Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1145

 

DATE :

28 septembre 2017

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Alain Gélinas

Président

Mme Diane Bertrand, Pl. Fin.

M. Michel Gendron

Membre

Membre

 

 

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

CLAUDE PRÉVOST (certificat numéro 127840, BDNI 1581661)

 

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication du nom des consommateurs mentionnés à la plainte disciplinaire et de tout renseignement ou document permettant de les identifier, et ce, dans le but d’assurer la protection de leur vie privée.

 

[1]           Le  comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») s’est réuni pour procéder à l'audition sur culpabilité et sanction de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé. La plainte se lit comme suit :

LA PLAINTE

1.        À Saint-Sauveur, le ou vers le 5 février 2014, l’intimé a contrefait la signature de M.B. sur deux formulaires «Confirmation de cotisation», deux formulaires «Régimes enregistrés/compte de placement, versements préautorisés – Transferts de fonds», un formulaire «Confirmation de modification» suite à l’annulation de paiements préautorisés et trois formulaires «Confirmation de conversion de placement», contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 10, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

2.        À Saint-Sauveur, le ou vers le 13 février 2014, l’intimé a contrefait la signature de A.P. sur un formulaire de «Confirmation de remboursement/fermeture», contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 10, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

3.        À Saint-Sauveur, le ou vers le 17 février 2014, l’intimé a modifié une lettre d’instruction que N.D. avait précédemment signée et y a contrefait les initiales de ce dernier, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 10, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

4.        À Saint-Sauveur, en février 2014, l’intimé a contrefait la signature de M.L. sur un formulaire «Directives de conformité, FIRI», contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 10, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

[2]           La plaignante était représentée par Me Alain Galarneau et l’intimé, bien que présent, n’était pas représenté par avocat. Dès le début de l’audience, le comité a informé l’intimé de son droit d’être représenté par avocat.

[3]           Les pièces P-1 à P-5 ont été déposées de consentement.

[4]           Selon la pièce P-5, l’intimé détenait une certification en planification financière et était inscrit à titre de représentant de courtier en épargne collective.

[5]           Les infractions se sont déroulées en février 2014.

[6]           On reproche à l’intimé d’avoir, à plusieurs reprises, contrefait la signature de clients sur des documents. Pour le chef d’infraction 1, on retrouve en outre huit  documents. Pour les autres chefs d’infraction, un seul document est en cause.

[7]           L’intimé reconnaît avoir falsifié les documents. Il souligne qu’il a fait cela pour aider les clients et aussi pour se faciliter la tâche.

[8]           Il mentionne qu’il a été très candide avec son employeur en indiquant les autres documents contrefaits. De plus, il a contacté les clients afin de leur faire signer les documents.

[9]           Il a été congédié par son employeur le 3 mars 2014.

[10]        L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité. Il fut déclaré coupable par le Comité séance tenante sous les quatre chefs d’infraction.

[11]        Le Comité procéda par la suite sur sanction.

PRÉSENTATION DE L’INTIMÉ

[12]        L’intimé souligne qu’il a travaillé 25 ans pour la même institution financière. Il n’a jamais eu de plainte de la part de ses clients. Il mentionne qu’il était excellent dans ce qu’il faisait.

[13]         À l’automne 2013, il avait déjà environ 360 clients. Un collègue a démissionné et on lui a demandé de prendre 70 nouveaux clients. Il gérait environ 125 millions de dollars. Il a rencontré l’ensemble de ses nouveaux clients à l’automne 2013 afin de valider leur profil d’investisseur.

[14]        Il a sous-évalué le volume de travail et mentionne qu’il a été débordé par l’ampleur de la tâche. Malgré tout, il ne tente pas de justifier les gestes posés.

[15]        Il n’a pas l’intention de retourner dans l’industrie.

[16]        Il souligne que les conséquences salariales ont été graves. Il ajoute qu’il a trouvé très difficile de partir sans pouvoir parler à ses clients ou à ses collègues de travail.

[17]        Il mentionne qu’il n’a pas fraudé ni volé. Il s’est assuré que ses clients ne soient pas pénalisés par son départ en laissant à son successeur l’ensemble des informations sur l’état des dossiers.

REPRÉSENTATIONS DU PROCUREUR DE LA PLAIGNANTE

[18]        Le procureur de la plaignante demande au Comité d’imposer à l’intimé une radiation temporaire de deux mois pour chacun des chefs d’infraction à être purgée de manière concurrente en plus de la publication de l’avis prévu au Code des professions ainsi que le paiement des frais de publication et des déboursés. Les périodes de radiation temporaire concurrentes devenant exécutoires lors de la réinscription de l’intimé, si tant est que cette situation se présente.

