Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1017

 

DATE :

15 mars 2016

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

PIERRE GODBOUT, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives;

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Les 8 et 9 octobre 2014, à l’Hôtel Delta, 475, Président-Kennedy, salle Liszt, Montréal, et les 13 et 14 avril 2015, au siège social de la Chambre de la sécurité financière sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal, le comité de discipline de la Chambre s'est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.      À St-Mathieu d’Harricana, le ou vers le 16 novembre 2006, l’intimé a fait transférer les fonds de revenus, d’obligations et d’obligations – série 2 que son client J.P.D. détenait dans son compte FRV no [...] vers les fonds Focus Modéré, ce qui ne correspondait pas à sa situation financière et personnelle, ainsi qu’à ses objectifs de placement, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

2.          À St-Mathieu d’Harricana, le ou vers le 16 novembre 2006, l’intimé a fait défaut de bien connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement du client J.P.D. en établissant son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3). »

[2]           Au terme de l’audition, le comité a réclamé la transcription des notes sténographiques des témoignages entendus. Celles-ci lui sont parvenues le 7 juin 2015, date du début du délibéré.

DÉCISION RELATIVEMENT AU DÉPÔT EN PREUVE DE DOCUMENTS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 2870 DU CODE CIVIL DU QUÉBEC

[3]           Après que, par l’entremise de son procureur, la plaignante eut présenté au comité une demande aux fins d’être autorisé à déposer en preuve certains documents conformément à l’article 2870 du Code civil du Québec, le comité procéda à un voir-dire. À la suite de celui-ci il rendit oralement une décision à l’égard de la requête de la plaignante et il fut alors convenu avec les parties qu’il en reprendrait les termes dans sa décision au mérite, la voici donc :

[4]           La plaignante, après avoir fait la preuve que le consommateur en cause, J.P.D., était décédé le 22 novembre 2013, réclama du comité l’autorisation de déposer en preuve les documents suivants :

Document a) : la plainte ou demande d’enquête, datée du 12 janvier 2010 expédiée par J.P.D., sous sa signature, à l’Autorité des marchés financiers (qui, tel que nous le verrons ci-après, a été admise en preuve et déposée au dossier sous la cote VD-1);

Document b) : les notes consignées au « suivi chronologique » du dossier par l’enquêteure de la Chambre au terme de ses conversations téléphoniques avec J.P.D. (qui, tel que nous le verrons ci-après, ont été admises en preuve et déposées au dossier sous la cote VD-2);

Document c) : une déclaration de J.P.D. qui bien qu’intitulée « Affidavit » n’a pas été assermentée et bien qu’elle aurait été signée par ce dernier ne comporte aucune date de signature (qui, tel que nous le verrons ci-après, n’a pas été admise en preuve).

[5]           Au soutien de sa demande, elle invoqua l’article 2870 du Code civil du Québec.

[6]           Ledit article 2870 se lit comme suit :

« 2870. La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.

 

Celui-ci doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.

 

Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits. »

[7]           Au cours de l’argumentation qui suivit la présentation de la requête, les parties convinrent que les deux (2) premières conditions exigées pour que ledit article puisse trouver application étaient en l’espèce rencontrées, c’est-à-dire que les documents en cause témoigneraient de faits à la connaissance personnelle du déclarant et qu’il était évidemment impossible de faire entendre ce dernier.

[8]           Le débat ne porta donc essentiellement que sur la question de savoir si les documents en cause comportaient des garanties suffisamment sérieuses de fiabilité pour permettre qu’ils soient admis en preuve.

[9]           Or il mérite d’abord d’être souligné que, tel que le comité l’a déjà mentionné dans une décision antérieure[1], lorsqu’il s’agit de l’interprétation de l’article 2870 du Code civil du Québec, « de façon à favoriser la recherche de la vérité »[2], la notion de fiabilité ne doit pas être appliquée avec trop de rigidité. Ajoutons qu’il faut éviter de confondre admissibilité et force probante.

[10]        Relativement au Document a), soit la plainte ou dénonciation déposée par J.P.D. à l’AMF, et qu’il a signé, même si le comité n’a reçu aucune preuve ou réelle information sur l’état de santé ou la condition de J.P.D. au moment où ce dernier y aurait apposé sa signature, rien ne l’incite à croire ou lui permet de craindre que la version des faits qu’il a signée de sa main se situerait en-deçà des exigences de fiabilité énoncées à l’article précité du Code civil du Québec.

[11]        Il est vrai que, tel que l’a indiqué le procureur de l’intimé, le document lui-même pourrait bien ne pas avoir été rédigé par l’intimé, mais il n’en demeure pas moins que la signature qui s’y retrouve n’a fait l’objet d’aucune contestation.

[12]        De plus aucune preuve de faits, de circonstances ou autre, de nature à soulever des craintes que ce qui y est exposé pourrait ne pas représenter fidèlement les prétentions de J.P.D. n’a été administrée.

[13]        Au stade de l’amissibilité du document, le comité n’a pas à se prononcer sur la véracité des faits y mentionnés. Seule une appréciation ultérieure du caractère probant de celui-ci permettra au comité de déterminer si à son avis ce qui y est indiqué est vrai. Son devoir consiste à déterminer si le document et les circonstances entourant la confection de celui-ci sont de nature suffisamment fiable pour permettre qu’il soit admis en preuve comme représentant les prétentions du défunt J.P.D.

[14]        En l’espèce, bien que la version des faits qui y est présentée par J.P.D. ne pourra être soumise à l’épreuve du contre-interrogatoire, l’intimé aura toutefois eu l’opportunité de contredire l’information qui y est contenue au moment de la présentation de sa preuve.

[15]        Pour les motifs qui précèdent, le comité réitère sa décision d’accueillir la demande de la plaignante et d’autoriser le dépôt en preuve de la plainte ou dénonciation acheminée par J.P.D. à l’AMF, document comportant à deux (2) endroits la signature de J.P.D. et qui a été déposé au dossier sous la cote VD-1.

