Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1221

 

DATE :

13 décembre 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

 

M. Denis Petit, A.V.A.

Membre

 

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre

 

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MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ÉRIC LÉVESQUE (certificat numéro 121689, BDNI 1670531)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

        Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés, dont les initiales sont indiquées à la plainte, ainsi que de tout renseignement permettant de les identifier.

[1]           Le 9 août 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni aux locaux du Tribunal administratif du travail sis au 900, Place d’Youville,
8e étage, en la ville de Québec, province de Québec, G1R 3P7, et a procédé à l’instruction d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Québec, entre les ou vers les 30 mai 2012 et 13 mai 2014, l’intimé s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en empruntant à ses clients V.D. et M.M. une somme de 60 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3). »

[2]           D’entrée de jeu, l’intimé, qui bien qu’ayant consulté un avocat se représentait lui-même, enregistra un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

[3]           Il en avait préalablement prévenu le secrétariat du comité au moyen du dépôt, quelque temps auparavant, d’un document écrit comportant un même plaidoyer.

[4]           Suivant l’enregistrement dudit plaidoyer, le plaignant, par l’entremise de sa procureure, versa au dossier une preuve documentaire composée essentiellement d’éléments recueillis lors de son enquête. Ladite preuve fut cotée P-1 à P-14.

[5]           Et après révision de celle-ci, et compte tenu du plaidoyer de l’intimé, le comité déclara ce dernier coupable, séance tenante, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

[6]           Puis, à la demande des parties, le comité entreprit immédiatement l’audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES SUR SANCTION

[7]           Alors que le plaignant déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir, l’intimé, quant à lui, ne versa aucun document au dossier, mais choisit de témoigner.

[8]           Après son témoignage, les parties transmirent au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DU PLAIGNANT

[9]           Le plaignant, par l’entremise de sa procureure, débuta en indiquant au comité qu’il lui suggérait l’imposition de la sanction suivante :

-       Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte : la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de trois (3) ans.

[10]        Il ajouta réclamer de plus la publication d’un avis de la décision et la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés.

[11]        Il mentionna que dans l’élaboration de ses recommandations, il avait notamment tenu compte des facteurs aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants :

-       La gravité objective de l’infraction; une infraction au cœur de l’exercice de la profession et de nature à nuire à la confiance du public à l’endroit des représentants;

-       L’expérience de l’intimé au moment des événements, ce dernier œuvrant dans le domaine de la distribution de produits et services financiers ou d’assurance depuis 1994;

-       Le montant non négligeable (60 000 $) de l’emprunt contracté auprès de ses clients;

-       Une situation où l’intimé, qui, en tant que représentant connaissait la condition financière de ces derniers, a, que ce soit sciemment ou non, « profité de sa position ».

Facteurs atténuants :

-       L’enregistrement par l’intimé d’un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

-       Une faute isolée;

-       Aucun élément de preuve permettant de croire que l’intimé puisse avoir été animé d’une intention malveillante;

-       L’absence chez ce dernier d’antécédents disciplinaires;

-       La situation personnelle de l’intimé : ce dernier éprouvant aujourd’hui de sérieux problèmes de santé et se trouvant dans une situation financière telle qu’il a dû se résoudre à déclarer faillite.

[12]        Ensuite, après avoir affirmé que ses recommandations respectaient, à son avis, les paramètres jurisprudentiels applicables, il versa au dossier cinq décisions antérieures du comité concernant des infractions de même nature[1] que celle reprochée à l’intimé.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[13]        L’intimé débuta ses représentations en déclarant que, compte tenu des problèmes de santé qu’il connaissait il ne serait plus jamais « capable » de reprendre l’exercice de la profession.

[14]        Il souligna toutefois, qu’à son avis, l’imposition d’une sanction de radiation de trois (3) ans pourrait lui causer préjudice puisqu’il craignait que l’assureur qui refuse aujourd’hui de lui verser des prestations d’assurance-invalidité et contre lequel il est en procès, puisse lui dire « de toute façon, ayant été radié tu ne pouvais plus travailler ».

