Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Lachance

2016 QCCDCSF 16

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0967

 

DATE :

11 mai 2016

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Serge Bélanger, A.V.C.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CHRISTIAN LACHANCE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 117951)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

  • Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication des noms des consommateurs ainsi que de tout renseignement ou documents de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

 

[1]           Les 27 et 28 janvier 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au Tribunal administratif du travail, sis au 900, Place d’Youville, à Québec, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 11 décembre 2012.

[2]           La plaignante était représentée par Me Gilles Ouimet, alors que l’intimé était présent et représenté par Me Maurice Dussault.

[3]           D’emblée, le procureur de la plaignante a expliqué que dans les minutes précédant le début de l’audience un document lui a été remis par L.G., la consommatrice impliquée dans la plainte. Toutefois, bien que pertinente pour la plaignante, cette preuve documentaire n’avait pas été transmise au bureau de la syndique au cours du processus d’enquête de sorte qu’elle était absente de la divulgation faite à l’intimé.

[4]           Dans les circonstances, les procureurs ont demandé une suspension pour pouvoir étudier les possibilités de concilier leurs positions respectives. Après une période intensive de négociations, ils ont informé le comité qu’ils avaient convenu d’une liste d’admissions signée tant par l’intimé que par les deux procureurs, et produite sous P-34.

[5]           Alléguant ne pas être en mesure de se décharger de son fardeau de preuve à l’égard des troisième et quatrième chefs d’accusation contenus à la plainte, le procureur de la plaignante a demandé la permission de les retirer. La demande de retrait a été autorisée de sorte que la plainte dont le comité a été saisi est la suivante :

LA PLAINTE AMENDÉE

1.      À l’Islet, le ou vers le 11 janvier 2006, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de L.G. afin d’établir son profil et d’ainsi bien connaître sa situation financière et personnelle de même que ses objectifs et horizon de placement, alors qu’il lui faisait souscrire le contrat de fonds distincts FPG Perspective Portefeuille Équilibré Simplicité numéro [...] auprès d’Investissements Manuvie et un «prêt Placement» de 10 000 $ auprès de Banque Manuvie, contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2);

2.      À l’Islet, le ou vers le 11 janvier 2006, l’intimé a recommandé à L.G. la souscription à un «prêt Placement» de 10 000 $ auprès de Banque Manuvie, ce qui ne correspondait pas au profil de cette dernière et ainsi ne lui convenait pas, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.L.R.Q., c. D-9.2, r. 3);

3.      Retiré;

4.      Retiré.

[6]           Le procureur de la plaignante a poursuivi et déposé, de consentement, la preuve documentaire[1] au soutien de la culpabilité de l’intimé.

[7]           Après avoir pris connaissance des admissions par lesquelles l’intimé reconnaît les actes reprochés et que ceux-ci contreviennent à ses obligations déontologiques, le comité l’a déclaré coupable sous les deux premiers chefs contenus à la plainte amendée.

[8]      Les procureurs ont ensuite informé le comité qu’ils étaient prêts à procéder sur sanction.

ET PROCÉDANT SUR SANCTION

[9]      Le procureur de la plaignante a déposé une version des faits signée par L.G.[2] dont les principaux sont rapportés ci-après :

a)     L.G. travaillait comme préposée aux bénéficiaires dans une résidence privée pour aînés;

b)     Son salaire annuel était d’environ 18 000 $. Toutefois, elle a reçu jusqu’en mai 2006, suite à un accident de travail, des prestations de la CSST équivalant à 80 % de son salaire;

c)      Les parents de L.G. lui avaient donné leur maison avant leur décès et elle y demeurait seule. Suite à des difficultés financières, elle versait mensuellement 250 $ à son beau-frère à titre de loyer, ce dernier lui ayant racheté la maison; 

d)     La mère de L.G. est décédée à l’automne 2005;

e)     Le 11 janvier 2006, l’intimé s’est présenté, sans rendez-vous, chez L.G. en compagnie du représentant précédent de cette dernière;

f)       À ce moment, elle assumait un emprunt de 13 000 $, contracté en 2003 pour l’achat d’une voiture, qui prendrait fin en 2008;

g)     Elle ne possédait ni REER ni autre investissement;

h)     Le prêt investissement est l’unique proposition que l’intimé lui a faite;

i)       Dès le début, elle a éprouvé des difficultés à payer les intérêts mensuels de 50 $, car elle «arrivait serrée»;

j)       En 2008, elle a dû faire un retrait sur le placement afin de payer la réparation de sa voiture;

k)      En 2011, elle a procédé au rachat dudit placement, a remboursé le prêt et a récupéré environ 72 $.

