Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1181

 

DATE :

27 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

 

M. B. Gilles Lacroix, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CLAUDE HUET, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 116684)

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-PUBLICATION :

 

        De toute information permettant d'identifier la consommatrice et tout autre renseignement personnel et financier la concernant et ce, pour l'ensemble de la preuve.

[1]          Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sise alors au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 17 mai 2016.

[2]          La plaignante était représentée par Me Gilles Ouimet, alors que l’intimé était présent et représenté par Me Jean-Claude Dubé.

LA PLAINTE

1.      À Saint-Jérôme, le ou vers le 18 septembre 2014, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en faisant transférer la police d’assurance vie universelle […] appartenant à sa cliente S.T., en faveur de son épouse et en faisant modifier la désignation de bénéficiaire en faveur de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ c. D-9.2) et 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3).

 

[3]           Le comité a accueilli la demande du procureur de la plaignante pour l’émission d’une ordonnance en vertu de l'article 142 du Code des professions pour l’ensemble de la preuve.

[4]           Le procureur de la plaignante a indiqué que l’intimé avait l’intention d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef de la plainte, signé le 8 octobre 2016[1].

[5]           Il a déposé une série d’admissions convenues entre les parties indiquant qu’à elles seules[2], celles-ci permettraient au comité de se prononcer sur la culpabilité de l’intimé.

[6]           De plus, la preuve documentaire contenant notamment les enregistrements des différentes déclarations de l’intimé et d’un témoin serait produite de consentement[3].  

[7]           Quant à la sanction, faute d’entente, les procureurs présenteront leur position respective, mais aucune preuve supplémentaire ne serait faite.  

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[8]          L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation porté contre lui, auquel le comité a donné acte.

[9]          Ensuite, l’audience a été suspendue afin de permettre au comité de prendre connaissance des admissions des parties signées le 6 octobre 2016 par l’intimé et le
7 octobre 2016 par les deux procureurs.

[10]       Subséquemment, après s’être assuré que l’intimé comprenait la portée de son plaidoyer, le comité l’a déclaré coupable sous l’unique chef d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, suggéré par les parties.

[11]       Le comité a également ordonné l’arrêt conditionnel des procédures quant à l'article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers invoqué au soutien de ce chef d’accusation.

PREUVE SUR SANCTION

[12]        Aux fins de la sanction, le procureur de la plaignante a de plus déposé, des documents de travail[4] afin de faciliter le suivi des représentations des procureurs qui tirent une interprétation différente des faits révélés par les témoignages.

[13]       Les faits admis par les parties sont reproduits ci-après[5] : 

1.      Durant toute la période pertinente à la plainte, l’intimé détenait un certificat l’autorisant à agir à titre de représentant en assurance de personnes, rattaché au cabinet Services Financiers Claude Huet Inc. depuis le
16 novembre 2000 (pièce O-9).

2.      La place d’affaires de l’intimé était située dans sa résidence au 1071, rue Curé-Comtois, Terrebonne et le numéro de téléphone est le 450-471-6905.

3.      En 1993, [S.T.] a souscrit par l’entremise de l’intimé, une police d’assurance-vie (numéro de contrat […]) pour un montant de 35,000 $.

4.      Le 18 septembre 2014, se sachant atteinte d’un cancer en phase terminale, [S.T.] a contacté l’intimé par l’entremise de Mme [L.G.], afin d’être informée sur ses possibilités puisqu’elle ne désirait plus que le montant d’assurance soit versé au bénéficiaire désigné qui était alors, son père [G.T.].

5.      Le même jour, l’intimé a rencontré [S.T.] à la maison de soins palliatifs de […] et lors de cette rencontre, cette dernière a signé un transfert de propriété en faveur de Mme [G.G.].

6.      Mme [G.G.] est l’épouse de l’intimé.

7.      En agissant comme il l’a fait le 18 septembre 2014, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en faisant transférer la police d’assurance vie Universelle (contrat numéro […]) appartenant à [S.T.], en faveur de son épouse et en faisant modifier la désignation de bénéficiaire en faveur de cette dernière. Ce faisant, il a contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

8.      Les pièces suivantes contenues dans le cahier de pièces font preuve de leur contenu comme si les témoins compétents étaient entendus :

P-1, P-3, P-4, P-5, P-6, P-7 (en liasse), P-8 et P-9.

9.      Si Mme [L.G.] était entendue, elle témoignerait conformément au contenu des pièces suivantes contenues dans le cahier de pièces :

P-10, P-11, P-12, P-13, P-14, P-15, P-16, P-17 et P-18.

10.   Si Claude Huet était entendu, il témoignerait conformément au contenu des pièces suivantes contenues dans le cahier de pièces :

P-2, P-19, P-20, P-21, P-22, P-23, P-24[6].

11.   L’intimé a exercé dans la discipline de l’assurance de personnes sans interruption pendant plus de 30 ans.

12.   Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

13.   L’intimé est âgé de 76 ans.

14.   L’intimé a récemment avisé l’AMF et la CSF de son intention de renoncer à son certificat et de ne plus pratiquer dans le domaine de la finance (voir P-2).

15.   Mme [L.G.] réclame de l’intimé le paiement des honoraires professionnels qu’elle a déboursés pour faire annuler le transfert de la police, soit plus de 15,000 $. Elle a entrepris une poursuite contre l’intimé à la Cour du Québec (division des petites créances) et cette réclamation doit être entendue en octobre 2016.

[14]       En plus de ces faits admis par les parties, le comité retient pour l’essentiel les suivants.

[15]       Le 18 juin 2014, S.T. a notamment désigné L.G. sa mandataire en cas d’inaptitude. Le même jour, elle l’a nommée aussi « exécutrice testamentaire » de sa succession (P-13 et P-14).

[16]       L’intimé a déclaré qu’au cours de l’appel du 18 septembre 2014, L.G. lui a dit que S.T. : « voulait annuler son contrat pour récupérer les valeurs du contrat et les remettre à sa sœur, elle n’était pas en bons termes avec son frère, vu que c’était son père qui était bénéficiaire. (…). »[7].

