Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Cossette

2015 QCCDCSF 66

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0930

 

DATE :

16 décembre 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Jean-Michel Bergot

Membre

Mme Nacera Zergane

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

SERGE COSSETTE, représentant de courtier en épargne collective, conseiller en sécurité financière et planificateur financier (numéro de certificat 107830 et numéro de BDNI 1517771);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des courtiers en valeurs mobilières et ceux des membres de la famille de l’intimé mentionnés lors de l’audition, ainsi que de toute information qui permettrait de les identifier.

[1]           Les 13 et 14 mars 2014, aux locaux de la Commission des lésions professionnelles, 500 boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, ainsi que le 10 avril 2015, au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni et a procédé à l’audition d’une plainte disciplinaire portée contre l’intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.      À Trois-Rivières, vers mars 2000, l’intimé a conseillé à J.M. de prêter la somme de 250 000 $ US à 9082-2535 Québec inc. aux fins de souscrire à 227 273 actions d’ePhone Telecom Inc., alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1). »

[2]           Au terme de l’audition, le comité a réclamé la transcription des notes sténographiques de l’audition. Celles-ci lui sont parvenues le 1er mai 2015, date du début du délibéré.

PREUVE DES PARTIES

[3]           Au soutien de sa plainte, la plaignante fit entendre M. Laurent Larivière, enquêteur au bureau de la syndique, et versa au dossier une imposante preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-16 ainsi qu’un affidavit signé le 1er novembre 2013 par le consommateur en cause, J.M., et ce, à la suite d’une décision du comité rendue le 23 septembre 2014 autorisant le dépôt en preuve dudit affidavit pour tenir lieu du témoignage de ce dernier décédé au début de 2014.

[4]           Quant à l’intimé, il fit entendre M. Claude Charron, comptable agréé, fiscaliste, et témoigna lui-même.

[5]           Il versa de plus au dossier une preuve documentaire qui fut cotée I-1 et I-2.

LES FAITS

[6]           Les événements en lien avec la plainte ont suscité en bonne part une preuve contradictoire.

[7]           La version de l’intimé est la suivante.

[8]           Selon ce dernier, il avait été informé que J.M., le consommateur en cause, était un investisseur possédant des actifs d’importance.

[9]           En février ou mars 2000, lors d’une visite (chez son père) dans la région de Trois-Rivières, il l’aurait rejoint par téléphone. Selon ses dires, il cherchait à bénéficier du réseau de contacts de J.M.[1]

[10]        Lors de l’échange téléphonique, ils auraient épilogué sur différents placements et il aurait mentionné à ce dernier qu’il avait peu de temps auparavant effectué un investissement dans ePhone Telecom Inc. (ePhone).

[11]        J.M. lui aurait alors déclaré : « Ah j’aurais aimé ça en acheter des actions de ePhone mais il n’y en a plus de disponibles »[2] et il lui aurait alors indiqué : « Bien il y a peut-être moyen si je vous mets en contact avec Claude Charron », ce à quoi J.M. lui aurait répliqué : « Viens donc me voir »[3].

[12]        Il aurait alors convenu d’aller rencontrer ce dernier à sa résidence.

[13]        Ladite rencontre aurait duré environ une heure, les parties consacrant environ quarante-cinq (45) minutes à débattre de placements privés[4].

[14]        Ils auraient alors discuté de son investissement dans ePhone.

[15]        J.M. lui aurait demandé de préciser : « C’était quoi ça ePhone exactement? »[5] et il lui aurait alors fait part de ses connaissances relatives à l’entreprise.

[16]        Il lui aurait indiqué qu’ePhone était une compagnie américaine qui œuvrait dans la « Voice over IP », le protocole Internet, que c’était pour révolutionner l’industrie de la téléphonie, que la majorité des gros joueurs comme Bell, Vidéotron sauteraient dessus…etc.[6].

[17]        Il lui aurait mentionné qu’il avait personnellement investi une somme de 25 000 $ dans l’entreprise, ce sur quoi J.M. lui aurait dit : « Bien moi je vais mettre 250 000 $ là-dedans »[7].

[18]        Il aurait alors répondu à J.M. : «  Je ne sais pas si vous allez être capable de mettre 250 000 $, mais si vous avez un intérêt vous appelez Claude Charron c’est lui qui s’occupe de tout ça. »


[19]        Après avoir mentionné à J.M. que : « L’investissement fonctionne via une convention de prêt », il lui aurait expliqué « sur un bout de papier », le mécanisme de celle-ci[8].

[20]        Selon l’intimé (dont le témoignage est appuyé à cet égard par celui de M. Charron), J.M. aurait, après la rencontre, communiqué directement avec M. Charron et « signé son propre contrat »[9]. Il n’aurait aucunement été impliqué ni de près ni de loin, dans les discussions ou tractations intervenues entre J.M. et M. Charron.

[21]        Il n’aurait pas non plus été impliqué dans le versement d’une somme de 250 000 $ US par J.M. pour la souscription (au moyen d’une transaction de prêt) d’actions dans ePhone, et il n’aurait aucunement été mêlé à l’acheminement de la traite bancaire (I-1) ayant servi au paiement[10].

[22]        Ajoutons que si l’on se fie à son témoignage, lorsqu’il s’est présenté chez J.M. il n’avait « aucun mandat spécifique » ni de M. Charron, ni d’ePhone.

[23]        De plus, selon ce qu’il a affirmé, c’est en spécifiant à J.M. qu’il ne détenait aucun permis en valeurs mobilières et en lui précisant qu’il « n’était pas venu le rencontrer pour lui parler de son travail chez Investors »[11] qu’il aurait référé ce dernier à M. Charron.

[24]        J.M. quant à lui a offert, dans l’affidavit qu’il a signé le 1er novembre 2013, peu de temps avant son décès, une version différente des événements.