[19]        Il souligne que la contrefaçon de la signature d’un client est une infraction grave. Elle touche au cœur même de l’exercice de la profession. La signature appartient au client et il s’agit d’une manifestation de son identité. Rien ne peut justifier un tel écart.

[20]        L’infraction est non seulement grave à l’égard du client, mais également à l’égard de son employeur.

[21]        Au plan subjectif, l’intimé n’a pas d’antécédent disciplinaire et il a pleinement collaboré à l’enquête. L’intimé regrette les gestes posés et les risques de récidive sont à peu près inexistants.

[22]        Le procureur de la plaignante reconnait que les conséquences ont été importantes pour l’intimé aux plans personnel et professionnel.

[23]        L’intimé a été radié provisoirement par le comité.  Il n’exerce plus dans l’industrie depuis juin 2015.

[24]        Par la suite, le procureur de la plaignante a soumis de la jurisprudence qu’il considérait pertinente et qui appuie la recommandation faite au comité.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[25]        L’intimé rappelle que les événements se sont produits durant une période où il était débordé. Il souligne qu’on en demande toujours plus aux représentants qui sont performants.

[26]        L’intimé est conscient de la gravité des infractions. Il souligne qu’il ne reviendra pas dans l’industrie, car les exigences du métier ont miné sa santé.

ANALYSE JURISPRUDENTIELLE

[27]        Une radiation temporaire de deux mois a été imposée dans le dossier Turcotte[1]. Dans cette affaire, la représentante avait rencontré des clients afin d’effectuer un placement. Un document intitulé « transactions financières sur un compte » a alors été complété.

[28]        Le service de conformité de la firme a, quelques jours plus tard, avisé la représentante que les titres choisis ne correspondaient pas aux objectifs des clients.

[29]        Au lieu de convoquer à nouveau une rencontre avec les clients afin de discuter de la situation, la représentante a, à leur insu, corrigé les objectifs de placement et signé les documents en leur lieu et place.

[30]        Dans ce dossier, l’intimée n’avait aucun antécédent disciplinaire. Elle avait enregistré un plaidoyer de culpabilité et elle avait collaboré à l’enquête de la syndique. Par ailleurs, elle n’avait pas agi dans le but de frauder.

[31]        Le comité rappela la gravité objective des infractions qui vont au cœur même de la profession. On acquiesça donc à la suggestion commune des parties.

[32]        Dans le dossier Pham[2], on reprochait à l’intimé, d’une part, d’avoir contrefait la signature de ses clients sur six documents et, d’autre part, d’avoir obtenu deux documents signés en blanc.

[33]        Dans ce dossier, l’intimé n’avait aucun antécédent disciplinaire et il avait enregistré un plaidoyer à la première occasion. Le comité reconnaît que l’intimé semble avoir agi dans le but de bien servir ses clients. Par ailleurs, il ne semble pas avoir été motivé par la recherche d’un profit personnel.

[34]        Malgré ses facteurs atténuants, le comité imposa une radiation temporaire de deux mois pour chacun des six chefs de contrefaçon. Les radiations temporaires devant être purgées de manière concurrente.

[35]        Dans l’affaire Gauthier[3], on reprochait à l’intimé d’avoir contrefait la signature de ses clients. D’autre part, on lui reprochait d’avoir obtenu des documents signés en blanc.

[36]        L’intimé n’avait pas d’antécédent disciplinaire, il avait reconnu les faits et il avait collaboré à l’enquête. Un plaidoyer de culpabilité a été enregistré à la première occasion. Aucune malhonnêteté ou malveillance n’a été constatée.

[37]        Considérant la gravité objective et les infractions multiples de contrefaçon le comité a imposé, pour les dix chefs d’infraction, une radiation temporaire de deux mois à être purgée de manière concurrente.

[38]        Une radiation temporaire de deux mois a également été imposée dans le dossier Dorion[4]. Il s’agissait en l’espèce d’un seul chef d’infraction, à savoir d’avoir contrefait la signature d’un client et/ou les initiales d’autres clients sur des formulaires de transaction.

[39]        Les gestes ont été commis sans intention malicieuse et avaient plutôt pour but d’accommoder les clients ou bien d’accélérer le processus. Le comité est d’avis « qu’il s’agit d’une infraction objectivement grave et malheureusement trop souvent commise par les représentants. Elle ne saurait toutefois être tolérée »[5].

[40]        Finalement dans le dossier Bissonnette[6], l’intimé était en outre accusé d’avoir contrefait la signature de deux clients sur une lettre de résiliation de contrats d’assurance vie et sur un formulaire de rachat.

[41]        Dans ce dossier, l’intimé n’avait pas d’antécédent disciplinaire formel bien qu’une mise en garde de la syndique lui avait été faite. Le comité a noté la collaboration de l’intimé à l’enquête et le fait qu’il a plaidé coupable à la première occasion. Les consommateurs n’ont pas subi de préjudice réel suite à ses agissements.