[15]        Il répéta ensuite ce qu’il avait déclaré lors de son témoignage : qu’il n’avait aucunement cherché à profiter de ses clients et que ceux-ci étaient des partenaires commerciaux à qui il avait lui-même rendu des services dans le passé, notamment lors de la vente de leur entreprise.

[16]        Puis, après avoir ajouté que V.D. était un « homme d’affaires averti », il avoua qu’il n’aurait néanmoins jamais dû emprunter de ce dernier. Et il admit de plus que, tel que la procureure du plaignant l’avait souligné, il connaissait la situation financière personnelle de ce dernier.

[17]        Enfin, relativement à la publication d’un avis de la décision, il indiqua qu’il se sentait humilié de la situation et termina en interrogeant ainsi le comité : « est-ce nécessaire que la publication ait lieu ou soit ordonnée ? ».

MOTIFS ET DISPOSITIF

[18]        L’intimé a débuté dans l’exercice de la profession en 1994.

[19]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[20]        Selon ce qu’il a indiqué au comité, il aurait agi tel qu’il lui a été reproché afin de se procurer les fonds nécessaires à la relance de l’entreprise qu’il possédait dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou de services financiers, soit « Gestion Éric Lévesque ».

[21]        Il raconta, en effet, qu’en 2010 il avait « vendu sa clientèle » à Groupe Gingras et associés cabinet de services financiers inc. et qu’il s’était alors engagé à œuvrer comme représentant pour ledit cabinet pendant deux ans.

[22]        Après la conclusion de ladite période, il avait pris la décision de « relancer » son entreprise et d’emprunter à cette fin, de ses clients, la somme de soixante mille dollars (60 000 $) mentionnée à la plainte.

[23]        Il aurait cependant connu par la suite de sérieux ennuis de santé et aurait été placé en arrêt de travail.

[24]        En 2015, n’étant plus en mesure d’exercer, il aurait fait défaut de renouveler ses certificats.

[25]        Puis, comme conséquence de ses problèmes de santé et de sa cessation d’emploi, il aurait connu des déboires financiers, si bien que le 13 avril 2017 il a dû faire cession de ses biens. Selon ses dires, dans le cadre des procédures de faillite alors entamées il ne deviendra éligible à une libération que le 13 janvier 2018.

[26]        Bien qu’il ait pu bénéficier pendant un certain temps de prestations d’assurance-invalidité, le ou vers le 16 novembre 2016, l’assureur aurait cessé de lui émettre des indemnités.

[27]        Il aurait alors entamé des procédures judiciaires contre ce dernier dans le but d’obtenir la reprise des prestations qui lui étaient versées. Le dossier serait actuellement pendant devant les tribunaux.

[28]        Par ailleurs, de la somme de soixante mille dollars (60 000 $) empruntée, il serait parvenu à rembourser à ses clients une somme de l’ordre de trente-deux mille dollars (32 000 $).

[29]        Il aurait également versé mensuellement à ces derniers, entre juin 2012 et décembre 2013, une somme de cinq cents dollars (500 $) à titre d’intérêts sur les sommes empruntées.

[30]        Il aurait persisté à effectuer des versements à ses clients jusqu’au moment où, se retrouvant sans emploi et dans une situation financière précaire, il ne pouvait plus y parvenir.

[31]        Selon ce qu’il a déclaré, il travaillerait actuellement comme consultant chez Structures Conseils, une entreprise qui offre des services de comptabilité, de tenue de livre, etc. et toucherait pour ses services une rémunération de l’ordre de cinq cents dollars (500 $) par semaine.

[32]        Ainsi, a-t-il déclaré « avoir maintenant tout perdu, dont notamment sa santé et sa capacité de travailler ».

[33]        Devant le comité, il a paru sincèrement regretter ses fautes et comprendre la gravité de l’infraction qu’il a commise.