[25]        Les quatre (4) premiers paragraphes dudit affidavit se lisent comme suit :

« Je, soussigné, J.M., domicilié au […], à Trois-Rivières, dans la province de Québec, déclare solennellement ce qui suit :

1.         Au mois de mars 2000, M. Serge Cossette m’a approché pour que j’investisse dans une société de télécommunications;

2.         J’ai rencontré M. Cossette à mon domicile. Lors de cette rencontre, il m’a présenté sur son ordinateur portable une projection de la compagnie ePhone Telecom inc. en plus de me remettre notamment une publicité de cette entreprise. Il s’agit du document ci-annexé portant la cote C-13;

3.         M. Cossette m’a alors conseillé et convaincu d’investir dans la compagnie ePhone Telecom inc. et que ce placement pourrait être très rentable;

4.         Le ou vers le 18 mars 2000, j’ai signé une Convention de prêt avec la compagnie 9082-2545 Québec inc. (Investissements Kinked Ltée) par laquelle je prêtais la somme de 250 000,00 $US, remboursable par le transfert de 227 273 actions ordinaires de la société ePhone Telecom inc.. Il s’agit du document ci-annexé portant la cote O-5. »

[26]        Ajoutons que lorsque J.M. a été interrogé par un enquêteur de la Chambre, il a livré à celui-ci une version des événements qui, sur les éléments essentiels, va sensiblement dans le même sens que son affidavit.

[27]        S’il faut en croire les propos qu’il a tenus audit enquêteur, l’intimé l’aurait, lors de la rencontre, incité à investir dans ePhone en lui laissant entendre qu’il s’agissait d’un « stock qui était partie pour la gloire »[12].

[28]        De plus, alors que selon l’intimé il n’y aurait eu qu’une seule rencontre, J.M. soutient qu’il y eut une deuxième rencontre avec ce dernier « à la banque »[13].

[29]        Si l’on se fie à sa déclaration, l’intimé l’aurait attendu à l’extérieur de la succursale bancaire afin de se voir remettre le chèque ou la traite de 250 000 $ US destiné à la souscription d’actions dans ePhone.

[30]        Signalons enfin que selon J.M., le document de convention de prêt qu’il a signée aux fins de souscrire à des actions d’ePhone (P-2) lui avait été remis par l’intimé.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[31]        À l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, il est reproché à l’intimé, vers mars 2000, à Trois-Rivières, d’avoir conseillé à J.M. de prêter la somme de 250 000 $ US à 9082-2535 Québec inc. aux fins de souscrire à 227,273 actions d’ePhone Telecom Inc., alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification.

[32]        Or relativement à certains événements pertinents, notamment ceux entourant la rencontre à Trois-Rivières en février ou mars 2000, tel que nous venons de le voir, la version de l’intimé et celle de J.M. divergent.

[33]        Et bien que celle de l’intimé soit à plusieurs égards appuyée par le témoignage de M. Charron, compte tenu de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, le comité est d’avis, au moyen d’un raisonnement par inférence probable des faits, qu’il lui faut préférer la version de J.M. et conclure que l’intimé a sollicité ce dernier pour qu’il investisse dans ePhone.

[34]        Le comité en arrive à la conclusion qu’alors qu’il n’était pas inscrit à titre de courtier en valeurs mobilières de plein exercice et ne possédait pas la certification requise, l’intimé a conseillé à J.M. d’investir dans ePhone.

[35]        À l’appui de sa conclusion, le comité doit d’abord souligner les paragraphes subséquents de l’affidavit de J.M. où celui-ci indique :

« 5.      Le 23 janvier 2001, j’ai reçu un courriel de M. Cossette me relatant sa rencontre avec les managers de ePhone Telecom inc. et sur la stratégie à adopter. Il s’agit du document ci-annexé portant la cote C-7. (P-3);

6.         Le ou vers le 22 février 2001, j’ai accepté l’offre de Kinked de modifier la Convention de prêt afin qu’une part du prêt, soit 12.5 %, me soit remboursée en argent et que la différence me soit remboursée par le transfert de 221 591 actions ordinaires de ePhone Telecom inc.. Il s’agit du document ci-annexé portant la cote C-12;

7.         Le ou vers le 26 février 2001, j’ai reçu une lettre portant l’entête de Groupe Investors de la part de M. Cossette me demandant de parapher, de signer et retourner à M. Claude Charron un addendum à la Convention de prêt signée le ou vers le 22 février 2001. Il s’agit du document portant la cote C-11;

8.         À cette même date, j’ai reçu de la part de M. Cossette un chèque au montant de 31 250,00 $US représentant la part du prêt totalisant 12.5 % qui devait m’être remboursée en argent selon la Convention de prêt;

9.         J’ai alors pris connaissance et signé un Reçu, quittance complète et finale et Transaction, donnant quittance à la compagnie Investissements Kinked Ltée, confirmant que 12.5 % du prêt m’avait été remboursé en argent et que les 221 591 actions ordinaires de ePhone m’avaient été transférées. Il s’agit du document ci-annexé portant la cote C-10. »

[36]        Et il lui faut ajouter que la preuve administrée a généralement corroboré les affirmations de J.M.

[37]        Ainsi celle-ci a révélé que, tel que mentionné au paragraphe 5, le ou vers le 23 janvier 2001 (bien après la signature de la convention de prêt), l’intimé a fait tenir à J.M. un courriel sous le titre « update sur votre investissement » où il lui indiquait notamment avoir rencontré les « managers » d’ePhone le jeudi précédent, que sa rencontre avait été positive, qu’il fallait demeurer positif quant aux placements (pièce P‑3) et où il lui indiquait en conclusion : « Je demeure positif que les investisseurs rentabilisent leurs investissements ».

[38]        L’intimé se défend en déclarant que ledit courriel avait été préparé à l’origine pour une seule et unique personne qui était l’oncle de sa femme et n’était pas au départ destiné à J.M.

[39]        Selon son témoignage, c’est à la suite d’un appel de ce dernier qui cherchait à obtenir des informations sur une réunion des actionnaires[14] qu’il lui aurait fait tenir ledit courriel.