[16]        Relativement au Document b), soit les notes que l’enquêteure a inscrites à son dossier à la suite d’une conversation téléphonique (qui n’a pas été enregistrée) entre elle et J.P.D., le comité est en présence d’une « forme de déposition », consignée dans un écrit par une personne autre que celle qui l’a faite, sans que cette dernière puisse reconnaître qu’elle reproduit fidèlement ses affirmations. Néanmoins le comité est en présence de notes dont l’authenticité n’a aucunement été contestée.

[17]        Dans de telles circonstances, le comité réitère sa décision de rejeter l’objection au dépôt en preuve desdites notes et d’en autoriser la production.

[18]        Relativement au Document c) intitulé : « Affidavit », mais qui n’a pas été assermenté, et qui ne comporte aucune date de signature, mentionnons d’abord que lors du voir-dire la correspondance par laquelle R.D., la fille de J.P.D., le transmettait au procureur de la plaignante a été produite sous la cote VD-4. Or à ladite correspondance R.D. y affirme que le document aurait été signé par son père en novembre 2011.

[19]        Mais comment le document aurait-il pu avoir été signé en novembre 2011 puisque selon la pièce VD-5, également déposée lors du voir-dire, il n’aurait été acheminé pour signature à J.P.D. qu’en décembre 2011?

[20]        De plus, l’on peut se questionner à savoir pourquoi J.P.D., qui aurait, selon ce qu’indique sa fille, signé le document, ne l’a jamais fait assermenter alors qu’il lui avait été acheminé avec des instructions précises à ce sujet.

[21]        Il est vrai que R.D. invoque dans sa correspondance que la situation serait imputable à l’état de santé précaire de J.P.D.

[22]        Mais si le document n’a pas pu être assermenté à cause de la condition de santé de J.P.D., ne peut-on pas aussi se questionner sur la capacité de ce dernier de signer alors un document fiable et digne de foi?

[23]        Enfin il faut souligner que le document qui, tel que précédemment mentionné ne porte aucune date et n’est pas assermenté, n’a été recouvré par la plaignante que bien après le dépôt de la plainte, soit à la suite d’un courriel daté du 22 septembre 2014, que R.D., la fille de J.P.D., a expédié au procureur de cette dernière.

[24]        Compte tenu de ce qui précède, le comité réitère sa décision de refuser le dépôt en preuve du document intitulé « Affidavit » produit sous la cote VD-3, le comité n’étant pas satisfait à partir de la preuve qui lui a été présentée lors du voir-dire que les conditions prévues à l’article 2870 du Code civil du Québec relativement à la fiabilité de celui-ci sont rencontrées.

[25]        Disposons maintenant du fond de l’affaire.

PREUVE DE LA PLAIGNANTE

[26]        Au soutien de la plainte, la plaignante fit entendre Mme Alexandra Tonghioiu, enquêteure à la Chambre, ainsi que Mme Danielle Pelletier à titre d’experte en placement de produits financiers régis par la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF). Elle produisit de plus une importante preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-21 ainsi qu’à la suite d’un voir-dire en autorisant la production, les pièces VD-1 et VD-2.

[27]        Quant à l’intimé, en plus de témoigner lui-même, il fit entendre M. Jean-François Mador, planificateur financier et directeur d’agence à l’Industrielle Alliance ainsi que Mme Suzy Brière à titre d’experte en gestion de placements, en épargne collective et en fonds distincts. Il déposa de plus une preuve documentaire qui fut cotée D-1 à D-8.

LES FAITS

[28]        Le contexte factuel rattaché à la plainte se résume comme suit :

[29]        En mai 2002 l’intimé fait connaissance, ou plus amplement connaissance avec le consommateur en cause, J.P.D., lors d’une réunion tenue au bureau de l’entreprise minière qui emploie ce dernier.

[30]        Les employés qui y assistent s’apprêtent à prendre leur retraite et elle vise notamment à leur prodiguer des conseils relativement à la façon dont ils peuvent disposer de leur fonds de pension. Le représentant syndical, M. Jean-Claude Chouinard, et le directeur des ressources humaines de l’entreprise, M. Claude Viens, y sont présents.

[31]        Environ un mois plus tard, soit à la fin de juin 2002, l’intimé reçoit un coup de fil de J.P.D. qui désire le rencontrer. Un rendez-vous est alors fixé au domicile de J.P.D.

[32]        Lors de la rencontre, à laquelle assiste son épouse, J.P.D. avise l’intimé qu’il songe à transiger avec lui parce qu’ayant par le passé « fait affaire » avec l’Industrielle Alliance, « il a toujours eu de bons rendements ».

[33]        L’intimé informe alors J.P.D. et son épouse qu’il a besoin d’obtenir d’eux certains documents et informations personnelles.

[34]        Selon son témoignage, il les avise qu’il est important pour lui de connaître leurs actifs, leurs revenus, les sommes dont ils auront besoin à la retraite et le moment où ils entrevoient commencer à retirer des fonds.

[35]        Il les interroge notamment sur la valeur de leur propriété résidentielle, sur les autres biens qu’ils possèdent ainsi que sur leurs placements.

[36]        De l’ensemble de ses échanges avec le couple, il conclut, après avoir été informé que celui-ci n’a aucune dette, que l’actif total dont il dispose est de l’ordre de 363 000 $.

[37]        Selon ce qu’a déclaré l’intimé, la rencontre sert à une prise de données aux fins de la préparation d’une « analyse de retraite ».

[38]        Avant de quitter les lieux il indique au couple qu’ils vont recevoir des documents de l’employeur dont un « relevé de droit » qui confirmera les « montants immobilisés » et les « montants non immobilisés » du fonds de pension de J.P.D.

[39]        Par la suite, au moyen de l’ensemble des informations obtenues du couple, l’intimé compose un document intitulé : « Renseignements personnels – Temps d’arrêt » qu’il présente à J.P.D. et son épouse au mois d’août 2002[3].

[40]        Lors de la rencontre qui a lieu le ou vers 9 août, l’intimé valide avec ses clients les données figurant au document qu’il a préparé.

[41]        Celui-ci comporte une partie intitulée : « Analyse des besoins à la retraite » où il est fait état des revenus actuels de J.P.D. (toujours alors à l’emploi de l’entreprise minière) ainsi que du revenu annuel « désiré » à la retraite, soit 25 000 $ par année.