[17]       Aux dires de L.G., S.T. croyait qu’elle n’avait pas d’autres options que de racheter les valeurs de sa police pour éviter que son frère ne devienne bénéficiaire après le décès de son père. L.G. lui aurait suggéré que la valeur de rachat de sa police pourrait servir à l’achat de fleurs ou aux obsèques[8].

[18]       Aux environs de 9 h, le 18 septembre 2014, avant de rencontrer sa cliente S.T., l’intimé a obtenu de Manuvie la valeur de rachat du contrat de sa cliente S.T. qui était d’environ 990 $. Il a aussi commandé les divers formulaires suivants, qui lui ont été transmis par courriel vers 9 h 28 (P-7c)) :

  Transfert de propriété (P-5)

  Identification des titulaires de contrats d’assurance individuelle (P-5)

  Désignation de bénéficiaires (P-5)

  Rachat du contrat (P-6)

[19]       L’intimé s’est rendu quelques heures plus tard à la maison des soins palliatifs pour rencontrer S.T., accompagné de son épouse G.G.

[20]       Selon l’intimé, son épouse était une amie de longue date de la mère de S.T. et avait développé une relation amicale avec S.T.[9].

[21]       Le 18 septembre 2014, dès son arrivée à la maison des soins palliatifs, l’intimé a rencontré le médecin de S.T. pour s’assurer qu’elle était apte à prendre des décisions. Il s’est ensuite rendu dans la chambre de S.T. qui se trouvait en compagnie de L.G. et d’une cousine[10].

[22]        Le même jour vers 11 h 45, l’intimé a fait signer à sa cliente les formulaires suivants et les a transmis par télécopieur à Manuvie qui a reçu les originaux dès le lendemain[11].

a)     Transfert de propriété de S.T. à G.G. du contrat no […];

b)     Identification des titulaires de contrats d’assurance individuelle;

c)      Désignation de bénéficiaires indiquant G.G.

[23]        Le 24 septembre 2014, L.G. a fait parvenir à Manuvie une lettre expliquant la situation entourant le transfert de la police de S.T.[12]

[24]        Le 25 septembre 2014 vers 10 h, L.G. a téléphoné à Manuvie pour l’informer de son intention de les mettre en demeure, car S.T. était sur le point de mourir et son désir était de verser le montant de son assurance à la maison de soins palliatifs[13].

[25]       Ce même jour, G.G. avisait l’assureur qu’elle renonçait au transfert en sa faveur de la police de S.T., mais cette dernière est aussi décédée de sorte que le transfert n’a pu être annulé.

[26]       Au cours des jours suivants, L.G. a entrepris des démarches tant auprès de l’assureur que de l’intimé pour faire annuler le transfert.

[27]        Dans les semaines qui ont suivi, des négociations ont eu lieu entre le représentant de l’assureur, celui de L.G., l’intimé et sa conjointe. Dans le cadre de ces échanges, en contrepartie du versement de l’assurance à la maison de soins palliatifs, l’intimé a demandé à l’assureur d’exiger de L.G. qu’elle retire sa plainte auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qu’elle renonce à transmettre le cas aux médias et cesse de le poursuivre[14].

[28]        Le 11 mars 2015, à la suite de ces négociations, l’assureur a émis un chèque de 35 000 $ à la Fondation de la maison de soins palliatifs, mais sans aucune renonciation de L.G.

[29]        Le 31 mai 2016, à la suite du dépôt de la plainte dans le présent dossier, l’intimé a produit une comparution et y déclarait :

« Veuillez noter que je désire plaider non coupable aux accusations mensongères de Mme L.G. à mon égard.

Ces dernières ont été faites avec mauvaises intentions de destructions à mon intégrité. »

[30]        L’intimé est âgé de 76 ans et n’a aucun antécédent disciplinaire.

[31]        Le 3 février 2016, l’AMF a imposé les deux conditions suivantes au certificat de l’intimé dans la discipline de l’assurance de personnes[15] :

a)     Pour une période de deux ans, exercer ses activités à titre de représentant rattaché à un ou des cabinets dont il n’est pas le dirigeant responsable;

b)     Pour une période de deux ans, exercer ses activités sous la responsabilité d’une personne nommée par le dirigeant responsable du cabinet auquel il sera rattaché, lesquels superviseront ses activités de représentant de façon rapprochée. Le représentant doit faire parvenir à l’Autorité au plus tard 30 jours après la réception de la présente décision une attestation de la part du dirigeant responsable du cabinet dans laquelle ce dirigeant désignera la personne qui supervisera ses activités de représentant. Durant la période de supervision, un rapport mensuel devra être transmis à l’Autorité.

[32]        Le 19 février 2016, l’AMF a maintenu sa décision[16] malgré la demande de révision présentée par l’intimé.

[33]        L’intimé a récemment cessé ses activités de représentant déclarant ne pas avoir l’intention d’exercer de nouveau[17].

 

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

        LA PLAIGNANTE

[34]       Le procureur de la plaignante a soutenu que le débat sur le déroulement précis de la rencontre du 18 septembre 2014 avec S.T. importait peu. Quelle que soit la version retenue entre celle de L.G. ou de l’intimé, il ressort que ce dernier s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts manifeste.

[35]       Il a fait valoir que les circonstances de la commission de l’infraction, notamment la vulnérabilité extrême de la cliente, l’imminence de son décès et sa totale dépendance aux conseils de l’intimé, étaient telles qu’un message clair devait être lancé aux représentants afin qu’ils réalisent qu’une situation d’une telle gravité entraîne une sanction sévère. Ainsi, il a avancé que seule une période de radiation significative peut y répondre.

[36]       Une période de radiation de 6 à 12 mois est recommandée par la plaignante. Toutefois, cette dernière laisse au comité le soin de préciser sa durée en fonction des facteurs qu’il retiendra, puisque les parties interprètent différemment les faits.  

[37]        À la radiation temporaire, s’ajoute une demande d’ordonnance de publication de l’avis de la décision ainsi que la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés. 

