Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Lessard

2016 QCCDCSF 41

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N :

CD00-1163

 

 

 

DATE :

Le 4 octobre 2016

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Monique Puech

Membre

 

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ÉRIC LESSARD, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 174754, BDNI 2114981)

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom des consommateurs et de tout renseignement permettant de les identifier.

[1]           Le 11 août 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au Palais de Justice, sis au 17 rue Laurier, à Gatineau, pour procéder à l’instruction de la plainte portée contre l’intimé le 30 novembre 2015 et amendée le 20 juin 2016, à la suite de sa décision rendue le 9 décembre 2015 prononçant la radiation provisoire de l’intimé.

[2]           Les parties avaient jusqu’au 6 septembre 2016 pour fournir au comité des informations supplémentaires pour compléter la preuve concernant le troisième chef d’accusation. Par conséquent, le comité a commencé son délibéré le 9 septembre 2016.

[3]           La plaignante était représentée par Me Alain Galarneau. Quant à l’intimé, il était présent et se représentait seul.

[4]           À la plainte initiale comportant deux chefs d’accusation qui impliquent deux consommateurs ainsi qu’un chef d’entrave à l’enquête, s’ajoutent six chefs d’accusation impliquant trois consommateurs supplémentaires qui font l’objet de la plainte amendée suivante dont le comité est saisi.

LA PLAINTE AMENDÉE

1.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 19 janvier 2010, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 3 824 $ du compte REER […] appartenant à D.L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

2.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 22 janvier 2015, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 6 500 $ appartenant à M.-R.C., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

3.   Dans la région de Gatineau, à compter du 23 novembre 2015, l’intimé n’a pas collaboré et répondu sans délai à une personne chargée de l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de ses règlements, contrevenant ainsi aux articles 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 20 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

4.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 15 avril 2013, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 7 450 $ appartenant à C.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

5.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 21 août 2014, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 5 000 $ appartenant à C.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

6.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 15 mai 2015, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 6 000 $ appartenant à L.F.-L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

7.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 3 juillet 2015, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 4 500 $ appartenant à L.F.-L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

8.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 29 juillet 2015, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 5 000 $ appartenant à L.F.-L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

 

9.   Dans la région de Gatineau, le ou vers le 25 juin 2015, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 5 700 $ appartenant à A.C., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

[5]           Le 28 juin 2016, l’intimé a informé par écrit le comité de discipline qu’il contestait la plainte amendée datée du 20 juin 2016. Le matin de l’audience, questionné par le comité afin de connaître la nature de sa contestation, il a précisé qu’elle ne portait que sur les premier et troisième chefs d’accusation.

[6]           Quant à chacun des chefs 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9, il a enregistré un plaidoyer de culpabilité, reconnaissant les faits reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques. Le comité a donné acte à l’enregistrement de ce plaidoyer par l’intimé. Après avoir entendu la preuve et les représentations des parties, le comité a déclaré l’intimé coupable sous les chefs 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9.

[7]          Ensuite, le procureur de la plaignante a déposé une importante preuve documentaire (P-1 à P-41) et a fait entendre Me Amélie Nantel, enquêteure pour le bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF), ainsi que D.L., la consommatrice impliquée sous le premier chef d’accusation. Les autres consommateurs ont été libérés vu le plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous les chefs d’accusation les concernant.

[8]          Assermenté, l’intimé a témoigné et fait ses représentations.

LE CONTEXTE

[9]          De la preuve entendue, le comité retient les principaux faits suivants.

[10]       L’enquête entreprise par Me Nantel le 12 novembre 2015 a révélé que l’intimé s’était approprié, pour ses fins personnelles, l’argent appartenant à deux clients, d’où la plainte initiale portée en novembre 2015.

[11]       À la suite de la décision du 9 décembre 2015 ordonnant la radiation provisoire de l’intimé, Me Nantel a poursuivi son enquête qui a établi que l’intimé s’était approprié pour ses fins personnelles l’argent de cinq autres consommateurs-clients.