[40]        Il confirme son affirmation par le fait que le document fait état d’une rencontre antérieure à une réunion des actionnaires auquel J.M. n’a pas assisté. Il ajoute que le « tu » qui s’y retrouve s’adressait à l’oncle de sa femme (Y.T.)[15].

[41]        Soit, mais l’on peut alors se questionner à savoir pourquoi J.M., s’il cherchait à obtenir de l’information sur la réunion des actionnaires d’ePhone, ne s’est pas adressé directement à M. Charron par les soins duquel il avait souscrit le placement, plutôt que de diriger ses questions ou sa demande d’informations à l’intimé.

[42]        La preuve a également révélé, tel que mentionné au paragraphe 7, qu’au moyen d’une correspondance portant l’entête du Groupe Investors, le ou vers le 26 février 2001, l’intimé transmettait à J.M. un addendum à la Convention de prêt, signée l’année précédente (P-6) aux fins de souscrire des actions d’ePhone, lui demandant de le parapher et de le signer, puis de le retourner à M. Charron dans l’enveloppe pré-adressée qui y était jointe[16].

[43]        Ajoutons que, tel qu’indiqué au paragraphe 8, l’intimé transmettait alors à J.M. un chèque de 31 250 $ US représentant la somme qui devait lui être remboursée selon ladite Convention.

[44]        Lors de l’audition l’intimé a admis ces faits (mentionnés par J.M. aux paragraphes 7 et 8 de son affidavit) mais a affirmé, pour se disculper, que ce serait à la suite d’une mégarde de M. Charron[17] qu’il s’est retrouvé en possession de l’addendum et du chèque destiné à J.M.

[45]        Selon ce qu’a affirmé l’intimé, M. Charron lui aurait fait tenir un addendum et un chèque similaire pour chacun des membres de sa famille[18] ayant souscrit des actions d’ePhone, et aurait alors commis l’erreur d’inclure dans l’envoi l’addendum et le chèque destiné à J.M.

[46]        Par inadvertance, il aurait inclus les documents préparés pour J.M. à ceux destinés aux membres de la famille ou à « l’entourage » de l’intimé.

[47]        Si l’on se fie au témoignage de l’intimé (confirmé par M. Charron), après avoir constaté que des documents concernant J.M. lui avaient été acheminés, il aurait communiqué avec M. Charron.

[48]        Ce dernier se serait alors excusé en lui indiquant que les documents auraient dû être expédiés directement à J.M.

[49]        Selon M. Charron, l’intimé lui aurait alors suggéré que plutôt que de lui retourner les documents il les expédierait lui-même directement à J.M., ce qu’il aurait fait par la suite.

[50]        Mais si cette version des faits doit être retenue, l’on peut se poser la question à savoir pourquoi la correspondance en date du 26 février 2001 qu’adressait l’intimé à J.M. et incluant les documents et le chèque provenant de M. Charron ne comportait-elle aucune explication à cet égard? Et que dire du fait qu’elle portait l’entête d’Investors, et ce, même si l’intimé indique qu’il s’agit d’une erreur de son adjointe qu’il n’a pas voulu corriger « parce qu’il avait une très bonne entente avec J.M. » et alors qu’une telle explication de la part d’un professionnel, de l’avis du comité, « tient difficilement la route ».

[51]        Et même si la version de l’intimé devait être retenue, il faudrait néanmoins conclure que lorsqu’il s’est agi d’obtenir la signature sur un addendum à la Convention de prêt des membres de sa famille ayant souscrit à des actions d’ePhone et de leur acheminer un chèque en paiement d’une somme qui devait leur être remboursée en vertu de ladite Convention de prêt, le tout a transité par lui. Dans de telles circonstances, il faudrait à tout le moins conclure que ce dernier agissait alors à titre d’intermédiaire pour ce « groupe d’investisseurs ».

[52]        Mais il y a plus. À l’appui de la conclusion du comité, il faut aussi mentionner les faits prouvés suivants.

[53]        Après qu’il eut, le ou vers le 25 mai 2010, fait tenir à l’Autorité des marchés financiers (AMF) un formulaire de plainte dénonçant les agissements de l’intimé, J.M. recevait par voie d’huissier une mise en demeure (R-9) préparée par un important cabinet d’avocats.

[54]        Ladite mise en demeure mérite d’être reproduite in extenso :

 

 

 

[55]        Un simple examen de celle-ci permet de constater que l’avocat qui l’a signée y indique clairement qu’il représente les intérêts de Serge Cossette, c’est-à-dire de l’intimé, et qu’ayant été mandaté par ce dernier, il agit au nom de celui-ci.

[56]        Or le témoignage de l’intimé est à l’effet qu’il n’aurait jamais donné un quelconque mandat à l’avocat qui a préparé la mise en demeure (non plus qu’à son cabinet), ne l’aurait jamais rencontré non plus que discuté avec lui de la forme ou du contenu de celle-ci, et ce, que ce soit avant ou après qu’elle eut été signifiée ou transmise à J.M.

[57]        M. Charron a confirmé le témoignage de l’intimé en affirmant qu’après que celui-ci lui eut fait part que J.M. avait déposé une plainte à l’AMF, il aurait de lui-même décidé de « protéger » son ami, de contacter un avocat et de voir à l’envoi d’une mise en demeure en son nom.

[58]        Selon le témoignage de M. Charron, il aurait réclamé que la mise en demeure soit faite au nom de l’intimé plutôt qu’à son nom parce que, a-t-il déclaré, à son avis, légalement, ce dernier n’était pas impliqué dans la distribution du produit financier en cause.

[59]        Mais si de l’avis de M. Charron l’intimé n’était aucunement mêlé à la distribution du produit financier rattaché à ePhone, pourquoi dans la mise en demeure est-il indiqué à J.M. que par sa signature au document intitulé : « Reçu, Quittance Complète et Finale et Transaction » il se serait alors engagé « à indemniser entièrement l’intimé Serge Cossette de toute réclamation ou procédure que vous pourriez intentée relativement au prêt effectué »[19]?

