tel qu’il appert d’une liasse de courriels entre l’intimée et ses collègues concernant la formation[3].  

[18]        Quant aux formations distribuées par l’IQPF, elle transmettait à l’Institut la liste des candidats ayant suivi la formation aux fins de l’inscription des UFC pour ces derniers.

[19]        Pour ce qui est du deuxième chef d’accusation qui reproche à l’intimée d’avoir préparé pour ses collègues environ huit factures d’honoraires professionnels contenant des informations fausses ou inexactes, le contexte est le suivant.

[20]        Ces factures pour les honoraires de l’intimée laissaient croire que les formations avaient été conçues et fournies par M. Jean-Marc Thuotte (JMT) et qu’il avait aussi été rémunéré pour la dispense de celles-ci[4].

[21]        De plus, sous la rubrique « payable à » se trouvant au bas des factures, il est indiqué « Formation JMMB », entité qui n’existe pas, suivie du nom de JMT et d’une adresse s’avérant être par ailleurs celle de l’intimée.

[22]        Or, l’intimée savait que ces informations étaient non seulement inexactes, mais fausses. Selon ses dires, elle a agi de la sorte principalement à cause d’un conflit vécu avec sa supérieure. L’intimée voulait ainsi éviter, au cas où sa supérieure examinait ses courriels ou d’autres communications échangées avec ses collègues, que cette dernière découvre qu’elle ait donné des formations, en plus d’être rémunérée pour celles-ci.  

[23]       L’intimée a, en outre, encouragé ses collègues à réclamer à leur employeur le remboursement des frais de la formation, avant même qu’ils les aient défrayés ou même suivi ladite formation[5].

[24]       Il ressort aussi de l’enquête de la plaignante que la gestion par l’intimée des formations était négligente, comme le démontre un courriel de l’une des sept collègues confirmant que la formation a été suivie en juin 2013 et non en mars 2013, comme indiqué par l’intimée[6].

[25]       Pour sa part, le procureur de l’intimée a précisé que seulement une partie de la formation procurant cinq UFC devait être suivie en salle et l’autre à distance, et non la totalité en salle comme rapporté par son confrère. Toutefois, il était exact que les UFC ont été inscrites avant même que la formation ne soit suivie par les représentants.

[26]       En terminant, le procureur de l’intimée a confirmé que JMT n’était pas impliqué dans le stratagème de l’intimée, que ce dernier n’avait en aucun temps donné les formations visées par la présente plainte ni reçu quelque avantage que ce soit pour celles-ci. Toutefois, la conception de ces formations résultait d’une collaboration entre JMT et l’intimée.

ET PROCÉDANT SUR LA SANCTION

[27]       Le procureur de la plaignante a déclaré ne pas avoir de preuve supplémentaire à offrir sur sanction, alors que l’intimée a choisi de témoigner.

[28]       Ensuite, sous le premier chef d’accusation, les procureurs ont recommandé de façon conjointe le paiement par l’intimée d’une amende de 5 000 $.

[29]       Quant au deuxième chef d’accusation, ils ont soumis des recommandations distinctes. Alors que le procureur de la plaignante a recommandé d’ordonner la radiation temporaire de l’intimée pour une période d’un mois, celui de l’intimée a proposé de lui ordonner de payer une amende de 12 000 $. Ils ont soumis leurs arguments respectifs et ont fourni des décisions[7] à l’appui de leurs suggestions.

[30]       L’intimée a commencé son témoignage en faisant état de ses formations académiques, dont notamment un baccalauréat en finances et affaires mobilières, un certificat en planification financière obtenu en 1996, une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l'Université du Québec (UQÀM), et plus récemment l’obtention auprès de l’Institut canadien des valeurs mobilières ou Canadian Securities Institute (CSI) du titre de gestionnaire de portefeuille privé. Ainsi, l’intimée exerce dans le domaine financier depuis plus de 21 ans.  

[31]       En 2007, elle a commencé à donner de la formation à l’École des sciences de la gestion à l'UQÀM ainsi qu’à l’IQPF pour le titre professionnel de planificateur financier émis par cet institut.

[32]        L’intimée a aussi déposé en liasse des lettres et des photocopies de prix et plaques honorifiques obtenus tant de l’IQPF que de l’UQÀM[8]. Elle a expliqué que les lettres de l’IQPF et les bonis obtenus en 2008 avaient pour but de distinguer la compétence et les implications du professionnel, en fonction des commentaires positifs des étudiants  lesquels s’élevaient dans son cas entre 80 % et 85 %. Quant à certaines plaques honorifiques obtenues en 2009 pour la formation professionnelle offerte, une seule personne au Québec en est détentrice.