[12]       En ce qui concerne le premier chef d’accusation, contesté par l’intimé, Me Nantel a rapporté que l’intimé était le représentant désigné au compte de D.L. du 12 octobre 2007 au 17 mai 2011.

[13]       Le 7 janvier 2010, l’intimé a transmis une demande de rachat de placements pour D.L. d’environ 5 152,83 $. Ce retrait a été effectué le 11 janvier 2010 laissant
3 824,12 $ après déductions (P-5).

[14]       La demande de rachat contenait une instruction spéciale de transmettre le chèque au centre financier où travaillait l’intimé, car l’adresse de D.L. n’était plus valide. La compagnie de placement a refusé de procéder ainsi et a demandé à l’intimé de fournir une adresse pour D.L., mais celui-ci a fourni la sienne.

[15]       Un chèque a été émis à l’ordre de D.L. le 11 janvier 2010. Il a été endossé avec le nom de D.L. et déposé dans le compte de l’intimé le 19 janvier 2010.

[16]       D.L. a témoigné avoir commencé à faire affaire avec Sun Life (Clarica) vers 1995-1996. Elle est retraitée depuis avril 2015.

[17]       D.L. ne s’est rendu compte qu’en 2013, lors de sa première rencontre avec son représentant actuel, que quelque chose « clochait » dans son portefeuille. L’année suivante, elle lui a indiqué avoir confié plus d’argent que ce qui apparaissait à son portefeuille. Ce n’est que le 18 mars 2015 que D.L. a appris qu’un rachat avait été effectué en 2010 dans son REER, alors que son nouveau représentant l’a informée qu’elle l’avait encaissé.

[18]       D.L. a répondu à celui-ci n’avoir parlé qu’une seule fois à l’intimé vers 2010-2011 alors qu’il l’a appelée à son domicile en Ontario à propos de l’échéance de son certificat de placement garanti (CPG) en août 2011. À cette occasion, elle lui a confirmé être domiciliée en Ontario et l’intimé lui a indiqué que, ne détenant pas la certification pour agir dans cette province, un autre représentant lui serait désigné, mais qu’il procéderait au changement de son adresse.

[19]       C’est en février 2007 que D.L. est déménagé en Ontario. Elle avait jusqu’alors son domicile à Gatineau, habitant toutefois chez sa mère entre décembre 2006 et février 2007.

[20]       Depuis son déménagement jusqu’en 2011, D.L. a témoigné n’avoir jamais reçu de relevés de compte, même si elle avait informé verbalement une préposée de
Sun Life de sa nouvelle adresse. 

[21]       Elle a témoigné n’avoir jamais rencontré l’intimé avant l’audience, le voyant pour la première fois. Elle a nié les signatures apparaissant sur la demande de rachat ainsi qu’au verso du chèque émis par Sun Life le 11 janvier 2010. Elle a ajouté ne pas avoir fait mention du retrait de ce REER dans ses déclarations de revenus pour les années 2010 à 2012.

[22]       Pour sa part, l’intimé a expliqué que le dossier de D.L. faisait partie d’un certain nombre de dossiers orphelins que Sun Life lui avait attribué.

[23]       En janvier 2010, il vivait des moments difficiles ayant appris que sa fillette âgée de 20 mois était atteinte d’une maladie grave. Son épouse et lui passaient leurs journées à l’hôpital au chevet de leur fille. À un moment donné, son directeur lui a demandé de rapporter au bureau son ordinateur portable et de divulguer ses mots de passe. Toutefois, il continuait de prendre ses appels sur son cellulaire.

