Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Ziani

2016 QCCDCSF 30

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1154

 

DATE :

19 juillet 2016

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

 

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique par intérim de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ABDELKARIM ZIANI, certificat numéro 203918 et BDNI 3095291

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

  • Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication des noms des consommateurs ainsi que de tout renseignement ou documents de nature personnelle et économique permettant de les identifier y compris la pièce I-1.

[1]          Le 2 mai 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière
(le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau,
26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 28 septembre 2015.

[2]          La plaignante était représentée par Me Alain Galarneau, alors que l’intimé était présent et représenté par Me Audrey-Bianca Chabauty.

LA PLAINTE

1.      À Laval, entre les ou vers les mois d’avril 2014 et mars 2015, l’intimé s’est approprié et/ou a détourné la somme d’environ 250 000 $ à partir des comptes de divers clients, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]          L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation porté contre lui. Le comité a donné acte à son enregistrement, après s’être assuré qu’il comprenait bien le sens et la portée de ce plaidoyer.

[4]           Ensuite, le procureur de la plaignante a résumé le contexte factuel des infractions, en se référant à la preuve documentaire produite (P-1 à P-3).

[5]           Après l’étude de cette preuve documentaire et un court délibéré, le comité a déclaré l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation, pour avoir contrevenu à l’article 160 de la Loi sur les valeurs mobilières.

PREUVE DES PARTIES SUR SANCTION

[6]           Alors que la partie plaignante a déclaré ne pas avoir de preuve additionnelle à offrir, l’intimé a témoigné.

[7]           L’intimé a travaillé pour la Banque de Montréal (BMO), à partir du mois d’avril 2011. Il a commencé à temps partiel alors qu’il était étudiant à l’université en administration des affaires. Diplômé en 2012, il a gravi les échelons au sein de BMO et est devenu directeur des services financiers d’une succursale. Il a gagné le prix des directeurs au Québec se classant parmi les « Top 10 » et avait, jusqu’au moment des événements, un dossier vierge. Il était alors âgé de 26 ans.

[8]           Il détenait, depuis avril 2014 jusqu’en avril 2015, un certificat comme représentant de courtier en épargne collective.

[9]           En raison d’une mauvaise habitude de jeu de hasard développée alors qu’il était encore étudiant, il a commencé à emprunter de l'argent à sa mère. Avec le temps, il n’arrivait plus à la rembourser. Il a ainsi commencé à prendre de l’argent dans le compte de clients, mais en remboursant parfois certains[1].

[10]        Le 19 mars 2015, s’étant absenté du travail en matinée pour aller jouer au Casino de Montréal, il a été arrêté au cours de l’après-midi, devant collègues et employés. Le lendemain, il s’est présenté devant la cour division criminelle et a été libéré en attendant son procès.

[11]        Le 23 mars 2015, il a contacté la Maison Jean Lapointe pour entreprendre une thérapie pour se défaire de sa pathologie du jeu. Il a suivi cette thérapie intensive divisée en trois phases, qui s’est terminée officiellement le 24 septembre 2015. Cependant, à sa demande, il a suivi des séances additionnelles avec son intervenante jusqu’à la fin mars 2016.

[12]        L’intimé estime pouvoir guérir de cette pathologie et désire réorienter sa carrière. Il suit actuellement des cours de maîtrise en gestion, ce qui lui permettrait d’enseigner au niveau collégial. Il s’est impliqué socialement en agissant comme tuteur de français et comme entraîneur de soccer. Il poursuit également les démarches pour l’obtention du diplôme provincial d’entraîneur. Pour l’immédiat, il n’a pas l’intention d’exercer en finances, préférant prendre le temps nécessaire pour se défaire complètement de cette emprise du jeu.

[13]        Sa mère a développé une maladie grave et a dû arrêter de travailler. Il habite toujours avec elle et assume 90 % des dépenses. Il travaille pour un bureau d’actuaire qui n’est cependant pas au courant de son dossier disciplinaire ni criminel. Son revenu annuel est inférieur à celui qu’il avait chez BMO d’environ vingt mille dollars.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

         La Plaignante

[14]        Le procureur de la plaignante a recommandé d’ordonner la radiation permanente de l’intimé, la publication de la décision et sa condamnation au paiement des déboursés.

[15]        Il a rappelé les principaux objectifs de la sanction dont, en premier lieu, la protection du public, suivie de la dissuasion du représentant concerné et l’exemplarité à l’égard des autres représentants qui pourraient être tentés de l’imiter.

