Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1019

 

DATE :

6 septembre 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Monique Puech

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CHRISTIAN TURCOTTE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 194980)

Partie intimée

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DÉCISION SUR DEMANDE DE RETRAIT DE PLAIDOYER

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[1]          Le 1er septembre 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal pour procéder à l'audition sur la demande de retrait de plaidoyer de l’intimé, que ce dernier a faite le 6 juin 2016.

[2]          La plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal.

[3]          Quant à l’intimé, bien que l’avis d’audition de sa demande de retrait de plaidoyer lui ait été signifié le 12 juillet 2016 en mains propres, il était absent et non représenté.

[4]          Le comité a tout de même entendu les représentations du procureur de la plaignante eu égard à la demande de retrait de plaidoyer de l’intimé.

 

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]          Le procureur de la plaignante a indiqué que le fardeau de démontrer le bien-fondé de sa demande de retrait de plaidoyer incombait à l’intimé.

[6]          Il a résumé les principales étapes du dossier de l’intimé devant le comité. Ainsi, il a rappelé que :

a)     Les procédures remontaient à octobre 2013;

b)     L’intimé a retenu deux cabinets d’avocats. Il a révoqué le mandat du premier quelques jours avant les premières dates d’audience sur culpabilité et le deuxième a cessé d’occuper quand l’intimé a fait suivre une demande de retrait de plaidoyer;

c)      L’intimé a présenté, à quatre reprises, des demandes de remise des audiences fixées sur la culpabilité;

d)     Précédant l’audition sur culpabilité du 21 décembre 2015 et à la suite des négociations entre les parties, l’intimé a décidé d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous les quatre premiers chefs d’accusation contenus à la plainte, alors que la plaignante retirait les deux derniers chefs contenus dans celle-ci;

e)     Le 21 décembre 2015, malgré cette négociation, l’intimé a présenté une demande de remise qui a toutefois été retirée par après, de sorte que l’intimé a plaidé coupable sous chacun des quatre premiers chefs d’accusation;

f)       Le 6 juin 2016, plus de cinq mois plus tard, l’intimé a déposé une demande de retrait de ce plaidoyer, alors que la décision sur culpabilité a été rendue le
11 mai 2016.

[7]          Parcourant la demande de l’intimé, le procureur de la plaignante a soutenu qu’elle était irrecevable. Il a souligné notamment que l’intimé ne peut que se contenter de dire qu’il a des moyens de défense, il doit les présenter.

[8]          De plus, il a exposé le cadre juridique propre aux demandes de rejet de plaidoyer en déposant au soutien une série de décisions[1] ainsi qu’un article de doctrine[2], qui énoncent les conditions essentielles devant être réunies pour permettre un changement de plaidoyer.

[9]          Enfin, il a demandé au comité de rejeter la demande de retrait de plaidoyer de l’intimé et de convoquer les parties à une audition pour entendre la preuve et les représentations sur sanction.

ANALYSE ET MOTIFS

[10]       Avant de se prononcer sur la demande de retrait de plaidoyer de l’intimé, il y a lieu de rappeler les différentes étapes de ce dossier à partir du dépôt de la plainte portée contre l’intimé devant le comité :

a)     Le 30 octobre 2013, le comité de discipline s’est réuni pour procéder à l’instruction d’une requête en radiation provisoire, signifiée à l’intimé le
25 octobre 2013. Ce dernier était alors absent, mais représenté par procureur;

b)     Le procureur de l’intimé a demandé une remise de l’audience puisqu’il n’avait rencontré son client que la veille et n’avait pas pu prendre connaissance de la preuve qui avait été signifiée à ce dernier au même moment, à Sherbrooke. Sa demande a été accueillie et l’audience reportée au 4 novembre 2013;