[42]        L’intimé remet à son client ledit document d’analyse de retraite, comportant ses recommandations, et convient d’une rencontre subséquente en janvier 2003 pour permettre que ce dernier « puisse réfléchir ».

[43]        Le ou vers le 30 janvier 2003, l’intimé rencontre J.P.D. et complète avec ce dernier un formulaire questionnaire de profil d’investisseur. Dans une échelle comportant cinq (5) échelons, soit prudent, modéré, équilibré, croissance et audacieux, le résultat obtenu démontre chez J.P.D. un profil d’investisseur « modéré ».

[44]        L’intimé suggère alors à J.P.D. d’investir les sommes qu’il détient à 70 % dans un fonds de revenus (obligations et CPG) et à raison de 30 % dans un fonds de dividendes composé d’actions canadiennes.

[45]        Par la suite, le ou vers le 10 février 2003, l’intimé rencontre J.P.D. pour faire le transfert de la partie « immobilisée » de ses placements dans un CRI ainsi que de sa partie « non-immobilisée » dans un REER, et ce, en préparation de décaissements après que J.P.D. eut épuisé sa prime de séparation d’environ 15 000 $ ainsi qu’une somme d’environ 5 000 $ correspondant à cinq (5) semaines de vacances.

[46]        En mars 2004, J.P.D. transfère des sommes additionnelles à son REER puis par la suite transforme celui-ci en FERR ainsi que son CRI en FRV avec le début du décaissement prévu en mai. Après discussion avec J.P.D., il est convenu qu’il n’y a pas lieu de faire des changements à ses investissements.

[47]        À l’automne 2006, en raison de l’annonce de la part de « spécialistes », qu’afin de contrer l’inflation, une hausse éminente des taux d’intérêts fixés par la Banque du Canada apparait probable, l’intimé suggère à J.P.D. ainsi qu’à tous ses clients, d’apporter des modifications à leurs investissements.

[48]        Le ou vers le 16 novembre 2006, l’intimé rencontre J.P.D. en compagnie de son épouse et complète avec ce dernier à nouveau un formulaire questionnaire de profil d’investisseur. Le résultat de l’exercice confirme le profil « modéré » de J.P.D. Ce dernier, après avoir pris connaissance du résultat, y appose sa signature.

[49]        L’intimé lui suggère alors d’intégrer la partie obligataire de son portefeuille dans le fonds « Focus Modéré » qui est un fonds diversifié géré par l’Industrielle Alliance et comprenant 60 % d’obligations, 25 % d’actions canadiennes et 15 % d’actions mondiales. Il lui propose par ailleurs de conserver intacts ses placements dans le fonds de dividendes de l’Industrielle Alliance, « un fonds cinq (5) étoiles », selon lui, « qui figure parmi les meilleurs fonds de dividendes sur le marché ».

[50]        La stratégie vise à protéger les investissements de J.P.D. d’une hausse des coûts d’intérêts pouvant avoir un impact sur le rendement et/ou la valeur de son « portefeuille obligataire ».

[51]        Par la suite, l’intimé a plusieurs échanges ou rencontres avec J.P.D. et son épouse.

[52]        Ainsi l’année suivante, soit en novembre 2007, J.P.D. lui téléphone et il passe le voir à son domicile. J.P.D. est inquiet des marchés en baisse. L’intimé le rassure et lui conseille « de ne pas bouger pour l’instant », de patienter en attendant que les marchés se replacent.

[53]        Également, le ou vers le 14 octobre 2008, à la suite d’une chute subite des marchés, l’intimé contacte J.P.D. et son épouse pour les rassurer et il leur suggère alors de ne rien changer et de ne pas quitter le marché.

[54]        Quelque temps après, soit le ou vers le 20 janvier 2009, l’intimé rencontre J.P.D. et son épouse et refait alors à nouveau avec eux l’exercice du formulaire questionnaire de profil d’investisseur. Le résultat est sensiblement le même qu’antérieurement. Celui-ci révèle chez J.P.D. un profil d’investisseur « modéré ». L’intimé suggère à son client d’attendre que les marchés remontent avant de faire un quelconque changement à ses investissements.

[55]        En mai 2009, après que J.P.D. l’eut contacté l’intimé lui transmet toutes les informations permettant à ce dernier d’examiner par Internet ses relevés d’investissement.

[56]        Puis le ou vers le 29 juillet 2009, l’intimé reçoit une correspondance de J.P.D. Ce dernier lui réclame un remboursement de 8 755 $. Il communique alors avec J.P.D. mais celui-ci est absent. Il laisse alors un message sur son répondeur.

[57]        Le ou vers le 10 août 2009, J.P.D. lui téléphone et ils conviennent tous deux d’une rencontre pour discuter de la situation. À cette rencontre, en plus de J.P.D. et de son épouse, sont présents leur fille R. et son ami S.B.

[58]        Lors de ladite rencontre qui se tient le ou vers le 17 août 2009, l’intimé qui ne comprend pas le comportement de J.P.D. questionne ce dernier à savoir « pourquoi il se plaint ». Il est avisé alors que selon la fille du couple, R., et suivant les calculs effectués par cette dernière et son ami, un représentant auprès de l’Industrielle Alliance, il a perdu une somme de 8 755 $. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté le « profil » d’investisseur de son client J.P.D.

[59]        Enfin le ou vers le 12 janvier 2010, J.P.D., insatisfait de l’état de ses placements, achemine à l’AMF une correspondance dans laquelle il dénonce l’intimé.

[60]        Il y déclare notamment ce qui suit :

« Au tout début de ma relation d’affaire avec l’Industrielle Alliance en 2003, M. Pierre Godbout, m’a constitué un portefeuille selon un profil prudent. Il comprenait 75 % de fonds de revenu et 25 % d’actions canadiennes. Étant un homme retraité, je tenais à ce que mes sommes investies soit sécurisées.

