Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1179

 

DATE :

16 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Jean Deslauriers, Pl.Fin.

Membre

 

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NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MARIA CARO, conseillère en sécurité financière (numéro de certificat 155041, BDNI 1502681)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

 

  • Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

[1]          Le 7 février 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au Tribunal administratif du Québec, sis au 500 boul. René-Lévesque Ouest, 22e étage, à Montréal pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimée le 28 avril 2016.

[2]          La plaignante était représentée par Me Jean-Simon Britten, alors que l’intimée qui était présente se représentait seule.

LA PLAINTE

1.      À Montréal, le ou vers le 5 juillet 2012, l’intimée n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de I.H.V.A. et M.E.P.M., alors qu’elle leur a fait souscrire à la proposition d’assurance-vie no […], contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 6 et 22 (1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

2.      À Montréal, le ou vers le 19 juillet 2012, l’intimée n’a pas agi en conseillère consciencieuse en faisant signer à I.H.V.A. et M.E.P.M. la lettre d’annulation de la police d’assurance vie no […] et en l’expédiant avant l’émission de la police d’assurance vie no […], créant ainsi un risque de découvert d’assurance pour ces derniers entre les 19 juillet et 18 septembre 2012, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3). 

[3]          D’entrée de jeu, le procureur de la plaignante a demandé au comité de rendre une ordonnance selon l’article 142 du Code des professions. Sa demande a été accueillie telle que reproduite au début de la présente décision.

[4]          Pour sa part, l’intimée a confirmé enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité sous chacune des infractions qui lui sont reprochées dans la plainte. 

[5]          Le délibéré a commencé le 14 février 2017, après que le procureur de la plaignante ait déposé une copie caviardée de sa preuve documentaire aux fins de respecter l’ordonnance rendue à sa demande.

LA PREUVE

[6]          La partie plaignante a fait entendre M. Sébastien Lévesque, enquêteur de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Celui-ci a rapporté et déposé la preuve recueillie au cours de l’enquête (P-1 à P-8).

[7]          L’intimée a témoigné et a produit des extraits de son agenda pour l’année 2012 (I-1).

LES FAITS

[8]          De la preuve présentée par les parties, le comité retient essentiellement les faits suivants.

[9]          La relation d’affaires entre l’intimée et le couple I.H.V.A. et M.E.P.M. a commencé en juin 2012. Ils se sont rencontrés les 20 et 27 juin, ainsi que le 5 juillet 2012.

[10]       Au moment de leur rencontre avec l’intimée, le couple détenait une assurance vie temporaire vingt ans (T-20) pour un capital assuré de 100 000 $ chacun, renouvelable et transférable, auprès de l’Industrielle Alliance (IA). Cette assurance avait été souscrite le 21 décembre 2010 par l’entremise d’un autre représentant[1].

[11]       Au cours de la troisième rencontre, ils ont signé une proposition d’assurance pour une seule assurance vie universelle, comportant pour l’époux une protection permanente de 50 000 $, ainsi qu’un avenant de protection temporaire T-10 de
250 000 $ et un avenant T-20 de 200 000 $, toujours auprès d’IA. Pour l’épouse, cette assurance comportait une protection permanente de 50 000 $, ainsi qu’un avenant d’assurance vie T-10 de 150 000 $[2].

[12]       Cette proposition d’assurance, complétée le 5 juillet 2012, mentionnait qu’elle remplaçait la police précédente auprès d’IA. De plus, le couple a remis avec la proposition un chèque couvrant la première prime. Ainsi, en conséquence de ce paiement, la couverture d’assurance prenait automatiquement effet pour une période de 90 jours ou jusqu’à ce que l’assureur rende sa décision sur la proposition.

[13]        La police n’a été émise que le 18 septembre 2012 avec prise d’effet à cette même date.

[14]       Or, l’intimée a fait signer aux consommateurs une lettre de résiliation datée du
19 juillet 2012 et l’a transmise à l’assureur, annulant ainsi la première police d’assurance souscrite par l’entremise du représentant précédent[3].

[15]       À la réception de cette lettre, l’assureur a émis un avis de résiliation de la police également daté du 19 juillet 2012. Celui-ci mentionne que le contrat peut être remis en vigueur, sujet toutefois à l’approbation de la compagnie, en remplissant le formulaire
« Application for reinstatement of contract number […] terminated for less than 120 days », et en payant tous les arrérages des
primes.   