[60]        De plus pourquoi, aux fins de disculper l’intimé, invoque-t-on dans la mise en demeure le reçu-quittance signé par J.M. à l’endroit des « Agents de l’emprunteur » (Kinked) (P-7), laissant entendre ou sous-entendre que dans la transaction impliquant J.M., l’intimé était l’agent de Kinked?

[61]        Pourquoi ladite mise en demeure ne mentionne-t-elle pas purement et simplement l’absence totale d’implication de l’intimé dans la distribution du produit financier et n’indique-t-elle pas que si des reproches doivent être adressés à quelqu’un c’est à lui, M. Charron, qu’ils doivent l’être?

[62]        Enfin comment et notamment, en l’absence du témoignage du procureur qui a signé la mise en demeure, le comité peut-il retenir comme vraisemblable la version des faits de l’intimé, et ce, bien qu’elle soit corroborée par celle de M. Charron, qui laisse supposer qu’un avocat membre d’un cabinet d’envergure aurait consenti à envoyer une mise en demeure en son nom sans communiquer avec lui, sans l’avoir jamais rencontré et discuté avec lui de la forme ou du contenu de celle-ci, que ce soit avant ou même après l’envoi[20]?

[63]        De l’avis du comité, les témoignages de l’intimé et de M. Charron relativement à l’épisode, appelons-le « de la mise en demeure », ne concordent pas avec les probabilités définissant un tel événement et sont d’une crédibilité douteuse.

[64]        Signalons enfin que la preuve a révélé qu’à la suite de la dénonciation de J.M., l’employeur de l’intimé, le Groupe Investors, a entrepris une enquête.

[65]        Dans le cadre de celle-ci, le ou vers le 17 juin 2010 (à la pièce P-10), l’intimé transmettait à Mme Danielle Tétrault chez Investors sa version des faits.

[66]        Or il faut souligner qu’à la page 2, quatrième paragraphe de sa correspondance, l’intimé y déclarait : « J’ai agi dans cette transaction à titre d’agent[21] d’une transaction d’affaires privée. J’ai mis en contact M. Claude Charron avec des gens fortunés susceptibles de faire ce genre de transaction ».

[67]        Deux paragraphes plus loin, il déclarait au sujet de sa rencontre avec J.M. : « J’ai demandé à le rencontrer pour lui proposer[22] cette transaction d’affaires privée ». Il y indiquait enfin : « Mon rôle n’était que de mettre en contact J.M. avec M. Charron ».

[68]        Aussi, même si, tel que l’intimé le déclare, son rôle se serait simplement limité à « mettre en contact » J.M. et M. Charron, de son propre aveu, il a néanmoins alors agi à titre d’agent de la transaction. De plus, s’il a cherché à rencontrer J.M. c’était pour la lui proposer. Enfin, bien que la preuve n’ait pas révélé qu’il aurait été rémunéré, il mérite d’être souligné que celle-ci a révélé que M. Charron et lui se référaient mutuellement des clients.

[69]        De l’avis du comité, la preuve qui lui a été présentée a montré que l’intimé a été plus qu’un simple investisseur dans ePhone.

[70]        En terminant, un mot relativement au témoignage de M. Charron qui généralement corrobore celui de l’intimé.

[71]        D’abord ce dernier a beaucoup de souvenirs imprécis sauf relativement aux éléments clés pour l’intimé.

[72]        Par ailleurs, son témoignage relativement à la souscription par J.M. du produit financier relié aux actions d’ePhone suscite un certain scepticisme.

[73]        Ainsi selon M. Charron, après sa rencontre avec l’intimé J.M. lui aurait, de mémoire, téléphoné à la mi-février[23].

[74]        Lorsqu’il témoigne sur cet événement, il débute en indiquant qu’il était un peu surpris de l’appel. Mais pourtant, peu après il raconte que suite à des articles dans La Presse (une grosse demi-page) et d’informations à l’effet que Charles Sirois avait pris ou prenait une grosse participation dans le placement, « tout le monde l’appelait »[24]. Et lorsqu’on lui demande « Quand vous dites tout le monde m’appelait, est-ce que vous pouvez qualifier c’est qui ça, tout le monde »? R : « Bien, tout le monde, j’avais plein d’appels de personnes que je ne connaissais pas nécessairement… »[25].

[75]        De plus, et ce, tel que préalablement mentionné, son témoignage relativement à la mise en demeure qu’il aurait de son propre chef fait tenir à J.M. au nom de l’intimé sans en glisser mot à ce dernier soulève de sérieux doutes. Lorsqu’il déclare que c’est lui qui a rédigé la lettre de mise en demeure et que l’avocat n’a aucunement rencontré l’intimé ni même discuté avec celui-ci pour s’assurer du contenu de celle-ci, avant et même après l’envoi, sa déposition laisse perplexe.

[76]        En conclusion, de l’avis du comité la preuve soumise par l’intimé, notamment lorsqu’examinée dans sa globalité, est peu compatible avec les probabilités rattachées à l’ensemble des événements alors que la version des faits transmise par J.M. dans son affidavit s’accorde avec les vraisemblances qui se dégagent de l’ensemble du dossier.

[77]        La preuve a révélé que J.M. a investi 250 000 $ US dans ePhone après qu’il eut rencontré une seule personne, soit l’intimé. Et elle n’a pas révélé que même après la souscription il ait eu un rendez-vous ou une rencontre avec qui que ce soit d’autre à ce sujet.

[78]        L’intimé qui était inscrit auprès de l’AMF en tant que représentant en assurance de personnes, en assurance collective de personnes, en planification financière ainsi qu’en courtage en épargne collective, pouvait offrir des services et des conseils en matière de placement, mais uniquement à l’endroit de catégories déterminées de titres ou de produits qu’il était autorisé à distribuer en vertu de ses certifications. (En tant que courtier en épargne collective, il était autorisé principalement à distribuer des titres d’organismes de placement collectif.)

