Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1224

 

DATE :

18 septembre 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Frédérick Scheidler

Membre

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

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MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ÉRIC VÉRONNEAU, détenant un certificat portant le numéro 203700 (BDNI : 3060641)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés, dont les initiales sont indiquées à la plainte, ainsi que de tout renseignement permettant de les identifier.

[1]           Le 14 juin 2017, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, en la ville de Montréal, province de Québec, H3A 3H3, et a procédé à l’instruction d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :


 

LA PLAINTE

« 1.       Dans la province de Québec, les ou vers les 7 août et 25 septembre 2015, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié la somme totale de 8 400 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement J.-F.G., contrevenant ainsi aux articles 160 et 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

2.          Dans la province de Québec, entre les ou vers les 23 novembre 2015 et 25 septembre 2016, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié la somme totale de 30 000 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement C.S.-L., contrevenant ainsi aux articles 160 et 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

3.          Dans la province de Québec, les ou vers les 28 août 2015 et 26 janvier 2016, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié la somme totale de 10 000 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement S.J., contrevenant ainsi aux articles 160 et 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1). »

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]           D’entrée de jeu, l’intimé, qui se représentait lui-même, mais qui avait jusqu’alors retenu les services d’un avocat, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des trois chefs d’accusation.

[3]           Après l’enregistrement dudit plaidoyer, la plaignante déposa au dossier une imposante preuve documentaire constituée essentiellement d’éléments recueillis lors de son enquête (cotée P-1 à P-25) ainsi qu’une copie du courriel que Me Jean-Daniel Debkoski adressait le 13 juin 2017 au secrétariat du comité (cotée P-26). Ce dernier y confirmait l’intention de l’intimé de plaider coupable aux trois chefs d’accusation, d’admettre les faits, et de se représenter seul à l’audition. Audit courriel, Me Debkoski ajoutait que les discussions entre procureurs avaient permis à ceux-ci de convenir d’une « recommandation commune » relativement aux sanctions.

[4]           La plaignante examina et révisa ensuite avec le comité les éléments de preuve qu’elle venait de déposer, exposant alors les événements ayant mené au dépôt des trois chefs d’accusation.

[5]           Puis les parties soumirent au comité leurs preuve et représentations respectives sur sanction.

PREUVE DES PARTIES SUR SANCTION

[6]           D’entrée de jeu, la plaignante déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir.

[7]           Quant à l’intimé qui lors de l’examen des différentes pièces par la plaignante avait exprimé certains commentaires, il indiqua s’en tenir à ses remarques antérieures et n’avoir aucun élément de preuve à offrir.

[8]           Les parties transmirent ensuite au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE 

[9]           La plaignante, par l’entremise de son procureur, débuta en indiquant que les parties s’étaient entendues pour présenter au comité ce qui est communément appelé des « recommandations communes sur sanction ».

[10]        Elle affirma que celles-ci s’étaient accordées pour suggérer au comité l’imposition des sanctions suivantes :


 

Sous chacun des chefs d’accusation 1, 2 et 3 contenus à la plainte :

        La condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de dix (10) ans à être purgée de façon concurrente.

[11]        Elle ajouta qu’elles avaient également convenu de suggérer au comité d’ordonner la publication d’un avis de la décision et de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

[12]        Elle signala que dans l’élaboration de leurs « recommandations communes », les parties avaient notamment pris en considération les facteurs aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants :

« -  La gravité objective des infractions, l’appropriation de fonds étant parmi les infractions les plus sérieuses qu’un représentant puisse commettre;

-       Des infractions allant, en l’espèce, à l’encontre des valeurs fondamentales de la profession qui visent à assurer la protection financière des consommateurs;

-       Des infractions de nature à affecter le lien de confiance entre les consommateurs et les membres de la profession. »

Facteurs atténuants :

« -  L’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé;

-       Sa collaboration à l’enquête de la Chambre, ce dernier ayant d’emblée reconnu les faits qui lui sont reprochés;

-       Son plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

-       Sa volonté de se soustraire à l’emprise d’une pathologie liée à la dépendance aux drogues, à l’alcool, et au jeu compulsif;

-       Son adhésion à une thérapie et des efforts continus de sa part dans le but de se dégager de l’emprise de ce qui précède. »

[13]        Enfin, au soutien de ses recommandations, elle versa au dossier un cahier d’autorités comprenant huit décisions antérieures du comité[1] qu’elle commenta, signalant que dans la plupart, sinon la totalité de celles-ci, les représentants fautifs avaient été condamnés à des radiations temporaires de dix ans.