[34]        Selon ses affirmations, il saisit bien aujourd’hui qu’il n’aurait pas dû emprunter de ses clients, d’autant plus que selon ce qu’il a mentionné, il aurait possiblement pu obtenir les sommes nécessaires à la poursuite de son entreprise au moyen d’emprunts auprès d’une institution financière.

[35]        Il a collaboré à l’enquête du syndic adjoint et a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.

[36]        Enfin, le comité est confronté à une faute isolée à l’endroit d’un seul couple de consommateurs et rien ne permet de croire que l’intimé aurait agi avec une quelconque intention malveillante.

[37]        Néanmoins, l’infraction commise par ce dernier est d’une gravité objective indéniable.

[38]        Elle va au cœur de l’exercice de la profession et est de nature à ternir l’image de celle-ci.

[39]        La somme des montants empruntés des clients n’est pas négligeable (60 000 $).

[40]        Bien que l’intimé soit parvenu à leur rembourser une somme de l’ordre de trente-deux mille dollars (32 000 $), la balance de l’emprunt contracté risque fort de ne jamais l’être.

[41]        Et bien que le comité ne soit pas confronté à un représentant qui, sous le couvert d’un emprunt, aurait fraudé ou cherché à frauder ses clients, en empruntant de ces derniers, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts et a fait défaut de conserver son indépendance.

[42]        Aussi, compte tenu de l’ensemble des circonstances propres à cette affaire, des éléments tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été présentés, le comité est d’avis que, telle que suggérée par le plaignant, la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de trois (3) ans serait en l’espèce une sanction juste, appropriée, adaptée à l’infraction ainsi que respectueuse des principes de dissuasion et d’exemplarité dont il ne peut faire abstraction.

[43]        Il imposera donc à l’intimé une telle sanction.

[44]        Par ailleurs, relativement à la publication d’un avis de la décision, le comité est d’avis d’ordonner celle-ci.

[45]        Dans l’affaire Wells c. Notaires, 1993, D.O.C.P. 240 (TP), le Tribunal des professions mentionnait :

« L’objectif poursuivi par le Code des professions étant la protection du public, il est essentiel que toute mesure disciplinaire grave soit connue du public. Ce n’est que pour des raisons exceptionnelles que le Comité et par la suite le Tribunal des professions pourra émettre une dispense de publication ».

[46]        Enfin, relativement au paiement des déboursés, le comité ne croit pas devoir déroger à la règle voulant que le représentant reconnu coupable des infractions qui lui sont reprochées en assume généralement le coût. L’intimé sera donc condamné au paiement de ceux-ci. Toutefois, compte tenu de la situation financière de l’intimé, le comité lui accordera un délai d’une année pour en effectuer le paiement.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

            RÉITÈRE la déclaration de culpabilité qu’il a rendue, séance tenante, le 9 août 2017 à l’endroit de l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

            ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

                     Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

            ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois (3) ans;

            ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156 (5) du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

ACCORDE à l’intimé un délai d’une année à compter de la date des présentes, pour l’acquittement desdits déboursés.

 

 

 

 

 

(S) François Folot

 

Me François Folot

Président du comité de discipline

 

(S) Denis Petit

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M. Denis Petit, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(S) Robert Chamberland

__________________________________

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Caroline Isabelle

BÉLANGER LONGTIN S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

9 août 2017

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Chambre de la sécurité financière c. Pop, CD00-1151, décision sur culpabilité et sanction en date du 6 décembre 2016; Chambre de la sécurité financière c. Marapin, CD00-0992, décision sur culpabilité et sanction en date du 7 juillet 2014; Chambre de la sécurité financière c. Turcotte, CD00-0933, décision sur culpabilité et sanction en date du 5 avril 2013; Chambre de la sécurité financière c. Montour, CD00-1123, décision sur culpabilité et sanction en date du 23 décembre 2015; Chambre de la sécurité financière c. Robillard, CD00-1188, décision sur culpabilité et sanction en date du 13 mars 2017.

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