Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1247

 

DATE :

1er novembre 2017

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Claude Mageau

Président

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

M. Réal Veilleux, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

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MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

MIREILLE CHARTOUNI (certificat numéro 159292, BDNI 1536901)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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[1]              Le 1er septembre 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au siège social de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimée le 19 mai 2017 ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.         Dans la région de Montréal, entre les ou vers les 1er et 30 mai 2015, l’intimée n’a pas agi avec intégrité et compétence en se livrant à de la cavalerie de chèques, (kiting), pour la somme d’environ 2 545 $, contrairement à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières  (RLRQ, c. D-9.2 r. 7.1).

 

[2]              Le plaignant était représenté par Me Caroline Chrétien et l’intimée, qui était absente, était représentée par Me Janie Arseneau.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]              D’entrée de jeu, la procureure de l’intimée déposa un plaidoyer de culpabilité signé par l’intimée dans lequel elle reconnaît les faits reprochés de la plainte disciplinaire et que ceux-ci constituent une infraction déontologique.

[4]              Une fois que le comité en eut pris connaissance, le président invita la procureure du plaignant à lui présenter les faits du présent dossier.

LA PREUVE

[5]              La procureure de la plaignante déposa tout d’abord un cahier de pièces, avec le consentement de la procureure de l’intimée, lesquelles ont été identifiées P-1 à P-18.

[6]              Au moment des incidents reprochés, l’intimée était conseillère du service aux particuliers à la Banque Laurentienne du Canada (« BLC »), et ce, depuis le 16 août 2010.

[7]              Elle détenait alors un certificat à titre de représentante pour un courtier en épargne collective.

[8]              Durant le mois de mai 2015, l’intimée a effectué de nombreuses transactions irrégulières sur son compte bancaire qu’elle détenait à la BLC et sur celui de son fils détenu aussi à la même institution financière.

[9]              En fait, elle a effectué une cavalerie de chèques, laquelle a permis à elle et son fils de bénéficier de fonds qu’elle ne disposait pas.

[10]           Plus particulièrement, elle a effectué au total treize (13) chèques sans provision pour un total de 2 545 $.

[11]           Suite au stratagème élaboré par l’intimée, il n’en est cependant résulté aucune perte pécuniaire pour BLC.

[12]           L’intimée fut congédiée par BLC le 17 juillet 2015 après que les faits ci‑haut mentionnés eurent été découverts.

[13]           Cependant, les enquêteurs du syndic n’ont jamais pu rencontrer l’intimée, celle‑ci n’ayant jamais donné suite à leurs demandes de rencontre.

[14]           Les enquêteurs n’ont eu aucune collaboration de sa part et n’ont donc pas été en mesure d’obtenir sa version des faits.

[15]           Suite à la présentation des faits et documents ci-haut mentionnés, séance tenante, le comité déclara l’intimée coupable de l’unique chef d’accusation reproché à la plainte.

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DU PLAIGNANT

[16]            La procureure du plaignant informa le comité qu’une recommandation commune de la part des parties lui était faite pour qu’une radiation permanente de l’intimée soit ordonnée, accompagnée d’une ordonnance de publication de la sanction et du paiement des déboursés.

[17]           La procureure du plaignant allégua les facteurs aggravants suivants :

-            Le caractère frauduleux des gestes posés par l’intimée qui s’assimilent à de l’appropriation de fonds;

-            Les gestes effectués vont à l’encontre des qualités d’intégrité et de probité qu’un représentant doit avoir;

-            Les gestes posés ont été faits à l’occasion de son travail;

-            Le caractère répétitif des gestes;

-            La préméditation de l’intimée pour la mise en place de son stratagème;

-            L’absence de collaboration de l’intimée à l’enquête du plaignant.

[18]           Par la suite, elle souligna les facteurs atténuants suivants :

-            L’absence d’antécédent disciplinaire;

-            L’existence d’un plaidoyer de culpabilité;

-            Le peu de chance de récidive, vu que l’intimée n’est plus dans l’industrie;

-            L’absence de perte pécuniaire pour son employeur.

[19]           Par la suite, la procureure du plaignant déposa une série de décisions pour appuyer la recommandation commune de sanction[1].

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DE L’INTIMÉE

[20]           Tout d’abord, la procureure de l’intimée confirma que la recommandation faite au comité par la procureure du plaignant en était une qui était commune.

[21]           Elle indiqua que l’intimée avait effectivement perdu son emploi suite à la commission des gestes reprochés.

[22]           Elle mentionna aussi que l’intimée n’avait pas l’intention de revenir dans l’industrie comme représentante et qu’elle travaille actuellement dans l’industrie du taxi.

[23]           À titre de facteur atténuant, la procureure de l’intimée indiqua que la somme d’argent impliquée n’était pas importante et qu’il n’y a eu aucune perte pécuniaire subie par quiconque dans la présente affaire.

[24]           Elle indiqua que l’intimée lui avait mentionné que la raison pour laquelle elle avait commis les gestes était le problème de drogue de son fils, lequel venait même la harceler à son travail pour obtenir de l’argent.

[25]           Elle termina en disant que l’intimée était bien au courant que la procureure du plaignant recommanderait qu’une radiation permanente lui soit ordonnée, tel qu’il appert d’ailleurs au paragraphe 11 de son plaidoyer de culpabilité.

ANALYSE ET MOTIFS

[26]           L’intimée est maintenant âgée de 54 ans.

[27]           Au moment de la commission de l’infraction reprochée, elle était à l’emploi de BLC depuis plus de quatre (4) ans à titre de conseillère au service des clients.