c)      Le 4 novembre 2013, de nouveau réuni pour procéder à l’instruction de la requête en radiation provisoire, le procureur de la plaignante a informé le comité qu’il désirait reporter sine die l’instruction de la requête en raison d’une « Ordonnance ex parte de blocage, d’interdiction d’opérations sur valeurs, d’interdiction d’exercer l’activité de conseiller, de suspension d’inscription et de publication au registre foncier » rendue le 1er novembre 2013 par le Bureau de décision et de révision (BDR). Dans les circonstances, il n’y avait ni lieu ni urgence de prononcer la radiation provisoire de l’intimé et il en avait avisé son confrère, ce qui expliquait l’absence de la partie intimée devant le comité. Le BDR ayant ordonné la suspension du certificat d’exercice de l’intimé dans toutes les disciplines pour lesquelles il était inscrit et les droits conférés par son inscription à titre de représentant de courtier en épargne collective, le comité a accueilli la demande de reporter sine die la requête en radiation provisoire de l’intimé, devenue sans objet dans les circonstances;

d)     Le 19 novembre 2013, au cours d’une téléconférence avec les procureurs des parties, l’instruction de la plainte a été fixée aux 20, 21 et 22 mai 2014;

e)     Moins d’une semaine avant ces dernières dates, l’intimé a révoqué le mandat de son procureur et a demandé une remise des audiences pour cause médicale;

f)       Le 21 mai 2014, le comité a fait droit à la demande de remise de l’intimé, mais a requis un billet médical plus précis quant à la condition médicale l’empêchant d’être présent;

 

g)     Lors de la téléconférence du 2 septembre 2014, l’intimé a déclaré vouloir se représenter seul et l’instruction de la plainte a été fixée aux 17 et 18 novembre 2014;

h)      Le 13 novembre 2014, l’intimé a fait suivre un courriel au secrétariat du comité de discipline demandant une remise de ces dernières audiences alléguant travailler au Pakistan et ne pouvoir être présent;

i)       Le 17 décembre 2014, lors d’une téléconférence à laquelle l’intimé a participé, les audiences ont été fixées aux 6 et 7 octobre 2015 considérant le travail de l’intimé à l’étranger;

j)       Le 30 septembre 2015, Me Mathieu Poissant a demandé, pour l’intimé, la remise des audiences fixées aux 6 et 7 octobre 2015, afin de pouvoir prendre connaissance du dossier de l’intimé et être en mesure de le représenter. Il a par la suite comparu pour ce celui-ci. Sa demande a été accueillie et les audiences ont été fixées aux 21 et 22 décembre 2015;

k)      Le 17 décembre 2015, ce même procureur a de nouveau demandé une remise au motif que son client était en congé de travail comme indiqué au certificat médical fourni par l’intimé. Après avoir pris connaissance dudit certificat médical plutôt laconique qui ne mentionnait que « congé du travail pour raison médical [sic] (vu en neurologie) du 14/12/2015 au 25/12/2015 inclus » et après avoir entendu les représentations des parties, le comité a rejeté cette demande de remise et a maintenu les audiences sur culpabilité fixées les 21 et 22 décembre 2015;

l)       Le 21 décembre 2015, en début d’audience, Me Arianne Duval du bureau représentant l’intimé a demandé une remise de l’audience, expliquant que l’intimé avait communiqué la veille avec Me Poissant pour l’informer qu’il était hospitalisé et ne pouvait donc être présent à l’audience. Toutefois, il pouvait être rejoint sur son cellulaire, au besoin. Cette demande a été vigoureusement contestée par le procureur de la plaignante;

m)    Le comité a suspendu l’audience afin que la greffière audiencière obtienne le nom de l’hôpital ainsi que le numéro de chambre de l’intimé, afin de pouvoir le rejoindre directement, et non à son numéro de téléphone cellulaire comme proposé par l’intimé;

n)      À la reprise d’audience, Me Duval a indiqué avoir rejoint l’intimé sur son cellulaire et qu’elle retirait cette demande de remise, car son client désirait plaider coupable comme il avait été convenu avec Me Poissant et le procureur de la plaignante le vendredi précédent. De plus, l’intimé lui avait indiqué qu’il assisterait à l’audience par voie téléphonique, mais à partir de son cellulaire seulement, pour répondre aux questions du comité, le cas échéant;

