Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Efraimidis

2015 QCCDCSF 52

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1072

 

DATE :

21 octobre 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

GRÉGORY EFRAIMIDIS, conseiller en sécurité financière et conseiller en régimes d’assurance collective de personnes (numéro de certificat 111722);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom des consommateurs concernés ainsi que de toute information qui permettrait de les identifier.

[1]           Le 29 janvier 2015 aux locaux de la Chambre de la sécurité financière ainsi que le 18 mars 2015, à l’Hôtel Delta, 475 avenue du Président-Kennedy, salle Debussy, Montréal, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Montréal, le ou vers le 14 juin 2000, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.A. et C.A. alors qu’il leur faisait souscrire le contrat d’assurance-vie universelle portant le numéro [...], contrevenant aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, chapitre D-9.2, r.1.3) »

[2]           Au terme de l’audition, il fut convenu que la plaignante verrait à faire tenir au comité des notes relativement à l’adoption du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le Règlement). Elles furent acheminées au comité le ou vers le 20 mars 2015. La réponse de la procureure de l’intimé parvint ensuite au comité le ou vers le 26 mars 2015, date du début du délibéré.

PREUVE DES PARTIES

[3]           Au soutien de sa plainte, la plaignante fit entendre Mme Lucie Coursol (Mme Coursol), enquêteure au bureau de la syndique en plus de verser au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-10.

[4]           Quant à l’intimé, il choisit de témoigner mais ne déposa aucune pièce.

LES FAITS

[5]           La trame factuelle en lien avec la présente plainte est la suivante :

[6]           Le ou vers le 6 février 2013, le consommateur C.A. et son épouse D.A. déposent auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) une demande d’enquête ou dénonciation relativement à la conduite professionnelle de l’intimé (P-2).

[7]           Ils y indiquent avoir, en l’an 2000, souscrit une police d’assurance-vie par l’entremise de ce dernier. Après avoir souligné que la prime à payer était au moment de l’achat, à leur avis, « convenable », ils y affirment qu’à compter de l’an 2020 il leur sera impossible d’acquitter celle-ci.

[8]           Ils se déclarent « très insatisfaits » de la situation et indiquent rechercher de l’intimé un « règlement monétaire » pour les « primes élevées » qu’ils ont payées depuis la souscription de ladite police. Ils mentionnent qu’ils ont fait l’objet de fausses représentations de la part de l’intimé relativement aux termes et conditions de ladite police.

[9]           À la suite de la dénonciation susdite, la syndique de la Chambre de la sécurité financière entreprend une enquête mais, peut-on penser, ne retient aucun des reproches invoqués par les consommateurs puisqu’à la plainte portée contre l’intimé l’on ne retrouve aucun chef d’accusation directement en lien avec les blâmes ou allégations de ces derniers.

[10]        Au cours de son enquête, la plaignante en vient à la conclusion toutefois qu’en l’an 2000, lors de la souscription de la police en cause, l’intimé aurait fait défaut de procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers des assurés contrevenant alors à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le Règlement). Et de là, la présente plainte disciplinaire ne contenant qu’un seul chef d’accusation reprochant à l’intimé le défaut de procéder, le ou vers le 14 juin 2000, à une analyse complète et conforme des besoins financiers de ses clients C.A. et D.A.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[11]        Il faut d’abord mentionner que la preuve soumise au comité n’a démontré de la part de l’intimé aucune intention malveillante et que l’intégrité de ce dernier n’apparaît pas être en cause.

[12]        Ajoutons que le comité n’a pas à se prononcer sur le caractère approprié ou non de la couverture d’assurance qu’il a fait souscrire aux consommateurs concernés le ou vers le 14 juin 2000, puisqu’aucun reproche à cet égard ne lui est adressé dans la plainte.

[13]        En l’espèce, le comité a seulement à trancher la question à savoir si lors de la souscription de ladite police l’intimé aurait fait défaut de respecter l’article 6 du Règlement.

[14]        Au moment des événements, ledit article 6 se lisait comme suit :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d'assurance, analyser avec le preneur ou l'assuré ses besoins d'assurance, les polices ou contrats qu'il détient, leurs caractéristiques, le nom des assureurs qui les ont émis et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à charge et ses obligations personnelles et familiales. Il doit consigner par écrit ces renseignements. »

[15]        C’est donc en conservant à l’esprit les obligations imposées au représentant en vertu de cette disposition réglementaire que le comité doit examiner la preuve qui lui a été soumise.