[42]        Le comité souligne que « l’acte de contrefaire la signature d’un client et de l’utiliser par la suite est dans tous les cas une faute sérieuse »[7]. Le comité a accepté la recommandation commune et il a condamné l’intimé, sur les deux chefs d’infraction, à une radiation temporaire de deux mois à être purgée de façon concurrente.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[43]        Le Comité note tout d’abord que la gravité objective de l’infraction reprochée est très importante. La signature d’un client lui appartient et constitue l’expression de sa volonté. La contrefaçon porte atteinte à l’identité du client.

[44]        Le professionnalisme est une qualité essentielle dans le secteur financier.

[45]        Le fait, par un représentant, de contrefaire la signature d’un client est un geste inacceptable dans l’industrie. Un tel geste porte ombrage à l’image de la profession. Le Comité fait siens les commentaires suivants dans le dossier Pham :

« [47]        Le comité croit que l’intimé est aujourd’hui parfaitement conscient de la gravité des fautes qu’il a commises et il évalue à plutôt « faibles » les risques qu’il ne récidive.

 

[48]        Les événements en cause ont eu un effet malheureux tant sur sa vie professionnelle que personnelle, ce qui est certes de nature à l’inciter à ne plus recommencer.

 

[49]        Néanmoins, les fautes qu’il a commises vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à déconsidérer celle-ci.

 

[50]        Leur gravité objective ne fait donc aucun doute.

 

[51]        L’obtention de signatures en blanc par les clients expose ces derniers à des risques inutiles.

 

[52]        Contrefaire la signature sur un document et l’utiliser par la suite est dans tous les cas une infraction sérieuse.

 

[53]        Dans l’affaire Maurice Brazeau c. Me Micheline Rioux, la Cour du Québec a émis les principes qui doivent guider le comité dans l’imposition des sanctions dans les cas de contrefaçons de signatures.

 

[54]        Dans son jugement, la Cour y a indiqué : « Le fait d’imiter les signatures et de les utiliser est en soi un geste grave qui justifie une période de radiation. Cette période de radiation sera plus ou moins longue toutefois selon que la personne concernée pose ce geste avec une intention frauduleuse ou non. »

[46]        Le Comité note l’absence d’intention frauduleuse dans le présent dossier et la collaboration de l’intimé.

[47]        Le risque de récidive est quasi inexistant compte tenu du fait que l’intimé n’est plus dans l’industrie.

[48]        En pratique, l’intimé a malheureusement mis fin à sa carrière pour sauver un peu de temps.

[49]        Le Comité est d’opinion que la recommandation qui lui est faite par le procureur de la plaignante, lorsqu’examinée dans sa globalité, est juste et raisonnable.

[50]        Cette recommandation n’est pas contestée par l’intimé, car il souligne qu’il ne reviendra pas dans l’industrie.

[51]        Le Comité considère que cette recommandation ne déconsidère aucunement l’administration de la justice et qu’elle respecte le critère de l’intérêt public.

[52]        En conséquence, le Comité y donnera suite.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous les quatre chefs d’infraction de la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée séance tenante sous les quatre chefs d’infraction mentionnés à la plainte disciplinaire.

ET PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

Sous chacun des chefs d’infraction :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois;

ORDONNE que toutes les sanctions de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE que la radiation temporaire devienne exécutoire qu’à partir du moment où l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers ou toute autre autorité compétente émettra un certificat en son nom;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où il a ou avait son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

(S) Alain Gélinas

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Me ALAIN GÉLINAS

Président du comité de discipline

 

(S) Diane Bertrand

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Mme DIANE BERTRAND, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Michel Gendron

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M. MICHEL GENDRON

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU AVOCATS

Procureurs de la partie plaignante

 

 

L’intimé était présent et non représenté

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Champagne, ès qualités, c. Turcotte, Montréal C.D.C.S.F., n° CD00-0916, décision sur culpabilité et sanction, 3 avril 2014.

[2] Lelièvre, ès qualités, c. Pham, Montréal C.D.C.S.F., n° CD00-0996, décision sur sanction et culpabilité, 20 juin 2014.

[3] Tougas, ès qualités, c. Gauthier, Montréal C.D.C.S.F., n° CD00-1054, décision sur sanction et culpabilité, 9 février 2015.

[4] Lelièvre, ès qualités, c. Dorion, Montréal C.D.C.S.F., n° CD00-1066, décision sur culpabilité et sanction, 17 février 2015.

[5] Id., par. 22.

[6] Lelièvre, ès qualités, c. Bissonnette, Montréal C.D.C.S.F., n° CD00-1034, décision sur culpabilité et sanction, 20 février 2015.

[7] Id., par.25.

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