Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Delsoin Louis

2017 QCCDCSF 1

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1183

 

DATE :

17 janvier 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Pierre Décarie

Membre

 

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

JOSEPH DELSOIN LOUIS, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 122077)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-PUBLICATION DU NOM ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU DOCUMENTS DE NATURE PERSONNELLE ET ÉCONOMIQUE PERMETTANT D’IDENTIFIER LE CONSOMMATEUR VISÉ PAR LA PLAINTE.

[1]           Le 21 juillet 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau,
26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 25 mai 2016.

LA PLAINTE

1.      À Montréal, le ou vers le 6 avril 2004, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de A.C.O. alors qu’il lui faisait souscrire la police d’assurance vie […], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

 

2.      À Montréal, le ou vers le 6 avril 2004, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de A.C.O. alors qu’il lui faisait souscrire la police d’assurance invalidité […], contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

 

3.      À Montréal, vers 2014, l’intimé a confectionné un faux document portant la date du 6 avril 2004 intitulé «Analyse des besoins financiers-VIE» pour A.C.O., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

4.      À Montréal, vers 2014, l’intimé a confectionné un faux document portant la date du 6 avril 2004 intitulé «Analyse de besoins invalidité» pour A.C.O., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

[2]           La plaignante était représentée par Me Alain Galarneau, alors que l’intimé était présent et non représenté.

[3]           Questionné sur les éléments sur lesquels portait sa contestation, l’intimé a mentionné que bien que reconnaissant les faits reprochés, il voulait y apporter certaines nuances.

[4]           La demande du procureur de la plaignante de rendre une ordonnance selon l’article 142 du Code des professions a été accueillie, telle que libellée au début de la présente décision.

LA PREUVE DES PARTIES

         La plaignante

[5]           Après avoir produit l’attestation de droit de pratique de l’intimé (P-1), le procureur de la plaignante a fait entendre Madame Lucie Coursol, enquêteure pour le bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF) depuis 2014.

[6]           Madame Coursol est celle qui a procédé à la cueillette des informations ayant mené à la présente plainte. Elle a passé en revue la preuve documentaire (P-1 à P-8). Eu égard aux reproches formulés aux deux premiers chefs d’accusation relatifs à  l’absence d’une analyse des besoins financiers (ABF) du consommateur A.C.O., elle a noté les parties incomplètes des ABF soumises par l’intimé, lesquelles avaient été, à première vue, complétées le 6 avril 2004. Son enquête a révélé que A.C.O. n’était pas propriétaire de l’immeuble identifié à l’une de ces ABF. Il n’est devenu propriétaire que deux ans plus tard et au surplus d’un autre immeuble. Aussi, les revenus inscrits sur les deux ABF diffèrent, bien que les deux documents portent la même date.

[7]           Elle a ensuite signalé au comité d’autres anomalies constatées sur les deux ABF.

[8]           En résumé, l’intimé n’a pas complété d’ABF, lors des souscriptions de l’assurance vie et de l’assurance invalidité le 6 avril 2004. Il a plutôt complété ces ABF à l’été 2014 après qu’il ait été informé par le bureau de la syndique qu’une enquête était entreprise à son sujet. L’intimé l’a d’ailleurs reconnu lors de sa rencontre avec l’enquêteure, expliquant avoir agi ainsi sous les conseils de ses collègues. Enfin, après lui avoir mentionné détenir des notes manuscrites contemporaines à la souscription des assurances dans son dossier, l’intimé l’a informée par courriel que ces notes avaient été détruites (P-7).

         L’intimé

[9]          Il exerce depuis plus de 39 ans et a commencé comme représentant captif avec la compagnie La Survivance.

[10]       Depuis au moins 1978, il complète des ABF lors de souscription d’assurances en utilisant un formulaire fourni par ladite compagnie. Il a l’habitude de prendre des notes dont il se sert pour faire mieux comprendre le processus à ses clients. Cependant, il a perdu les notes manuscrites du présent dossier et reconnaît avoir complété les ABF en 2014.  

