Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1254

 

DATE :

15 décembre 2017

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Gilles Peltier

Président

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Alain Legault

Membre

_____________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

JASMIN THERRIEN (certificat numéro 132320, BDNI 1776271)

 

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication des nom et prénom des consommateurs visés par la plainte disciplinaire, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

 

[1]           Le 27 septembre 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 16 juin 2017 ainsi libellée :

LA PLAINTE :

      1.      Dans la province de Québec, le ou vers le 11 novembre 2013, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en soumettant une demande de changement de bénéficiaire en sa faveur des fonds distincts du contrat […] appartenant à son client R.R., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2) et 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ., c. D-9.2, r.3);

      2.      Dans la province de Québec, le ou vers le 11 novembre 2013, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en soumettant une demande de changement de bénéficiaire en sa faveur des fonds distincts du contrat […] appartenant à son client R.R., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2) et 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ., c. D-9.2, r.3).

 

[2]           La plaignante était représentée par Me Sylvie Poirier et l’intimé qui était présent, se représentait seul.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]           En début d’audition, la procureure de la plaignante informa le comité que l’intimé désirait plaider coupable aux infractions contenues à la plainte, relativement aux deux (2) chefs d’accusation.

[4]           L’intimé confirma au comité que telle était son intention.

[5]           Après s’être assuré qu’il comprenait bien que, par son plaidoyer de culpabilité, il reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité accueillit son plaidoyer de culpabilité et le déclara coupable des infractions contenues aux deux (2) chefs d’accusation portés contre lui.  

[6]           La procureure de la plaignante déposa ensuite avec le consentement de l’intimé un volumineux cahier de pièces identifiées (P-1 à P-56).

[7]           Elle informa le comité qu’elle désirait faire entendre l’enquêtrice de la Chambre de la sécurité financière ayant agi dans ce dossier afin de faire état de la preuve recueillie.

[8]           Le témoignage de celle-ci ainsi que les pièces déposées révélèrent au comité les éléments suivants :

LA PREUVE

[9]           À la date des infractions reprochées, l’intimé détenait un certificat en assurance de personnes pour le cabinet SERVICES FINANCIERS THERRIEN ET ALAIN INC. (no. 2000383023).

[10]         La personne dont les initiales R.R. apparaissent aux chefs d’accusation, a été le client de l’intimé de 2005 jusqu’à son décès en 2015.

[11]        R.R. détenait deux (2) contrats de fonds distincts totalisant près de soixante-sept mille dollars (67 000 $).

[12]        Aux dates mentionnées à la plainte, relativement aux deux (2) contrats, l’intimé a soumis en sa faveur, une demande de changement de bénéficiaire, et ce, à la demande de son client qui éprouvait à ce moment des problèmes de santé.

[13]        Les demandes de changements furent accordées telles que demandées.

[14]        De plus, en août 2014, l’intimé deviendra par testament, légataire universel et liquidateur de la succession de son client, R.R., ainsi que mandataire en cas d’inaptitude.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE 

[15]        La procureure de la plaignante débuta ses représentations en demandant au comité d’imposer à l’intimé une période de radiation de cinq (5) ans à être purgée concurremment sous chacun des chefs d’accusation.

[16]        Elle demanda que soit publié un avis de cette radiation en vertu des dispositions prévues à l’article 156 al. 5 du Code des professions (RLRQ., c. C-26); ces périodes de radiations temporaires ne devenant exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendrait, le cas échéant, son droit de pratique, à la suite de l’émission en son nom d’un certificat émis par l’Autorité des marchés financiers ou toute autorité compétentes.

[17]        Elle suggéra finalement que l’intimé soit condamné au paiement des déboursés en vertu des dispositions prévues à l’article 151 du Code des professions (RLRQ., c. C-26).

[18]        Elle énuméra ensuite les facteurs aggravants et atténuants suivants :

FACTEURS AGGRAVANTS :

-       La gravité objective importante; les actes reprochés étant de nature d’une appropriation de fonds;

-       La préméditation évidente;

-       L’atteinte à l’image de la profession;

-       La collaboration très mitigée à l’enquête de la plaignante;

-       L’expérience de l’intimé qui œuvre dans le domaine depuis de nombreuses années;

-       L’avantage pécuniaire qu’il a retiré de son comportement fautif;

-       Le préjudice occasionné aux proches du client qui auraient pu être avantagés n’eut été du comportement fautif de l’intimé;

-       L’état de vulnérabilité dans lequel se trouvait le client lors de la commission des infractions;

-       Les risques de récidives très présents; l’intimé reconnaissant difficilement le caractère fautif de sa conduite;

-       L’absence de remords exprimé jusqu’à ce jour par l’intimé.