[16]       De plus, cette remise en vigueur est opérée pourvu que les assurés puissent répondre négativement aux trois questions contenues à l'avis[4] et reproduites ci-après :

« In the last year, have any of the insured:

a) suffered from any disease, had health problems or consulted a physician?

b) tested positive for an aids screening test or for hepatitis B or C?

c) been disabled or absent from work for more than two weeks for health reasons? »

[17]       Après avoir requis de l’intimée le dossier complet de ses clients, ainsi que tous les documents relatifs au contrat d’assurance souscrit par son entremise, l’enquête a permis de constater l’absence d’une analyse de besoins financiers (ABF) préalable à cette proposition d’assurance.

[18]       Une rencontre a eu lieu entre l’intimée et la première enquêteure le 31 juillet 2015, suivie d’un échange téléphonique le 11 novembre 2015. Lors de ces échanges avec cette dernière, l’intimée a reconnu ne pas avoir procédé à une ABF et que les consommateurs étaient sans couverture d’assurance pour une certaine période avant la prise d’effet de la police.

[19]       Aux dires de l’intimée, bien qu’elle n’ait pas de document démontrant avoir fait une ABF, celle-ci découlait en quelque sorte de différentes notes à son dossier, dont son agenda où les trois rencontres avec le couple sont notées ainsi que des informations quant à leur âge, les noms et âges de leurs enfants. Elle a ajouté que l’époux travaillait à l’Institut de cardiologie de Montréal et était en attente d’un poste dans la région de Sorel-Tracy.

[20]       Dans le préavis de remplacement[5], l’intimée a inscrit comme motif le fait que selon l’ABF le couple avait besoin d’une plus grande protection. Selon l’intimée, le couple ayant signé ce préavis le même jour que la proposition confirmait qu’elle avait procédé à une ABF, en dépit de l’absence du document le constatant.  

[21]       L’intimée a expliqué qu’au moment de ses deux échanges avec l’enquêteure en juillet et novembre 2015, elle vivait une période difficile, sa fille ayant été hospitalisée. Elle était en conséquence peu concentrée, ce qui expliquait ses réponses potentiellement confuses.

[22]       Au sujet de sa réponse à l’enquêteure voulant que l’ABF ne fût pas obligatoire à l’époque de la proposition, elle voulait dire qu’à son cabinet, il n’y avait pas de formulaire préétabli, comme il existe actuellement, de sorte que chaque représentant prenait à cette fin ses propres notes.

[23]       Pour ce qui est du risque de découvert provoqué par l’annulation de la police précédente, l’intimée a expliqué que le couple ne pouvait assumer à la fois les primes des anciennes et des nouvelles assurances. Aussi, dans le cas où sa proposition serait refusée, elle croyait pouvoir remettre en vigueur l’ancienne.

[24]       À son avis, l’époux ne pouvait être refusé pour des raisons de santé, car tant le gouvernement du Québec qu’Immigration Canada l’avaient accepté, ajoutant que ces deux paliers de gouvernement n’acceptent pas une personne si elle n’est pas en bonne santé. À son avis, ceci démontrait qu’elle connaissait bien son client.

[25]       Enfin, le fait qu’IA offrait une couverture provisoire de 90 jours en attendant de rendre leur décision sur la proposition faisait en sorte que les consommateurs étaient protégés. Il n’y avait donc pas de risque de découvert.

ANALYSE ET MOTIFS

[26]       Le premier chef d’accusation reproche à l’intimée de ne pas avoir complété une ABF conforme et complète.

[27]       Les dispositions invoquées au soutien de ce premier chef d’accusation, en vigueur au moment des événements, sont les suivantes :

Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

27. Un représentant en assurance doit recueillir personnellement les renseignements nécessaires lui permettant d’identifier les besoins d’un client afin de lui proposer le produit d’assurance qui lui convient le mieux.

 

Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10)

6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d'assurance, analyser avec le preneur ou l'assuré ses besoins d'assurance, les polices ou contrats qu'il détient, leurs caractéristiques, le nom des assureurs qui les ont émis et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à charge et ses obligations personnelles et familiales. Il doit consigner par écrit ces renseignements.

22. (1) Lorsque la souscription d'un contrat d'assurance est susceptible d'entraîner la résiliation, l'annulation ou la réduction des bénéfices d'un autre contrat d'assurance, le représentant doit :

1°    procéder à une analyse des besoins de l'assuré ou du preneur conformément à l'article 6; (…).

[28]       Il ressort de la preuve prépondérante que l’intimée a fait défaut de procéder à une analyse conforme et complète des besoins d’I.H.V.A. et M.E.P.M. Les notes inscrites à son agenda, tel l’âge des consommateurs ainsi que les noms et âges de leurs enfants, ne peuvent constituer à eux seuls une analyse.  