[24]       Pendant cette période, une dame, se présentant du nom de D.L., lui a téléphoné. Il lui a fixé un rendez-vous au bureau. Elle possédait un relevé de placement au nom de D.L. et voulait racheter le REER, expliquant avoir un besoin urgent de cet argent. L’intimé n’a cependant pas vérifié son identité. Indiquant vouloir retirer cet argent sans que son mari le sache, elle a demandé que le chèque soit envoyé à la succursale, d’où les instructions spéciales inscrites sur la demande. Quand la compagnie détenant le placement a indiqué refuser de livrer le chèque à la succursale et a insisté pour obtenir une adresse pour D.L., l’intimé, voulant lui rendre service, a inscrit son adresse et a proposé à ladite D.L. d’endosser le chèque. Ensuite, il l’a déposé dans son compte personnel et a remis l’argent comptant à la dame, sans obtenir de reçu.

[25]       Contre-interrogé, l’intimé indique n’avoir appris que D.L n’habitait plus l’Outaouais qu’en 2011. Il avait été avisé que son CPG arrivait bientôt à échéance et c’est ainsi qu’il a parlé avec la «vraie» D.L. Il ne lui a par ailleurs pas parlé de la rencontre de 2010, n’ayant pas fait le lien avec la dame rencontrée en 2010. Cependant, comme il n’a pas la certification pour agir en Ontario, il lui a indiqué que son dossier serait confié à un autre représentant.

[26]       En ce qui concerne le troisième chef d’accusation, Me Nantel a témoigné avoir parlé à l’intimé le 12 novembre 2015. Après une dizaine de minutes, ce dernier était irrité et a cessé de collaborer.

[27]       Elle a tenté de le rejoindre à nouveau les 16, 17 et 23 novembre 2015, laissant des messages sur la boîte vocale de son cellulaire. Toutefois, en dépit du dernier message lui indiquant que son défaut de la rappeler pourrait être retenu contre lui, celui-ci ne l’a jamais fait, ce qui explique ce chef d’entrave.

[28]       Contre-interrogée, l’enquêteure n’a pas pu confirmer le numéro de cellulaire auquel elle avait tenté de rejoindre l’intimé et avait laissé des messages. Dès le lendemain de l’audience, après consultation de son dossier, elle a donné suite à l’engagement pris devant le comité de fournir ce numéro, lequel s’avère être le même numéro de cellulaire que celui utilisé pour leur échange du 12 novembre 2015.

[29]       Pour sa part, l’intimé a déclaré ne pas avoir reçu ces messages, affirmant avoir changé, au cours de cette période, son numéro de cellulaire, ce qui expliquerait qu’il n’a pas rappelé l’enquêteure. Bien qu’il se soit engagé à fournir une facture de la compagnie auprès de laquelle il a obtenu, après le 12 novembre 2015, ce nouveau numéro de cellulaire, l’intimé n’a pas donné suite à cet engagement[1].

[30]       Contre-interrogé, l’intimé a indiqué qu’aucune poursuite criminelle, pénale ou autre ne pesait sur lui à la suite de ces événements.

[31]       En ce qui concerne le deuxième chef d’accusation, l’intimé a demandé par téléphone le 15 janvier 2015 une avance pour un montant de 6 500 $ sur une police détenue par la consommatrice M.-R.C. (P-12). Un chèque du même montant a été émis au nom de M.-R.C. le 16 janvier 2015 (P-11 et P-13).

[32]       Avant qu’elle ne le reçoive, l’intimé a contacté le conjoint de celle-ci pour l’informer que M.-R.C. recevrait un chèque de 6 500 $ de la compagnie de placement, mais qu'il s'agissait d'une erreur. Pour corriger le tout, il a demandé que M.-R.C. encaisse le chèque et lui en fasse un au même montant (P-12).

[33]       L’intimé s’est présenté au domicile de M.-R.C. pour prendre possession du chèque que celle-ci lui a fait, l’a endossé et déposé dans son compte personnel le 22 janvier 2015 (P-12 et P-6). Or, il n’a jamais remis cette somme dans la police de M.-R.C. (P-13).

 

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[34]       Quant au premier chef d’accusation, le procureur de la plaignante soutient que le récit présenté par l’intimé dépasse tout entendement.