[79]        De l’avis du comité, la preuve prépondérante est à l’effet que l’intimé, à l’initiative de M. Charron et/ou de son entreprise d’investissement, a conseillé et incité J.M. à prêter la somme de 250 000 $ US à 9082-2535 Québec inc. aux fins de souscrire à 227,273 actions d’ePhone Telecom Inc., et ce, alors qu’il n’était pas autorisé à agir de la sorte.

[80]        Sa façon d’exposer le produit financier en cause et son comportement, tel que rapporté par J.M., étaient de nature à influencer une action d’achat de la part de J.M.

[81]        Le chef d’accusation contenu à la plainte indique comme l’une des dispositions législatives de rattachement l’article 12 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[82]        Au moment des événements en cause ladite disposition se lisait comme suit :

« Certificat requis.

12. Sous réserve des dispositions du titre VIII, nul ne peut agir comme représentant, ni se présenter comme tel, à moins d'être titulaire d'un certificat délivré à cette fin par l'Agence.

Publicité permise.

 

Toutefois, une institution financière ou un organisme de placement collectif peut, par la remise de brochures ou de dépliants, par le publipostage ou par l'utilisation de toute autre forme de publicité, inviter le public à acquérir un produit d'assurance, des actions ou des parts d’organismes de placement collectif ou des parts de plans de bourses d’études. »

[83]        De l’avis du comité, en se comportant tel que la preuve l’a révélé, l’intimé a agi en contravention de celle-ci. Il sera donc déclaré coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte pour y avoir contrevenu.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, ce dernier ayant contrevenu à l’article 12 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

CONVOQUE les parties avec l’assistance du secrétaire du comité à une audition sur sanction.

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Jean-Michel Bergot________________

M. JEAN-MICHEL BERGOT

Membre du comité de discipline

 

(s) Nacera Zergane___________________

Mme NACERA ZERGANE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me René Vallerand

DONATI MAISONNEUVE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

13 et 14 mars 2014 et 10 avril 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0930

 

DATE :

21 septembre 2016

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Jean-Michel Bergot

Membre

Mme Nacera Zergane

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

SERGE COSSETTE, représentant de courtier en épargne collective, conseiller en sécurité financière et planificateur financier (numéro de certificat 107830 et numéro de BDNI 1517771);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des courtiers en valeurs mobilières et des membres de la famille de l’intimé mentionnés lors de l’audition, ainsi que de toute information qui permettrait de les identifier.

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni le 24 mai 2016, aux locaux du Tribunal administratif du travail, situés au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, salle 18.114 à Montréal (Québec) et a procédé à l’audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[2]           D’entrée de jeu, la plaignante, représentée par sa procureure, déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir.

[3]           Quant à l’intimé, aussi représenté, ce dernier choisit de témoigner.

[4]           À la suite de son témoignage, les parties soumirent au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]           La plaignante débuta ses représentations, par l’entremise de sa procureure, en indiquant qu’elle proposait au comité d’imposer à l’intimé, à titre de sanction, une radiation temporaire de trois mois.

[6]           Elle ajouta réclamer de plus la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés et la publication de la décision.

[7]           Elle poursuivit en invoquant les facteurs, à son opinion, atténuants et aggravants suivants :

Facteurs atténuants :

 

-       « Un seul chef d’accusation porté contre l’intimé et un seul consommateur impliqué;

-       Une faute isolée remontant à plus de 15 ans;

-       L’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé;

-       Le retrait par l’AMF de la plainte portée contre ce dernier;

-       Un risque de récidive faible;

-       Une absence de malhonnêteté ou de mauvaise foi;

-       Le peu d’expérience de l’intimé au moment de l’infraction reprochée. »

Facteurs aggravants :

 

-       « La gravité objective de l’infraction commise, consistant en ce qu’il est communément appelé de « l’exercice illégal »;

-       Une conduite clairement interdite;

-       Le préjudice subi par le consommateur qui a « perdu » l’ensemble de son placement;

-       Une situation où l’intimé ayant distribué un produit pour lequel il ne détenait pas les certifications, le consommateur ne pourra compter sur une demande auprès du fonds d’indemnisation afin d’être remboursé de sa perte. »

[8]           À l’appui de sa recommandation, elle versa au dossier un cahier d’autorités comprenant trois décisions[26] du comité qu’elle commenta.

[9]           Elle termina en soulignant que, dans les affaires Ledoux et Francoeur, pour des infractions, à son opinion, de nature similaire à celle reprochée à l’intimé, les représentants fautifs avaient été condamnés à des radiations temporaires de six mois alors que dans l’affaire Bouchard, le représentant avait été condamné à une radiation temporaire de trois mois.


 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[10]        Le procureur de l’intimé débuta les représentations au nom de son client en émettant des commentaires à l’égard de la jurisprudence citée par la plaignante, soulignant notamment alors les éléments distinctifs, propres à chacun des dossiers en cause.

[11]        Il ajouta que dans le dossier Francoeur la sanction imposée faisait suite à une « recommandation commune des parties » alors que dans le dossier Bouchard la décision avait fait l’objet d’un appel qui n’avait pas encore été entendu.