Le 16 novembre 2006, j’ai rencontré M. Godbout et nous avons rempli un nouveau profil d’investisseur, celui-ci s’avérait modéré. Quelques jours plus tard, M. Pierre Godbout a transféré des sommes d’argent sans mon autorisation. Les sommes qui étaient investies dans les fonds de revenu ont toutes été réinvesties dans un focus modéré. En transférant ces sommes, il ne respectait plus mon profil d’investisseur. Suite à ce transfert, j’ai reçu une lettre m’informant comment avait été réinvesti ces sommes, étant donné ma faible connaissance en placement je n’ai rien compris à la lettre mais j’ai fait confiance à M. Godbout croyant que cela respectait toujours mon profil d’investisseur modéré.

Le 20 janvier 2009, j’ai rencontré M. Pierre Godbout pour remplir un nouveau profil d’investisseur. Lors de cette rencontre, M. Godbout m’a annoncé que j’avais perdu plus de 25 000 $ suite à la baisse marquée des marchés boursiers. Il nous a dit de ne pas s’inquiéter car nous avions une garantie. Il s’appuyait constamment sur cette garantie pour nous rassurer ma femme et moi. Cela m’a grandement affecté étant donné que je suis à la retraite et toute la majorité de mes économies sont investies à l’Industrielle Alliance. J’ai une faible connaissance en placement mais je trouvais la somme perdue élevé. J’ai demandé à ma fille R. D., qui est comptable, de regarder mes relevés et de me donner son avis sur la situation. Elle s’est aperçu qu’en novembre 2006, suite au transfert de fonds que M. Godbout avait fait, il ne respectait plus mon profil d’investisseur et m’exposait ainsi à un trop grand risque financier.

Sur les profils d’investisseur de 2006 et 2009, tous les deux reflètent que j’ai un profil modéré, à la section Résultats de votre profil d’investisseur, il a inscrit les choix de placement et à la question « Le choix correspond-t-il à votre profil d’investisseur? » il indique « oui ». À la question « Si les investissements choisis ne reflètent pas le type d’investissement suggéré selon le profil établi, veuillez en indiquer la ou les raisons », il n’a rien indiqué.

Si M. Godbout aurait bien fait les choses à la question « Le choix correspond-t-il à votre profil d’investisseur? », il aurait dû inscrire « non » et en indiquer les raisons par écrit et m’expliquer clairement pourquoi mes placements ne correspondait pas à mon profil. »

[61]        Essentiellement J.P.D. y blâme l’intimé d’avoir, à la suite de leur rencontre du 16 novembre 2006, procédé à transférer les sommes qu’il détenait dans « les fonds de revenu » (obligations et CPG) au fonds Focus Modéré.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[62]        Au chef numéro 1, il est reproché à l’intimé d’avoir, le ou vers le 16 novembre 2006, fait transférer les fonds de revenus, d’obligations et d’obligations-série 2 que son client J.P.D. détenait dans un compte FRV vers les fonds Focus Modéré, ce qui ne correspondait pas, selon l’accusation, à sa situation financière et personnelle ainsi qu’à ses objectifs de placement.

[63]        Au chef numéro 2, il est reproché à l’intimé, à la même date, en établissant le profil d’investisseur de J.P.D., d’avoir fait défaut de bien connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de ce dernier.

[64]        Pour des fins de convenance de rédaction, nous débuterons par l’analyse du chef numéro 2.

Chef numéro 2

[65]        À l’égard de ce chef il faut d’abord mentionner que la preuve a révélé qu’entre 2002 et le moment des présumées infractions en 2006, l’intimé a rencontré J.P.D. à plusieurs reprises et ils ont eu de nombreux échanges.

[66]        De l’avis du comité, des démarches sérieuses afin de lui permettre de bien apprécier la condition et la situation de son client ont généralement été entreprises par l’intimé.

[67]        Néanmoins il lui est reproché le « défaut » de bien connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de ce dernier.

[68]        Plus particulièrement, ou plus précisément, la plaignante le blâme d’avoir mal saisi ou mal jugé la réalité de J.P.D. le 16 novembre 2006 et notamment de s’être fié de façon inappropriée ou inconsidérée au résultat du formulaire questionnaire (le « profil ») qu’il a alors complété avec lui.

[69]        Le procureur de la plaignante a en effet indiqué au cours de sa plaidoirie que le « cœur du reproche » adressé à l’intimé à ce chef, à son avis, c’était d’avoir utilisé le « profil » sans aller au-delà de celui-ci, sans avoir suffisamment analysé les réponses du client, bref sans avoir suffisamment utilisé son jugement professionnel.

[70]        Sa position prend notamment appui sur le témoignage ainsi que sur le rapport d’expertise de Mme Danielle Pelletier (Mme Pelletier), planificatrice financière, qu’il a citée à titre d’experte en placement de produits financiers régis par la LDPSF.

[71]        Cette dernière reproche à l’intimé de s’être strictement ou trop amplement fié sur les résultats mathématiques du formulaire questionnaire de l’Industrielle Alliance pour « décider » du profil d’investisseur de J.P.D.

[72]        Elle ne conteste pas que le « pointage » obtenu par J.P.D. à la suite de l’exercice, si l’on se fie aux barèmes fournis avec le formulaire, démontrait chez ce dernier un profil d’investisseur « modéré ». Elle affirme toutefois, qu’à son avis, le questionnaire produit par l’institution de services financiers et utilisé par l’intimé « comporte une lacune quant au calcul du pointage permettant de cibler le profil d’investisseur ».

[73]        Elle mentionne qu’à la question 5 : « Quelle est votre valeur nette? » le nombre de points accordés à une valeur nette de 200 001 $ et plus est de vingt (20) points et ajoute : « Si le client obtient le pointage le plus bas sur toutes les autres questions signifiant notamment une tolérance au risque très faible, un horizon court terme, un niveau de connaissance en placement très faible, un besoin de conservation du capital, le pointage minimum qu’il peut obtenir correspond à un profil modéré. La pondération des points accordée à la question 5 fait en sorte que le client ne peut pas obtenir un profil prudent ».

[74]        Après avoir indiqué que tel que le stipule l’Industrielle Alliance dans une correspondance du 30 septembre 2009 à l’intention de J.P.D. : « Le profil d’investisseur est un des éléments parmi d’autres et non une instruction d’investissement », elle rappelle que « le jugement du représentant est important » et que le questionnaire à lui seul, n’est qu’un outil ».