[16]        Or celle-ci a révélé que, lors de son enquête un représentant de la plaignante a réclamé de l’intimé une copie intégrale de son dossier-client.

[17]        Dans la lettre qu’elle lui adressait le 17 février 2014, Me Marie-Julie Gauthier (Me Gauthier) indiquait en effet à l’intimé (P-3) :

« In order to complete our investigation, we require the following documentation: a complete copy of your client file with regards to the consumers, Mr. CA and Mrs. DA (including, but not limited to your financial needs analysis, your adviser notes, the insurance application, etc.). »

[18]        En réponse à ladite correspondance, le 18 février 2014, l’intimé faisait tenir à l’enquêteure copie de quelques documents se retrouvant à son dossier, lesquels sont précisés à sa lettre d’accompagnement (P-4).

[19]        Le 14 mai 2014, l’enquêteure rappliquait en lui faisant tenir un courriel où elle lui mentionnait :

« On April 29th and May 8th, we asked you to provide us with complete copies of the clients files (clients: Mr. and Mrs. A) in your possession. You have not yet responded and have not provided the requested documentation. We remind you that you have an obligation to respond to this letter and to provide the information and documentation requested. »

[20]        À la suite dudit courriel, l’intimé faisait tenir à l’enquêteure, tel que réclamé, l’entièreté de son dossier[1].

[21]        Toutefois, selon le témoignage de Mme Coursol, parmi l’ensemble de la documentation acheminée par l’intimé, il lui a été impossible de retrouver un document écrit qui démontrerait que l’intimé a procédé à une analyse complète des besoins des consommateurs avant la souscription par ces derniers, le ou vers le 14 juin 2000, du contrat d’assurance-vie mentionné à la plainte.

[22]        Selon ses affirmations, elle n’a pu retracer au « dossier » que lui a transmis l’intimé aucune « analyse des besoins » (ABF) qui soit conforme à l’article 6 du Règlement préalablement cité.

[23]        D’autre part ce dernier qui a témoigné, a fait défaut de produire alors un quelconque document témoignant d’une véritable « analyse des besoins de ses clients » et n’a avancé aucun motif pouvant justifier l’absence d’un tel document à son dossier-client.

[24]        De plus, lors d’une entrevue téléphonique intervenue le 29 avril 2013, entre lui et l’enquêteure de la Chambre, Me Gauthier, laquelle a été enregistrée, et dont la transcription dudit enregistrement a été versée en preuve, ce dernier a admis, d’une part que lors de la souscription d’une police d’assurance-vie il ne procédait pas toujours à une analyse des besoins financiers de ses clients et, d’autre part, qu’il était possible, que dans le cas qui nous occupe, il n’en ait pas préparée. Il ajoutait qu’à tout événement « il allait faire tenir à l’enquêteure tout ce qu’il avait en son dossier. »

[25]        Voici la teneur de l’échange :

« (MJG):      And actually, I was looking for the financial needs analysis…

(GE):            M’hm.

(MJG):         … that was made in two thousand… before the subscription to the Transamerica Advantage Life Plus product.

(GE):            Un-hum.

(MJG):         Is there one in the file?

(GE):            Is there what?

(MJG):         Is there one in the file?

(GE):            I don’t know. I’ll have to…

(MJG):         A financial needs analysis.

(GE):            I’m going to… I’am going to look. I’m not going to tell you what is there… what’s there. I’m going to just take the file and…

(MJG):         Do you usually make financial needs analysis?

(GE):            Not… not always.

(MJG):         Not always?

(GE):            Not always. Not always.

(MJG):         Okay.

(GE):            I do a brief… I always try to find the needs of the… of the prospect. I make my recommendations based on the needs, based on the capacity and based on the understanding. And, you know, I…

(MJG):         Yes yes.

(GE):            … I didn’t put anything in my pocket. I sold him a policy that I explained him in Greek language.

(MJG):         M’hm.

(GE):            You know? I’m… I happen to be a well-educated Greek and I made sure that he understood what I sold him.

(MJG):         Okay.

(GE):            You know…

(MJG):         So there might be a possibility that there’s no financial needs analysis regarding the Transamerica Advantage Life Plus?

(GE):            Well, I don’t know. I’m going to send you everything I have.

(MJG):         Perfect.

(GE):            Yes.

(MJG):         And also, if you have the annual or quarterly statements, everything, okay? So…

(GE):            I’m going to send you what I have, Mrs. Gauthier. »

[26]        Peu après, la conversation entre les deux va comme suit :

« (MJG):      Okay. And do you recall if you made a financial needs analysis to reach that amount or it’s really…

(GE):            Not really. No, not really.