[35]       Il poursuit en demandant comment expliquer que l’intimé n’ait pas procédé en 2010 au changement d’adresse de D.L, ayant appris à ce moment-là, que son adresse à Gatineau n’était plus la bonne? Pourquoi le faire en 2011 seulement?

[36]       À son avis, l’intimé n’est pas crédible quand il prétend avoir appris seulement après coup que Placement CI refusait de livrer à l’adresse de la succursale de Sun Life le chèque à l’ordre de D.L.[2] Au surplus, l’intimé n’a pas exigé de reçu de la prétendue D.L. alors qu’il lui remettait de l’argent comptant.

[37]       Il soutient que l’intimé ayant déposé le chèque dans son compte, il s’est bel et bien « approprié » l’argent appartenant à sa cliente, ce qui répond à la définition retenue en droit disciplinaire qui est plus large qu’en droit criminel. La preuve prépondérante supporte donc l’infraction reprochée.

[38]       Le procureur de la plaignante ajoute, se rapportant à l’affaire Létourneau[3] qui fournit une définition de l’appropriation, qu’à partir du moment où la plaignante a démontré l’infraction par preuve prépondérante, c’est à l’intimé de démontrer le contraire par preuve prépondérante également.    

[39]       Il conclut donc à la culpabilité de l’intimé tant sur le premier que sur le troisième chef d’accusation.  

 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[40]       En ce qui concerne le premier chef d’accusation, l’intimé a indiqué ne pas être fier de ses gestes qu’il attribue à un mauvais jugement de sa part, précisant que son but n’était pas de s’approprier l'argent des clients sans les rembourser. D’ailleurs, il a indiqué qu’à part D.L., tous les consommateurs impliqués sous les chefs 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 avaient été remboursés, le cabinet ayant retenu les sommes correspondantes sur ses commissions.

[41]       Questionné par le comité, l’intimé a répondu qu’il n’a pas plaidé coupable sous le premier chef, ne voulant pas avouer une appropriation qu’il n’a pas commise. Il a ajouté que les faits sont ceux qu’il a rapportés au comité réitérant avoir toutefois manqué à ses obligations en ne vérifiant pas, en 2010, l’identité de ladite D.L. Il a aussi admis que D.L., présente à l’audience, n’était pas la dame rencontrée en 2010. Concernant les entrées ou sorties liées au Casino se trouvant dans ses relevés de compte bancaire, il a expliqué qu’il a ainsi procédé pour justifier ce surplus d’argent à son épouse.  

ANALYSE ET MOTIFS

[42]       Le comité réitère la déclaration de culpabilité de l’intimé rendue séance tenante sous les chefs 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière qui se lit comme suit :

17. Le représentant ne peut s’approprier, pour ses fins personnelles, les sommes qui lui sont confiées ou les valeurs appartenant à ses clients ou à toute autre personne et dont il a la garde.

[43]       Afin d’éviter les condamnations multiples, la suspension conditionnelle quant aux autres dispositions alléguées au soutien de ceux-ci sera toutefois ordonnée.

[44]       Le comité traitera maintenant des premier et troisième chefs d’accusation.

[45]        En ce qui concerne le premier chef d’accusation, même si le comité considère que le témoignage de D.L. corrobore partiellement la version des faits proposée par l’intimé puisque cette dernière n’a reçu aucun relevé de compte entre 2007 et 2011, moment où l’intimé a procédé à son changement d’adresse pour celle en Ontario, le comité ne peut occulter le fait que l’intimé a fait suivre à son propre domicile le chèque fait à l’ordre de sa cliente, l’a déposé dans son compte personnel pour ensuite l’encaisser. Ce faisant, l’intimé s’est approprié l’argent appartenant à sa cliente.  