[11]       En 2004, il n’existait pas de formulaire d’ABF pour l’assurance invalidité. En dépit de cette absence de formulaire, comptant parmi sa clientèle plusieurs cultivateurs ayant des besoins en assurance pour couvrir par exemple leurs frais généraux, leurs emprunts ainsi que les salaires de leurs employés, il procède toujours à une étude des besoins de tous ses clients. Il n’a jamais eu de problème avec qui que ce soit, sauf avec le consommateur en l’espèce.

[12]       A.C.O., qui lui a été référé par un ami, travaillait comme représentant chez un concessionnaire automobile. Il s’est révélé un client particulièrement difficile. Il l’a rencontré au moins à une vingtaine de reprises. Ces rencontres ont toujours eu lieu au bureau d’A.C.O. chez le concessionnaire ou dans un restaurant.

[13]       Son client lui avait dit posséder un duplex, mais il n’a pas vérifié ses dires. A.C.O. avait trois enfants en bas âge et n’avait pas les moyens d’économiser en vue de sa retraite. Il désirait seulement une assurance vie. Étant donné que les conditions de travail de ce dernier ne prévoyaient pas d’assurance invalidité, il lui a expliqué l’importance de souscrire à une telle assurance, laquelle était indexée annuellement.

[14]       En 2006, à la suite d’une crise cardiaque, A.C.O. a reçu des prestations d’invalidité. À partir de ce moment, l’intimé est devenu pour lui, la personne la plus importante, insistant même pour que l’intimé devienne son ami, ce qu’il a toujours refusé.

[15]       Après son opération, A.C.O. lui a demandé une cotation d’assurance pour chacun de ses trois enfants. Avant d’y procéder, l’intimé lui a indiqué qu’étant donné sa crise cardiaque, il était devenu non assurable. Il lui a proposé de transformer la police d’assurance vie nivelée temporaire dix ans (T-10) pour un capital assuré de 100 000 $ que A.C.O. possédait alors, lui suggérant d’ajouter 250 000 $, moyennant des primes mensuelles d’environ 275 $. Étant donné le coût de ces primes, il a suggéré que ses enfants l’aident à les défrayer, cette police constituant pour eux une sorte d’héritage. Toutefois, estimant leur coût trop élevé, A.C.O. a conservé l’assurance qu’il détenait déjà.

[16]       L’intimé s’est dit satisfait des services qu’il a rendus à A.C.O. Il a vérifié les coûts des assurances auprès de trois compagnies, soit La Capitale, Industrielle Alliance et Empire. Cependant, elles ont refusé de l’assurer pour 400 000 $, même dans le cadre d’une assurance vie temporaire 20 ans. Ce n’est qu’à ce moment-là que son client a compris qu’il n’était pas assurable.

[17]       En mai 2014, A.C.O. avait une nouvelle conjointe et souhaitait conserver son assurance de 100 000 $. Ayant oublié qu’à l’expiration des dix ans les primes augmentaient considérablement, il était mécontent.  

[18]       L’intimé lui a proposé une rencontre afin de réévaluer le tout, mais A.C.O. a refusé.  

[19]       Contre-interrogé à propos des ABF visés par les deux derniers chefs d’accusation, l’intimé a admis les avoir complétées en 2014, mais n’y avoir indiqué que les informations qu’il connaissait en 2004.

[20]       Il a reconnu avoir d’abord déclaré à l’enquêteure que les ABF avaient été complétées en 2004, ajoutant néanmoins que, vers la fin de la rencontre avec celle-ci, il a admis que c’était plutôt en 2014.  

[21]       Comme déjà mentionné à l’enquêteure, il regrette ses gestes ainsi que de ne pas avoir conservé ses notes.

[22]       Il a par ailleurs demandé l’indulgence du comité, promettant d’être plus vigilant pour ne pas répéter ces gestes. Il a indiqué qu’il ne les a pas prémédités. Aussi, il a assuré le comité qu’il n’était pas animé d’une intention malhonnête ou malveillante, mais ne peut malheureusement revenir en arrière.

[23]       Enfin, il a réitéré avoir toujours procédé à des ABF, même si, dans ce cas-ci, elles n’ont malheureusement pas été conservées au dossier.