[38]        Au soutien de ses recommandations, après avoir rapporté les définitions et énoncés[18] de différentes instances sur le conflit d’intérêts[19], le procureur de la plaignante a passé en revue et commenté[20] quelques décisions rendues par le comité sur des infractions de même nature[21].    

[39]       Ensuite, il a invoqué les facteurs atténuants et aggravants suivants liés à l’intimé :   

Atténuants

a)     L’âge avancé de l’intimé;

b)     Sa longue carrière dans le domaine;

c)      L’absence d’antécédent disciplinaire;

d)     Le fait qu’il soit maintenant retraité.

Aggravants

a)     Les deux ans pris par l’intimé avant de reconnaître sa faute, un conflit d’intérêts patent, fait en sorte qu’un message clair doit être envoyé aux membres de la profession;

b)     Le comportement de l’intimé qui s’en est pris à L.G., la personne qui l’a dénoncé[22];

c)      Ses deux tentatives[23] de négocier le retrait de la plainte en échange d’un règlement en contravention même de son obligation de ne pas communiquer avec L.G., à la suite du dépôt de sa plainte. Ce comportement de l’intimé est non seulement dérogatoire, mais peut être assimilé à une entrave à la justice.   

[40]       Quant aux facteurs liés à l’infraction, le procureur de la plaignante a mentionné les suivants :  

Atténuants

a)     Un seul événement et une seule cliente;

b)     L’intimé a annulé son geste quelques jours plus tard;

c)      Aucun bénéfice tiré de l’infraction.

 

Aggravants

a)     L’importante gravité de l’infraction étant donné l’existence d’un conflit d’intérêts patent :

L’intimé s’est placé en conflit d’intérêts en offrant à S.T. qui était mourante de verser 1 500 $ plutôt que les 990 $ représentant la valeur de rachat de sa police, en contrepartie du transfert à sa conjointe de sa police d’assurance de 35 000 $, s’assurant ainsi qu’elle devienne la bénéficiaire du solde de 33 500 $.  

Au surplus, l’intimé a mal rempli son rôle de conseiller en ne se renseignant pas sur la situation financière de S.T., et en ne l’informant pas que dans le cas où elle désignait un bénéficiaire, le produit de la police d’assurance serait versé à ce dernier et non à la succession;

b)     La vulnérabilité de la cliente de l’intimé qui était mourante :

L’imminence de son décès rendait S.T. d’autant plus dépendante des conseils de l’intimé. En raison de l’importance du lien de confiance devant exister entre le représentant et son client, et du peu de connaissance en assurances de S.T., l’intimé devait redoubler de prudence et s’assurer d’informer sa cliente de toutes les options qui s’offraient à elle;

c)      L’intimé était animé d’une intention malveillante :

Au soutien de ce facteur, le procureur de la plaignante a signalé le fait que l’intimé a amené sa conjointe au chevet de S.T.  Prétextant son obligation de confidentialité, il a requis d’être seul avec celle-ci qui était vulnérable, alors qu’il n’était question que du rachat et transfert de la police, déjà discuté devant les personnes présentes.  À cela s’ajoute la rapidité avec laquelle l’intimé a envoyé les formulaires à l’assureur et ses démarches auprès de celui-ci pour s’assurer que la demande de transfert soit traitée avec célérité, vu le décès imminent de S.T. À son avis, ces éléments démontrent un « abus de confiance planifié ».

[41]       Quant à la crédibilité de l’intimé, il a invité le comité à se méfier de la version des faits fournie par ce dernier, en l’absence d’éléments de preuve pour le corroborer. De plus, il a indiqué que sa version évolue dans le temps, signalant des différences entre la version donnée le 25 septembre 2014 aux assureurs et celle du 20 octobre 2015 aux enquêteurs du bureau de la plaignante[24]. Enfin, il a invoqué le fait que l’intimé a communiqué avec L.G. le 25 novembre 2014 pour lui offrir un dédommagement en échange du retrait de sa plainte[25].

[42]       Le procureur de la plaignante a avancé que même en l’absence d’intention malveillante de l’intimé, considérant l’extrême vulnérabilité de sa cliente et l’imminence de son décès, l’infraction de conflit d’intérêts commandait l’imposition d’une sanction sévère. L’intimé devait redoubler de vigilance en raison de l’existence d’une relation amicale entre sa cliente, sa conjointe et lui-même pour s’assurer de préserver les intérêts de sa cliente. 

[43]       Enfin, il a ajouté que même si une décision imposant une période de radiation avait peu de conséquences pour l’intimé qui a pris sa retraite, la dissuasion des membres qui pourraient être tentés de l’imiter était impérieuse. La sanction devait envoyer un message clair au représentant et à l’ensemble de la profession que ces situations de conflit d’intérêts ne sont pas tolérées.

        L’INTIMÉ

[44]        Le procureur de l’intimé a rappelé qu’à l’âge de 76 ans et après 39 ans de carrière, l’intimé n’avait aucun antécédent disciplinaire ou plainte portée contre lui avant la présente.

[45]        Quant à l’intention malveillante dont l’intimé aurait été animé, il rétorque qu’il était normal que l’épouse de l’intimé G.G. soit présente le 18 septembre 2014 lorsque l’intimé s’est rendu au chevet de S.T et ne saisit pas pourquoi il est si difficile pour la plaignante de comprendre sa présence lors cette rencontre avec S.T.  G.G. était une amie d’enfance de la mère de S.T. et celle-ci la connaissait. De l’avis du procureur de l’intimé, soutenir le contraire est faire abstraction des relations humaines.

[46]        Le 18 septembre 2014, l’intimé a eu une discussion, seul avec sa cliente. L’amie de cette dernière, L.G., ne pouvait donc pas avoir connaissance de ce qui a été discuté. Seul l’intimé peut révéler ce qui s’est véritablement passé, S.T. étant décédée. Lorsque les autres personnes sont revenues dans la chambre, l’intimé a fait répéter à S.T ses dernières volontés, en présence de tous.