[33]       Elle n’a jamais fait l’objet d’une enquête ou de mise en garde par le bureau de la plaignante auparavant.

[34]       Au moment de son congédiement en 2014, l’intimée avait accumulé environ dix-huit années d’expérience au sein de Desjardins. Elle y occupait depuis 2005, le poste de gestionnaire de portefeuille adjointe.  

[35]       En 2015, après huit mois sans emploi, elle a occupé un poste de gestionnaire de portefeuille pour le compte de la Société de gestion privée des fonds FMOQ inc[9].

[36]       En ce qui concerne la formation continue qu’elle a fournie en exécution des mandats de l’IQPF, l’intimée agissait seule ou en collaboration avec d’autres formateurs, mais c’est l’IQPF qui assurait la gestion des UFC. Enfin, les formations qu’elle offrait, en tant que fournisseur, ne représentaient qu’environ 10 % de l’ensemble de celles qu’elle donnait. 

[37]       Aux dires de l’intimée, elle donne des formations parce qu’elle aime le faire. Elle s’est impliquée avec l’IQPF, car elle voulait contribuer à l’évolution de la profession, s’étant toujours dite « contre tout nivellement vers le bas ».

[38]       Vers le mois d’août 2013, sa chef d’équipe lui a demandé si elle pouvait lui donner, ainsi qu’à deux ou trois collègues, les formations manquantes afin de compléter les UFC exigées pour la période de référence de deux ans prenant fin le 31 octobre 2013. Selon l’intimée, elle a accepté sans réfléchir aux conséquences.

[39]       À ce moment, quoiqu’elle fût assignée au bureau de Montréal, tous ses clients résidaient à Sherbrooke. Par exemple, en 2013, elle a travaillé environ 80 heures par semaine compte tenu de ses nombreux déplacements, de la formation qu’elle offrait principalement les fins de semaine et du service fourni à ses clients. Elle gérait aussi plusieurs immeubles dont elle est propriétaire.

[40]       L’intimée a reconnu que les accréditations de deux formations étaient déjà expirées depuis quelques mois quand elle les a données. Cependant, elle a procédé à une mise à jour de celles-ci expliquant qu’il n’était pas à son avantage que ses collègues soient « déphasés ». Quant à la formation fournie à ses collègues à distance plutôt qu’en salle, elle a expliqué que son travail faisait en sorte qu’elle ne pouvait être très présente à Montréal. Par ailleurs, elle n’avait pas vérifié les exigences de l’accréditation, concédant que celles-ci avaient toutefois été conçues pour être offertes en deux parties.

[41]       En ce qui concerne l’attribution d’UFC pour les formations à distance avant même que celles-ci ne soient suivies par les participants, l’intimée a expliqué que ceux-ci lui remettaient habituellement leur travail au cours suivant. Elle les corrigeait et les leur retournait avec leurs notes. Comme il s’agit de formation continue, les représentants doivent obtenir 60 % pour réussir, mais ils peuvent recommencer jusqu’à quatre fois. Toutefois, dans ce cas-ci, comme il s’agissait de son équipe et qu’il n’y avait pas de date précise pour la remise des travaux, elle a inscrit la même date pour chacun d’eux. Elle a affirmé n’avoir jamais fait cela avant et qu’elle ne recommencerait plus.

[42]       L’intimée a admis que JMT n’avait jamais reçu quelque rémunération que ce soit, en dépit de ce que laissaient croire les informations contenues dans ses factures d’honoraires remises à ses collègues. Elle a agi ainsi parce que sa supérieure ne voulait pas qu’elle donne de la formation.

[43]       À la suite de cette expérience, l’intimée a signifié qu’elle serait vigilante avant d’accepter des mandats et a ajouté qu’elle n’a jamais eu d’intention frauduleuse.

[44]       Elle s’est dit d’avis, sans vouloir nier ses fautes, qu’elle avait déjà subi de sérieuses conséquences à la suite de ces gestes qui ont entaché sa réputation.

[45]       D’une part, elle a été congédiée à l’été 2014 et a été sans emploi pendant plus de huit mois. D’autre part, l’IQPF a suspendu les formations qu’elle devait donner en 2014. Aussi, après avoir été informé de la plainte portée contre elle par la plaignante en 2016, l’IQPF n’a pas non plus renouvelé ses mandats de formation. Or, une session professionnelle d’enseignement à l’IQPF de 2012 à 2014 lui rapportait autour de
20 000 $.