 

o)     Avant de procéder à l’enregistrement du plaidoyer de l’intimé, le comité a accueilli la demande de retrait des cinquième et sixième chefs d’accusation pour les motifs exposés par le procureur de la plaignante, de sorte que seuls les quatre premiers chefs d’accusation de la plainte étaient retenus;  

p)     Ensuite, après avoir lu à l’intimé chacun des quatre chefs d’accusation restants, Me Duval lui a demandé pour chacun d’eux s’il reconnaissait les faits reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques tel qu’alléguées à ces chefs. L’intimé a répondu par l’affirmative et a confirmé enregistrer sous chacun d’eux un plaidoyer de culpabilité;

q)     Questionné par Me Duval, l’intimé a affirmé que son plaidoyer de culpabilité était libre et volontaire, fait sans pression ni contrainte ou menace de la part de qui que ce soit;

r)       Ensuite, le comité a donné acte à l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des quatre premiers chefs d’accusation. Dès lors, l’intimé a décidé de se retirer de l’appel et de ne pas être présent pour la suite de l’audience;

s)      Par sa décision du 11 mai 2016, le comité déclarait l’intimé coupable sous chacun des quatre premiers chefs de la plainte et convoquait les parties pour fixer une audience sur sanction. Celle-ci lui a été signifiée à son domicile le
13 mai suivant;

t)       Le 31 mai 2016, lors d’une conférence téléphonique avec les procureurs des parties, l’audience sur sanction a été fixée au 7 septembre 2016 pour entendre la preuve et les représentations des parties;

u)      Le 21 juin 2016, les procureurs de l’intimé avisaient le comité qu’ils demandaient la permission de cesser d’occuper pour l’intimé;

v)      Le 23 juin 2016, lors de la téléconférence fixée pour entendre cette demande, l’intimé était absent, bien que dûment convoqué. Le comité, apprenant lors de cet appel que l’intimé avait déposé le 6 juin 2016 au bureau de la syndique de la CSF une demande de retrait de plaidoyer de culpabilité, a reporté la suite de cet appel au 30 juin et a de nouveau convoqué l’intimé pour qu’il y participe;

w)     Le 30 juin 2016, même si dûment avisé qu’à cette même date, le comité se prononcerait sur la requête pour cesser d’occuper de ses procureurs et fixerait une date pour l’instruction de sa demande de retrait de plaidoyer, l’intimé a de nouveau fait défaut de répondre à cet appel. Ainsi, dans un premier temps, le comité a accueilli la requête des procureurs de l’intimé pour cesser d’occuper et a fixé l’instruction de la demande de retrait de plaidoyer au 1er septembre 2016;

x)      L’avis d’audition pour la demande de retrait de plaidoyer a été signifié en mains propres à l’intimé le 12 juillet 2016.

[11]        Qu’en est-il maintenant de la demande de l’intimé en retrait du plaidoyer de culpabilité enregistré par lui-même sous chacun des quatre chefs d’accusation le
21 décembre 2015?

[12]       L’intimé y allègue essentiellement que son plaidoyer n’a pas été fait librement et volontairement, qu’une incapacité mentale ne lui permettait pas de saisir les enjeux et conséquences d’un tel plaidoyer, lequel lui aurait été fortement conseillé par ses procureurs. Il a ajouté que, de toute manière, il n’a jamais eu l’intention d’enregistrer un tel plaidoyer. Au surplus, il allègue qu’il en découlerait pour lui un préjudice irréparable, sans toutefois préciser davantage. 

[13]        Dans l’affaire Long Nguyen Lam[3], le Conseil de discipline de l’Ordre des dentistes énonce ce qui suit au sujet des principes applicables en la matière :

« [61] Le Tribunal des professions rappelle les principes applicables en matière de retrait de plaidoyer de culpabilité, tels que développés dans la jurisprudence5:

« 1.   le fardeau de démontrer qu'un aveu a été illégalement donné et devrait être retiré appartient au requérant et il sera plus lourd s'il était représenté par avocat;

2.   la personnalité du requérant, son degré d'instruction et sa capacité de comprendre le processus judiciaire sont des facteurs pertinents à la question;

3.   le requérant qui allègue l'incompétence d'un avocat ou avoir subi des pressions indues de sa part pour justifier sa demande de retrait de culpabilité doit établir qu'il a subi un déni de justice;

4.   le principe de la stabilité des jugements constitue, sauf circonstances exceptionnelles, une fin de non-recevoir à toute tentative d'une partie non satisfaite d'un jugement de vouloir obtenir une seconde chance en s'en prenant aux décisions ou conseils de son avocat en première instance;

5.   le justiciable, conseillé par son avocat, est le maître de ses décisions stratégiques et tactiques et ne peut, après coup, les récuser parce qu'il est insatisfait des conséquences.6

[Les soulignements sont ceux du Conseil.]