FACTEURS ATTÉNUANTS :

-       Les infractions ne concernent qu’un seul client;

-       L’absence d’antécédent disciplinaire en dépit d’une longue carrière dans le domaine;

-       L’âge de l’accusé.

[19]        La procureure de la plaignante déposa ensuite, avec le consentement de l’intimé, un cahier d’autorité contenant huit (8) décisions qu’elle commenta en appui de la suggestion de sanction qu’elle avait formulée[1].

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ 

[20]        À la demande du comité, l’intimé fut entendu et il indiqua que :

-       Il était retraité depuis 2016;

-       Il ne détenait actuellement aucun permis l’autorisant à œuvrer dans le domaine;

-       Il n’aurait pas dû accepter l’offre que lui a faite son ami R.R. de devenir son bénéficiaire;

-       Il regrettait ses gestes fautifs.

[21]        Il termina en demandant au comité qu’il n’y ait pas de publication dans les journaux, de l’avis prévu à l’article 156 al. 5 du Code des professions (RLRQ., c. C-26) : « pour protéger ceux qui ont pris mon cabinet ».

ANALYSE ET MOTIFS

[22]        L’intimé est âgé de 66 ans.

[23]        Lors de la commission des infractions, il détenait un certificat en assurance de personnes.

[24]        Actuellement à la retraite, il a œuvré dans le domaine pendant près de 40 ans, à titre de représentant.

[25]        Le 11 novembre 2013, alors qu’il était le représentant de R.R., il s’est placé en situation de conflit d’intérêts, en soumettant des demandes de changements de bénéficiaire en sa faveur, relativement à deux (2) contrats de fonds distincts appartenant à son client.

[26]        Du fait des changements apportés en sa faveur, il aurait touché une somme de près de soixante-sept mille dollars (67 000 $).

[27]        Dans les documents signés par R.R. afin de procéder au changement de bénéficiaire, celui-ci qualifiait l’intimé « d’ami ».

[28]        Il apparaît qu’au moment de la commission des gestes fautifs de l’intimé, R.R. se trouvait, tant au niveau de son état de santé que de sa situation personnelle, dans un certain état de vulnérabilité.

[29]        L’intimé, en dépit de sa longue expérience à titre de représentant, montre un dossier disciplinaire sans tache.

[30]        Même s’il a apporté une collaboration mitigée à l’enquête de la plaignante, il a reconnu les faits et il a enregistré un plaidoyer de culpabilité à la première occasion utile, évitant ainsi des délais additionnels et le déplacement de témoins.

[31]        Devant le comité il a exprimé des regrets.

[32]        Les regrets exprimés par l’intimé à l’audience, non plus que l’absence d’antécédent disciplinaire ne viennent en rien diminuer la gravité des infractions commises.

[33]        L’intimé a gravement manqué de jugement et s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts incompatible avec le comportement consciencieux, compétent et loyal qui doit être celui d’un représentant.

[34]        C’est en toute connaissance de cause qu’il s’est placé dans cette situation contrevenant à ses obligations déontologiques.

[35]        La faute est d’autant plus inacceptable, qu’elle a été commise par un représentant ayant une longue expérience dans le domaine.

[36]        Même s’il apparaît que la demande de changement de bénéficiaire a été initiée par le client, l’intimé ne pouvait se permettre d’ignorer les règles déontologiques encadrant sa profession, notamment, celle prescrivant d’éviter toute situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.

[37]        Le comité ne peut ignorer l’avantage pécuniaire retiré par l’intimé suite aux gestes posés.

[38]        Bien qu’il s’agisse d’un événement isolé dans une carrière jusque là sans faute disciplinaire, le comité se doit de sanctionner sévèrement le comportement de l’intimé.

[39]        Le comité doit également envoyer un message clair aux représentants tentés d’agir de la sorte que la commission de tels gestes mine la confiance du public et peut avoir pour conséquence le retrait temporaire ou permanent d’exercer leur droit de pratique.