[28]           Elle avait alors près de dix (10) ans d’expérience à titre de représentante de courtier en épargne collective.

[29]           Le fils de l’intimée aurait été alors aux prises avec de sérieux problèmes de drogue.

[30]           Afin de l’aider financièrement, elle a effectué une cavalerie de chèques lui permettant d’obtenir des fonds totalisant 2 545 $, qu’elle n’aurait pu obtenir sans ce stratagème de chèques sans provision.

[31]           Il y a eu une série importante de transactions impliquant à la fois son compte bancaire et celui de son fils et pour lesquelles un total de treize (13) chèques sans provision ont été tirés.

[32]           L’intimée a été congédiée le 17 juillet 2015 par BLC.

[33]           Elle n’a offert aucune collaboration aux enquêteurs du plaignant, ceux-ci n’ayant jamais été capables de la rejoindre durant l’enquête afin de connaître sa version des faits.

[34]           La jurisprudence soumise par la procureure du plaignant est tout à fait pertinente en l’espèce, car les actes reprochés à l’intimée sont de la nature d’une appropriation de fonds.

[35]           Le comité réfère aussi à la décision rendue le 12 juin 2017 dans l’affaire Fortier[2] qui porte justement sur un cas de cavalerie de chèques et où le comité a ordonné la radiation permanente de l’intimée.

[36]           L’obtention non autorisée d’un crédit aux dépens de son employeur est très grave et doit être sévèrement sanctionnée.

[37]           La gravité objective de l’infraction reprochée est extrêmement sérieuse.

[38]           L’intimée a réussi à utiliser les délais de compensation afin de masquer les découverts qu’elle créait.

[39]           Elle avait plus de dix (10) années d’expérience à titre de représentante au moment de la commission des gestes reprochés.

[40]           Elle a cependant plaidé coupable à l’infraction reprochée, évitant ainsi des délais additionnels et le déplacement de témoins.

[41]           Elle n’a pas assisté à l’audition devant le comité préférant laisser sa procureure faire des représentations en son nom.

[42]           Il semblerait que l’intimée n’a plus l’intention d’exercer ses fonctions de représentant dans l’avenir compte tenu de son âge et qu’elle œuvre actuellement dans le domaine du taxi.

[43]           La recommandation commune présentée par les procureures des parties, quant à la radiation permanente de l’intimée, bien que sévère, respecte la jurisprudence existant en pareille matière.

[44]           Les procureures des parties conjointement demandent aussi qu’il y ait une ordonnance de publication de la décision concernant la radiation permanente.

[45]           En faisant cette recommandation, les procureures n’ont cependant pas mentionné au comité en vertu de quelle disposition législative il pouvait rendre une telle ordonnance.

[46]           L’article 156(5) du Code des professions se lit comme suit :

« Le conseil de discipline doit, lors de la décision imposant une radiation temporaire ou une limitation ou une suspension temporaire du droit d’exercer des activités professionnelles, décider si un avis de cette décision doit être publié dans un journal circulant dans le lieu où le professionnel a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où le professionnel a exercé ou pourrait exercer sa profession. Si le conseil ordonne la publication d’un avis, il doit, de plus, décider du paiement des frais de publication, soit par le professionnel, soit par l’ordre, ou ordonner que les frais soient partagés entre eux. Le secrétaire du conseil choisit le journal le plus susceptible d’être lu par la clientèle du professionnel. » (nos soulignés)

[47]           Force est de constater que cette disposition législative ne permet pas au comité de rendre une telle ordonnance de publication quand la radiation permanente est ordonnée.

[48]           Tel que décidé dans l’affaire Fortier[3], le comité considère que l’article 180 du Code des professions auquel renvoie l’article 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers s’applique en l’espèce.

[49]           Cet article 180 du Code des professions prévoit statutairement l’obligation du secrétaire du comité de faire publier dans un journal un avis de la décision ordonnant la radiation permanente d’un professionnel.

[50]           Par conséquent, une ordonnance du comité n’est pas requise pour que la publication d’un avis de la décision ordonnant la radiation permanente soit exécutée, cette publication s’opérant automatiquement par l’effet de l’article 180 du Code des professions.

[51]           Le comité est convaincu que la suggestion commune faite par les procureures des parties satisfait au critère de dissuasion, d’exemplarité et de protection du public.

[52]           Cette radiation permanente de l’intimée ne va aucunement à l’encontre du principe de l’intérêt public, tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Anthony-Cook[4].

[53]           Enfin, il ordonnera à l’intimée de payer les déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur le seul chef d’accusation porté contre elle;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimée prononcée à l’audience en vertu de l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r. 7.1);

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE la radiation permanente de l’intimée;

CONDAMNE l’intimée au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. 26).

 

 

(S) Claude Mageau

                                                                            

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

(S) Gabriel Carrière

                                                                            

M. GABRIEL CARRIÈRE, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Réal Veilleux

                                                                            

M. RÉAL VEILLEUX, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

Me Caroline Chrétien

BÉLANGER LONGTIN, S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Janie Arseneau

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience :

1er septembre 2017

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Mammarella, 2014 CanLII 5165 (QC OACIQ); Chambre de la sécurité financière c. Fortier, 2017 CanLII 38069 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Ouedraogo, 2015 QCCDCSF 34 (CanLII);  Chambre de la sécurité financière c. Raymond, 2011 CanLII 99457 (QC CDCSF).

[2] Chambre de la sécurité financière c. Fortier, préc., note 1.

[3] Ibid.

[4] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

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