(MJG):         All right.

(GE):            Not really. If it was…

(MJG):         He said, “I want twenty-five thousand (25,000).”

(GE):            If it was a partnership insurance, millions of dollars, I would make an analysis with the help of the head office guys and probably present something to… get his lawyer involved or his accountant involved. You know, I usually… on a small amount of ten (10) or twenty thousand dollars ($20,000), I don’t do an estate analysis. »

[27]        Il est vrai que lors de la rencontre précédant la souscription de la police d’assurance-vie en cause, l’intimé a procédé à une cueillette de certaines données et a obtenu des consommateurs des informations les concernant.

[28]        La preuve ne révèle toutefois pas qu’il ait alors rassemblé tous les renseignements exigés par l’article 6 précité du Règlement. Elle ne révèle de sa part qu’un exercice incomplet.

[29]        Ajoutons que même dans l’hypothèse qui lui soit la plus favorable, la preuve prépondérante est à l’effet qu’en contravention de l’obligation que lui imposait l’article 6 précité, il a à tout le moins fait défaut de consigner par écrit le résultat de l’exercice.

[30]        La disposition en cause, couchée en termes impératifs, fait obligation au représentant, avant de compléter une proposition d’assurance, non seulement de procéder à une analyse des besoins financiers du client (ABF) mais aussi de mettre par écrit les renseignements obtenus.

[31]        Aux fins de convaincre le comité de rejeter la plainte, la procureure de l’intimé, lors de sa plaidoirie, a insisté sur l’importance du fardeau de preuve que devait rencontrer la plaignante pour réussir sur celle-ci.

[32]        À cet égard, elle référa notamment au jugement rendu par le Tribunal des professions (Tribunal) le 21 novembre 2012 dans l’affaire Vaillancourt[2].

[33]        Elle cita l’affirmation suivante du Tribunal : « Les faits devant être prouvés doivent dépasser le seuil de la possibilité et s’avérer probables. »[3], ainsi que le passage subséquent dudit jugement où la Cour rappelait que : « La preuve doit être toujours claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. »[4]

[34]        Or, tout à fait conscient des principes et du standard de preuve à juste titre évoqués par ladite procureure, le comité en arrive néanmoins à la conclusion, qu’en l’espèce, la plaignante est parvenue à se décharger de son fardeau de preuve prépondérante.

[35]        En terminant, il mérite d’être souligné que les faits de l’affaire remontent à près de quinze (15) ans et qu’à l’époque l’obligation pour le représentant de consigner par écrit tous les renseignements obtenus lors de l’ABF était relativement nouvelle. Mais s’il s’agit d’un élément qui pourra être invoqué au stade de l’imposition de la sanction, il ne peut servir à disculper l’intimé.

[36]        Enfin il ne peut être exclu que, tel qu’il le soutient, la dénonciation ait été déposée par les consommateurs dans le but d’essayer de lui soutirer des « soi-disant dommages » injustifiés. Mais néanmoins, malgré toute l’empathie que le comité peut avoir à l’endroit de l’intimé, dont l’intégrité, tel que nous l’avons mentionné au départ, n’est pas en cause, il doit être déclaré coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

CONVOQUE les parties, avec l’aide du secrétaire du comité de discipline, à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

(s) Gisèle Balthazard_________________

Mme GISÈLE BALTHAZARD, A.V.A.

Membre du comité de discipline

(s) Stéphane Côté____________________

M. STÉPHANE CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Valérie Déziel

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

Me Iulia Cimpoiasu

Procureure de la partie intimée

 

Dates d’audience :

29 janvier et 18 mars 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1072

 

DATE :

28 juin 2016

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

GREGORY EFRAIMIDIS, conseiller en sécurité financière et conseiller en régimes d’assurance collective de personnes (numéro de certificat 111722);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la chambre de la sécurité financière s’est réuni le 22 mars 2016 aux locaux du Tribunal administratif du travail, sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal (Québec) et a procédé à l’audition sur sanction.


 

LA PREUVE

[2]           D’entrée de jeu, la plaignante, par l’entremise de sa procureure, déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir.

[3]           Quant à l’intimé, celui-ci choisit de témoigner, son témoignage se résumant essentiellement à reprendre certaines des affirmations de fait qu’il avait mises de l’avant lors de l’audition sur culpabilité et à déclarer qu’il avait agi correctement.

[4]           Il versa de plus au dossier une preuve documentaire qui fut cotée SI-1 et SI-2.