[46]       Aux fins de démontrer sa bonne foi, l’intimée a soumis, à l’intention du comité, un document intitulé engagement volontaire[10]. Elle a aussi déposé la Politique sur les activités de formation continue obligatoire[11].

[47]       Quant à la formation à distance, elle a indiqué qu’elle n’en donnera plus en tant que fournisseur. Toutefois, il peut arriver qu’elle soit mandatée par deux fournisseurs externes, autres que la CSF et l’IQPF, lesquels gèrent par ailleurs les UFC des participants.

[48]       Contre-interrogée, l’intimée a précisé agir comme directrice principale et gestionnaire de portefeuille. Dans cette fonction, elle n’a pas de contact avec des clients, quoiqu’il ne soit pas exclus qu’elle en représente éventuellement, comme des fondations ou des communautés religieuses et même des individus.

[49]       À propos des mises à jour qu’elle a apportées aux formations, elle a concédé qu’elles n’étaient pas limitées aux formulaires, mais modifiaient certaines dates y apparaissant.

[50]       Au sujet de la formation à distance, l’intimée a concédé que les formateurs devaient demander une nouvelle accréditation pour apporter des modifications à celles-ci, ajoutant néanmoins que, selon elle, cette obligation n’existait que dans le cas de modifications de fond, et non de mises à jour.  

[51]       Même si sa chef d’équipe l’a approchée au mois d’août 2013 pour fournir de la formation à ses collègues, ce n’est qu’en septembre qu’elle a accepté. Dès lors, elle a commencé à en donner, même en sachant que l’accréditation était expirée pour certaines d’entre elles. La fin du cycle était en novembre 2013, alors que l’accréditation de certaines était expirée depuis le 17 mars 2013 et trois depuis le 1er mars 2013.

[52]       L’intimée a témoigné que sa supérieure ne voulait plus, depuis septembre 2012, qu’elle offre de la formation. Or, elle donnait de la formation généralement les fins de semaine et parfois un jour de semaine. Son chef d’équipe l’a aussi avisée d’être prudente à cet égard. Même si elle aurait pu refuser, elle a continué, consciente qu’elle prenait des risques en agissant à l’encontre des instructions de sa supérieure.  

[53]       Questionnée à savoir si la rémunération que lui procuraient les formations était ce qui l’avait motivée à prendre ces risques, l’intimée a répondu que ce n’était pas sa première motivation, son désir d’aider ses collègues étant plus important.

[54]       À propos des fausses informations concernant l’implication de JMT, l’intimée a expliqué qu’il était plus simple pour ses collègues que la facture soit ainsi rédigée. Elle n’inscrivait pas son nom parce que cela lui aurait causé des problèmes supplémentaires avec sa supérieure.

[55]       Elle a expliqué que comme elle n’avait pas le droit de communiquer avec JMT au cours de l’enquête du bureau de la plaignante, elle s’est excusée auprès de lui à l’occasion d’une rencontre à laquelle JMT était également présent en début de session pour la formation donnée à l’UQÀM.

[56]       Enfin, l’intimée a répondu au comité ne pas avoir pensé en cours de route à corriger le tir, quoique les faits se soient déroulés pendant une période d’environ six mois[12].

ANALYSE ET MOTIFS

[57]       L’intimée exerce dans le domaine financier depuis 1995, soit près de 22 ans. Elle détenait au moment des infractions commises, un certificat dans la discipline de la planification financière. Elle était également inscrite comme représentant-conseil adjoint pour un gestionnaire de portefeuille depuis le 28 septembre 2009[13].

[58]       Elle a été déclarée coupable séance tenante sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre elle.

[59]       Aux fins des sanctions, le comité a étudié attentivement le témoignage de l’intimée ainsi que les arguments des procureurs au soutien de leurs recommandations et différents facteurs soulevés par eux.

[60]       Selon son témoignage, l’intimée jouissait d’une excellente réputation en tant que formatrice. Elle a accepté un nombre important de mandats de formation, ce qui rapportait des honoraires non négligeables, et ce, en plus de son travail chez Desjardins, d’où elle pouvait s’absenter des jours de semaine. 

[61]       En dépit des avertissements et des mises en garde de sa supérieure, l’intimée a continué à dispenser de la formation. La preuve documentaire révèle que l’intimée offrait même des services à l’externe en utilisant son adresse courriel de chez Desjardins. Doit-on s’étonner que sa supérieure soit devenue chatouilleuse à propos du temps ainsi pris à son employeur par l’intimée?   