[14]        Elle termina en indiquant que les « recommandations conjointes » des parties se situaient, à son avis, dans « la brochette » des sanctions généralement imposées par le comité, dans des circonstances de nature semblable pour des infractions similaires, et souligna notamment à cet égard la décision dans l’affaire Ziani où le représentant aux prises avec des problèmes de jeu compulsif, avait entrepris une thérapie intensive et avait démontré une volonté sincère de se défaire de sa pathologie. Le comité, confronté à un chef d’appropriation de fonds (environ 250 000 $), avait alors condamné l’intimé à une radiation temporaire de dix (10) ans.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[15]        L’intimé débuta ses représentations en déclarant qu’au moment des événements « sa vie tournait autour des problèmes de jeu ».

[16]        Il indiqua avoir depuis réalisé « la maladie » dont il était victime et compris que celle-ci devait être traitée.

[17]        Il affirma maintenant faire des efforts considérables et soutenus, à chaque jour, afin de se comporter de façon à se détacher de ses dépendances.

[18]        Il raconta qu’à chaque semaine, il avait une rencontre avec une intervenante et une rencontre au « CRD ».

[19]        Il ajouta que depuis le début de sa thérapie, il avait suivi de façon exemplaire les recommandations de ceux qui le soignaient.

[20]        Il termina en indiquant être parfaitement conscient que de parvenir à vaincre sa « maladie », c’était « le travail d’une vie » mais qu’il allait s’en sortir et que déjà, tel qu’il l’a indiqué : « Ça va pas mal mieux ».

[21]        Enfin, relativement aux sanctions qui doivent lui être imposées, il mentionna acquiescer aux suggestions de la plaignante.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[22]        L’intimé a détenu un certificat à titre de représentant de courtier en épargne collective, du 17 mars 2014 au 18 octobre 2016, pour le compte d’Investors Group Financial Services Inc. – Services financiers Groupe Investors inc. (Investors).

[23]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[24]        Selon ce qui a été présenté au comité, s’il a agi tel qu’il lui a été reproché et commis les infractions mentionnées à la plainte, c’est essentiellement afin de combler des besoins rattachés à une dépendance aux drogues, à l’alcool et au jeu compulsif.

[25]        À la suite desdites infractions il a été congédié par son employeur.

[26]        Dans le but de vaincre les pathologies dont il souffre, il a entrepris une thérapie qu’il poursuit encore aujourd’hui. Il a été honnête avec lui-même et n’a pas nié « sa maladie ».

[27]        À la première occasion il a admis les faits et enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte.

[28]        Devant le comité il est apparu regretter ses fautes.

[29]        Néanmoins, les infractions qu’il a commises sont d’une gravité objective indéniable.

[30]        Elles vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à ternir l’image de celle-ci.

[31]        Sous chacun des trois chefs d’accusation, il lui a été reproché de s’être approprié, au moyen de fausses représentations, des sommes que lui avaient confiées pour fins d’investissement les clients y indiqués.

[32]        Le comité est confronté à des infractions multiples, graves et répétitives.

[33]        L’ensemble des montants détournés par l’intimé totalise plus de QUARANTE-HUIT MILLE DOLLARS (48 000 $).

[34]        Or, tel que le comité l’a déclaré à plusieurs reprises, l’appropriation de fonds est une des infractions objectivement les plus sérieuses que puisse commettre un représentant, la profession exigeant de ses membres la plus haute intégrité.