[12]        Il souligna ensuite les facteurs, à son opinion, atténuants suivants :

Facteurs atténuants :

-       « Un seul chef d’accusation concernant un seul client;

-       Une infraction commise il y a 16 ans;

-       Aucun élément de preuve tendant à démontrer une forme de récidive ou tendant à démontrer que depuis les événements, la protection du public aurait pu être mise en péril par les agissements de l’intimé;

-       Le fait que M. M., le consommateur en cause, n’était pas une personne dépourvue de connaissance dans le domaine du placement et qu’il ne s’agissait pas non plus d’un client que l’intimé servait et dont il aurait pu vouloir profiter afin de vendre un produit non autorisé;

-       Un contexte où au départ le but de la rencontre avec M. M. était d’échanger sur les placements privés de chacun;

-       Une situation où le consommateur, bien qu’il ait eu l’opportunité de « reprendre son argent », a préféré poursuivre et conserver son placement dans « ePhone »;

-       L’absence d’implication de l’intimé dans la « mise en place » du placement souscrit par M. M.;

-       Une « erreur de jeunesse » rattachée à un manque d’expérience professionnelle;

-       Un comportement qui, bien que jugé fautif par le comité, n’était pas au départ prémédité. »

[13]        Revenant ensuite à l’affaire Ledoux, après avoir rappelé que le contexte de celle-ci était fort différent de la présente affaire puisque vingt-cinq clients étaient en cause, vingt-cinq chefs d’accusation avaient été portés, et l’ensemble des événements fautifs s’était déroulé sur une période de trois ans, il souligna que le juge Champoux de la Cour du Québec, dans son jugement, avait au paragraphe 30 indiqué :

« Le droit disciplinaire ne vise pas véritablement à punir la personne qui est visée (BERNARD, Pierre, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », Barreau du Québec, Développements récents en déontologie, Droit professionnel et disciplinaire, 2004, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 73, Béchard c. Roy 1975 CA 509, Guruliam c. Branchaud, (C.A. 1998 QCTP1621, Béchard c. Collège des médecins, CAQ AZ-75011116, etc.) même s’il est inévitable cette dernière puisse vivre comme telle la sanction qui lui est imposée. »

[14]        Il cita de plus le paragraphe 31, où ledit juge déclarait :

« Il n’y a en fait qu’une seule considération essentielle en la matière, à savoir la protection du public. Toutes les mesures disciplinaires existent pour assurer ce but. »

[15]        Et après avoir souligné qu’en cette affaire, puisque la plaignante avait réclamé une radiation temporaire de trois ans et que l’intimé avait suggéré une radiation temporaire de six mois, le « débat s’était fait dans un contexte de sanction de radiation », il référa au paragraphe 50 où le juge indiquait :

            « La seule sanction (outre le paiement des frais et la publication des avis légaux) que les parties avaient envisagée ou encore considérée pertinente ou utile à atteindre ce but, (la protection du public)[27] est la radiation temporaire. Personne n’a prétendu que, ne fusse que pour assurer la dissuasion spécifique de l’appelant ou celle plus générale des autres conseillers financiers, une amende était utile. »

[16]        Il laissa entendre qu’il fallait, à son avis, déduire de cette affirmation que le tribunal aurait possiblement été disposé, n’eussent été les suggestions respectives des parties en faveur d’une radiation, à envisager l’imposition de « simples sanctions monétaires ».

[17]        Il indiqua ensuite, qu’en l’espèce, l’imposition d’une sanction de radiation aurait un impact sérieux sur la clientèle de son client et sur son avenir.

[18]        Il rappela que ce dernier, tel qu’il en avait témoigné, avait choisi de s’inscrire à titre de « courtier de plein exercice », qu’il avait abandonné la ou les certifications qu’il détenait et qu’il se trouvait donc actuellement « entre deux chaises » en attendant que l’AMF lui émette le certificat ou l’autorisation réclamée.

[19]        Il souligna ensuite le paragraphe 63 du jugement précité où le juge opinait :

« La notion du droit du professionnel à gagner sa vie est typiquement énoncée en jurisprudence (Pigeon c. Daignault 2003 R.J.Q. 1090 (CAQ), Rioux c. Murphy, 2010 QCCA 1078, Thibault c. Thériault 2009 CanLII 37370 QC C.D.C.S.F., etc.) Hormis les cas rares où il y a lieu d’écarter définitivement un professionnel d’un champ d’activité, la sanction doit donc être compatible avec une réintégration dans ses fonctions. »

[20]        Après avoir évoqué que l’intimé se trouvait maintenant en « période de transition », donc à une étape névralgique de sa carrière, il indiqua qu’une sanction de radiation aurait un effet « dévastateur » sur la poursuite de ses activités professionnelles.

[21]        Il signala qu’au moment où ce dernier quittait son cabinet, il avait sous gestion des actifs de 62M$, et ce, pour environ 115 familles.

[22]        Il mentionna que la décision du comité le reconnaissant coupable de l’infraction mentionnée à la plainte avait déjà eu un impact négatif sur sa clientèle, certains clients lui ayant demandé des explications à ce sujet. De plus, elle lui aurait rendu difficile le recrutement de « prospects » (clients potentiels), puisque lorsque ceux-ci « tapaient son nom sur Internet ils étaient confrontés à la décision disciplinaire ».

[23]        Il enchaîna en affirmant notamment qu’une sanction de radiation serait de nature à augmenter le sentiment d’insécurité déjà présent chez nombre de ses clients.

[24]        Il signala ensuite que la faute imputée à l’intimé remontait à environ 16 ans et souligna que depuis ce temps, aucun autre reproche ne lui avait été adressé. Il demanda en quoi, dans de telles circonstances, la protection du public serait mieux servie par une sanction de radiation.

[25]        Il rappela que dans le présent dossier, le consommateur en cause M. M. était un « investisseur sophistiqué » qui avait choisi, de lui-même, après la souscription originale, et dans un deuxième temps, sans aucune implication de l’intimé, de racheter par l’entremise de « son courtier » des actions additionnelles d’« ePhone ».

[26]        Il termina en soulignant au comité, qu’en l’espèce, il n’était aucunement confronté à une situation où, comme dans les dossiers évoqués par la plaignante, le représentant avait sollicité à répétition ses clients pour leur offrir un produit qu’il savait ne pas être autorisé à distribuer. Il précisa qu’il y avait là, à son avis, une importante distinction.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[27]        En réplique à l’argument du procureur de l’intimé qualifiant la faute de son client « d’erreur de jeunesse », la procureure de la plaignante déclara qu’il lui fallait « poser un bémol ». Il était vrai, concéda-t-elle, que l’investissement en cause avait eu lieu en l’an 2000 alors que l’intimé ne possédait pas une grande expérience dans l’exercice de la profession, mais rappela-t-elle, la mise en demeure adressée au nom de l’intimé à M. M. et les faits rattachés à celle-ci s’étaient déroulés en 2010. Elle affirma que, dix ans plus tard, l’intimé « possédait suffisamment d’expérience pour savoir qu’il avait agi à l’extérieur du cadre de ses certifications ».

