Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Boucher

2017 QCCDCSF 5

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1173

 

DATE :

1er février 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre

M. Sylvain Jutras, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière,

Partie plaignante

c.

ÉRIC BOUCHER, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 104315, BDNI 1481761),

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés ainsi que de chacune des pièces versées au dossier qui permettraient de les identifier.

                     Ordonnance de non-divulgation et de non-publication des noms et prénoms des signataires des lettres de recommandation ou de soutien produites en liasse sous la cote I-1.

[1]           Le 10 août 2016, au siège social de la Chambre de la sécurité financière, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal, province de Québec, H2X 4B8, et le 5 octobre 2016, aux locaux du Tribunal administratif du travail situés au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, Montréal, province de Québec, H2Z 1W7, le comité de discipline s’est réuni et a procédé à l’instruction d’une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À Rouyn-Noranda, le ou vers le 6 juillet 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêt en faisant investir à É.J. une somme de 15 000 $ dans une société dans laquelle il avait un intérêt au moyen d’un emprunt contracté sur la police d’assurance-vie [...], contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19, 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1). »

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]           D’entrée de jeu, le 10 août 2016, l’intimé, accompagné de sa procureure, enregistra un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

[3]           Après l’enregistrement dudit plaidoyer, à la demande des parties, il fut convenu de continuer l’audition au 5 octobre 2016.

[4]           À la date susdite les parties soumirent au comité leurs preuve et représentations respectives sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[5]           Alors que la plaignante versa au dossier une imposante preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-22, elle ne fit entendre aucun témoin.

[6]           Quant à l’intimé, il fit entendre M. Jonathan Bolduc (M. Bolduc) le dirigeant responsable de son cabinet, choisit de lui-même témoigner et versa en liasse sous la cote I-1 plusieurs lettres de recommandation et d’appui provenant de clients ou de tierces parties.

[7]           Les parties offrirent ensuite au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[8]           La plaignante, par l’entremise de sa procureure, débuta en résumant à l’aide de la preuve documentaire versée au dossier, le contexte factuel rattaché à la plainte.

[9]           Elle signala d’abord qu’alors qu’É.J. était client de l’intimé depuis 1996, un lien d’amitié ainsi que familial les unissait, l’épouse d’É.J. étant la cousine de l’intimé.

[10]        Elle raconta qu’en 2008 É.J. et l’intimé avaient convenu de s’associer dans une compagnie constituée aux fins d’opérer et/ou de transiger dans le domaine immobilier, plus particulièrement dans la vente, la construction ou la location d’immeubles.

[11]        Alors qu’É.J. devait essentiellement se consacrer aux activités de « construction », l’intimé devait gérer l’aspect financier de l’entreprise.

[12]        À un certain moment, en 2011, à la suite de dépassements de coûts soudains ou imprévus, un apport de liquidités s’avéra nécessaire à la poursuite des activités de la compagnie et il fut convenu qu’une somme de quinze mille dollars (15 000 $) provenant de la police d’assurance-vie détenue par É.J. y serait investie.

[13]        En contrepartie de la contribution d’É.J., l’intimé prépara en faveur de ce dernier une « reconnaissance de dette de la compagnie ».

[14]        Malheureusement, quelque temps après, les relations entre É.J. et l’intimé se détériorèrent. Des litiges surgirent entre eux, et en 2013, l’intimé céda le dossier de son client É.J. à un autre représentant.

[15]        En 2014 É.J. et l’intimé mirent fin à leur relation d’affaires.

[16]        Et à la fin de décembre de la même année, après que des procédures judiciaires eurent été intentées, ils parvinrent à une entente aux fins de régler l’ensemble des litiges les opposant. Celle-ci fut consacrée dans un document de transaction[1].

[17]        Après avoir ainsi exposé la trame factuelle rattachée à la plainte, la plaignante indiqua au comité qu’elle lui suggérait, à titre de sanction, et qu’il s’agissait d’une « recommandation commune », de condamner l’intimé au paiement d’une amende de dix mille dollars (10 000 $).