ANALYSE ET MOTIFS

[24]        Quant aux deux premiers chefs d’accusation reprochant à l’intimé de ne pas avoir recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse conforme et complète des besoins du consommateur, tant pour l’assurance vie que l’assurance invalidité, la preuve prépondérante a démontré clairement qu’il y avait absence d’ABF au moment de la souscription en 2004.

[25]        De l’aveu même de l’intimé, les ABF ont été complétées en 2014, soit dix ans plus tard.

[26]        Le comité estime que l’intimé a offert un témoignage crédible et honnête et ne met pas en doute qu’il ait voulu bien servir son client.

[27]        Néanmoins, même si la conformité était beaucoup moins rigoureuse au moment des faits reprochés en 2004, comme maintes fois répété par le comité de discipline, les représentants doivent non seulement recueillir tous les renseignements, mais les consigner par écrit et les conserver dans leurs dossiers.

[28]        Aussi, un certain parallèle peut être dressé avec l’affaire Lévesque[1], dont la décision récemment rendue par une autre formation du comité rejette la défense présentée quant aux notes manuscrites malheureusement perdues par un représentant :

« [39] Or, en l’espèce, même dans la perspective qui lui soit la plus favorable, le comité doit, à tout le moins, conclure que l’intimé a fait défaut de conserver les écrits démontrant les informations recueillies de ses clients au moment de la souscription des polices d’assurance-vie en cause.

(…)

[47] Et l’argument invoqué par le procureur de l’intimé relativement à l’interprétation à donner audit article, voulant que même si le représentant doit lors de l’exercice d’ABF consigner par écrit à son dossier les renseignements obtenus des clients il n’aurait par la suite aucune obligation de les conserver, avec respect, de l’avis du comité, ne peut être retenu.

[48] Si le législateur a exigé que les renseignements soient consignés par écrit c’est très certainement afin qu’un document témoigne de la nature et de l’étendue de l’exercice auquel s’est plié le représentant avec le client avant que ce dernier ne souscrive une couverture d’assurance-vie. Et la justification évoquée par l’intimé, pour expliquer l’absence à son dossier des informations obtenues de ses clients, ne peut servir à le disculper.

(…)

[51] Même si l’intimé possédait une connaissance de la condition et des besoins de ses clients, notamment pour leur avoir antérieurement rendu des services en tant que représentant et/ou parce qu’il les rencontrait régulièrement, cela ne l’autorisait pas à se soustraire aux devoirs que lui imposait l’article 6 du Règlement précité, et qui lui dictaient de procéder avec ses clients, avant la souscription d’une police d’assurance-vie, à une ABF complète, conforme, et d’ensuite consigner par écrit les renseignements obtenus. »

[29]       Par conséquent, l’intimé sera déclaré coupable sous chacun des deux premiers chefs d’accusation contenus à la plainte, pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[30]       Par ailleurs, le comité ordonnera l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions invoquées au soutien de ces chefs.

[31]       Quant aux troisième et quatrième chefs d’accusation reprochant d’avoir confectionné de faux documents, la preuve non contredite a révélé que c’est après coup que l’intimé a complété lesdites ABF. Il s’agit de faux documents faits dans le but de laisser croire qu’ils ont été complétés en temps utile, soit en 2004. Le comité déplore que l’intimé ait suivi les conseils de ses collègues pour ce faire.

[32]       L’intimé sera par conséquent déclaré coupable sous chacun des chefs d’accusation 3 et 4 de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[33]        Par ailleurs, le comité ordonnera l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions invoquées au soutien de ces derniers chefs.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion du nom et de tout renseignement ou documents de nature personnelle et économique permettant d'identifier le consommateur visé par la présente plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des deux premiers chefs d’accusation contenus à la plainte pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r. 10);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions invoquées au soutien de ces deux premiers chefs;

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs d’accusation 3 et 4 contenus à la plainte pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions invoquées au soutien de ces deux derniers chefs;

CONVOQUE les parties avec l’assistance du secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

(S) Janine Kean

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Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Benoit Bergeron

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M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin. Membre du comité de discipline

 

(S) Pierre Décarie

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M. Pierre Décarie

Membre du comité de discipline

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 21 juillet 2016

 

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1] Chambre de la sécurité financière c. Lévesque, CD00-1071, décision sur culpabilité du 16 juin 2016.

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