[62]       Afin de cacher qu’elle continuait d’offrir de la formation en dépit de l’interdiction reçue, l’intimée a préparé environ huit factures contenant des informations fausses ou inexactes au sujet de ses services, laissant ainsi croire qu’un autre formateur était rémunéré et même, qu’il dispensait ladite formation. En outre, elle a fait fi des règles émises par la CSF quant à certaines formations, en inscrivant les UFC au profil de ses collègues alors qu’ils n’avaient pas encore suivi les formations, ou de façon rétroactive, pour répondre aux dates d’expiration des accréditations desdites formations.

[63]       L’intimée a affirmé ne pas avoir eu d’intention frauduleuse. Pourtant, ses gestes démontrent une réelle volonté de camoufler la réalité. Au surplus, ayant eu néanmoins plusieurs occasions de le faire, l’intimée n’a pas corrigé le tir alors que les infractions se sont échelonnées sur une période de près de six mois. L’intimée ne semble pas s’être interrogée à quelque moment que ce soit quant à la nature répréhensible de ses gestes. Les infractions commises ne peuvent être traitées comme un geste isolé ou comme un moment d’égarement. L’intimée a répété ces gestes à plusieurs reprises, vu le nombre de collègues concernés, et a fait preuve d’un sérieux manque de jugement.

[64]       L’intimée a expliqué travailler 80 heures par semaine. Pourquoi ne pas avoir ralenti la cadence en refusant certains mandats de formation, d’autant plus que pour ceux en cause, elle agissait à l’encontre des instructions de sa supérieure?

[65]       De l’avis du comité, l’intimée a plutôt démontré avoir privilégié son intérêt personnel, motivée par l’appât du gain, n’hésitant pas à désobéir à son employeur et à tromper la CSF et ses collègues. Dans ces circonstances, s’il ne s’agit pas de fraude, le comité estime qu’il y a certes eu de la malhonnêteté.  

[66]       L’intimée a clamé avoir à cœur l’évolution de la profession et des connaissances des représentants dans le domaine financier. Or, ses gestes se concilient mal avec cette déclaration et portent sérieusement ombrage à la profession. En contournant comme elle l’a fait les règles relatives à la formation continue, l’intimée banalise l’importance de cette formation exigée des représentants et lance ainsi un message néfaste à ces derniers

[67]       L’intimée a, au surplus, encouragé ses collègues à réclamer à leur employeur le remboursement du coût de la formation avant même de l’avoir complétée.

[68]       Ce faisant, l’intimée, une formatrice aguerrie jouissant d’une excellente réputation, a notamment envers la profession manqué de toute évidence à son devoir d’intégrité, qualité essentielle que doit posséder tout représentant et qui est intrinsèque à la personne.

[69]       L’expérience que l’intimée possédait dans la profession, jumelée à celle acquise en tant que formatrice, aurait dû la préserver de commettre ces gestes.

[70]       Dans les circonstances, le comité ne peut qu’espérer que l’intimée ait saisi la leçon à tirer de cette expérience. Elle a témoigné qu’elle ne recommencerait plus. Ainsi, l’engagement[14] qu’elle a soumis y ajoute peu. 

[71]       À tout événement, en ce qui concerne le premier chef d’accusation, étant donné les principes émis par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Douglas[15] et plus récemment repris par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Anthony-Cook[16] statuant que les
« recommandations conjointes » ne devaient être écartées que dans le cas où elles sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou sont contraires à l’intérêt public, le comité donnera suite à la recommandation commune des parties et condamnera l’intimée au paiement d’une amende de 5 000 $ sous ce premier chef d’accusati
on.  

[72]       En ce qui concerne le deuxième chef d’accusation, la plaignante a suggéré d’imposer à l’intimée une radiation temporaire pour une période d’un mois alors que l’intimée a proposé de la condamner au paiement d’une amende de 12 000 $.

[73]       Il est établi que la sanction doit refléter la gravité de l'infraction. Considérant la gravité objective importante des infractions commises en l’espèce, le comité est d’avis qu’une période de radiation s’impose.

[74]        Dans l’affaire Brazeau[17] à propos d’une contrefaçon de signature, la Cour du Québec énonçait qu’une période de radiation plus ou moins longue sera fixée dans le cas où il y a ou non intention malicieuse ou malhonnête. Aussi, le comité aurait-il été enclin à imposer à l’intimée, une représentante et formatrice réputée devant donner l’exemple, une période de radiation plus longue que celle recommandée par la plaignante.