[35]        Le législateur a d’ailleurs bien reconnu cet état de fait, notamment lorsqu’à l’article 220 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, il a conféré à l’Autorité des marchés financiers le pouvoir de refuser de délivrer un certificat si elle est d’avis que celui qui le demande ne possède pas « la probité nécessaire pour exercer » les activités de représentant.

[36]        Relativement à la sanction qui doit lui être imposée, les parties ont soumis au comité ce qui est convenu d’appeler dans le jargon juridique des « suggestions communes »[2].

[37]        Dans l’arrêt Douglas[3], la Cour d’appel du Québec a clairement indiqué la marche à suivre dans une telle situation.

[38]        Elle a clairement indiqué que lorsque les parties, représentées par des avocats compétents, parviennent à s’entendre pour présenter au tribunal de telles recommandations, celles-ci ne devraient être écartées que si celui-ci les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[39]        L’applicabilité de ce principe au droit disciplinaire a été confirmée par le Tribunal des professions à quelques reprises[4].

[40]        Et récemment dans l’arrêt Anthony-Cook[5], la Cour suprême du Canada a statué que des « recommandations conjointes » ne devraient être écartées que si elles sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou contraires à l’intérêt public.

[41]        Aussi, le comité, bien qu’il estime que la sanction recommandée est relativement indulgente notamment s’il est pris en compte l’absence de preuve d’un début de remboursement des sommes appropriées ou d’une volonté de remboursement, ne croit pas devoir néanmoins se dissocier des « recommandations conjointes » des parties.

[42]        Lors de son témoignage, l’intimé a clairement indiqué qu’il avait apporté des corrections à son mode de vie et souscrit à une thérapie intensive, suivie avec succès au jour de l’audition. Il a indiqué participer à des groupes d’entraide et a clairement démontré une volonté de se soustraire à ses dépendances.

[43]        Le comité a bon espoir qu’il puisse y parvenir.

[44]        Ainsi, après considération de l’ensemble des facteurs, tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été présentés, le comité et d’avis de donner suite aux « recommandations communes » des parties et ordonnera donc la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix (10) ans à être purgée de façon concurrente sous tous et chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte.

[45]        Enfin, tel que proposé par les parties, le comité ordonnera la publication d’un avis de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.


 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous tous et chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte;

            DÉCLARE l’intimé coupable sous tous et chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte;

            ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

ORDONNE, sous chacun des chefs 1, 2 et 3 contenus à la plainte, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix (10) ans à être purgée de façon concurrente;

            ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer la profession conformément aux dispositions de l’article 156(5) du Code des professions RLRQ, ch. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions RLRQ, ch. C-26;

 

 

 

 

 

(s) François Folot

Me François Folot

Président du comité de discipline

 

 

(s) Frédérick Scheidler ________________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Gabriel Carrière___________________

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

Pouliot, Caron, Prévost, Bélisle, Galarneau

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représentait lui-même.

 

Date d’audience :

14 juin 2017

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Chambre de la sécurité financière c. Ziani, 2016 QCCDCSF 30;

      Chambre de la sécurité financière c. Lamoureux, 2015 QCCDCSF 75;

      Champagne c. Ferjuste, 2013 CanLII 43430 (QC CDCSF);

      Chambre de la sécurité financière c. Robillard, 2017 CanLII 15106 (QC CDCSF);

      Chambre de la sécurité financière c. Olivier, 2017 QCCDCSF 24;

      Chambre de la sécurité financière c. Montour, 2015 QCCDCSF 67;

      Chambre de la sécurité financière c. Erdogan, 2017 QCCDCSF 9; et

      Chambre de la sécurité financière c. Boudreault, 2015 QCCDCSF 65.

[2]     De fait, le comité a tenu compte de l’entente intervenue entre le procureur de la plaignante et l’ex-procureur de l’intimé relativement à une recommandation commune quant aux sanctions.

[3]     Douglas c. R., 2002 CanLII 32492 (QC CA).

[4]     Voir notamment Malouin c. notaires, 2002 QCTP 15 et Roy c. Médecins, 1998 QCTP 1735.

[5]     R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

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