Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Deschamps

2016 QCCDCSF 36

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1102

 

DATE :

10 août 2016

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Alain Gélinas

Président

M. Armand Éthier, A.V.C.

Membre

M. Sylvain Jutras, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

_____________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualité de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière;

 

Partie plaignante

c.

 

FRANÇOIS DESCHAMPS, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 109605);

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom, prénom et autres informations nominatives du consommateur concerné ainsi que de tout renseignement permettant de l’identifier

[1]           La syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière a déposé la plainte suivante : 

LA PLAINTE

1.            À Montmagny, le ou vers le 20 juillet 2012, l’intimé n’a pas recueilli personnellement tous les renseignements et n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de T.D. alors qu’il lui faisait souscrire le contrat de rentes portant le numéro […], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, chapitre D-9.2, r.10).

[2]           L’intimé a fait parvenir par télécopieur un plaidoyer de culpabilité pour le chef d’infraction. Il ne conteste pas la sanction qui sera présentée par la plaignante, soit une amende de cinq mille dollars (5 000 $) ainsi que le paiement des déboursés.

[3]           De plus, il reconnait qu’on lui a donné l’occasion de consulter un avocat avant d’enregistrer son plaidoyer de culpabilité. Finalement, il mentionne qu’il sera absent à  l’audience et qu’il ne sera pas représenté par avocat. Il a cependant été représenté par avocat pour une grande partie du dossier.

[4]           Le Comité procéda tel que prévu à l’audition.

[5]           La plaignante déposa dans un premier temps le plaidoyer de culpabilité en date du 28 juin 2015. Ledit document fut coté sous la pièce P-8.

PREUVE DES PARTIES

[6]   Compte tenu du plaidoyer de culpabilité de l’intimé, le Comité déclara ce dernier coupable sous le chef d’infraction numéro 1. Par la suite, la plaignante a soumis au Comité sa preuve et a fait part de ses représentations sur sanction. La preuve documentaire a été déposée de consentement[1] sous les cotes P-1 à P-7. Sous la cote P-10, l’attestation du droit de pratique de l’intimé a également été déposée.

[7]           L’intimé est un représentant en assurance de personnes depuis le 25 février 1993. Il cumulait au moment des infractions, les disciplines de l’assurance de personnes, de l’assurance collective de personnes et la catégorie d’inscription du courtage en épargne collective.

[8]           Le représentant a acquis la clientèle d’un collègue en 2005. C’est à cette époque qu’il a connu la cliente à laquelle réfère l’unique chef d’infraction de la plainte.

[9]           La cliente, en juillet 2012, alors âgée de 85 ans, atteinte d’un cancer et à qui il restait peu de temps à vivre, voulait mettre ses finances en ordre.  La cliente détenait une assurance-vie avec un capital décès d’environ 125 000 $.  Elle voulait s’assurer que ses sœurs soient désignées comme co-bénéficiaires.

[10]        Un aidant naturel a communiqué avec le représentant le 12 juillet 2012, pour une rencontre d’urgence. Cette rencontre a eu lieu le 20 juillet 2012, en présence de la cliente et de l’aidant naturel, soit la date de l’infraction.

[11]        Lors de la rencontre du 20 juillet 2012, l’intimé a fait souscrire à la cliente une rente viagère sans avoir recueilli personnellement tous les renseignements et sans avoir procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de celle-ci.

[12]        Le procureur de la syndique s’étonne, avec raison, que l’on puisse faire souscrire, à l’hôpital, une dame de 85 ans à une rente viagère alors que son état de santé est si précaire.

[13]        Selon la version de l’intimé, il soutenait que c’était la cliente qui lui aurait dit qu’elle avait besoin de revenus additionnels en prévision d’un séjour dans une résidence.

[14]        L’intimé a encaissé une commission de 1 786,65 $ pour cette opération[2].

[15]        La cliente a reçu son relevé annuel en octobre 2012. C’est à cette occasion qu’elle s’est aperçue de l’opération. Elle s’est sentie flouée et a fait une demande d’annulation auprès de la Sun Life. Cette dernière a refusé d’annuler la rente[3].

[16]        Le 24 décembre 2012, la cliente est décédée et des plaintes ont été déposées auprès de l’Autorité des marchés financiers et de la Chambre de la sécurité financière par des représentants de la succession[4].

