Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Blanchet

2016 QCCDCSF 53

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1184

 

DATE :

15 décembre 2016

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Claude Mageau

Président

M. Richard Charette

Membre

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

_____________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

PIERRE BLANCHET, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 103489)

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication des pièces et de tout renseignement ou information qui pourraient permettre d’identifier le consommateur mentionné dans la présente décision.

 

[1]           Le 24 novembre 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo‑Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 8 juillet 2016 ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.         À Québec, les ou vers les 31 octobre et 1er novembre 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en devenant co-titulaire de la police d’assurance vie temporaire [...] appartenant à son client J.L. et en soumettant une demande de transformation de cette police en police d’assurance vie universelle dont il est devenu bénéficiaire irrévocable à 66 %, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]           La plaignante était représentée par Me Jean-François Noiseux, et l’intimé, qui était absent, était représenté par Me Émilie Legendre.

[3]           D’entrée de jeu, la procureure de l’intimé informa le comité que son client enregistrait un plaidoyer de culpabilité à l’unique chef d’accusation de la plainte et elle déposa à cet effet comme pièce I-1, une lettre datée du 15 septembre 2016 de son collègue Me Maurice Charbonneau adressée au secrétaire remplaçant du comité, Me Éric Millette, informant le comité que l’intimé désirait enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’infraction reprochée à la plainte.

[4]           Par la suite, les procureurs des parties informèrent le comité qu’ils avaient une recommandation commune à lui présenter quant à la sanction à être ordonnée à l’intimé.

 

LA PREUVE

[5]           Après avoir produit de consentement avec le procureur de l’intimé un cahier de pièces identifiées P-1 à P-5, le procureur de la plaignante résuma brièvement les faits du présent dossier.

[6]           Ceux-ci sont simples et à l’effet que le ou vers le 31 octobre 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en devenant co-titulaire et co-bénéficiaire de la police d’assurance vie temporaire de son client J.L.

[7]           La couverture de cette assurance vie était pour une somme de 150 000 $.

[8]           En fait, J.L., alors gravement malade, ne voulait plus maintenir sa police d’assurance vie temporaire.

[9]           L’intimé a alors convaincu J.L. de la maintenir en assumant le paiement des primes en contrepartie de quoi, il serait co-titulaire et co-bénéficiaire à 66 % du paiement de la somme assurée au décès de J.L.

[10]        Ce changement ci-haut mentionné quant à l’assurance vie de J.L. permettait aussi à sa fille de même qu’à sa conjointe de demeurer bénéficiaires de cette police d’assurance vie pour un pourcentage de 34 %.

[11]        L’intimé se mettait donc dans une situation flagrante de conflit d’intérêts, et ce nonobstant le fait que J.L. pouvait ainsi maintenir sa police d’assurance vie.

[12]        J.L. est décédé et l’intimé a donc bénéficié de 66 % du paiement de la couverture d’assurance, soit la somme nette d’environ 60 000 $.

[13]        Sa fille et sa conjointe ont bénéficié du solde de la somme assurée.

[14]        J.L. et sa succession n’ont donc subi aucun préjudice pécuniaire.

[15]        Suite à cet exposé des faits et à la révision sommaire desdites pièces, le comité déclara l’intimé coupable de l’unique chef d’accusation de la plainte.

REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

[16]        Tel que mentionné plus haut, les procureurs des parties ont fait au comité la recommandation commune d’une ordonnance de radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois.

REPRÉSENTATIONS DU PROCUREUR DE LA PLAIGNANTE

[17]        Le procureur de la plaignante souligna les facteurs aggravants suivants :

-           La gravité objective très importante de l’infraction reprochée;

-           L’acte reproché constitue un manquement disciplinaire allant au cœur même de l’exécution des fonctions d’un conseiller en sécurité financière;

-           L’acte reproché ternit l’image de la profession;

-           La très grande expérience de l’intimé, à savoir plus de trente (30) ans dans le domaine de l’assurance de personnes;


 

[18]        Par la suite, le procureur de la plaignante présenta les facteurs atténuants suivants :

-           L’absence d’antécédent disciplinaire;

-           L’acte reproché était isolé et n’a visé qu’un seul consommateur;

-           L’inexistence d’un préjudice pécuniaire causé au consommateur et à sa succession;

-           L’existence d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’intimé.

[19]        Au soutien de ses représentations, le procureur de la plaignante déposa un cahier d’autorités contenant les paramètres jurisprudentiels applicables en l’espèce[1].

REPRÉSENTATIONS DE LA PROCUREURE DE L’INTIMÉ

[20]        La procureure de l’intimé confirma qu’il s’agissait d’une recommandation commune et elle appuya entièrement les propos du procureur de la plaignante quant à l’assise factuelle du présent dossier.

[21]        De plus, elle insista particulièrement sur les facteurs atténuants en l’espèce dont, entre autres, le fait que le consommateur et sa succession n’ont subi aucun préjudice pécuniaire, que l’intimé a plaidé coupable et qu’il n’avait pas d’antécédent disciplinaire.

[22]        Elle produisit aussi les autorités établissant les principes jurisprudentiels en matière de recommandation commune de sanction, lesquels sont à l’effet que le décideur ne devrait y déroger qu’à moins que la recommandation ne soit déraisonnable et qu’elle aille à l’encontre de l’intérêt public[2].