[75]        Elle affirme être d’opinion que selon les réponses fournies à l’aide du questionnaire du 16 novembre 2006, le profil de J.P.D. aurait dû être déterminé comme étant un profil « prudent ».

[76]        Elle termine en déclarant : « La répartition globale (du portefeuille de J.P.D.) est donc trop risquée selon les objectifs du client ».

[77]        Aussi, le procureur de la plaignante a-t-il argumenté que, tel que l’a déclaré Mme Pelletier, nonobstant le résultat mathématique obtenu démontrant un profil « modéré », l’intimé aurait dû conclure, notamment des réponses et de sa connaissance de J.P.D. que ce dernier présentait un profil « prudent », ajoutant que comme le formulaire questionnaire de l’institution de services financiers comportait un « défaut », il était d’autant plus important que le représentant exerce son jugement à l’égard des réponses du client.

[78]        Il a soutenu qu’en faisant défaut d’analyser convenablement toutes les réponses qui lui étaient données et en s’en tenant, à son avis, à un seul « cumul des points », l’intimé a, lors de l’établissement du profil d’investisseur, fait défaut de bien connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de J.P.D. et a ainsi commis l’infraction qui lui est reprochée.

[79]        Or il faut d’abord souligner que tel que nous le mentionnions en début d’analyse, la preuve administrée a démontré que l’intimé a entrepris de nombreuses démarches afin de bien connaître son client et, de l’avis du comité, il a généralement obtenu de ce dernier l’ensemble des informations nécessaires à son travail. La preuve n’établit aucunement qu’il aurait pu avoir été négligent dans sa cueillette d’information.

[80]        Aussi avec les renseignements dont il disposait, il était généralement bien en mesure d’évaluer les connaissances et l’expérience en placement de J.P.D., ses objectifs, son horizon temporelle, sa tolérance au risque, ainsi que dans l’ensemble, sa situation financière.

[81]        Aurait-il néanmoins fait défaut, le ou vers le 16 novembre 2006, de « bien connaître la situation » ainsi que « les objectifs de placement » de son client? Avant de lui suggérer le transfert de fonds qui lui est reproché au chef 1, se serait-il fié de façon inappropriée ou inconsidérée au résultat du formulaire questionnaire relatif au profil d’investisseur fourni par l’Industrielle Alliance?

[82]        Dans le but de répondre à cette dernière question, il faut d’abord signaler que la preuve administrée ne permet aucunement de douter que l’information ou les réponses qui ont été consignées audit formulaire questionnaire puissent avoir été autre chose que ce qui a été directement transmis à l’intimé par J.P.D. (et son épouse).

[83]        Il faut de plus mentionner que ce dernier a signé le document de « profil », confirmant de ce fait les réponses y consignées, ainsi que le résultat de l’exercice lui attribuant un profil d’investisseur « modéré » sur l’échelle de prudent, modéré, équilibré, croissance, et audacieux.

[84]        Il faut également souligner qu’en faisant appel et en utilisant ledit formulaire questionnaire, l’intimé s’est en tout point conformé aux pratiques, usages et standards de l’industrie. De l’aveu même de l’experte de la plaignante, lorsqu’il s’agit d’établir le profil d’investisseur d’un client, compléter un formulaire questionnaire tel celui qui est en cause constitue une étape importante de la démarche du représentant[4].

[85]        Enfin et par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’établissement du « profil d’investisseur » d’un client, bien que répondant à certaines règles précises exigeant que le représentant connaisse bien ce dernier, n’est néanmoins pas une science exacte.

[86]        Aussi même si en l’espèce il ne peut être totalement exclu qu’un autre représentant, placé dans la même situation que l’intimé, aurait pu comme Mme Pelletier, percevoir ou « saisir » une possible ou présumée, à son avis, lacune dans le formulaire questionnaire de l’Industrielle Alliance et retenir un profil « prudent » plutôt que « modéré » pour J.P.D., cela n’est pas suffisant, en soi, pour permettre au comité de conclure qu’il (l’intimé) aurait fait défaut de se conformer aux règles et/ou aux standards reconnus de la profession et commis une infraction déontologique.

[87]        Certes les agissements et recommandations de ce dernier ont été en conformité avec le résultat qu’il a obtenu au moyen du formulaire questionnaire de l’Industrielle Alliance, mais la preuve ne permet pas de conclure qu’il aurait pour autant fait fi de l’ensemble des autres informations cueillies ou obtenues de son client, de la connaissance qu’il avait de celui-ci ainsi que des forces et des faiblesses qu’il lui prêtait, et ce, à la suite des nombreuses rencontres, communications ou échanges qu’il a eus avec ce dernier au sujet de ses placements. Bref elle ne permet pas de conclure à une mauvaise utilisation (non plus qu’à une utilisation erronée) du formulaire questionnaire en cause.

[88]        De l’opinion du comité, la plaignante n’est pas parvenue à présenter une preuve prépondérante permettant de conclure que l’intimé aurait fait défaut de respecter son obligation générale de compétence, de diligence et de prudence dans l’établissement du profil d’investisseur de son client J.P.D.

[89]        Compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, le comité est en effet généralement d’accord avec les constatations et conclusions de l’experte retenue par l’intimé, Mme Suzy Brière (Mme Brière), ainsi qu’avec les motifs exprimés par cette dernière.

