Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Chaunt

2016 QCCDCSF 28

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1097

 

DATE :

7 juillet 2016

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Richard Charette

Membre

M. Antonio Tiberio

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

MARCO CHAUNT, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 187209, BDNI 2565291)

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des nom et prénom des consommateurs dont les initiales sont indiquées à la plainte, ainsi que de tout renseignement pouvant permettre de les identifier.

 

[1]           Le 29 mars 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal et a procédé à l’audition d’une plainte disciplinaire portée contre l’intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À Granby, le ou vers le 5 février 2013, l’intimé a fait signer partiellement en blanc F.B. et M.-C.C. un formulaire intitulé «Entrée de données de l’ABF», contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3). »

 

[2]           D’entrée de jeu, l’intimé, accompagné de son procureur, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

[3]           Après l’enregistrement de son plaidoyer, les parties présentèrent au comité leurs preuves et représentations sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[4]           Alors que la plaignante versa au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-3, elle ne fit entendre aucun témoin.

[5]           Quant à l’intimé, ce dernier déclara n’avoir aucune preuve à offrir.

[6]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.


REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE 

[7]           La plaignante, par l’entremise de son procureur, débuta ses représentations en exposant au comité les faits à l’origine de la plainte.

[8]           Selon son exposé, ils peuvent essentiellement se résumer comme suit :

[9]           Lors d’une rencontre le ou vers le 5 février 2013, avec le couple F.B. et M.-C.C., l’intimé a fait signer à ces derniers, partiellement en blanc, un formulaire intitulé « Entrée de données de l’ABF».

[10]        Ledit formulaire, comme son nom l’indique, avait trait à l’analyse des besoins financiers (ABF) du couple.

[11]        Selon ce qu’a mentionné la plaignante, l’intimé aurait néanmoins alors recueilli les renseignements nécessaires pour compléter le document et quelque temps après, il aurait parachevé celui-ci.

[12]        Le ou vers le 16 février 2013, il aurait à nouveau rencontré les clients, leur aurait exhibé le document complété et ces derniers l’auraient approuvé.

[13]        Après avoir ainsi brièvement résumé les faits, la plaignante indiqua qu’à titre de sanction elle suggérait la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire d’un mois.

[14]        Elle indiqua réclamer de plus la publication aux frais de l’intimé de la décision, et la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés.

[15]        Elle évoqua ensuite les facteurs, à son opinion, atténuants et aggravants suivants :

 

FACTEURS AGGRAVANTS :

  La gravité objective de l’infraction;

  Une conduite clairement prohibée dans l’industrie;

  Une pratique « malsaine », en ce qu’elle met à risque le client qui se trouve à approuver à l’avance des renseignements qui ne sont pas indiqués au document qu’il signe;

  Elle souligna à cet égard qu’à la page 4 dudit document, avant la ligne de signature, il y était indiqué clairement, « Pour nous aider à offrir un service de qualité à nos clients, nous leurs demandons de vérifier les renseignements fournis sur le questionnaire et de les approuver ».

FACTEURS ATTÉNUANTS :

  L’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé;

  Sa collaboration à l’enquête de la syndique;

  Sa reconnaissance des faits;

  Son plaidoyer de culpabilité à l’endroit de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

  Des risques de récidive qu’elle considérait comme « faibles ».

[16]        Elle rappela que de demander à ses clients de signer en blanc ou partiellement en blanc des documents était une pratique reprochable, et ce, même en l’absence, comme en l’espèce, d’intention malhonnête ou malveillante de la part du représentant.

[17]        Relativement à la sanction recommandée, elle indiqua que l’objectif de protection du public exigeait que celle-ci comporte des éléments de dissuasion et d’exemplarité.

[18]        Elle ajouta enfin que sa recommandation était une « suggestion commune » des parties et qu’elle lui apparaissait conforme aux paramètres jurisprudentiels applicables.

[19]        À cet effet, elle déposa cinq décisions antérieures du comité où pour des fautes sensiblement de même nature, les représentants fautifs ont été condamnés à une radiation temporaire d’un mois[1].

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ 

[20]        L’intimé, par l’entremise de son procureur, débuta ses représentations en décrivant au comité la façon dont il avait procédé avec ses clients, i.e. qu’il avait noté sur un document séparé les informations recueillies de ces derniers, qu’il leur avait ensuite fait signer partiellement en blanc le « formulaire », puis avait complété celui-ci à son bureau.

[21]        Il mentionna ensuite qu’une telle méthode de travail, bien que « pas recommandée et fautive », ne devait pas pour autant, à son avis, être qualifiée de « malsaine ».