[16]        Au titre des facteurs aggravants et atténuants, il a invoqué les suivants :

 

Aggravants

a)    Gravité objective de l’infraction, l'appropriation de fonds étant parmi les plus graves qu’un représentant peut commettre et qui porte atteinte à l’image de la profession;

b)    Bris du lien de confiance;

c)    Répétition des gestes s’échelonnant sur une année;

d)    Nombre de clients impliqués;

e)    Importance des sommes impliquées.

Atténuants

a)    Entière collaboration de l’intimé à l’enquête;

b)    Plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

c)    Suivi d’une thérapie pour sa pathologie de jeu compulsif.

[17]        Il a ensuite passé en revue une série de décisions[2] qu’il a commentées.

         L’intimé

[18]       Reconnaissant que la radiation permanente est la sanction généralement ordonnée dans le cas d’appropriation, la procureure de l’intimé a toutefois recommandé d’ordonner plutôt la radiation temporaire de l’intimé pour une longue période, laissée à la discrétion du comité. Alléguant le principe de la proportionnalité et que les sanctions doivent être justes et raisonnables, elle a néanmoins suggéré une période de sept ans.

[19]       Elle a soutenu que ce n’était pas parce que les faits sont graves, qu’il faille appliquer la peine capitale. Elle a rappelé que le comité devait tenir compte du contexte particulier des infractions. L’intimé est passé à l’acte parce que sa santé mentale était instable, souffrant d’un problème de jeu. Il n’agissait pas de façon libre et volontaire.

[20]       Même s’il est vrai que les gestes reprochés sont de nature à causer de l’inquiétude pour la protection du public, il faut tenir compte que l’intimé ne recherchait pas son gain personnel, mais était sous l’emprise de cette pathologie du jeu compulsif qui l’empêchait de se contrôler.

[21]       La procureure de l’intimé a invoqué les nombreux facteurs atténuants en l’espèce notamment :

a)     L’intimé a pris en charge sa maladie très tôt dans le processus et a agi rapidement;

b)     Il a pris ses responsabilités et s’est trouvé un nouvel emploi;

c)      Il a suivi avec succès une thérapie intensive[3];

d)     Il a reconnu les faits dès le début;

e)     L’entière collaboration de l’intimé dès le premier appel de l’enquêteur du bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière;

f)       L’intimé a fait preuve de courage devant la situation;

g)     L’implication sociale importante de l’intimé;

h)     Le faible risque de récidive.

[22]       Elle a également soumis une série de décisions[4] dans lesquelles une radiation temporaire de longue durée a été ordonnée pour des infractions de même nature.

ANALYSE ET MOTIFS

[23]       Le comité réitère la déclaration de culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé, après avoir donné acte à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef de la plainte portée contre lui.

[24]       La gravité objective de l’infraction est indéniable. Comme rappelé par le procureur de la plaignante, l’appropriation de fonds constitue une des infractions les plus graves qu’un représentant puisse commettre, l’intégrité est une des qualités essentielles que doit posséder tout représentant et dans toutes circonstances.
Le manque d’intégrité porte atteinte à la profession et mine la confiance du public envers cette profession. 

[25]       Au chapitre des sanctions, le procureur de la plaignante recommande une radiation permanente, alors que la procureure de l’intimé recommande une radiation temporaire de longue durée, alléguant essentiellement qu’il faut considérer que l’intimé ne recherchait pas son gain personnel, mais était sous l’emprise de cette pathologie du jeu compulsif qui l’empêchait de se contrôler.

[26]       Même si la norme habituellement suivie par le comité dans les cas d’appropriation d’une somme substantielle est d’ordonner, à l’instar des décisions soumises par la plaignante, une radiation permanente, le comité est d’avis que le cas de l’intimé justifie de s’en écarter.

[27]       À part la décision Langlois, dont les faits offrent une certaine similarité avec le présent dossier en raison des problèmes d’alcool vécus par l’intimé[5], le comité estime que les décisions citées par le procureur de la plaignante au soutien d’une radiation permanente offrent un appui mitigé, notamment en ce que les intimés étaient motivés par leur propre gain. Aussi, seule la décision de l’affaire Malenfant a été rendue à la suite d’un débat au cours duquel l’intimé visait à obtenir une radiation temporaire de vingt ans, afin de donner ouverture à une demande de non-publication de la décision. Dans les autres cas, la radiation permanente a été prononcée à la suite de recommandations de la plaignante auxquelles les intimés, qui se représentaient seuls, ont consenti[6], ou était absent[7].