[90]        Celle-ci note d’abord à son rapport qu’il y eut de nombreuses rencontres entre l’intimé et J.P.D. et conclut relativement à l’obligation d’analyse du profil du client :

« Monsieur Pierre Godbout, conseiller en sécurité financière a agi de manière exemplaire dans ce dossier. Il s’est bien acquitté de son obligation d’analyse du profil de son client Monsieur J.P.D. et ce, depuis au moins 1996. »

[91]        Relativement au formulaire questionnaire permettant d’évaluer le profil d’investisseur dont le résultat en 2006 indiquait chez J.P.D. un profil « modéré », l’experte indique :

« Le profil d’investisseur est un outil mis à la disponibilité des conseillers afin de les guider dans l’établissement des portefeuilles de leurs clients. Monsieur Godbout s’est servi de l’outil mis à sa disposition par l’Industrielle Alliance. Est-ce que cet outil est pertinent? Son contenu et sa forme ont-ils été modifiés au fil des années? Oui, l’outil est pertinent, il n’est pas différent des autres profils d’investisseurs disponibles sur le marché. À cet effet, notez que peu de compagnie d’assurance vie offre des profils différents selon le contexte de fonds distinct ou de fonds commun de placement. Non, l’outil est demeuré le même, utilisé par l’ensemble de la force de vente de l’Industrielle Alliance. Monsieur Godbout a toujours utilisé le même outil avec Monsieur D. et ce, à plusieurs reprises dans le temps, toujours afin de s’assurer que le portefeuille de Monsieur D. correspondait à ses objectifs.

Est-ce qu’il reflète bien la situation du client? Le client a répondu aux questions de Monsieur Godbout, nous ne pouvons nier ce fait puisque l’information est consignée dans les documents. Monsieur Godbout s’est-il bien acquitté de son devoir de diligence dans la proposition du choix des fonds? Selon le résultat du profil d’investisseur, oui.

Au moment des choix, le client a approuvé la sélection de Monsieur Godbout et a même signé son profil acquiesçant non seulement ces choix, mais sa signature signifie également qu’il était en d’accord avec les conclusions que son profil était modéré. De plus, en analysant bien la nature des questions qui sont posées dans ce document, nous pourrions tout aussi bien en arriver à un profil modéré avec un pointage plus élevé que celui obtenu dans les faits par le client. »

[92]        Pour les motifs qui précèdent, ce chef d’accusation sera rejeté.

Chef numéro 1

[93]        À ce chef d’accusation, tel que nous l’avons mentionné précédemment, il est reproché à l’intimé, le ou vers le 16 novembre 2006, d’avoir fait transférer les fonds de revenus, d’obligations et d’obligations-série 2, que son client J.P.D. détenait dans son compte FRV, vers les fonds Focus Modéré, ce qui, selon le libellé dudit chef, ne correspondait pas à sa situation financière et personnelle ainsi qu’à ses objectifs de placement.

[94]        La plaignante par l’entremise de son procureur, a soutenu que l’intimé devrait être reconnu coupable de ce chef parce que le transfert de fonds qu’il a alors recommandé à son client (vers les fonds « Focus Modéré ») ne pouvait correspondre à un profil d’investisseur « prudent » qui, à son point de vue, malgré le résultat de l’exercice rattaché au formulaire questionnaire de l’Industrielle Alliance, était le profil qu’il aurait dû identifier pour J.P.D.

[95]        Elle a de plus plaidé qu’en conservant le Fonds d’actions canadiennes-Dividendes dans le portefeuille de J.P.D., celui-ci ne correspondait plus alors ni à un profil « prudent » ni même à un profil « modéré », mais plutôt à un profil « équilibré ».

[96]        La position de la plaignante, comme dans le cas du chef précédemment analysé, prend notamment appui sur le témoignage et le rapport d’expertise de Mme Pelletier.

[97]        Cette dernière, après avoir déclaré, tel que nous l’avons vu à l’occasion de notre étude du chef 2, qu’après analyse des réponses fournies au questionnaire du 16 novembre 2006 « le profil de J.P.D. aurait dû être déterminé comme étant un profil prudent », blâme l’intimé d’avoir modifié le portefeuille de ce dernier et procédé à un transfert des actifs qu’il détenait dans les fonds de revenus, d’obligations, etc., vers les fonds Focus Modéré.

[98]        Puis, après avoir indiqué que le Fonds d’actions canadiennes–Dividendes, détenu par J.P.D., dans lequel 25 % du capital de ce dernier était investi, est un fonds composé non pas d’actions privilégiées mais d’actions ordinaires qui versent un dividende (un placement à son avis plus volatile qu’un fonds d’actions canadiennes composé d’actions privilégiées), elle mentionne qu’à la suite de la transaction suggérée par l’intimé, J.P.D. a vu son portefeuille modifié de façon telle qu’il s'est « retrouvé » avec 38 % de son portefeuille investi dans des titres à revenus, 53 % en actions canadiennes et 9 % en fonds d’actions américaines ou internationales. Elle conclut ensuite que selon l’échelle de l’Industrielle Alliance : « Ce type de répartition d’actif correspond plutôt à un profil équilibré ».

[99]        La plaignante, ainsi soutenue par l’opinion de son experte, reproche donc à l’intimé d’avoir manqué à son obligation d’agir dans le meilleur intérêt de son client non seulement en lui conseillant de transférer les fonds de revenus, d’obligations, etc. qu’il détenait vers les fonds « Focus Modéré », mais encore en lui recommandant alors de conserver le Fonds d’actions canadiennes-Dividendes qu’il possédait. Elle affirme que ce dernier devrait en conséquence être reconnu coupable de l’infraction qui lui est reprochée.

[100]     Or pour lui permettre de conclure tel que le propose la plaignante, le comité doit en arriver à la conclusion que la preuve soumise par cette dernière démontre de façon prépondérante que l’intimé aurait agi en méconnaissance ou à l’encontre du profil de son client.

[101]     De l’avis du comité, elle n’y est pas parvenue.

[102]     Ainsi et d’abord, et tel qu’il apparait de ses conclusions à l’égard du chef numéro 2, le comité considère que l’intimé s’est généralement conformé à l’obligation qu’il avait de bien connaître son client, et qu’à cet égard il a déployé des efforts suffisants et appropriés.

[103]     De plus, il est d’opinion que ce dernier n’a commis aucune faute dans l’évaluation du profil d’investisseur de J.P.D., et ce, même s’il ne peut être totalement exclu, tel que mentionné à l’occasion de l’analyse dudit chef numéro 2, qu’un autre représentant, dans la même situation, aurait possiblement pu conclure comme Mme Pelletier à l’égard du formulaire questionnaire utilisé.