[47]        À propos de la très grande vulnérabilité de S.T., il a fait valoir que celle-ci avait  pleine conscience, l’intimé s’en étant assuré auprès du médecin de S.T. En conséquence, sa vulnérabilité n’était pas celle décrite par son confrère.  

[48]        Quant aux versions prétendument différentes des faits fournies par l’intimé, le procureur de l’intimé a soutenu que:

a)     Relativement à la version du 25 septembre 2014, même si l’intimé a omis de mentionner, lors de cette déclaration à l’assureur, qu’il avait offert 1 500 $ à S.T., par ailleurs, il ne l’a jamais nié. À ce sujet, par la suite, l’intimé a expliqué aux enquêteurs qu’il avait oublié à ce moment avoir fait cette offre à S.T.;  

b)     Relativement à la version du 20 octobre 2015 au cours de laquelle l’intimé contredirait, selon son confrère, sa version du 25 septembre 2014 en disant ignorer pourquoi S.T. voulait procéder au rachat de sa police et qu’elle voulait que son frère ne puisse pas profiter du produit de son assurance, il a fait valoir que son client ne s’est pas contredit, mais a répondu en utilisant en termes généraux père, mère, frère et autres[26]. Aussi, il ne se rappelait pas à ce moment-là que la succession était en faillite et indiquait seulement que c’est sa conjointe qui le lui avait rappelé[27].

[49]        Le procureur de l’intimé a poursuivi en déplorant que son confrère attaque la crédibilité de son client en se servant du fait tel que rapporté par L.G. voulant que l’intimé ait tenté de lui parler le 25 novembre 2014 alors que c’était son épouse qui l’a fait. À son avis, c’est plutôt L.G. qui ne dit pas la vérité. Il a aussi souligné que son confrère exagérait grandement en qualifiant ce geste d’acte criminel pour en augmenter la gravité.

[50]        Quant aux facteurs atténuants, il s’est dit d’accord avec ceux identifiés par son confrère.

[51]        Toutefois, à propos du fait que l’intimé ait attendu deux ans avant de plaider coupable, la jurisprudence enseigne que nul ne peut y inférer quoi que ce soit. Il s’agit seulement du temps qu’a pris son client pour comprendre qu’il avait fauté en agissant ainsi.

[52]        Quant aux reproches faits par l’intimé à L.G. qui a dénoncé son comportement, il fait valoir que son client indiquait uniquement que L.G. ne disait pas la vérité.

[53]        Pour ce qui est des facteurs aggravants liés à l’infraction, le procureur de l’intimé a rétorqué:   

a)     À propos de l’intimé et de son rôle de conseiller, que même si son client n’a pas pensé à offrir à S.T. un changement de bénéficiaire, ce n’est pas lui qui a choisi sa femme pour le transfert de la police, mais bien S.T. elle-même qui l’a désignée;

b)     Au sujet de la vulnérabilité de S.T., celle-ci était en état de faire ses propres choix et la preuve non contredite veut que le médecin l’ait confirmé à l’intimé.

[54]        Il a convenu que les décisions déposées par son confrère exposaient la fourchette des sanctions imposées pour des infractions de conflits d’intérêts. Aussi, il y voyait un parallèle entre l’affaire Béland[28] et le présent cas. Dans l’affaire Letourneau[29], une radiation d’un mois a été ordonnée pour le conflit d’intérêts alors que l’intimé avait tiré un avantage, ce qui n’est pas le cas pour l’intimé.

[55]        Quant à l’affaire Bélanger[30], il a fait valoir qu’elle représentait l’autre extrémité de la fourchette, soit une radiation de cinq ans donnant suite aux recommandations communes des parties. Pour expliquer cette période plus longue de radiation, le procureur de l’intimé a référé aux paragraphes suivants de cette décision : 

[33]            Et bien que la malhonnêteté ne caractérise pas ses agissements, ceux-ci ont fait la démonstration d’un comportement déficient, tant au plan du jugement, de la loyauté que de l’indépendance professionnelle.

[34]            Bien que l’infraction commise ne résulte pas de manœuvres frauduleuses ou de fausses représentations, elle découle très certainement du défaut par l’intimée de préserver, face à une cliente possiblement vulnérable en raison de son âge, la distance indispensable à la sauvegarde de son indépendance professionnelle.

[56]        Aussi, il a argué que le lien d’amitié entre l’épouse de l’intimé et sa cliente constituait un facteur à considérer, car cette amitié a pu influencer le choix de cette dernière.

[57]        Enfin, le procureur de l’intimé a suggéré de le condamner au paiement d’une amende en se référant aux décisions Fontaine[31] et Gauthier[32]. Dans le premier cas, sous des infractions de conflit d’intérêts, l’intimé a été condamné au paiement d’amendes de 3 000 $ et de 5 000 $, et dans le deuxième cas à une amende de 10 000 $.  

[58]        Aussi, son confrère ayant mentionné que la dissuasion de l’intimé n’était plus importante étant donné sa retraite, il a avancé qu’il devrait en être de même pour l’exemplarité.

ANALYSE ET MOTIFS

[59]        L’intimé a été déclaré coupable sous l’unique chef d’accusation de la plainte lui reprochant de s’être placé en situation de conflit d’intérêts le 18 septembre 2014 en faisant transférer à son épouse la police d’assurance vie universelle appartenant à sa cliente S.T., et en faisant modifier la désignation de bénéficiaire.

[60]        En conséquence, son épouse est devenue titulaire de ladite police et nommée bénéficiaire désignée. Ces deux modifications ont été faites de façon simultanée à
11 h 45 le matin du 18 septembre 2014[33].

[61]        Pourquoi l’intimé a-t-il conseillé à S.T. de procéder à un transfert de propriété de sa police d’assurance ? Il a reconnu n’avoir jamais informé sa cliente de la possibilité de changer de bénéficiaire. Or, elle aurait pu désigner comme bénéficiaire n’importe quelle personne même un étranger et changer de nouveau avant de décéder, si elle le désirait.