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5 Voir Duquette c. Gauthier, précité, note 2; R. c. Delisle, 1999 CanLII 13578 (QC CA), R. c. J.C., 2003 CanLII 32932 (QC CA).

6 Bell c. Ordre des chimistes du Québec, 2003 QCTP 59 (CanLII). »

[14]        D’abord, comme plaidé par le procureur de la plaignante, l’intimé a fait défaut d’invoquer quelque moyen de défense que ce soit aux quatre chefs d’accusation retenus contre lui et qui lui reprochaient respectivement de s’être placé en situation de conflit d’intérêts, d’avoir fait des fausses représentations à son client pour obtenir de lui un prêt de 50 000 $, d’avoir falsifié ou permis que soit falsifié un compte de placement qu’il a remis à son client dans le but de le rassurer quant au remboursement du prêt de 50 000 $, lui laissant croire faussement qu’il possédait les actifs y apparaissant, et finalement d’avoir faussement fait croire à son client que ce dernier avait été désigné bénéficiaire d’une indemnité advenant son décès aux fins du remboursement du prêt de 50 000 $.  

[15]        Aussi, il est permis de présumer que l’intimé, qui a obtenu un certificat à titre de représentant de courtier en épargne collective, est instruit. De même, ses interventions constantes auprès du comité tout au long du processus judiciaire, comme rapporté au paragraphe 10 de la présente décision, démontrent qu’il en avait une bonne compréhension.

[16]        En ce qui concerne l’enregistrement de son plaidoyer, l’intimé était représenté par avocat. Il a même affirmé devant le comité que son plaidoyer était libre et volontaire, fait sans pression ni contrainte ou menace de la part de qui que ce soit. L’intimé n’a pas démontré qu’il en résultait pour lui un déni de justice.   

[17]        Enfin, quoique l’intimé allègue une incapacité mentale qui l’aurait empêché de saisir les enjeux et conséquences d’un tel plaidoyer, il n’en fournit aucune preuve.

[18]        Par conséquent, aucune des conditions essentielles devant être réunies pour permettre un changement de plaidoyer n’est satisfaite.

[19]        L’intimé ne s’étant pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait, le comité rejette sa demande de retrait de plaidoyer.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la demande de retrait de plaidoyer par l’intimé;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

(S) Janine Kean

___________________________Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Monique Puech

___________________________

Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

(S) Bruno Therrien

___________________________

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

 

Me Mathieu Cardinal

 

CDNP AVOCATS

 

Procureurs de la partie plaignante

 

 

 

L’intimé était absent et non-représenté

 

 

Date d’audience :

Le 1er septembre 2016

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Delisle c. Reine, 1999 CANLII 13578, décision de la Cour d’appel du Québec du 12 janvier 1999; J.C. c. Reine, 2003 CANLII 32932, décision de la Cour d’appel du Québec du 25 mars 2003; Bell c. Chimistes, 2003 QCTP 59, décision du Tribunal des professions du 9 mai 2003; Duquette c. Gauthier, 2007 QCCA 863, décision de la Cour d’appel du Québec du 14 juin 2007; Mohamed c. Reine, 2009 QCCA 2338, décisions de la Cour d’appel du Québec du1er décembre 2009.

[2] POIRIER, Sylvie, «Le plaidoyer de culpabilité : un point de non-retour ?», Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire 2011 (Vol. 335), Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 59-80.

[3] Vinh Long Nguyen Lam c. Ordre des dentistes du Québec, C.D. Den. Montréal, no 14-15-01242, décision sur une requête en retrait de plaidoyer rendue le 27 janvier 2017.

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