[104]     Enfin, relativement à ses recommandations, le comité considère qu’il a élaboré une stratégie de placements qu’il avait raison de croire convenir au profil de son client, à ses attentes ainsi qu’à ses objectifs de placement, et qu’il a alors respecté les obligations de compétence, de prudence et de diligence qui lui incombait.

[105]     De l’avis du comité, l’intimé ne s’est pas écarté des standards de la profession, en a suivi les usages et les pratiques et, examinée à la lumière de la norme du représentant compétent placé dans les mêmes circonstances, sa conduite apparaît raisonnable et modérée.

[106]     La répartition des actifs de J.P.D. avait été réalisée quelques années auparavant et il était d’opinion que, compte tenu de changements alors présents ou à venir dans les marchés, celle-ci risquait de s’avérer inappropriée ou peu optimale. Il a conclu qu’il était, dans l’intérêt de son client, préférable de la modifier.

[107]     Il était alors tenu à une obligation de moyens et ne pouvait garantir le succès des changements suggérés.

[108]     La rentabilité des placements dépend en effet de nombreux facteurs hors du contrôle du représentant, notamment ceux rattachés aux aléas des marchés.

[109]     Dans l’évaluation de la stratégie proposée par l’intimé, il faut prendre garde et éviter de se fier « à la vision parfaite que permet le recul »[5].

[110]     En l’espèce, aucun élément de preuve n’établit ou ne permet de croire que ce dernier aurait fait défaut d’agir de manière transparente, indépendante, impartiale ou intègre, ou qu’il se serait abstenu de donner préséance aux intérêts de J.P.D. À cet égard, il mérite d’être mentionné qu’il n’aurait tiré aucune commission de la transaction recommandée à J.P.D.

[111]     Enfin il mérite aussi d’être souligné qu’en plus de « signer » le profil d’investisseur, J.P.D. semble bien avoir accepté ou ratifié les modifications à son portefeuille suggérées par l’intimé puisqu’il a signé une « demande de rachat, transferts interfonds, etc. » où il a de plus apposé sa signature sous la mention : « J’accuse réception de la Notice explicative, décrivant les principaux aspects des fonds de placement »[6] qui lui étaient proposés.

[112]     D’autre part, eu égard au reproche de Mme Pelletier relativement à la conservation du Fonds d’actions canadiennes-Dividendes, il mérite d’être signalé que lors du contre-interrogatoire celle-ci a admis que dans un fonds de dividendes actions l’on pouvait retrouver des actions ordinaires comme des actions privilégiées et il faut mentionner que selon l’Institut IFSE, ce type de fonds (tout comme les fonds du marché monétaire, les fonds de placements hypothécaires et les fonds d’obligations), entre dans la catégorie des fonds à revenu fixe[7].

[113]     Ajoutons que, tel que l’a indiqué l’experte Mme Brière, le fonds en question est un fonds d’actions « de grandes compagnies » jouissant d’une excellente réputation et d’une performance passée enviable.

[114]     Par ailleurs relativement aux fonds Focus Modéré, tel que l’a concédé Mme Pelletier, ce ne sont pas de simples « fonds mutuels » mais plutôt des « fonds distincts », soit des fonds comportant, contrairement aux « fonds mutuels », des garanties de valeur à l’échéance ou au décès (en l’espèce à 100 %).

[115]     Notons enfin que lors de son témoignage Mme Pelletier a admis ne pas avoir demandé à voir, avant la préparation de son expertise, les relevés de placements antérieurs de J.P.D., n’avoir jamais requis ou obtenu en détail l’expérience de placements de ce dernier et qu’elle ignorait son bilan personnel, et ce, alors qu’elle concède que la situation financière de J.P.D. était l’une des « constituantes » du « profil » de ce dernier[8].

[116]     Pour terminer, le comité croit important de signaler que dans le document de dénonciation du 12 janvier 2010 qu’il achemine à l’AMF, J.P.D. y fait des affirmations qui ne sont pas supportées par la preuve.

[117]     Il y déclare notamment que l’intimé, à la suite de la rencontre du 16 novembre 2006, aurait transféré des sommes d’argent sans son autorisation.

[118]     Or les sommes provenant des fonds de revenus ont toutes été investies dans le fonds Focus Modéré et l’ont été à la suite d’une rencontre que l’intimé a eue avec J.P.D. où celui-ci a signé un document de demande de rachat, de transfert interfonds et de versements périodiques, soit la pièce P-11.

[119]     Dans sa dénonciation J.P.D. déclare de plus que l’intimé aurait : « joué avec mes économies et ce, sans me demander mon avis ou mon autorisation et en plus, il a perdu au jeu! ».

[120]     Or la preuve a plutôt révélé que J.P.D. et son épouse ont été rencontrés, qu’on leur a expliqué les démarches qui devaient être entreprises, les placements qu’on leur suggérait, et que ces derniers y ont consenti en signant les documents appropriés.

[121]     Rien dans la preuve administrée ne permet de conclure que l’intimé aurait cherché à d’abord favoriser son intérêt personnel ou aurait agi avec une quelconque intention malveillante ou reprochable.

[122]     En conclusion, considérant la preuve qui lui a été présentée, le comité est d’avis que la plaignante n’est pas parvenue en l’espèce à démontrer de façon prépondérante, que les suggestions et/ou conseils de l’intimé à son client auraient été inappropriés ou non conformes au profil de ce dernier.

[123]     Compte tenu de l’ensemble de celle-ci, le comité souscrit entièrement aux propos de l’experte Mme Brière lorsqu’elle indique à son rapport d’expertise[9] :

« Choix des fonds

Le choix des fonds proposés par Monsieur Pierre Godbout en 2006 correspondait tout à fait à un profil de risque modéré. Les raisons motivant la sortie des fonds d’obligations évoquées par le conseiller étaient tout à fait logiques puisque l’ensemble des spécialistes s’entendaient alors sur l’éminence d’une hausse des taux d’intérêt. Le fonds de Focus modéré de l’Industrielle Alliance tel que pondéré soit 60% en obligations, 25% en actions canadiennes et 15% en actions étrangères, correspond à une tolérance au risque modéré, exactement ce que le profil de Monsieur D. suggérait soit 60% en obligations, 25% en actions canadiennes et 15% en actions étrangères. Maintenant, il nous reste le fonds de dividendes qui a été conservé tel quel dans le portefeuille qui affichait au 31 décembre 2006 (relevé 000092) une pondération de 40 431,41$/109266,24$ = 37,92%.