[62]        L’intimé s’explique en disant que, devant une personne mourante à un si jeune âge[34], il était sous le coup des émotions et n’a pensé qu’au transfert de propriété. Il a convenu par ailleurs qu’il aurait été plus simple de changer de bénéficiaire, mais cette solution ne lui est pas venue à l’esprit[35].

[63]        Or, comment comprendre que l’intimé, un représentant ayant plus de 30 ans d’expérience, ait conseillé, même sous le coup de l’émotion, de procéder à un transfert alors que le changement de bénéficiaire est l’abc en assurance et donc le conseil qui allait de soi ?

[64]        Selon L.G., quand elle a demandé à l’intimé le 18 septembre 2014 si la police pouvait être rachetée, ce dernier a répondu : « C’est moi le professionnel. Ça donne rien de la racheter. Moi, ce que je vous suggère, ma femme est plus âgée, c’est dur pour moi de l’assurer aujourd’hui parce qu’elle a plus de 70 ans. Mais moi je vais vous offrir 1 500 $ (…) ». Alors que L.G. lui demande si cela se fait, l’intimé a poursuivi :
« C’est moi le professionnel, tout ce que j’ai à faire c’est transférer ça à son nom »[36]. Rappelons que la valeur de rachat s’élevait à environ 990 $.

[65]        En l’espèce, le comité n’a pas eu le privilège d’entendre les témoignages viva voce, avec toutes les nuances que cela permet. Ceci lui a rendu la tâche d’autant plus difficile pour apprécier la crédibilité tant de l’intimé que de L.G.[37]

[66]        Cependant, le comité estime que l’extrait de la déclaration de L.G. plus haut rapporté offre une version beaucoup plus probable du contexte factuel. Au surplus, cette version a le mérite d’expliquer la motivation de l’intimé, un représentant ayant plus de 30 ans d’expérience, de suggérer à S.T. le transfert du contrat en faveur de son épouse en lui promettant 1 500 $ au lieu des 990 $ que représentait la valeur de rachat de sa police.

[67]        Cette version des faits se concilie également avec celle de l’intimé voulant que S.T. ait pointé du doigt son épouse comme étant la personne qu’elle désirait faire profiter du produit de son assurance-vie, après que l’intimé lui ait donné ce conseil et offert en contrepartie une somme plus importante que la valeur de rachat. Comme il ne lui a pas parlé de la possibilité de procéder au changement de bénéficiaire, cette option devenait la plus intéressante pour S.T.  

[68]        Toutefois, le comité ne peut, comme le procureur de la plaignante, conclure à la préméditation par l’intimé du fait qu’il ait obtenu de l’assureur Manuvie, avant même de rencontrer sa cliente, les divers formulaires de transfert de propriété, d’identification des titulaires de contrats d’assurance individuelle, de désignation de bénéficiaires et rachat du contrat[38]. Ces formulaires constituent les outils auxquels a accès le représentant. Devant l’imminence du décès de sa cliente et n’ayant pas encore eu le loisir de lui parler, il s’avère normal que l’intimé s’assure d’avoir en mains tous les formulaires de Manuvie afin de répondre adéquatement aux volontés de sa cliente au sujet de son assurance vie.  Il en est de même de la présence de son épouse le 18 septembre 2014, puisqu’un lien d’amitié existait entre elle et S.T.

[69]        Par ailleurs, comment ne pas conclure dans ces circonstances que l’intimé ait voulu profiter de la situation pour s’enrichir ? En effet, en procédant au transfert de propriété de la police en faveur de son épouse plutôt qu’à un changement de bénéficiaire, l’intimé s’assurait que S.T. ne pouvait changer d’idée et nommer un autre bénéficiaire.

[70]        Selon L.G., la situation financière de S.T. était telle que la succession serait déficitaire. Au surplus, S.T. croyait que le produit de la police serait versé à sa succession et le rachat de sa police aurait pu permettre de payer des fleurs ou les obsèques[39].

[71]        Or, si S.T. avait été informée que, dans le cas d’un bénéficiaire désigné, le produit d’assurance était versé à ce bénéficiaire et non à sa succession, aurait-elle consenti à transférer la police à l’épouse de l’intimé, en contrepartie de l’offre de l’intimé de verser 1 500 $ plutôt que la valeur de rachat de sa police établie à 990 $ ? Il est permis d’en douter.

[72]        Sauf respect pour la prétention contraire, la preuve ne permet pas non plus de conclure que l’intimé savait au moment du transfert que la succession serait déficitaire. Toutefois, son appel du 22 septembre 2014 à l’assureur est révélateur de son état d’esprit, car démontre qu’il était inquiet et voulait savoir si le transfert à son épouse serait toujours valide après le décès de S.T., en dépit de la renonciation de la succession par les héritiers ou d’une déclaration de « faillite »[40].

[73]        Nul doute que l’intimé a manqué de façon flagrante à son devoir de conseil en n’informant pas sa cliente de la possibilité de désigner un autre bénéficiaire. Au surplus, en procédant au transfert de la propriété de la police de sa cliente en faveur de son épouse, il s’est placé de façon manifeste dans une situation de conflit d’intérêts.

[74]        L’intimé qui exerçait depuis plus de 30 ans ne pouvait l’ignorer. Il a plutôt voulu faire indirectement ce qu’il ne pouvait faire directement.

[75]        Quant aux sanctions, les parties ont des positions tout à fait opposées.

[76]        Comme plaidé par le procureur de la plaignante, S.T. étant admise dans un centre pour malades en fin de vie, sa vulnérabilité ne fait pas de doute. D’ailleurs, elle est décédée peu de jours après les changements apportés à sa police, sous les conseils de l’intimé.