[17]        La cliente détenait depuis le 28 octobre 1978 une assurance-vie dont le capital approximatif total au décès était de 109 555 $[5].  L’assurance fondamentale représentait 50 000 $ et les participations capitalisées 59 555 $.

[18]        L’intimé a pris ces participations capitalisées pour faire une prime unique  afin de faire acquérir, par la cliente, une rente viagère avec des prestations garanties sur dix ans.

[19]        Il s’agit d’une rente à constitution immédiate en faveur de la cliente. La rente est à vie, mais a une période de garantie de 10 ans[6]. La prime unique est de 59 555 $ provenant de fonds non enregistrés de la Financière Sun Life. Le revenu mensuel de la rente est de 461,16 $.

[20]        L’effet de ce transfert a été de diminuer l’assurance prise en 1978 à 50 247 $.

[21]        La cliente devient ainsi crédit rentière à l’égard d’une rente mensuelle de 462,06 $, laquelle est garantie jusqu’au 28 juillet 2022[7].

[22]        La cliente avait déjà une rente viagère qui avait été constituée le 28 août 1997, qui comportait un revenu mensuel à vie de 159,25 $ et qui était garanti jusqu’au 28 juillet 2012[8].

[23]        Au décès de la cliente, qu’advient-il de la nouvelle rente ? On paie la valeur actualisée des paiements résultant de la rente pour le reste de la période garantie[9] ou l’on fait le paiement mensuel pour la période garantie. Un examen rapide nous permet de constater que la succession a été désavantagée monétairement par ce transfert.

[24]        La proposition de rente à constitution immédiate a été remplie par le représentant. On remarque que la signature de la cliente démontre que sa main tremble et qu’elle est frêle[10]. L’intimé a signé la proposition.

[25]        La cliente a reçu son relevé d’assurance en octobre 2012[11]. Elle s’aperçoit que le capital décès n’est plus que de 68 755,40 $ au 28 octobre 2012. C’est ce qui a déclenché les démarches auprès de la Sun Life.

RECOMMANDATIONS COMMUNES DES PARTIES

[26]        Les recommandations communes des parties sont le paiement d’une amende de 5 000 $ ainsi que le paiement des déboursés.

POSITION DE LA PLAIGNANTE

[27]        Voici les facteurs aggravants selon la plaignante :

         Les antécédents de l’intimé. Bien que lointain on doit, selon le procureur de la syndique adjointe, en tenir compte. Les infractions auraient cependant été commises que quelques semaines après qu’il ait obtenu son droit de pratique. Il a été reconnu coupable d’avoir fait signer auprès de 5 clients des propositions d’assurance sans avoir fait remplir un état comparatif exigé aux règlements[12]. Il a été condamné à l’époque à une réprimande et à une amende;

         Compte tenu de cet antécédent, il y a risque de récidive;

          Il a été directeur de conformité et a supervisé des représentants pour la Sun Life;

         On est face à une personne vulnérable. La cliente avait 85 ans au moment de l’infraction;

         Il a reçu une commission;

         Un préjudice certain a été supporté par les héritiers.

[28]        Voici les facteurs atténuants pour la plaignante :

         Plaidoyer de culpabilité;

         Bonne collaboration à l’enquête;

         Un acte isolé, une seule victime.

[29]        Le procureur de la syndique adjointe a rappelé au Comité qu’il était difficile pour celui-ci de s’éloigner d’une recommandation commune.


 

ANALYSE

[30]        Dans la décision Bégin[13], un intimé était également accusé de ne pas avoir recueilli tous les renseignements et de ne pas avoir procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers. L’intimé avait enregistré un plaidoyer de culpabilité. Le représentant avait également un antécédent disciplinaire et était expérimenté.  Le Comité souligne que le défaut de compléter une analyse des besoins financiers est une faute sérieuse qui va au cœur même de la profession. On a imposé dans ce dossier une amende de 5 000 $[14].

[31]        Le comité a également imposé dans le dossier Dubois[15], une amende de 5 000 $  pour ne pas avoir recueilli tous les renseignements et ne pas avoir procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers. Le comité souligne aussi qu’il peut difficilement s’éloigner d’une recommandation commune.

[32]        Il est intéressant de noter dans ce dossier que la cliente n’avait pas pu se présenter au rendez-vous pour de graves problèmes de santé. L’intimé avait cependant validé avec la conjointe du client les montants et le questionnaire médical.