[40]        Les actes commis par l’intimé se situent au cœur même de la fonction du représentant et portent atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession.

[41]        Le comité retiendra la recommandation de radiation temporaire de cinq (5) ans à être purgée concurremment sur chacun des chefs, faite par la plaignante.

[42]        Cette recommandation répond aux critères d’exemplarité et de protection du public qui sont recherchés par l’imposition d’une sanction, et se situe dans la fourchette des sanctions généralement imposées relativement à des infractions de même nature commises dans des circonstances semblables.

[43]        Ces périodes de radiation temporaire ne seront cependant exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendra, le cas échéant, son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers émettra un certificat en son nom.

[44]        En effet, tel qu’enseigné par le Tribunal des professions dans l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec c. Labelle[2] : « Une radiation, pour être efficace et utile, suppose nécessairement que celui qui en fait l’objet soit membre en règle de son ordre de profession ».

[45]        Quant à la demande de dispense de publication de l’avis prévue à l’article 156 du Code des professions (RLRQ., c. C-26), formulée par l’intimé, le comité n’y fera pas droit, celui-ci n’ayant pas démontré de circonstances exceptionnelles permettant de déroger à la règle prévoyant la publication d’un tel avis.

[46]        Le comité ordonnera donc, tel que prévu à l’article 156 du Code des professions (RLRQ., c. C-26), la publication, aux frais de l’intimé, d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession.

[47]        Il sera ordonné par le comité que cette publication ne soit faite qu’au moment, où, le cas échéant, l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers émettra un certificat en son nom, et ce, en conformité avec la décision rendue dans Lambert c. Agronomes[3] où le Tribunal des professions s’exprime en ces termes :

« [33] Si l’exécution de la décision de radiation est retardée au moment où le professionnel se réinscrit au tableau de l’ordre qui le sanctionne, il apparaît nécessaire que la publication de l’avis de la décision le soit aussi. C’est en effet, la concomitance de l’exécution de la décision et la publicité de celle-ci qui, de l’avis du Tribunal, satisfont l’objectif d’information et de protection du public. » (nos soulignés)

[48]        Enfin, le comité ordonnera à l’intimé de payer les déboursés, conformément aux dispositions prévues à l’article 151 du Code des professions (RLRQ., c. C-26).

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé aux infractions prévues aux deux (2) chefs d’accusation;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée à l’audience relativement aux infractions prévues aux deux (2) chefs d’accusation contenus à la plainte;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE sous les chefs d’accusation un (1) et deux (2) la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq (5) ans;

ORDONNE que ces périodes de radiation de cinq (5) ans sur chacun des chefs d’accusation soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE que les périodes de radiation temporaire de cinq (5) ans à être purgées de façon concurrente ne soient exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendra, le cas échéant, son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers ou toute autorité compétente émettra un certificat en son nom;

ORDONNE à la secrétaire du comité de faire publier, conformément à ce qui est prévu à l’article 156 al. 5 du Code des professions (RLRQ., c. C-26), aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

ORDONNE à la secrétaire du comité de procéder à cette publication qu’au moment où, le cas échéant, l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers ou toute autorité compétente émettra un certificat en son nom;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à ce qui est prévu à l’article 151 du Code des professions (RLRQ., c. C-26);

ACCORDE à l’intimé un délai de douze (12) mois pour le paiement des déboursés.

 

 

(S) Gilles Peltier

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Me GILLES PELTIER

Président du comité de discipline

 

(S) Shirtaz Dhanji

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M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Alain Legault

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M. Alain Legault

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Sylvie Poirier  

CDNP Avocats inc.

Avocats de la partie plaignante

 

 

L’intimé se représente lui-même

 

 

 

Date d’audience :

27 septembre 2017

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Chambre de la sécurité financière c. Torabizadeh, 2010 CanLII 58 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Belleau, 2011 CanLII 99530 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Townend, 2013 CanLII 43424 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Thibault, 2013 CanLII 73212 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Bélanger, 2016 CanLII 36656 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Moore, 2016 CanLII 28776 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Robillard, 2017 CanLII 15106 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Ettie, 2017 CanLII 41619 (QC CDCSF).

[2] Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec c. Labelle,  2005 CanLII 31276 (QC TP).

[3] Lambert c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 39 (CanLII).

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