[77]        Aussi, selon l’intimé, son épouse entretenait une relation d’amitié avec S.T. Comme l’énonçait le comité de discipline dans l’affaire Szabo[41] :

« [130] Une relation d’amitié rend le risque de conflit d’intérêts encore plus problématique car la relation de confiance rend le client encore plus vulnérable. »

[78]        La trame des événements porte à croire que l’intimé a vu là une occasion de s’avantager, de tirer profit de la situation en obtenant 35 000 $ moyennant un investissement d’à peine 1 500 $, comme d’un billet gagnant de loterie, et ce, à très court terme puisque la mort de S.T. était imminente. Difficile de ne pas conclure qu’en agissant comme il l’a fait l’intimé était animé d’une intention malveillante.

[79]        Grâce à la remise en question des agissements de l’intimé par L.G., le produit de l’assurance a été versé à la Fondation de la maison de soins palliatifs où S.T. a séjourné. De toute évidence, les circonstances ont fortement invité l’intimé et son épouse à collaborer. Les conditions que l’intimé a voulu imposer pour régler le litige[42] sont aussi révélatrices de son état d’esprit.

[80]        Aussi, même si l’intimé n’a pas conservé l’avantage que le transfert lui octroyait, le comité estime que ce dernier élément pèse peu en l’espèce.

[81]        Le procureur de la plaignante, précisant que pour ce type d’infraction la période de radiation ordonnée par le comité de discipline de la CSF au cours des dernières années variait entre six et douze mois, a recommandé une période de radiation significative laissant toutefois au comité le soin d’en déterminer la durée. Les décisions qu’il a fournies à l’appui le confirment, sauf celle de Bélanger[43] qui a ordonné le
2 juin 2016 une radiation de cinq ans, à la suite des recommandations communes des parties.

[82]        À la suite d’un exercice sommaire, le comité a cependant retracé plusieurs décisions rendues au cours des dernières années sur des infractions de même nature ayant conclu à des périodes de radiation se rapprochant davantage de celle de cinq ans ordonnée dans Bélanger[44].

[83]        Ceci dit, pour sa part, le procureur de l’intimé, se référant à certaines des décisions soumises par son confrère, a suggéré le paiement d’une amende, sans néanmoins en suggérer le montant.

[84]        Le procureur de l’intimé voit un parallèle avec l’affaire Béland[45] et le cas présent.  Sauf respect, il ne s’agit pas en l’espèce d’un conflit d’intérêts de la nature de celui reproché dans cette affaire, où c’est à la demande de la fille de sa cliente que Béland a été nommé mandataire en cas d’inaptitude de cette dernière. Au surplus, Béland n’a procédé à aucune transaction qui lui rapportait une quelconque rémunération.

[85]        Il ne s’agit pas non plus du conflit d’intérêts reproché dans Gauthier[46], ce dernier ayant été mandaté par le liquidateur de la succession de son client. Il a été reconnu coupable sous 11 chefs d’accusation et condamné, à la suite des recommandations communes des parties, au paiement d’une amende de 10 000 $ sous le seul chef d’accusation portant sur un conflit d’intérêts, pour un total de 27 000 $ et plusieurs réprimandes.

[86]        Quant à Fontaine[47], il avait prêté de l’argent à sa cliente et a été condamné à des amendes variant entre 3 000 $ et 5 000 $ sous les cinq chefs d’accusation portant sur le conflit d’intérêts, les trois autres chefs lui reprochant des infractions d’une autre nature ayant été rejetés.  Dans ces trois cas, seules des amendes ont été ordonnées.

[87]        Aussi, dans Létourneau[48], seule une radiation d’un mois a été ordonnée, mais  le prêt avait été consenti à l’intimé librement et en connaissance de cause par sa cliente, une amie de longue date.

[88]        Enfin, la bonne foi et la probité de tous ces intimés n’étaient nullement mises en cause.  

[89]        Le comité voit plutôt un certain parallèle avec l’affaire Parent[49]. Ce dernier avait convenu avec son client, qui vivait des difficultés financières, de payer en son nom les primes de son assurance de 50 000 $, moyennant une contrepartie de 25 000 $ à son décès. Quelques semaines plus tard, son client a reçu un diagnostic de cancer. L’épouse de celui-ci lui a alors demandé de renoncer à sa reconnaissance de dette, puisque l’ex-employeur de son mari offrait de payer les primes. Or, Parent a refusé de le faire privilégiant uniquement son intérêt, alors que son client, dans les circonstances, n’en retirait plus aucun. 

[90]        Dans cette affaire Parent, les faits remontent à 2003 et la décision du comité à 2005. Or, depuis ce temps, la conformité s’est grandement développée, de sorte que l’intimé ne pouvait ignorer qu’il se plaçait en conflit d’intérêts en agissant comme il l’a fait en 2014. 

[91]        Comme énoncé par la Cour du Québec en 2007 dans cette même affaire :

« [44] Si le professionnel a le droit d’exercer sa profession, ce droit exige en même temps qu’il soit exercé dans le respect des règles déontologiques. L’examen des faits conduit à la nécessité d’exprimer une forte réprobation d’un comportement répréhensible persistant pendant dix-huit mois. La sanction devait donc être dissuasive et exemplaire pour éviter une récidive puisque les appelants ne semblaient pas avoir compris les exigences d’intégrité qui sous-tendent la déontologie. Le public doit avoir la garantie que le comité de discipline remplit sa mission avec vigilance et sans complaisance.

[45] L’absence d’antécédent disciplinaire n’empêche pas l’imposition d’une radiation temporaire lorsque les circonstances le justifient. Il n’y a aucun passage obligé par une réprimande ou une amende au préalable. »

[92]        Concernant la gravité de l’infraction, le conflit d’intérêts est ici patent, touche directement à l’exercice de la profession, va au cœur de celle-ci et mine incontestablement la confiance du public en ses représentants.

[93]        À propos du « message à envoyer », les deux procureurs se sont dits d’avis que l’intimé étant retraité, une période de radiation avait peu d’impact, de telle sorte que la dissuasion revêtait peu d’importance dans son cas. Quant à l’objectif d’exemplarité, le procureur de la plaignante a soutenu, contrairement à son confrère, qu’il demeurait d’une grande importance.