[33]        Dans la décision Latreille[16], le comité a rappelé que « l’analyse des besoins financiers constitue la pierre d’assise du travail de représentant en assurance »[17].

[34]        Le comité a imposé, dans le dossier Aubrais[18], une amende de 4 000 $ pour chacun des deux chefs. Ces chefs visaient deux clients qui étaient en couple. Il s’agissait d’une situation où l’on avait enregistré un plaidoyer de culpabilité pour ne pas avoir complété d’ABF. Il n’y avait cependant pas de recommandation commune. L’intimé dans cette affaire n’avait retiré aucun avantage pécuniaire et le geste posé avait pour but d’aider un stagiaire. Des amendes totalisant de 8 000 $ ont été imposées. On a donc tenu compte de l’effet global des sanctions.

[35]        Finalement dans le dossier Beckers[19], le comité a imposé des amendes totalisant 20 000 $ à l’intimée pour ne pas avoir, pour quatre clients, recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme de leurs besoins financiers. Le comité soulignait que les infractions établissaient une pratique négligente et inacceptable et ce encore plus pour une professionnelle expérimentée.

[36]        Dans l’arrêt R. c. Douglas[20] la Cour d’appel du Québec a clairement indiqué que même si le tribunal n’est pas lié par les recommandations communes celui-ci devrait normalement éviter de s’en écarter. En effet, lorsque des parties représentées par procureurs, à la suite de pourparlers sérieux, en sont arrivées à s’entendre pour présenter des recommandations communes, le tribunal ne devrait les écarter que s’il les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou s’il est d’avis que les recommandations sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[37]        Le tribunal des professions a, à quelques reprises, confirmé l’application de ce principe au droit disciplinaire[21].

[38]        En l’espèce, bien que le Comité juge la recommandation clémente eut égard aux circonstances, elle se situe cependant dans les paramètres jurisprudentiels applicables

Ainsi, en l’absence d’une situation qui le justifierait de s’écarter des recommandations communes des parties, le Comité donnera suite à celles-ci

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion du nom, prénom et autres informations nominatives du consommateur concerné ainsi que de tout renseignement permettant de l’identifier.

ACCUEILLE le plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité qu’il a prononcé lors de l’audition à l’endroit de l’intimé sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

Pour le chef 1 contenu à la plainte :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

 

 

(s) Alain Gélinas_____________________

Me ALAIN GÉLINAS

Président du comité de discipline

 

(s) Armand Éthier____________________

M. ARMAND ÉTHIER, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Sylvain Jutras____________________

M. SYLVAIN JUTRAS, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 


Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé était absent

 

Date d’audience :

7 juillet 2015

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Pièce P-9.

[2] Pièce P-3, page 000155.

[3] Pièce P-3.

[4] Pièces P-1 et P-2.

[5] Pièce P-4, page 000093.

[6] Pièce P-4, page 000103.

[7] Pièce P-4, page 000118.

[8] Idem.

[9] Pièce P-3, page 000161.

[10] Pièce P-3, pages 000177 et 000182.

[11] Pièce P-4, page 000137.

[12] Pièce P-7.

[13] Caroline Champagne c. André Bégin, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, CD00-0995, décision sur culpabilité et sanction rendue le 14 mars 2014.

[14] Supra note 13, paragraphe 18.

[15]  Caroline Champagne c. Marie-Claude Dubois, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, CD00-0969, décision sur culpabilité et sanction rendue le 9 octobre 2013.

[16] Nathalie Lelièvre c. The Toan Pham, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, CD00-0996, décision sur culpabilité et sanction rendue le 20 juin 2014.

[17] Supra note 16, paragraphe 39.

[18] Caroline Champagne c. Claude Couture, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, CD00-0951, décision sur culpabilité et sanction rendue le 4 août 2014.

[19] Caroline Champagne c. Nathalie Beckers, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, CD00-0862, décision sur culpabilité et sanction rendue  le 17 août 2012.

[20] (2002) 162. C.c.c. (3rd) 37.

[21] Maurice Malouin c. Maryse Laliberté, dossier 760-07-000001-010, décision en date du 7 mars 2002.  Voir aussi Mathieu c. Dentistes, 2004 QCTP 027.

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