[75]       Cependant, tenant compte de l’ensemble des conséquences déjà subies par l’intimée dans sa vie professionnelle, notamment un congédiement et la perte de certains mandats de formation, ainsi que du principe de la globalité des sanctions dont le paiement d’une amende de 5 000 $, ainsi que le paiement des déboursés auquel elle sera condamnée, le comité se rallie à la recommandation de la plaignante et ordonnera la radiation temporaire de l’intimée pour une période d’un mois.

[76]       Le comité condamnera également l’intimée au paiement des déboursés.

[77]       Le comité est d’avis que ces sanctions sont justes et raisonnables et répondent aux critères de dissuasion et d'exemplarité, dont le comité doit tenir compte dans la détermination des sanctions.

[78]       Avec égard pour l’opinion contraire, le comité estime néanmoins qu’il est dans l’intérêt du public de connaître les gestes de l’intimée, même si ceux-ci n’impliquaient pas directement des consommateurs.

[79]       Rappelons qu’en fonction du poste occupé par l’intimée au moment de l’audience et son dernier titre en gestion privée (Certified Investment Management (CIM)), celle-ci a en quelque sorte carte-blanche dans la gestion des portefeuilles des clients. Elle a indiqué agir à ce titre auprès de fondations et d’organismes sans but lucratif et éventuellement même auprès d’individus.  Cela la place dans des situations où, comme pour tout représentant, son intégrité est primordiale. Cela n’est pas sans préoccuper le comité. Même si les gestes commis par l’intimée ne sont pas liés à des transactions avec des clients, il s’avère dans l’intérêt du public d’en connaître la nature.

[80]       Par conséquent, en l’absence de circonstances exceptionnelles qui auraient permis d’en accorder la dispense, le comité ordonnera la publication d’un avis de la décision.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre elle;

RÉITÈRE LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ de l’intimée sous chacun des deux chefs d’accusation mentionnés à la plainte, pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

 

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 5 000 $ sous le premier chef d’accusation;

ORDONNE, sous le deuxième chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimée pour une période d’un mois;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où cette dernière a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Dominique Asselin________________

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Bruno Therrien___________________

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me François Montfils

TERRIEN COUTURE AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Sébastien Pierre-Roy

CHENETTE BOUTIQUE DE LITIGE INC

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 29 août 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-1 à P-7.

[2] Exemples fournis dans P-4.

[3] P-5, I-16, courriel du 22 septembre 2013.

[4] Les inscriptions manuscrites de l’intimée à la pièce P-6, un exemple de facture I-1 en date du 1er août 2013, laissent croire que JMT a été payé.

[5] Rapports de frais sous P-6, pages 0356-0357.

[6] Courriel du 18 mars 2015 sous P-4, I-82 pages 0597- 0598.

[7] Pour la plaignante : Marston c. AMF, 2009 QCCA 2178, jugement de la Cour d’appel du 9 novembre 2009; Néron c. Médecins (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 31, jugement du Tribunal des professions du 17 mars 2015; CSF c. Potvin, CD00-0954, décision sur culpabilité du 27 mai 2014 et décision sur sanction du 2 mars 2015, 2015 QCCDCSF 54; CSF c. Ouimet, CD00-1009, décision sur culpabilité et sanction du 7 juillet 2014.

 

Pour l’intimée : CSF c. Potvin, CD00-0954, décision sur sanction du 2 mars 2015, 2015 QCCDCSF 54; CSF c. St-Onge, CD00-1053, décision sur culpabilité et sanction du 10 juin 2015, 2015 QCCDCSF 26; CSF c. Therrien, CD00-1103, décision sur culpabilité et sanction du 21 décembre 2015, 2015 QCCDCSF 74; CHAD c. DePretis, 2016 CanLII 23189 QCCDCHAD), décision sur culpabilité et sanction du 15 avril 2016. 

[8] SI-1.

[9] À la demande du comité, le 30 septembre 2016, une attestation du droit de pratique de l’intimée, signée le 15 septembre 2016, lui a été transmise par le procureur de la plaignante.

[10] SI-3.

[11] SI-4.

[12] Août 2013 à janvier 2014.

[13] Attestation du droit de pratique en date du 15 septembre 2016, émise par l’AMF.

[14] SI-3.

[15] Douglas c. R., 2002, CanLII 32492 (QC CA).

[16] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[17] Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715, décision de la Cour du Québec du 7 novembre 2006.

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