MOTIFS ET DISPOSITIF

[28]        Selon l’attestation de droit de pratique émanant de l’Autorité des marchés financiers, l’intimé, comptable de formation et/ou de profession, a débuté dans la distribution de produits et services financiers et/ou d’assurance en 1994.

[29]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[30]        La plainte portée contre lui ne comporte qu’un seul chef d’accusation, ne concerne qu’un seul événement, et qu’un seul consommateur.

[31]        Au moment des événements reprochés, même s’il n’en était pas à ses tout débuts, il ne possédait pas une vaste expérience dans l’exercice de la profession.

[32]        Ses gestes fautifs remontent à l’an 2000 et aucun nouveau motif de reproche ne semble lui avoir été adressé depuis.

[33]        Si l’on se fie à son témoignage, il n’y aurait eu « aucun autre cas similaire », il n’aurait pas fait « d’autres références » à M. Chagnon, et il n’aurait pas tenté de vendre quelqu’autre « valeur mobilière » à qui que ce soit d’autre.

[34]        Auprès du cabinet où il œuvrait il a occupé le poste de Directeur de division pendant environ treize ans.

[35]        Selon ce qu’il a déclaré, il aurait, durant ce temps, participé à la formation d’environ 35 représentants aujourd’hui actifs dans l’exercice de la profession.

[36]        De l’avis même de la procureure de la plaignante, les risques de récidive, dans son cas, seraient faibles.

[37]        Par ailleurs, au plan de la formation, il aurait multiplié les efforts et viserait maintenant à être autorisé à exercer en tant que « courtier de plein exercice ».

[38]        Au moment de l’audition, il était « en transit », après avoir, le 29 avril 2016 démissionné de son cabinet, et ensuite présenté à l’AMF une demande afin d’être autorisé à agir dorénavant à ce titre. Ne possédant plus aucun droit d’exercice, il ne pouvait communiquer, a-t-il déclaré, avec ses clients afin de leur faire part de sa nouvelle orientation.

[39]        Relativement aux circonstances entourant l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable, mentionnons d’abord, que la preuve administrée n’a pas démontré de façon prépondérante qu’il aurait prémédité la rencontre avec M. M. dans le but de contrevenir à ses obligations déontologiques.

[40]        D’autre part, elle a clairement établi qu’il croyait fermement au produit financier en cause au point où il y a lui-même investi des sommes d’argent importantes et encouragé les membres de sa famille à faire de même. Aucune mauvaise foi ou intention malveillante ne peut, à cet égard, lui être attribuée.

[41]        Enfin, en toute vraisemblance, M. M. possédait les connaissances nécessaires à l’appréciation de la nature de l’investissement qui lui était proposé.

[42]        De plus, bien qu’objectivement la somme investie par ce dernier puisse paraître et soit objectivement importante, il semble qu’elle ne représentait qu’une faible partie du patrimoine dont il disposait.

[43]        En l’espèce, le comité n’est aucunement confronté à un représentant qui aurait cherché à profiter de la confiance de l’un de ses clients à son endroit pour l’amener à investir dans des placements incertains.

[44]        Par ailleurs, le comité retient que lors de son témoignage, l’intimé a indiqué qu’il avait assimilé certaines leçons de la plainte et de la décision rendue par le comité.

[45]        Ainsi, il a témoigné avoir, notamment appris de « prendre bien soin de ne jamais exercer à l’extérieur du cadre de ses certifications » et de « faire bien attention de mêler ses investissements personnels à l’extérieur ».

[46]        Depuis les événements mentionnés à la plainte, ce dernier semble avoir pris davantage conscience de ses responsabilités professionnelles : Aucune nouvelle plainte disciplinaire ou dénonciation n’a été portée à son endroit depuis environ seize ans.

[47]        Enfin, la décision du comité le déclarant coupable de l’infraction reprochée a certes eu et aura encore dans l’avenir des répercussions sur sa vie personnelle et professionnelle.

[48]        Néanmoins, la gravité objective de l’infraction qu’il a commise ne fait aucun doute.

[49]        Elle va au cœur de l’exercice de la profession et porte directement atteinte à l’image de celle-ci.

[50]        Dans la décision Rioux c. Poulin[28], le comité a écrit, paragraphe 229 :

            « La personne qui choisit de devenir représentant en vertu de la LDPSF accepte les conditions entourant l’encadrement de sa pratique professionnelle [149]. M. Poulin a donc « volontairement adhéré à une profession qui - comme corollaire des privilèges qu’elle accorde - demande le respect des obligations déontologiques auxquelles [il]  s’est engagé[] » [150]. Le respect des limites de son ou ses certificats devrait normalement aller de soi. »

[51]        En agissant tel qu’il lui a été reproché, l’intimé a fait défaut de respecter l’un des mécanismes mis en place par le législateur pour assurer qu’avant de souscrire à des produits tel le produit en cause, le consommateur bénéficie des conseils d’un professionnel habilité et compétent.

[52]        De plus, puisqu’il a agi en dehors du cadre de ses certifications, ledit consommateur (sa succession) se retrouve dans une position où il ne peut espérer, afin de récupérer sa perte, être indemnisé par le fonds d’indemnisation des services financiers.

[53]        En 2008, dans les affaires Thibault c. Balayer et Thibault c. Di Stefano, la syndique de la Chambre de la sécurité financière a tenu à témoigner personnellement afin d’exposer l’importance, à son avis, que les décisions du comité en matière « d’exercice illégal » comportent un volet d’exemplarité et transmettent un message clair aux membres de la profession.