[28]        Parmi les décisions fournies par la procureure de l’intimé, l’affaire Chiasson est celle qui se compare le mieux au présent cas. L’intimé s’est approprié l’argent de plusieurs de ses clients sur une période d’environ un an. Une fois la situation découverte par ses associés, il a décidé de cesser toute activité liée au jeu et de rembourser ces clients. Pour ce faire, il a vendu sa pratique professionnelle à ses associés. Par la suite, il a suivi une thérapie, a déménagé et travaillait, au moment de l’audience, pour une compagnie d’assurance. Il participait également au groupe d’entraide des « gamblers anonymes », comme l’intimé en l’espèce. Les autres facteurs atténuants s’apparentent à ceux du présent dossier. Après avoir entendu les représentations respectives des procureurs sur la pertinence d’ordonner la radiation permanente ou temporaire de l’intimé, le comité a tranché pour une radiation temporaire de sept ans.

[29]        En l’espèce, l’intimé n’a pas commis les gestes reprochés pour son gain personnel, mais a agi sous l’emprise d’une pathologie de jeu compulsif. Il a été honnête avec lui-même et n’a pas nié sa maladie. Il a entrepris volontairement une thérapie intensive immédiate. Le rapport préparé par la Maison Jean Lapointe démontre non seulement que l’intimé a suivi avec succès cette thérapie, mais qu’il a démontré une volonté certaine et sincère de s’en défaire[8]. En outre, le maintien de son implication dans l’éducation des jeunes paraît être le gage d’un faible risque de rechute.

[30]        L’arrestation de l’intimé à son lieu de travail devant tous ses collègues l’a déjà sérieusement puni. Il doit toujours faire face à des accusations criminelles et aux conséquences en découlant. Sa capacité à gagner sa vie s’en trouve d’autant affectée.

[31]       L’intimé est âgé d’à peine 28 ans. Selon toute vraisemblance, il était destiné à une brillante carrière dans le domaine des finances. Bien qu’il ne désire pas exercer la profession dans un proche avenir, il aimerait conserver la possibilité de le faire dans un futur lointain. 

[32]       Dans les circonstances du présent dossier, considérant l’ensemble des faits, la gravité objective importante de l’infraction commise ainsi que des nombreux facteurs atténuants, la recommandation de la procureure de l’intimé d’ordonner sa radiation temporaire pour une longue durée paraît appropriée.

[33]       Toutefois, le comité estime qu’une période de sept ans n’est pas suffisante et ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix ans, étant d’avis que celle-ci constitue une sanction juste et raisonnable, répondant aux objectifs de dissuasion et d’exemplarité.

[34]       De plus, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms des consommateurs ainsi que de tout renseignement ou documents de nature personnelle et économique permettant de les identifier et AJOUTE à cette ordonnance la pièce I-1;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation porté contre lui pour avoir contrevenu à l’article 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions alléguées au soutien du chef;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE, sous l’unique chef de la plainte, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière, et ce, pour une période de dix ans;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Gabriel Carrière__________________

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Dominique Asselin________________

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Audrey-Bianca Chabauty

AUDREY BIANCA CHABAUTY AVOCATE

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 2 mai 2016

 

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Selon P-3, 246 500 $ auraient été pris dans les comptes de clients.

[2] Champagne c. Langlois, CD00-1015, décision sur culpabilité et sanction du 31 juillet 2014; Champagne c. Baron, CD00-1067, décision sur culpabilité et sanction du 9 janvier 2015; Tougas c. Ratamanegre Ouedraogo, CD00-1083, décision sur culpabilité et sanction du 4 juin 2015; Champagne c. Malenfant, CD00-1121, décision en radiation provisoire et culpabilité et sanction du 10 juin 2015; Tougas c. Astouati, CD00-1089, décision sur culpabilité et sanction du 21 août 2015.

[3]   I-1, Rapport de la Maison Jean Lapointe daté du 17 novembre 2015.

[4] Tougas c. Boudreault, CD00-1094, décision sur culpabilité et sanction du 21 décembre 2015; Bureau
c. Chiasson, CD00-0452, décision sur culpabilité et sanction du 28 août 2003; Lelièvre c. L’Heureux,
CD00-0884, décision en radiation provisoire du 17 août 2011, sur culpabilité du 16 mai 2012 et sur sanction du 17 janvier
2013.

[5] La radiation permanente a été ordonnée à la suite des recommandations communes des procureurs.

[6] Champagne c. Baron et Tougas c. Astouati, préc. note 2.

[7] Tougas c. Ratamanegre Ouedraogo, préc. note 2.

[8] Comme signalé par la procureure de l’intimé, dans les décisions rapportant des problèmes de jeu ou de dépendance à l’alcool par les intimés, aucune preuve indépendante, comme le rapport produit en l’espèce, ne paraît avoir été présentée.

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