[23]        La procureure de l’intimé conclut en plaidant que la recommandation commune respecte les principes jurisprudentiels applicables en l’espèce et qu’elle devrait être acceptée par le comité.

ANALYSE ET MOTIFS

[24]        L’acte reproché à l’intimé est isolé et remonte à l’automne 2011, alors que le consommateur J.L. était gravement malade, et au moment où il voulait cesser de maintenir son assurance vie qu’il détenait depuis 2002.

[25]        Bien que l’acte reproché ait permis à la conjointe et à la fille du consommateur de continuer à être bénéficiaire de l’assurance vie, il n’en demeure pas moins que l’intimé en ce faisant, s’était mis dans une grave situation de conflit d’intérêts incompatible avec le comportement consciencieux, compétent et loyal qu’on doit s’attendre d’un conseiller en sécurité financière.

[26]        La situation de conflit d’intérêts dans laquelle l’intimé s’était alors placé était d’autant plus inacceptable en raison de sa très longue expérience.

[27]        Le comité doit cependant tenir compte du fait que l’intimé pendant ces trente (30) années d’expérience n’a eu aucun antécédent disciplinaire.

[28]        En plus, il a reconnu sa culpabilité en plaidant coupable devant le comité, évitant ainsi la tenue d’une audition disciplinaire.

[29]        Enfin, le consommateur et sa succession n’ont subi aucun préjudice pécuniaire.

[30]        Dans la détermination de la sanction à rendre à l’intimé, le comité doit:

« Dans l’exercice de sa discrétion à l’égard de la détermination de la sanction, le comité de discipline doit analyser des facteurs objectifs et subjectifs; en effet, une sanction doit non seulement être proportionnelle à la gravité du manquement reproché au professionnel, mais également être individualisée, c’est-à-dire correspondre aux circonstances particulières du cas d’espèce. » [3] 

[31]        Finalement, le comité connaît bien l’état du droit en matière de recommandation commune, lequel est à l’effet qu’il ne devrait y déroger qu’à moins que la recommandation commune ne soit déraisonnable et qu’elle aille à l’encontre de l’intérêt public.

[32]        Plus particulièrement, le comité réfère à l’affaire Blais où la Cour du Québec s’exprime ainsi sur le sujet :

« [25] Prenant appui sur la jurisprudence pertinente en matière criminelle, notamment dans l’arrêt Douglas (C.A. Montréal 500-10-002149-019; 17 janvier 2002, REJB 2000-27745) de la Cour d’appel du Québec, l’appelant prétend que le Comité de discipline ne devait pas rejeter la recommandation commune des parties quant à la sanction à moins que celle-ci ne soit déraisonnable au point de discréditer l’administration de la justice disciplinaire, d’être contraire à l’intérêt public ou contraire à l’objectif de la protection du public.   En matière disciplinaire, il y a lieu de retenir cette règle du droit pénal.  Comme le Comité n’a pas établi que la recommandation commune des parties était déraisonnable au point de discréditer la justice disciplinaire, et qu’il n’a pas établi qu’elle était contraire à l’intérêt public ou contraire à l’objectif de la protection du public, le Comité a fait une erreur en rejetant la recommandation commune des parties (Voir Charlebois c. Association des intermédiaires, REJB 1999-16036, P. 5 Juge Jean-François Gosselin; Deschênes c. Optométristes, 2003 Q.C.T.P. 097, Juges Paule Lafontaine, Monique Sylvestre et Louise Provost, 2003-08-04). »[4]

[nos soulignés]

[33]        Le comité est d’accord avec la recommandation commune de sanction faite par les deux (2) procureurs d’expérience devant lui, laquelle respecte les paramètres jurisprudentiels applicables en l’espèce.

[34]        Par conséquent, considérant tous les facteurs objectifs et subjectifs, aggravants et atténuants, le comité donnera suite à la recommandation commune des parties pour l’unique chef d’accusation de la plainte.

[35]        Le comité ordonnera également la publication de l’avis de décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

[36]        PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE À NOUVEAU du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous l’unique chef d’accusation de la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité sous l’unique chef d’accusation de la plainte;

ET PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions (RLRQ, c. C‑26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ c. C-26).

 

 

 

 

(s) Claude Mageau________________

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

(s) Richard Charette_______________

M. RICHARD CHARETTE

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Stéphane Côté  ________________

M. STÉPHANE CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-François Noiseux

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Émilie Legendre

CHARBONNEAU, AVOCATS CONSEILS

Procureurs de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

24 novembre 2016

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]    Lelièvre c. Bernier, CD00-0935, décision sur culpabilité et sanction du 24 janvier 2013; Lelièvre c. Cléroux, CD00-0892, décision sur culpabilité du 15 octobre 2013 et décision sur sanction du 2 octobre 2014; Lelièvre c. Cantin, CD00-1012, décision sur culpabilité et sanction du 25 juin 2014.

[2]    Douglas c. La Reine, [2002] CanLII 32492 (QC CA); Blais c. Chambre de la sécurité financière (C.Q., 2004-06-07), SOQUIJ AZ-50256253.

[3]     Me Jean-Guy Villeneuve, Me Nathalie Dubé, Me Tina Hobday, Me Delbie Desharnais, Me François LeBel, Me Marie Cossette, Instruction de la Plainte et Décision. Précis de droit professionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007.

[4]    Blais c. Chambre de la sécurité financière, préc., note 2, paragr. 25.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.