[46]        Comme rapporté notamment dans l’affaire Lebrun[4], de même que dans l’affaire Létourneau citée par le procureur de la plaignante, il ressort de la jurisprudence que l’infraction d’appropriation de fonds doit, en droit disciplinaire, être interprétée de façon large et libérale. Ainsi, à partir du moment où un représentant dépose dans son compte personnel l’argent d’un client, même s’il ne l’a pas touché, il y a appropriation.

[47]        Par conséquent, la plaignante s’étant déchargée de son fardeau de preuve, le comité déclarera l’intimé coupable sous le premier chef d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[48]        Aussi afin d’éviter les condamnations multiples, la suspension conditionnelle quant aux autres dispositions alléguées au soutien de celui-ci sera ordonnée.

[49]       L’infraction d’appropriation constitue une des plus graves, sinon la plus grave, des infractions qu’un représentant puisse commettre. Celle-ci porte atteinte à la raison d’être de la profession. L’honnêteté et l’intégrité constituent des qualités essentielles à son exercice. Comme mentionné à plusieurs reprises par le comité, la probité constitue une qualité essentielle au lien de confiance devant exister entre le représentant et son client.

[50]       Quant au troisième chef d’accusation, il reproche à l’intimé de ne pas avoir collaboré et répondu sans délai à la personne chargée du respect de la Loi. Or, quoiqu’invité à transmettre au comité une preuve documentaire appuyant son témoignage voulant qu’il ait changé de numéro de cellulaire au cours des jours qui ont suivi son échange téléphonique du 12 novembre 2015 avec l’enquêteure, ce qui aurait expliqué son défaut de retourner les messages répétés de cette dernière, l’intimé ne l’a pas fait. La preuve prépondérante a donc démontré que celui-ci a contrevenu à son obligation de collaborer sans délai avec la personne chargée[5], en l’espèce, du respect de la Loi.

[51]        Enfin, l’intimé sera déclaré coupable sous le troisième chef d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 20 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières. Par ailleurs, la suspension conditionnelle sera ordonnée quant à l’autre disposition alléguée à son soutien.

 

PAR CES MOTIFS, le comité :

RÉITÈRE ordonner la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion du nom des consommateurs et de tout renseignement permettant de les identifier;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé rendue séance tenante à l’audience sous chacun des chefs 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9, pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

DÉCLARE sous le premier chef d’accusation l’intimé coupable pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

DÉCLARE sous le troisième chef d’accusation l’intimé coupable pour avoir contrevenu à l’article 20 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières;

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions alléguées au soutien de la présente plainte;

CONVOQUE les parties avec l’assistance du secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(S) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(S) Monique Puech

Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Serge Lafrenière

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

11 août 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


Chambre de la sécurité financière c. Lessard

2017 QCCDCSF 25

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

No :

CD00-1163

 

 

 

DATE :

11 mai 2017

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Monique Puech

Membre

 

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ÉRIC LESSARD, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 174754, BDNI 2114981)

Partie intimée

 

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DÉCISION SUR SANCTION

 

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[52]       L’intimé a été radié provisoirement le 9 décembre 2015 et déclaré coupable
le 4 octobre 2016, sous chacun des neuf chefs d’accusation portés contre lui, dont huit relatifs à l’appropriation de deniers et un d’entrave.

[53]       Lors de la présente audience fixée pour procéder sur sanction, la plaignante était représentée par Me Alain Galarneau. Quant à l’intimé, il était présent et non représenté.  

LA PREUVE

[54]       Le procureur de la plaignante a déclaré ne pas avoir de preuve supplémentaire à offrir sur sanction.

[55]       Pour sa part, l’intimé a témoigné brièvement.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[56]       Après avoir résumé le contexte factuel des infractions commises, le procureur de la plaignante a recommandé sous chacun des chefs d’accusation reprochant l’appropriation de deniers, la radiation permanente de l’intimé et sous le troisième chef  d’accusation relatif à son défaut de collaborer avec la plaignante, une période de radiation temporaire de six mois.