[22]        Il souligna qu’en l’espèce le comité n’était pas confronté à une situation « d’insuffisance » de l’analyse des besoins; qu’il avait agi sans intention malveillante; et que les clients avaient approuvé le document qu’il avait préparé à la suite des informations obtenues d’eux.

[23]        Il résuma la situation en indiquant avoir procédé à une « mauvaise utilisation » des instruments proposés par l’assureur.

[24]        Il termina en confirmant que la sanction recommandée par la plaignante était, dans les faits, une « recommandation commune » et ajouta que la situation ne pourrait plus se représenter puisque l’assureur avait modifié la mécanique de la procédure d’ABF et qu’il n’était plus possible pour un représentant d’agir tel qu’il l’avait fait.

MOTIFS ET DISPOSITIF 

[25]        Selon l’attestation de droit de pratique provenant de l’Autorité des marchés financiers produite au dossier, l’intimé a débuté dans la distribution de produits financiers ou d’assurance en 2009.

[26]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[27]        Il a collaboré à l’enquête de la syndique, a admis sa faute et a plaidé coupable à la première occasion, à l’unique chef d’accusation contenu à la plainte portée contre lui.

[28]        La preuve ne révèle pas qu’il ait été animé d’une intention malhonnête ou malveillante.

[29]        Selon les représentations de la plaignante, le risque de récidive dans son cas apparait faible.

[30]        Néanmoins la faute qui lui est reprochée et pour laquelle il a plaidé coupable est d’une gravité objective indéniable. Elle va au cœur de l’exercice de la profession et est de nature à porter atteinte à l’image de celle-ci.

[31]        L’intimé s’est en effet reconnu coupable d’avoir fait signer partiellement en blanc à ses clients (un couple) un formulaire intitulé « Entrée de données de l’ABF ».

[32]        Or, faire signer en blanc ou partiellement en blanc, un tel formulaire, par les clients est une faute sérieuse. Les représentants ne sont pas en droit d’exiger de ces derniers qu’ils confirment à l’avance des informations dont ils ne prendront peut-être jamais connaissance.

[33]        Au plan de la sanction qui doit lui être imposée, les parties ont soumis au comité ce qu’il est convenu d’appeler des « recommandations communes ».

[34]        Or, dans l’arrêt Douglas[2], la Cour d’appel du Québec a clairement mentionné la marche à suivre lorsque les parties représentées par avocat parviennent, comme en l’espèce, à s’entendre pour présenter au tribunal de telles recommandations.

[35]        Elle y a clairement indiqué que celles-ci ne devraient être écartées que si le tribunal les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[36]        L’applicabilité de ce principe au droit disciplinaire a été confirmée par le tribunal des professions[3] à quelques reprises.

[37]        Aussi, en l’espèce, compte tenu notamment de l’importance du document en cause et que de plus l’infraction a été commise relativement récemment alors qu’à plusieurs reprises antérieurement le comité a indiqué que la signature de documents en blanc est une pratique reprochable, après analyse des faits et révision des décisions soumises par le procureur de la plaignante, le comité est d’avis qu’il ne serait pas justifié de s’écarter de la suggestion « conjointe » des parties.

[38]        Il ordonnera donc, en conséquence, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois.

[39]        D’autre part, en l’absence de motif qui pourrait le justifier d’agir autrement, il ordonnera, aux frais de l’intimé, la publication de la décision et condamnera ce dernier au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

            ACCUEILLE le plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

            DÉCLARE l’intimé coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

 

 

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision, dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel, ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

 

(s) Richard Charette__________________

M. RICHARD CHARETTE

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Antonio Tiberio____________________

M. ANTONIO TIBERIO

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU

 

Procureurs de la partie plaignante

 

 

 

Me René Vallerand

DONATI MAISONNEUVE S.E.N.C.R.L.

 

Procureurs de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

29 mars 2016

 

 

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]     Lelièvre c. Côté, CD00-0841, décision sur culpabilité et sur sanction en date du 7 avril 2011,

      Champagne c. Pitre, CD00-0904, décision sur culpabilité et sur sanction en date du 3 août 2012,

      Lelièvre c. Belle, CD00-1039, décision sur culpabilité et sur sanction en date du 23 avril 2014,

      Tougas c. Tremblay, CD00-1074, décision sur culpabilité et sur sanction en date du 7 mai 2015,

      Champagne c. Mainville, CD00-1000, décision sur sanction en date du 25 janvier 2016.

[2]     R. c. Douglas, 2002, 162 CCC, 3rd (37).

[3]     Voir notamment Malouin c. Laliberté, 2002, QCTP15 CanLII, et Roy c. Médecins, 1998, QCTP1735.

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