[29]       L’intimée n’a pas pu expliquer ni à l’enquêteure ni même au comité, comment elle était arrivée à évaluer les besoins des consommateurs à 1 000 000 $, ou selon ses explications à 500 000 $ chacun.

[30]       Par conséquent, l’intimée sera déclarée coupable sous le premier chef, pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[31]       Par ailleurs, le comité ordonnera l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi que quant à l’article 22 (1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[32]       En ce qui concerne le deuxième chef d’accusation, celui-ci reproche à l’intimée de ne pas avoir agi en conseillère consciencieuse en créant un risque de découvert d’assurance pour les consommateurs.

[33]       La plaignante a invoqué les dispositions suivantes au soutien de ce deuxième chef d’accusation :

Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

 

Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3)

12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client.

35.  Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.

[34]       Il est incontestable qu’en faisant signer aux consommateurs dès le 19 juillet 2012 un avis de résiliation de leurs polices d’assurance vie précédentes, et ce, avant même l’émission de leur nouvelle police, souscrite par son entremise le 5 juillet 2012, l’intimée créait un risque de découvert d’assurance pour ces derniers. 

[35]       L’intimée se justifie en déclarant qu’elle connaissait l’état de santé du couple et que, dans le cas où la nouvelle police ne serait pas émise à la suite de la proposition souscrite par son entremise, elle comptait pouvoir remettre en vigueur l’ancien contrat, étant convaincue que les réponses aux trois questions contenues dans l’avis d’annulation seraient négatives[6]. Or, l’intimée ne pouvait le tenir pour acquis.

[36]       Au surplus, dans le cas où l’assureur acquiescerait à la demande de remise en vigueur de l’assurance précédente, celle-ci était considérée comme un nouveau contrat. Par conséquent, les clauses d’incontestabilité et de suicide s’appliquaient à nouveau. Ces conséquences n'étaient certes pas à l’avantage de ses clients.  

[37]       Les consommateurs ont dit à l’intimée être incapables de payer les primes des deux assurances en attendant la décision sur la deuxième. Or, l’intimée a reconnu ne pas leur avoir conseillé de continuer de payer la prime du premier contrat en attendant la décision de la compagnie sur la nouvelle proposition.  À son avis, il était dans l’intérêt de ses clients de procéder comme elle l’a fait étant donné que si l’un des deux décédait dans l’intervalle, la protection de 500 000 $ aurait été versée plutôt que celle de 100 000 $. Le comité ne peut retenir cette justification de l’intimée, car elle exposait ainsi ses clients à un risque de découvert de protection d’assurance vie.

[38]       Aussi, dans le cas où l’assurance précédente serait annulée et que le nouvel assureur découvrait que le consommateur était atteint d’une maladie grave, contrairement à ses déclarations, celui-ci perdait également le bénéfice de ce dernier contrat, se retrouvant ainsi sans aucune protection. Il était ainsi absolument inacceptable de faire signer à ses clients une résiliation et de leur faire courir un tel risque.

[39]       Bien que le comité ne croit pas que l’intimée ait été animée d’une intention malveillante, il n’en demeure pas moins qu’elle démontre une méconnaissance des produits, de leurs impacts et effets, et plus particulièrement d’une résiliation de police d’assurance.

[40]       Force est de conclure qu’en l’espèce, l’intimée n’a pas agi avec compétence et professionnalisme.

[41]       Par conséquent, elle sera déclarée coupable sous le deuxième chef d’accusation, pour avoir contrevenu au deuxième alinéa de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[42]       Le comité ordonnera enfin l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière invoqués au soutien.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la plainte, ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier;

DÉCLARE l’intimée coupable sous le premier chef d’accusation mentionné à la plainte, pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de l’article 22 (1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

DÉCLARE l’intimée coupable sous le deuxième chef d’accusation mentionné à la plainte, pour avoir contrevenu au deuxième alinéa de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, invoqués au soutien de ce chef d’accusation (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

(S) Janine Kean

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Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Jacques Denis

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M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Jean Deslauriers

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M. Jean Deslauriers, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-Simon Britten

THERRIEN COUTURE AVOCATS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimée se représente seule.

 

Date d’audience :

Le 7 février 2017

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-4.

[2] P-5

[3] P-6 et P-7.

[4] P-7, p. 00102.

[5] P-5.

[6] Voir les questions reproduites au paragraphe 16 de la présente.

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