[57]       Il a demandé également la publication d’un avis de la présente décision étant donné la période de radiation temporaire ainsi que la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[58]       Il a rappelé que le défaut de collaborer avec l’enquêteur revêt une gravité importante, car constituant une entrave au mécanisme mis en place par le législateur pour assurer la protection du public.

[59]       Quant aux appropriations commises, la gravité objective ne fait aucun doute. Le comité a indiqué à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’une des plus graves infractions qu’un représentant puisse commettre alors qu’il a pour mission d’assurer la sécurité financière de ses clients. En commettant ces gestes, l’intimé a démontré un manque flagrant d’intégrité et de probité, qualités essentielles que le représentant doit posséder. 

[60]       Ce genre de comportement brise le lien de confiance que le public est en droit d’avoir envers les membres, en plus de ternir l’image de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de rejaillir sur l’ensemble de ses membres.

[61]       Au surplus, non seulement l’intimé a répété ces gestes, mais ils se sont étalés sur une période de cinq ans. Pour commettre ces infractions, l’intimé a utilisé des stratagèmes qui démontrent une préméditation certaine.

[62]       Il a plaidé que l’imposition d’une radiation permanente s’impose, et ce, malgré certains facteurs atténuants tels que les regrets exprimés par l’intimé, l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité sous six des neuf chefs portés contre lui et l’absence d’antécédent disciplinaire. Ces facteurs atténuants ne pouvant occulter la gravité des infractions commises.

[63]       Il a rappelé l’importance de l’effet dissuasif des sanctions à l’égard de l’intimé, mais plus particulièrement à l’égard de l’ensemble des membres de la CSF.

[64]       Enfin, il a soumis à l’appui une série de décisions[6] qui font état de sanctions de radiation permanente pour des infractions d’appropriation de fonds et de périodes de radiation variant entre trois et six mois pour les chefs de défaut de collaborer ou d’entrave au travail de la syndique.

 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

 

[65]        L’intimé n’a pas contesté les recommandations de la plaignante.

[66]       Essentiellement, il s’est excusé pour les infractions commises reconnaissant avoir failli à sa profession et déshonoré ses collègues du bureau de la Sun Life. Il a conclu qu’il n’avait pas d’excuses pour les actes qu’il a commis.

[67]        Déclarant ne pas être fier de son comportement, il a déclaré regretter le tort qu’il a causé à plusieurs personnes dont les consommateurs impliqués à qui il a présenté ses excuses lors de l’audience sur culpabilité ainsi que son épouse et ses enfants de qui il souhaite regagner la confiance.

[68]        Il a expliqué que trouver un nouvel emploi a été difficile. C’est grâce à son épouse qui a intercédé auprès de son employeur pour lui qu’il détient maintenant un emploi.

[69]        Il a terminé en signalant que Sun Life a remboursé tous ses clients à même ses commissions qui s’élevaient à environ 137 000 $ et qu’il a remboursé une consommatrice directement.

ANALYSE ET MOTIFS

[70]       Depuis le 27 août 2015, l’intimé est sans mode d’exercice dans la discipline de l’assurance de personnes et son certificat n’a pas été renouvelé en juillet 2016. Quant à son inscription à titre de représentant de courtier en épargne collective, elle est suspendue depuis le 14 août 2015, mais l’intimé demeure toutefois inscrit jusqu’à son rétablissement ou sa radiation.  

[71]       L’intimé s’est approprié environ 40 000 $ entre 2010 et 2015, usant de stratagème pour réussir à s’approprier notamment de l’argent à même les placements de ses clients.

[72]       Nul doute que les reproches en l’espèce sont graves et sérieux, l’appropriation étant une des infractions les plus graves que peut commettre un représentant. Ces infractions portent atteinte à la raison d’être de la profession, l’honnêteté et l’intégrité constituant les qualités essentielles à son exercice.

[73]       Comme mentionné à plusieurs reprises par le comité, la probité du représentant est essentielle au lien de confiance devant exister entre lui et son client.