[5]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[6]           La plaignante débuta en avisant le comité qu’elle lui recommandait l’imposition de la sanction suivante :

-               Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte : la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de cinq mille dollars (5 000 $).

[7]           Elle ajouta réclamer de plus la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés.

[8]           Au soutien de ses recommandations, elle évoqua les facteurs, à son opinion, atténuants et aggravants suivants :


 

Facteurs atténuants :

-       un seul couple de consommateurs concernés;

-       la longue période de temps (environ quinze ans) écoulée depuis la commission de l’infraction;

-       une faute isolée au cours d’une pratique professionnelle de plus de trente-cinq (35) ans, l’intimé étant maintenant âgé de 76 ans;

-       l’absence de dossier disciplinaire antérieur;

-       l’absence d’intention malveillante et une situation où l’intégrité de ce dernier n’est aucunement en cause;

Facteurs aggravants :

-       une infraction allant au cœur de l’exercice de la profession;

-       une conduite clairement prohibée dans l’industrie;

-       la relation de confiance dont bénéficiait l’intimé dans sa communauté (grecque) ainsi qu’auprès des consommateurs en cause;

-       une situation où la police d’assurance-vie du consommateur a été annulée ou est tombée en déchéance;

-       l’atteinte à l’image de la profession;

-       l’expérience de plus de 25 ans de l’intimé qui aurait dû le mettre à l’abri de la commission du type d’infraction en cause;

-       l’absence de démonstration d’une quelconque forme de remords ou de reconnaissance de faute de la part de l’intimé;

-       une situation où, même à ce jour, ce dernier ne semble pas parfaitement comprendre ce qui lui a été reproché et le risque de récidive que cela peut comporter;

-       la probabilité, à son avis, que même en 2016, l’intimé ne procède pas toujours ou de façon systématique avec ses clients à une analyse des besoins qui soit complète et conforme aux exigences de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[9]           Elle termina en produisant à l’appui de ses recommandations un cahier d’autorités qu’elle commenta[5] pour le bénéfice du comité.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[10]        L’intimé, par l’entremise de sa procureure, débuta en indiquant, qu’à son avis, la sanction réclamée par la plaignante était « très sévère » et ne correspondait pas « aux critères de justice » applicables.

[11]        Il rappela que la sanction disciplinaire ne devait pas avoir comme objectif de « punir » le représentant, mais plutôt de le dissuader de commettre à nouveau l’infraction qui lui est reprochée.

[12]        Il évoqua le jugement rendu par la Cour du Québec dans l’affaire Martel[6], soulignant alors notamment le paragraphe 28 où l’Honorable Juge Henri Richard citant Me Pierre Bernard indiquait :

« (…) en matière d’imposition de sanctions, avant d’individualiser une sanction disciplinaire, il faut considérer :

-       la finalité du droit disciplinaire, c’est-à-dire la protection du public. Cette protection est en relation avec la nature de la profession, sa finalité et avec la gravité de l’infraction;

-       l’atteinte à l’intégrité et à la dignité de la profession;

-       la dissuasion qui vise autant l’individu que l’ensemble de la profession;

-       l’exemplarité. »

[13]        Il déposa de plus une copie des décisions du comité dans l’affaire Borrelli[7] où la représentante, reconnue coupable d’une infraction de nature semblable à celle reprochée à l’intimé, s’est vue imposer une réprimande.

[14]        Il produisit de plus une copie de la décision rendue par le comité dans l’affaire Tebecherani[8] où, à la suite de recommandations communes des parties, le représentant reconnu coupable d’avoir accordé à son client un rabais sur la prime s’est vu aussi imposer une réprimande.

[15]        Puis après avoir commenté les facteurs atténuants et aggravants précédemment évoqués par la plaignante, il souligna « être près de la retraite », avoir exercé la profession pendant 35 ans sans qu’aucun reproche ne lui soit adressé et affirma que les risques de récidive, dans son cas, étaient presque nuls puisqu’il avait « très bien compris l’affaire ».

[16]        Se retrouvant donc maintenant en « fin de carrière » et compte tenu de ce qui précède, il répéta que la sanction suggérée par la plaignante lui semblait « très sévère », voire même déraisonnable.

[17]        Il conclut ses représentations en déclarant que le comité ne devrait lui imposer qu’une simple réprimande.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[18]        En réplique aux représentations de l’intimé, la plaignante souligna d’abord que les décisions qu’elle avait soumises étaient généralement postérieures aux décisions déposées par l’intimé et que de plus, dans le dossier Tebecherani la plainte comportait un chef d’accusation « fort différent » de celui qui a été porté contre l’intimé en l’instance.