Si l’on s’attarde à la fiche technique dudit fonds, nous sommes à même de constater que la répartition géographique du fonds est principalement concentrée au Canada. C’est un fonds composé d’actions de grandes compagnies et des actions privilégiées qui offre un excellent potentiel de bénéfices donc un excellent potentiel de versements de dividendes récurrents, ce qui est apprécié des clients qui ont besoin d’un revenu mensuel, une tolérance au risque faible à modéré et un horizon de placement de moyen à long terme. Si on regarde son rendement au cours des dernières années, on se rend compte qu’il s’est maintenu, mis à part l’année 2008 qui fut catastrophique pour l’ensemble du marché, mais a rattrapé sa baisse en moins d’un an. Il obtient une cote 4 étoiles Morningstar, 5 sur 10 ans, dans un ratio risque/rendement de 3 ans : risque faible, rendement élevé. Ce ratio de risque/rendement est un élément à ne pas négliger car il démontre le comportement d’un fonds en période de baisse ou hausse des marchés. Il est de mon avis qu’un tel fonds a sa place dans un portefeuille tel que celui de M. D.

Analyse du portefeuille

Compte tenu du contexte mentionné auparavant quant à une hausse de taux d’intérêt et de son incidence sur la portion obligataire du portefeuille, la stratégie utilisée prend encore plus de sens. Voici les éléments qui doivent être considérés :

         La nouvelle répartition du 31 décembre 2006 se lit comme suit : 62,08% Fonds Focus Modéré et Fonds Dividendes 37,92%

         Le profil d’investisseur indique la mention modéré et le choix des fonds y est indiqué et signé par le client et le représentant.

         La pondération globale par catégorie d’actif était : 38% revenu, 53% actions canadiennes (dont 37,92% attribuable au fonds Dividendes) et 9% actions étrangères.

À première vue, la pondération globale ou répartition d’actif semble s’apparenter à un profil équilibré. Toutefois, suite à une analyse plus approfondie du portefeuille, nous constatons que cette pondération correspond néanmoins à un profil modéré, pour les raisons suivantes :

         Le fonds Dividendes bien qu’il soit catégorisé actions canadiennes s’apparente de près à la catégorie revenue fixe. Voir extrait de La Cible de L’IQPF : « …les actions privilégiées pourraient être considérées comme des hybrides : ce sont biens des actions, certaines de leurs caractéristiques s’apparent plutôt aux obligations. »

         Quant au fonds Focus Modéré, il s’agit d’un fonds type solution gérée et profil, de par son rééquilibrage mensuel, ce qui réduit considérablement la volatilité.

         Ces 2 fonds sont des fonds distincts et sont grevés à échéance et au décès d’une garantie à 100% du capital investi.

De ces faits importants, et qui plus est appuyés, il est de mon avis d’experte que le portefeuille de Monsieur D. tel que présenté devant moi correspond hors de tout doute à un portefeuille modéré. »

[124]     Aussi le comité est-il parfaitement en accord avec Mme Brière lorsqu’elle en arrive, pour les motifs qu’elle exprime, à la conclusion que :

Conclusion

(…)

« Monsieur Godbout a respecté les normes de conformité du cabinet Industrielle-Alliance. Il a été consciencieux dans ses recommandations et ce face au contraintes fiscales de son client ainsi que celles reliée à sa situation financière et personnelle. Je ne vois aucun élément qui porterait à croire que le conseiller aurait été négligent, malhonnête ou aurait tenté de porter préjudice à son client. Les transactions ont été faites dans un contexte économique (outre l’analyse de la situation financière du client) qui les justifiait. De plus, le conseiller n’en a tiré AUCUN bénéfice (selon les documents d’enquête).

Il ne faut pas oublier que la baisse des marchés de fin 2008 et de début 2009 a été la plus forte enregistrée depuis 1929 et que même la plupart des fonds « dits prudent » ont enregistrés des baisses qui auront été de courte durée. Quant aux actions, elles ont repris la totalité de leur rendement en fin 2009.

(…)

Les profils d’investisseurs correspondaient tout à fait à la situation financière et personnelle de Monsieur D. et il va sans dire que le choix des fonds distincts dans son portefeuille respectait sa tolérance aux risques.

Quant au premier chef d’accusation, je suis plus qu’en désaccord, car une analyse plus approfondie du portefeuille nous permet de conclure que la transaction reprochée au représentant « …l’intimé a fait transférer les fonds revenu, d’obligations et obligations série 2,…, contrevenant aux articles 16 de la LDPSF… 12 et 35 du Code de déontologie… » était dans les faits appropriée à la situation. »

[125]     Pour les raisons qui précèdent, ce chef d’accusation sera rejeté.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE chacun des chefs d’accusation 1 et 2 contenus à la plainte;

LE TOUT avec déboursés contre la plaignante.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Dyan Chevrier____________________

Mme DYAN CHEVRIER, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Shirtaz Dhanji____________________

M. SHIRTAZ DHANJI, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

 

Me Martin Courville

DE CHANTAL, D’AMOUR, FORTIER

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

8 et 9 octobre 2014 et 13 et 14 avril 2015

 

 

 

 

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Champagne c. Cossette, CD00-0930, 23 septembre 2014, décision sur requête pour admission en preuve d’un affidavit ainsi qu’à l’égard d’objections à la preuve formulée par l’intimé.

[2]     Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2005, par. 726 à la page 580.

[3]     Voir pièce D-2.

[4]     Voir notes sténographiques de l’audition du 8 octobre 2014, p. 116.

[5]     Ringuette c. Financière Banque Nationale, 2010 J.Q. no 11780, 2010 QCCS 5511.

[6]     Voir pièce P-11.

[7]     Voir pièce D-5, p. 113 et 114.

[8]     Voir notes sténographiques de l’audition du 8 octobre 2014, p. 158.

[9]     Pages 8 et 9 de son rapport d’expertise produit sous la cote D-8.

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