[74]       Rien ne peut occulter la gravité de ces infractions répétées sur une période de cinq ans et manifestement préméditées.

[75]       Le comité donnera suite aux recommandations de la plaignante que l’intimé par ailleurs ne conteste pas.

[76]       Ainsi, le comité ordonnera la radiation permanente de l’intimé sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 ainsi que sa radiation temporaire pour une période de six mois sous le troisième chef d’accusation.

[77]       Quant à la demande de publication de l’avis de la décision de radiation temporaire, le comité est d’avis que celle portant sur la radiation permanente laquelle incombe à la secrétaire du comité de discipline[7], répond à l’objectif de publicité auprès du public en général. Dans les circonstances, la publication d’un avis de décision de la radiation temporaire n’ajouterait rien et ne ferait qu’occasionner des frais supplémentaires. 

[78]       Le comité condamnera également l’intimé au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ordonner la non-divulgation, non-publication et non-diffusion des noms des consommateurs et de tout renseignement permettant de les identifier;

ORDONNE, sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9, la radiation permanente de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière;

ORDONNE, sous le troisième chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière, à être purgée de façon concurrente, et ce, pour une période de six mois;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

 

(S) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(S) Monique Puech

Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Serge Lafrenière

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul

 

Date d’audience :

27 février 2017

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1] L’intimé n’ayant pas donné suite à son engagement prévu pour le 6 septembre 2016, le secrétariat du comité lui a envoyé le 8 septembre 2016 un rappel par courriel. Par ce courriel, un dernier délai lui était octroyé jusqu’au 9 septembre 2016. L’intimé n’y a pas non plus donné suite, bien qu’un accusé de réception dudit courriel ait été émis.

[2] Notons que Sun Life, en réponse à la cinquième question posée par l’enquêteure, corrobore cet échange après coup entre l’intimé et Placement CI, mais l’intimé a alors fourni son adresse domiciliaire (P-5). 

[3] Champagne c. Létourneau, CD00-0906, décision sur culpabilité du 30 août 2012, paragraphes 38 à 46.

[4] Champagne c. Lebrun, CD00-1131, décision sur culpabilité rendue le 26 avril 2016, paragraphes 16 et ss.

[5] Il paraît certes étonnant que l’enquêteure n’ait pas, dans les circonstances, tenté de contacter l’intimé au numéro de téléphone de son domicile ou à son adresse courriel, puisqu’elle détenait ces informations à son dossier.

[6] CSF c. Tremblay, CD00-0795, décision sur culpabilité du 6 juillet 2010 et décision sur sanction du
26 janvier 2011; CSF c. Trempe, CD00-0789, décision sur culpabilité du 20 juillet 2010 et décision sur sanction du 15 mars 2011; CSF c. Imanpoorsaid, CD00-0828, décision sur culpabilité du 12 avril 2011 et décision sur sanction du 12 septembre 2011; CSF c. Messier, CD00-0927, décision sur culpabilité du
21 novembre 2012 et décision sur sanction du 25 septembre 2014; CSF c. St-Jean, CD00-1020, décision sur culpabilité du 12 mai 2014 et décision sur sanction du 24 novembre 2014; CSF c. Ouedraogo, CD00-1083, décision sur culpabilité et sanction du 4 juin 2015; CSF c. Malenfant, CD00-1121, décision sur requête en radiation provisoire, culpabilité et sanction du 10 juin 2015; CSF c. Astouati, CD00-1089, décision sur culpabilité et
sanction du 21 août 2015; CSF c. Duchaine, CD00-1111, décision sur culpabilité et sanction du 29 mars 2016; CSF c. Lebrun, CD00-1131, décision sur culpabilité du 26 avril 2016 et décision sur sanction du 22 juillet 2016; CSF c. Murphy, CD00-1125, décision sur sanction du 13 juin 2016.

[7] Article 180 du Code des professions, 2e paragraphe.

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