[94]        Même si le comité convient qu’une période de radiation pour un représentant déjà retraité a peu d’effet de dissuasion, le comité estime que l’objectif d’exemplarité en l’espèce prend toute son importance et ne peut être négligé en raison des pairs qui seraient tentés de l’imiter.

[95]        Comme la Cour d’appel du Québec énonçait dans l’affaire Daigneault au sujet de la tâche du comité lors de la détermination des sanctions :

« [37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire. »[50]

[96]        La solution proposée par l’intimé pour répondre aux besoins de sa cliente S.T. était non seulement contraire à l’éthique, mais favorisait son seul intérêt.

[97]        Nonobstant les éléments subjectifs favorables à l’intimé, comme l’absence d’antécédent disciplinaire au cours d’une carrière de plus de 30 ans, et quoiqu’il ait, déclaré prendre sa retraite, dans les semaines précédant l’instruction de cette plainte[51], éliminant de ce fait un risque de récidive, sa longue expérience aurait dû le préserver de commettre ces gestes et constitue en l’espèce un facteur aggravant. 

[98]        Il ne suffit pas pour un représentant de se retirer ou de devenir inactif pour ainsi se soustraire à un exercice vigilant et non complaisant de la part du comité qui a pour mission première d’assurer la protection du public. 

[99]        Le comité estime qu’un message de réprobation doit être lancé eu égard à la gravité du geste posé à l’égard d’une clientèle des plus vulnérables comme en l’espèce[52].

[100]     Ayant considéré tant les facteurs aggravants qu’atténuants et à la lumière des faits propres à ce dossier, le comité estime, après mûre réflexion, que pour que la sanction soit exemplaire dans ce cas, l’imposition d’une radiation jumelée au paiement d’une amende constitue une sanction plus adéquate que celles suggérées pour répondre aux objectifs tant de la protection du public, de la dissuasion que de l’exemplarité.

[101]     Ainsi, le comité est d’accord avec l’analyse de la jurisprudence faite par une autre formation du comité dans l’affaire Dionne[53], sur la pertinence du cumul des sanctions. Et, de façon plus particulière, avec les propos tenus par le Tribunal des professions dans l’affaire Mars et rapportés par le comité[54] :

« On pourrait plus facilement justifier une sanction pécuniaire lorsque l'infraction comporte une connotation économique. On peut songer au vol ou au détournement de fonds effectué par un professionnel dans le cadre de ses fonctions. En revanche, lorsqu'une plainte disciplinaire reproche à un professionnel des fautes déontologiques de négligence, comme dans le présent dossier, la juxtaposition d'amendes et de radiations est plus difficile à expliquer. 

Il peut exister des situations où le fait d'ajouter une amende à une radiation temporaire serait approprié, à la lumière des circonstances de l'espèce.  »

[102]    Aussi, comme le comité l’énonce dans l’affaire Dionne :

« [20]         Une telle façon de voir les choses est conforme à l'article 156 du Code des professions qui ne semble pas interdire le cumul des sanctions mais qui énonce bien au contraire que les comités de discipline doivent ordonner une ou plusieurs des sanctions énumérées lorsqu'il y a déclaration de culpabilité. »

[103]    La période de radiation se doit d’être significative pour tout représentant et en conséquence, sous l’unique chef d’accusation, le comité ordonnera la radiation de l’intimé pour une période de trois ans à laquelle sera juxtaposé le paiement d’une amende de 6 000 $.

[104]    Ceci dit, le comité aurait été enclin à ordonner le paiement d’une amende beaucoup plus substantielle, néanmoins il a tenu compte notamment de l’âge avancé de l’intimé et du fait qu’il est maintenant retraité. 

[105]    Enfin, le comité ordonnera la publication de l’avis de la présente décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion de toute information permettant d'identifier la consommatrice et tout autre renseignement personnel et financier la concernant, et ce, pour l'ensemble de la preuve;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation de la plainte, pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, RLRQ, c. D-9.2, r. 3;

RÉITÈRE ORDONNER l’arrêt conditionnel des procédures quant à l’article 16 de la
Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ c. D-9.2.  

 

 

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans et le CONDAMNE au paiement d’une amende de 6 000 $ sur ce même chef;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d'enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ,
c. C-26.

 

 

(S) Janine Kean

__________________________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Stéphane Côté

__________________________________

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(S) B. Gilles Lacroix

__________________________________

M. B. Gilles Lacroix, A.V.C., Pl. Fin. Membre du comité de discipline

 

 

Me Gilles Ouimet

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jean-Claude Dubé

JEAN-CLAUDE DUBÉ AVOCAT, s.a.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 12 octobre 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] I-1.

[2] P-1A.

[3] P-1 à P-23. Notons que P-24 a été retirée, car fusionnée avec P-23.

[4] DT-1 à DT-5

[5] Afin de respecter l’ordonnance rendue selon l’article 142 CP, les informations permettant d’identifier la consommatrice impliquée ont été toutefois omises.

[6] P-24 a été retirée à l’audience, car inclus dans P-23.

[7] DT-3, extrait de la déclaration de l’intimé du 21 octobre 2015, tel que soumis par la plaignante selon l’enregistrement produit sous P-22.

[8] P-17, déclarations du 5 décembre 2014 et du 22 octobre 2015.

[9] P-19, P-22 (4 min), déclaration du 20 octobre 2015.

[10] P-19 (p. 000204), déclaration de l’intimé à l’assureur, et P-20 (p. 000198).

[11] P-7 a), « Call logs from Customer Service Center ».

[12] P-10, P-7 a).

[13] P-7 l).

[14] P-7 n).

[15] P-1.

[16] P-1.

[17] P-23.

[18] Représentations écrites de la plaignante, pages 12 et 13.

[19] CSF c. Giroux, 2011 QCCQ 11691, décision de la Cour du Québec du 7 septembre 2011; Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934, décision de la Cour d’appel du Québec du 15 avril 2003; CSF c. Szabo, CD00-1104, décision sur culpabilité du 29 juillet 2016.

[20] Représentations écrites de la plaignante, pages 14-20.