[54]        Dans l’affaire Balayer, elle souligna notamment qu’il y avait alors à son bureau environ 78 dossiers touchant plus de 200 consommateurs relatifs à 26 représentants où l’offre de placement ou de produits financiers non autorisés étaient en cause.

[55]        Aussi, depuis, tel que l’a souligné la procureure de la plaignante, les infractions de la nature de celle reprochée à l’intimé ont habituellement été sanctionnées par une période de radiation.

[56]        Mais s’il est vrai que la plaignante, notamment à cause de la nature et de la fréquence du type d’infraction en cause soit en droit de tenter d’obtenir, par l’imposition de sanctions de radiation, un effet dissuasif à l’égard des membres de la Chambre qui seraient tentés d’imiter la conduite de l’intimé, le comité doit se garder d’ordonner une sanction hors de proportion avec l’infraction particulière dont il est saisi.

[57]        Il lui faut aussi s’abstenir d’ignorer les circonstances propres au dossier, les répercussions importantes que les événements rattachés à la plainte disciplinaire ont eues sur la vie professionnelle et personnelle du représentant de même que le degré d’importance du risque que la protection du public puisse être affectée par son comportement futur.

[58]        C’est ainsi que les décisions citées par la plaignante doivent être distinguées du cas en l’espèce.

[59]        Or, après révision de la preuve présentée et analyse du dossier, le comité est d’avis que l’intimé ne représente que peu de dangers pour le public et que les risques de récidive, dans son cas, sont faibles.

[60]        Il est, en la présente, d’opinion, et ce, bien qu’il ait été tenté d’ordonner la radiation temporaire de l’intimé en application du principe voulant qu’elle doive être conforme à la gravité de la faute commise, qu’il n’y a pas lieu à l’imposition d’une telle sanction mais plutôt à la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende d’importance.

[61]        Le comité, bien qu’il soit conscient que la sanction retenue soit à l’extérieur de l’échelle des sanctions (de radiation) généralement retenues pour des infractions du même type, est d’avis, compte tenu des éléments tant objectifs que subjectifs, atténuants qu’aggravants qui lui ont été présentés, et conservant notamment à l’esprit qu’il s’agit d’une faute isolée, que l’intimé a déjà subi les effets des procédures entamées par l’AMF pour la même faute, que l’imposition d’une amende de dix mille dollars (10 000 $) serait, en l’espèce, une sanction juste et appropriée, adaptée à l’infraction et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il ne peut faire abstraction.

[62]        Enfin, en l’absence d’éléments particuliers qui le justifierait d’agir autrement, le comité est d’avis de condamner l’intimé au paiement des déboursés; ceux-ci correspondent aux frais engagés par les procédures nécessaires au règlement de son dossier et aucun motif ne lui permettant de passer outre à la règle habituelle voulant que les déboursés nécessaires à la condamnation du représentant fautif soient généralement imputés à ce dernier ne lui a été présenté.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

-       sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de dix mille dollars (10 000 $);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément à l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Jean Michel Bergot________________

M. JEAN-MICHEL BERGOT

Membre du comité de discipline

 

(s) Nacera Zergane___________________

Mme NACERA ZERGANE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

CDNP AVOCATS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me René Vallerand

DONATI MAISONNEUVE

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

24 mai 2016

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir page 59 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[2]     Voir page 60 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[3]     Voir page 60 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[4]     Voir page 61 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[5]     Voir page 71 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[6]     Voir page 72 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[7]     Voir page 72 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[8]     Voir page 73 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014. Par ailleurs, à la pièce P-8 l’on retrouve les notes manuscrites de l’intimé par lesquelles la convention de prêt a été expliquée à J.M.

[9]     Selon M. Charron, à la suite d’un appel téléphonique de J.M. il aurait « fait deux (2) contrats », qu’il a signés et qu’il lui a envoyés par la poste. Par la suite J.M. lui aurait renvoyé une copie signée avec son chèque. Voir page 210 des notes sténographiques de l’audition du 13 mars 2014.

[10]    Voir page 90 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014, le courriel P-3.

[11]    Voir page 77 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[12]    Voir pièce P-14B, page. 6.

[13]    Voir pièce P-14B, page 8.

[14]    Voir page 93 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[15]    Voir page 91 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[16]    Voir page 94 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014 où se retrouve à cet égard le témoignage de l’intimé.

[17]    M. Charron, lors de son témoignage, a confirmé avoir commis une erreur, qu’il aurait dû envoyer les documents concernant J.M. directement à ce dernier.

[18]    Soit ses père et mère, frère et lui-même mais pas l’oncle de sa conjointe. Voir page 94 des notes sténographiques de l’audition du 14 mars 2014.

[19]    Voir la lettre de mise en demeure, page 2, dernier paragraphe.

[20]    Il parait également assez invraisemblable que M. Charron n’ait à aucun moment transmis à l’intimé la mise en demeure qu’il a fait expédier au nom de ce dernier ne serait-ce qu’afin d’obtenir ses commentaires.

[21]    Le souligné est de nous.

[22]    Le souligné est de nous.

[23]    Voir page 205 des notes sténographiques de l’audition du 13 mars 2014.

[24]    Voir page 208 des notes sténographiques de l’audition du 13 mars 2014.

[25]    Voir page 209 des notes sténographiques de l’audition du 13 mars 2014.

[26]    Champagne c. Ledoux, CD00-0779, 1er octobre 2010 (C.D.C.S.F.) et 2011 QCCQ 15733; Ledoux c. Chambre de la sécurité financière, 2011 QCCQ 15733, décision de la Cour du Québec en date du 1er décembre 2011.

      Champagne c. Francoeur, CD00-0883, 9 mars 2012 et 15 juin 2012 (C.D.C.S.F.).

      Champagne c. Bouchard, CD00-1048, 10 mars 2015 et 5 janvier 2016 (C.D.C.S.F.).

[27] La mention entre parenthèse a été ajoutée par le comité.

[28]    Rioux c. Poulin, CD00-0600, décision du 11 avril 2007.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.