[10]        Il a aussi fait part d’admissions supplémentaires convenues entre les parties :

a)     L.G. et B.B., le consommateur impliqué aux troisième et quatrième chefs de la plainte initiale, se sont mariés en octobre 2007;

b)     Le couple a acheté du beau-frère de L.G. la maison qu’elle lui avait préalablement cédée en lui versant comptant 11 000 $;

c)      Régent Boulet était le représentant de L.G. et de sa famille avant que l’intimé lui achète sa clientèle.

d)     Le 11 janvier 2006, l’intimé s’est présenté avec M. Boulet chez L.G. et a partagé la commission avec celui-ci.

[11]        Le procureur de la plaignante a signalé en outre : 

a)     Que l’intimé avait un antécédent disciplinaire découlant de la décision rendue par le comité dans le dossier CD00-0620[3], dont un chef d’accusation concernait l’analyse des besoins financiers, précisant que cette décision était toutefois postérieure aux infractions reprochées dans le présent dossier;

b)     Deux engagements volontaires signés par l’intimé auprès de la Chambre de la sécurité financière (CSF), en 2007 et 2008 respectivement. Ces engagements concernaient notamment l’absence de connaissance complète des faits et l’obligation d’agir en conseiller consciencieux. Il s’est par ailleurs conformé depuis à l’engagement de suivre un cours en déontologie ainsi qu’un cours de base en assurance;

c)      Que le profil d’investisseur a été signé le 26 janvier 2006, soit plus de dix jours après la transaction du 11 janvier 2006;

d)     Que la demande de retrait faite en décembre 2007 a été signée en blanc.

[12]        Enfin, il a indiqué que les parties s’étaient entendues sur les recommandations communes suivantes:

a)     Sous le chef 1 (ne pas avoir recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers) :

         Le paiement d’une amende de 6 000 $;

b)     Sous le chef 2 (avoir recommandé à la consommatrice un produit qui ne correspondait pas au profil de cette dernière et ainsi ne lui convenait pas) :

         La radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

c)      La publication de la décision;

d)     La condamnation de l’intimé au paiement de 50% des déboursés.

[13]        Au soutien de celles-ci, le procureur de la plaignante a discuté de quatre décisions[4], dont une rappelant le principe importé du droit criminel en droit disciplinaire voulant que les recommandations communes des parties ne soient pas écartées par le comité, à moins que celui-ci ne les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’ordre public ou soit d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[14]       Pour sa part, le procureur de l’intimé a invoqué les facteurs aggravants et atténuants suivants :

Aggravants

a)     Atteinte à la profession, quoiqu’à son avis, moindre que l’atteinte causée par d’autres types d’infractions, comme une imitation de signature;

b)     L’expérience de 8 ans déjà acquise par l’intimé au moment des événements;

Atténuants

a)     Un acte isolé et une seule consommatrice;

b)     La bonne collaboration de l’intimé à l’enquête;

c)      L’absence de malhonnêteté;

d)     L’existence d’un antécédent, mais pour des faits postérieurs aux gestes reprochés;

e)     L’absence d'un avantage important tiré de la transaction par l’intimé;

f)       La consommatrice n’a pas subi de préjudice financier considérable;

g)     Les 10 ans écoulés depuis la commission des infractions reprochées.

[15]   Le procureur de l’intimé a assuré le comité que son client regrettait ses gestes et avait saisi la leçon à tirer de cette expérience.

ANALYSE ET MOTIFS

[16]           Le comité réitère la déclaration de culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé le déclarant coupable sous chacun des deux premiers chefs d’accusation contenus à la plainte amendée portée contre lui.

[17]           Au moment des événements, l’intimé qui exerçait depuis 1999 en assurance de personnes possédait près de sept ans d’expérience (P-1). Son épouse est son adjointe et il pratique seul.

[18]           Comme maintes fois énoncé par le comité, l’analyse des besoins financiers du client constitue la pierre d’assise du travail du représentant. Celle-ci doit être faite de façon complète et exhaustive et doit précéder toute recommandation au client. En l’espèce, l’intimé a plutôt procédé à la vente d’un produit, qu’il avait déjà lui-même choisi avant de procéder à cette analyse et de le recommander à la cliente. Non seulement l’analyse est incomplète, mais elle ne justifiait pas la recommandation faite à L.G. par l’intimé.

[19]           Le prêt investissement a aussi fait l’objet de nombreuses décisions rendues par le comité. Il en ressort que le prêt investissement est un produit s’adressant à une clientèle particulière, souvent fortunée. Il ne convenait clairement pas à L.G.