[21] Parent c. CSF, 2007 QCCQ 1412, décision de la Cour du Québec du 15 février 2007; CSF c. Bélanger, CD00-1152, décision sur culpabilité et sanction du 2 juin 2016; CSF c. Gervais, CD00-0766, décision sur culpabilité et sanction du 16 mars 2010; CSF c. Béland, CD00-0953, décision sur culpabilité et sanction du 9 juillet 2013; CSF c. Létourneau, CD00-0906, décision sur culpabilité du 30 août 2012 et décision sur sanction du 16 mai 2013; CSF c. Fontaine, CD00-0872, décision sur culpabilité du 15 octobre 2012 et décision sur sanction du 3 juillet 2013; CSF c. Gauthier, CD00-0911, décision sur culpabilité du 4 juin 2013 et décision sur sanction du 5 juin 2015.

[22] L’intimé a formulé des reproches à l’égard de L.G. à plusieurs reprises, une première fois au cours de son entrevue avec les enquêteurs et une deuxième fois dans sa comparution en mai 2016.

[23] Une première fois, au cours d’échanges et de négociations avec l’assureur en novembre 2014, l’intimé a exigé que L.G. retire sa plainte en contrepartie de la renonciation par son épouse des 35 000 $ d’assurance. Le 25 novembre 2014, sa conjointe et lui ont communiqué avec L.G., ce dernier étant aussi, selon cette dernière, sur la ligne afin de négocier le retrait de sa plainte alors que l’assureur les avait lui-même avisés qu’il s’agissait d’une condition « inacceptable » (P-15 et P-16). Notons que l’intimé a nié avoir été sur la ligne, indiquant ne pas avoir parlé à L.G. depuis le 23 septembre 2014.

[24] Toutefois, l’étude faite par le comité de la déclaration de l’intimé du 25 septembre 2014 aux assureurs, révèle que celui-ci rapportait ce que L.G. lui a dit lors de l’appel du 18 septembre 2014, afin qu’il aille rencontrer S.T., et qu’elle lui a précisé que S.T. n’avait pas de contact avec son frère. Or, dans sa version du 20 octobre 2015 aux enquêteurs, l’écoute de l’enregistrement révèle plutôt que l’intimé répond à une question de l’enquêteur qui voulait savoir si sa cliente S.T. lui avait parlé de ce froid avec son frère. C’est ainsi qu’il a répondu que S.T. ne lui a pas dit. Par conséquent, ces constats ne permettent pas de conclure comme l’a avancé le procureur de la plaignante. De plus, l’écoute de ce dernier échange avec les enquêteurs confirme, comme signalé par son procureur que l’intimé parlait en général en mentionnant père, mère et autres et tantôt a répondu : « Tout ce que j’ai parlé c’est de laisser à sa sœur ou son frère ou cousine ».

[25] Quant à savoir si l’intimé a communiqué avec L.G. le 25 novembre 2014, comme rapporté dans la correspondance de l’avocate de L.G., ce fait est nié par l’intimé qui indique n’avoir eu aucun contact avec L.G. après le 23 septembre 2014. Toutefois, l’extrait des appels reçus au cellulaire de L.G.
(P-16) corrobore que son épouse G.G. a téléphoné à L.G. À savoir si l’intimé était présent sur la ligne, comme prétendu par L.G. et rapporté par son avocate aux représentants de l’assureur dans son courriel du 26 novembre 2014 (P-15), c’est l’ensemble des faits qui permettra ou non d’y accorder foi.

[26] Voir note 24.

[27] Au sujet de l’appel du 22 septembre 2014 à Manuvie, l’écoute des enregistrements par le comité révèle que l’intimé a expliqué aux enquêteurs le 21 octobre 2015, qu’après avoir discuté avec sa femme de cet appel, il croyait qu’il l’avait fait à la suite d’une demande de S.T.

[28] CSF c. Béland, préc. note 21.

[29] CSF c. Létourneau, préc. note 21.

[30] CSF c. Bélanger, préc. note 21.

[31] CSF c. Fontaine, préc. note 21.

[32] CSF c. Gauthier, préc. note 21.

[33] P-4.

[34] S.T. était âgée de 52 ans.

[35] P-22, déclaration de l’intimé du 20 octobre 2015. 

[36] P-17, 22 octobre 2015 (17 min). L.G. réitère plus ou moins la même chose qu’elle a déjà déclarée aux enquêteurs de la CSF le 5 décembre 2014.

[37] Seulement des extraits des déclarations de L.G. et de l’intimé faites aux enquêteurs ont été rapportés par les parties. L’écoute des enregistrements s’est donc avérée nécessaire pour les apprécier dans leur contexte et en fonction des questions posées.  

[38] P-7 c), p. 000448.

[39] P-17 déclaration du 5 décembre 2014 (11 min) et du 22 octobre 2015 (38 min) et DT-5, 6e paragraphe.

[40] P-7 e).

[41] CSF c. Szabo, préc. note 19.

[42] Retrait par L.G. de la plainte et renonciation à tout autre recours (P-16).

[43] CSF c. Bélanger, préc. note 21.

[44] CSF c. Montour, CD00-1123, 2015 (QCCDCSF) 67, 23 décembre 2015; CSF c. Boissonneault, CD00-0913, 2013 CanLII 43412 (QCCDCSF), 7 mars 2013; CSF c. Turcotte, CD00-0933, 2013 CanLII 43422 (QC CDCSF), 5 avril 2013.

[45] CSF c. Béland, préc. note 21.

[46] CSF c. Gauthier, préc. note 21.

[47] CSF c. Fontaine, préc. note 21.

[48] CSF c. Létourneau, préc. note 21.

[49] Parent c. CSF, préc. note 21.

[50] Pigeon c. Daigneault, préc. note 19.

[51] P-2.

[52] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Martel, 2015 QCTP 43, paragraphe 154.

[53] CSF c. Dionne, CD00-0603, 2006 CanLII 59872, décision sur culpabilité et sanction du 29 septembre 2006, paragraphes 18 et 19.

[54] Ibid note 50.

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