[19]        Elle ajouta enfin, qu’encore à ce jour, à son avis, l’intimé, et ce, après l’avoir entendu témoigner, ne semblait toujours pas comprendre l’importance de procéder, avant la souscription d’une police d’assurance-vie, à une analyse des besoins financiers (ABF) du client, non plus que la nature précise de l’exercice.

INTERVENTION DU COMITÉ

[20]        Après qu’il eût entendu les parties, puis suspendu l’audition, le comité revint et avisa alors ces dernières qu’il songeait sérieusement à recommander au conseil d’administration de la Chambre d’imposer à l’intimé de suivre un cours de formation ou de perfectionnement, et ce, afin d’assurer qu’il comprenne bien l’importance de l’analyse des besoins financiers (ABF) ainsi que la façon dont il doit y être procédé pour que soit, en tout point, respectée la législation applicable.

[21]        En réponse aux propos du comité, la plaignante, par l’entremise de sa procureure, déclara alors qu’elle était demeurée, à la suite du témoignage de l’intimé, « sous l’impression » qu’il ne procédait pas toujours de façon systématique, avec ses clients, à une « ABF » complète et conforme, et indiqua n’avoir donc aucune objection à ce que le comité recommande au conseil d’administration de la Chambre d’imposer à l’intimé de suivre une formation ou un cours de perfectionnement afin d’assurer qu’il en comprenne bien l’importance et la façon d’y procéder. Elle ajouta insister pour qu’une amende de cinq mille dollars (5 000 $) lui soit de plus et néanmoins imposée à titre de sanction.

[22]        Quant à l’intimé, il indiqua qu’il avait, au cours de sa vie professionnelle, obtenu l’émission de « 30 000 » polices d’assurance-vie, qu’il procédait toujours à une analyse des besoins financiers du client, mais que si le comité devait lui imposer une formation, il la suivrait.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[23]        L’intimé agit dans le domaine de la distribution de produits et services d’assurance ou financiers depuis 35 ans.

[24]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[25]        Il est maintenant âgé de 76 ans et approche, selon ce qu’il a lui-même déclaré, de l’âge de la retraite.

[26]        La faute qui lui est reprochée et pour laquelle il a été reconnu coupable ne concerne qu’un seul couple de consommateurs et remonte à plus de 15 ans.

[27]        Et tel que le comité l’a mentionné à sa décision sur culpabilité « à l’époque concernée, l’obligation pour le représentant de consigner par écrit tous les renseignements obtenus lors de l’« ABF » était relativement nouvelle ».

[28]        La preuve administrée n’a révélé aucune intention malveillante de sa part et son intégrité n’est nullement en cause.

[29]        Néanmoins, la gravité objective de l’infraction qu’il a commise est indiscutable. Elle va au cœur de l’exercice de la profession et est de nature à porter atteinte à l’image de celle-ci.

[30]        Le défaut de procéder, préalablement à la souscription d’une police d’assurance-vie, à une analyse complète et conforme des besoins financiers du client (ABF), et de consigner ensuite par écrit les renseignements obtenus, tel que l’exige l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants est une conduite clairement prohibée.

[31]        Tel que le comité l’a déjà indiqué à plusieurs reprises, l’ABF est une procédure préalable essentielle à l’émission de tout contrat d’assurance de personnes. Elle permet au représentant de bien connaître la situation de son client et de le conseiller adéquatement. Elle constitue la pierre angulaire de son travail.

[32]        L’expérience de l’intimé aurait dû le mettre à l’abri de commettre l’infraction reprochée.

[33]        Par ailleurs, le comité est en l’espèce confronté à ce qui lui est apparu un refus ou une incapacité de la part de l’intimé d’admettre sa faute ou son inconduite.

[34]        Les propos de ce dernier, répétés à quelques reprises, à l’effet qu’avant de proposer aux clients la police d’assurance-vie en cause « il s’est basé sur ce qu’ils voulaient et ce qu’ils pouvaient payer », laissent à penser qu’il ne comprend pas en tout point et parfaitement la procédure de l’ABF ainsi que l’importance d’y procéder, avant la souscription de tout contrat d’assurance-vie, de façon conforme et complète, non plus que l’obligation imposée par le législateur de consigner ensuite par écrit les renseignements obtenus.