[20]           Après avoir versé pendant cinq ans environ 3 000 $ d’intérêts à raison de versement mensuel de 50 $, L.G. n’a grosso modo récupéré qu’environ 850 $[5]. Sa perte financière s’élève donc à plus de 2 000 $. Le comité ne peut partager l’opinion du procureur de l’intimé voulant que le préjudice subi par L.G. ne soit pas significatif alors que celui-ci correspond à plus de 10 % de ses revenus annuels.

[21]           Même si l’honnêteté de l’intimé n’est pas en cause, l’étude attentive de la preuve documentaire révèle que l’intimé en l’espèce, à tout le moins au moment des faits reprochés, exerçait de façon fort négligente. Dans la décision rendue à son égard dans le dossier CD00-0620[6], le comité en fait état aussi. Les engagements volontaires de 2007 et 2008 postérieurs à cette décision le supportent également. Au surplus, les échanges au cours de l’audience ont permis de constater que, même en 2011, l’intimé ne comprenait pas les implications fiscales du produit proposé à L.G., ce qui ne fait qu’ajouter aux préoccupations du comité.

[22]           Toutefois, depuis 2008, aucun événement n’a conduit à une mise en garde ou une plainte contre l’intimé. Près de dix ans se sont écoulés depuis les infractions commises. La présente plainte n’implique qu’une seule consommatrice et ne concerne qu’une seule transaction. De plus, il y a absence d’intention malicieuse ou malhonnête de la part de l’intimé et il n’a pas tiré un avantage important de cette transaction.

[23]       Cette plainte a été portée le 6 décembre 2012 et son instruction a fait l’objet de maintes remises à la demande des procureurs précédents de l’intimé. Le comité a été à même de constater les négociations intensives entreprises par les procureurs pour en arriver aux représentations communes alors que jusqu’au matin de l’audience, deux jours étaient fixés pour entendre seulement la preuve sur culpabilité.  

[24]        Dans les circonstances, considérant l’ensemble des faits rapportés, les facteurs aggravants et atténuants pertinents, le comité est d’avis que les recommandations communes des parties sont compatibles aux sanctions prononcées pour des infractions de même nature, qu'elles sont appropriées et raisonnables et y donnera donc suite.

[25]        Ainsi, sous le premier chef, l’intimé sera condamné au paiement d’une amende de 6 000 $ payable par versements égaux et consécutifs, sous peine de perte du bénéfice du terme en cas de défaut.

[26]        Le comité accueillera la demande de l’intimé et lui accordera un délai de douze mois pour acquitter ladite amende.

[27]        Sous le deuxième chef, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois.

[28]        Enfin, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement de 50% des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ordonner la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms des consommateurs ainsi que de tout renseignement ou documents de nature personnelle et économique permettant de les identifier;

RÉITÈRE accueillir le retrait des troisième et quatrième chefs d’accusation contenus à la plainte;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée séance tenante sous chacun des chefs 1 et 2 contenus à la plainte pour avoir contrevenu respectivement aux articles 27 et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers
(RLRQ, c. D-9.
2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions alléguées au soutien de la plainte;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 6 000 $ sous le premier chef d’accusation contenu à la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé sous le deuxième chef d’accusation pour une période d’un mois;

ACCORDE à l’intimé un délai de 12 mois pour le paiement de ladite amende, lequel devra s’effectuer au moyen de versements mensuels, consécutifs et égaux, sous peine de déchéance du terme et sous peine de non-renouvellement de son certificat émis par l’Autorité des marchés financiers dans toutes les disciplines où il lui est permis d’agir;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement de 50% des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Pierre Masson____________________

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Serge Bélanger___________________

M. Serge Bélanger, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

 

Me Gilles Ouimet

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Maurice Dussault

DUSSAULT GERVAIS THIVIERGE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

Les 27 et 28 janvier 2016

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-1 à P-33.

[2] SP-1.

[3] Rioux c. Lachance, CD00-0620, décision sur culpabilité du 22 septembre 2006 et décision sur sanction du 5 mars 2007.

[4] CSF c. Chaperon, CD00-0809, décision sur culpabilité et sanction du 9 septembre 2011; CSF c. Aubrais, CD00-0900, décision sur culpabilité et sanction du 25 octobre 2012; CSF c. Mejlaoui, CD00-0898, décision sur culpabilité et sanction du 20 septembre 2012; CSF c. Morin, CD00-0825, décision sur culpabilité et sanction du 20 septembre 2012.

[5] Le retrait opéré en 2008 de 767.61 $ pour une réparation d'auto et 72$ en 2011.

[6] Voir note 3, notamment les paragraphes 15, 18, 25 et 26, 28 et 39.

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