[35]        Compte tenu de la preuve qui lui a été présentée, le comité n’est aucunement persuadé que l’intimé maîtrise l’essentialité ou saisisse parfaitement la nature et les détails de l’exercice de l’ABF.

[36]        C’est ainsi que ce dernier a invoqué, pour se défendre, qu’il avait remis à ses clients un document illustrant le produit souscrit, i.e. le type de police, le montant d’assurance, les options (tels la garantie d’assurabilité future, l’indemnité prévue en cas de mort accidentelle, l’arrêt du paiement des primes en cas d’invalidité ou de maladie, les coûts, etc.) et cela est bien. Mais une analyse des besoins financiers (ABF) consiste en beaucoup plus que de simplement s’assurer que le client soit convenablement ou précisément informé du produit d’assurance auquel il va souscrire.

[37]        Aussi, considérant que le comité éprouve des inquiétudes fondées à l’égard de la pratique de l’intimé lorsqu’il s’agit de la procédure de l’ABF et de sa compréhension de la façon d’y procéder, il recommandera au conseil d’administration de la Chambre de lui imposer de parfaire ses connaissances en suivant un cours intitulé : « L’analyse des besoins financiers », no 24902 ou l’équivalent, ce dernier devant produire audit conseil d’administration, dans les douze mois de sa résolution, une attestation à l’effet qu’il a suivi ledit cours avec succès, le défaut de s’y conformer résultant en la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente, jusqu’à la production d’une telle attestation.

[38]        D’autre part, afin de tenir compte des particularités du dossier, et considérant notamment que l’infraction qui lui est reprochée date d’il y a 15 ans, que le comité est confronté à une faute isolée au cours d’une carrière professionnelle de plus de 35 ans sans reproche, et qu’il imposera à l’intimé, âgé de 76 ans, de parfaire à ses frais ses connaissances, bien qu’il aurait été tenté de suivre la recommandation de la plaignante qui lui apparait généralement conforme au courant jurisprudentiel majoritaire du comité depuis les dernières années, ce dernier, plutôt exceptionnellement, condamnera l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, au paiement d’une amende de trois mille dollars (3 000 $).

[39]        En résumé, après révision des éléments tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été soumis, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte au paiement d’une telle amende serait, compte tenu des spécificités de la présente affaire, une sanction juste et appropriée.

[40]        Quant aux déboursés, puisque ceux-ci correspondent aux frais engagés par les procédures nécessaires au règlement du dossier de l’intimé et qu’aucun motif ne lui a été soumis lui permettant de passer outre à la règle habituelle voulant que les débours nécessaires à la condamnation du représentant fautif lui soient généralement imputés, le comité condamnera l’intimé au paiement de ceux-ci.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de trois mille dollars (3 000 $);

RECOMMANDE au conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière d’IMPOSER à l’intimé de suivre, à ses frais, le cours de formation accrédité par la Chambre, intitulé : « L’analyse des besoins financiers », no 24902 ou l’équivalent, l’intimé devant produire audit conseil d’administration une attestation à l’effet que ledit cours a été suivi avec succès dans les douze (12) mois de sa résolution, le défaut de s’y conformer résultant en la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente jusqu’à la production d’une telle attestation;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

 

(s) François Folot___________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Gisèle Balthazard________________

Mme GISÈLE BALTHAZARD, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Stéphane Côté___________________

M. STÉPHANE CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Iulia Cimpoiasu

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience :

22 mars 2016

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir la pièce P-6 où l’on retrouve un document confirmant la livraison par l’intimé de son dossier complet à l’enquêteure.

[2]     Luc Vaillancourt c. Guylaine Mallette et Nancy J. Trudel, 2012 QCTP126-A.

[3]     Page 23 de la décision, par. 63.

[4]     Page 24 de la décision, par. 65.

[5]     Champagne c. Derkson, CD00-1027, 23 juin 2012 et 17 décembre 2015 (C.D.C.S.F.); Champagne c. Charbonneau, CD00-0858, 30 juillet 2012 et 2 janvier 2013 (C.D.C.S.F.); Champagne c. Gagné, CD00-0816, 12 mars 2012 et 26 septembre 2012 (C.D.C.S.F.)

[6]     Cour du Québec, Martel c. Thibault et Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, 2012 QCCQ 90, 16 janvier 2012.

[7]     Champagne c. Borrelli (CD00-0886, décision sur culpabilité en date du 17 juillet 2012 et décision sur sanction en date du 11 décembre 2012).

[8]     Champagne c. Tebecherani (CD00-0931, décision sur culpabilité et sanction en date du 8 novembre 2012).

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