[18]        Elle poursuivit en invoquant les facteurs, à son opinion, aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants

         « la gravité objective de l’infraction reprochée, de nature à miner la relation client-représentant;

         une infraction au cœur de l’exercice de la profession;

         l’expérience de l’intimé, ce dernier ne pouvant invoquer l’excuse du « débutant » dans la profession;

         une situation où l’intimé savait ou devait savoir qu’« en faisant des affaires avec un client », il se plaçait dans une situation de « potentiel conflit d’intérêts. »

[19]        Elle ajouta que pour la durée de l’emprunt (sur sa police d’assurance-vie) É.J. avait été exposé à recevoir une indemnité moindre de l’assureur, mentionnant toutefois que les sommes « perdues » auraient possiblement pu être récupérées de la compagnie puisque celle-ci « avait signé une reconnaissance de dette en sa faveur ».

Facteurs atténuants

         « l’absence de preuve d’intention malveillante ou malhonnête;

         l’absence de recherche de gains personnels;

         l’absence d’antécédent disciplinaire;

         l’emprunt contracté par É.J. était au bénéfice d’une entreprise dans laquelle il possédait lui-même des intérêts à 50 %. »

[20]        Elle termina en déposant à l’appui de sa recommandation, un cahier d’autorités comprenant quatre décisions antérieures du comité qu’elle commenta[2].

 

 

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[21]        La procureure de l’intimé débuta ses représentations en soulignant que la première responsabilité du comité était de « s’assurer que la sanction choisie soit fonction des faits établis ».

[22]        Elle rappela que celle-ci, tel que les comités de discipline l’avaient en maintes occasions soulignée, ne devait pas être punitive et de plus, devait être adaptée aux circonstances rattachées à l’infraction.

[23]        Elle souligna ensuite les éventuelles conséquences pour l’intimé d’une sanction de radiation, particulièrement à l’égard de la poursuite de sa carrière.

[24]        Ainsi, elle rappela que, selon le témoignage de M. Bolduc, l’assureur « London Life », avec lequel l’intimé souscrit la plupart de ses contrats, s’était refusé par le passé de « travailler » avec un représentant ayant fait l’objet d’une sanction de radiation. Elle plaida que dans de telles circonstances, l’imposition d’une radiation pourrait avoir un « effet punitif ».

[25]        Elle poursuivit en signalant que son client avait, à la première occasion, enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’endroit du chef d’accusation contenu à la plainte, ajoutant que les risques de récidive dans son cas étaient, à son avis, de « nature inexistante », la faute reprochée ayant été commise, tel que précédemment décrit, dans le contexte très particulier précédemment décrit par la plaignante.

[26]        Puis, après avoir souligné l’absence d’antécédent disciplinaire de ce dernier, elle rappela qu’il « bénéficiait d’une excellente réputation dans son milieu », tel qu’en avait témoigné M. Bolduc et tel qu’en attestaient les différentes lettres de recommandation ou de soutien versées au dossier sous la cote I-1.

[27]        Elle plaida qu’il avait déjà, à son avis, amplement subi les conséquences de sa faute et ne représentait aucun risque pour le public.

[28]        Elle signala l’absence de gain ou de bénéfice personnel retiré par ce dernier à l’occasion de la transaction, mentionnant qu’il avait strictement agi dans l’intérêt de la compagnie qu’il détenait avec É.J.

[29]        Et après avoir ensuite repris, tour à tour, chacune des décisions déposées par la plaignante, y soulignant les distinctions applicables au cas en l’espèce, elle versa au dossier l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Pigeon c. Daigneault[3], soulignant notamment alors les déclarations de la Cour à l’effet que la sanction doit coller aux faits du dossier et doit permettre d’atteindre les objectifs suivants :

« au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession ».

[30]        Puis, en terminant, elle confirma que la suggestion de la plaignante d’imposer à l’intimé, à titre de sanction, le paiement d’une amende de dix mille dollars (10 000 $) était effectivement une « recommandation commune ».

[31]        Elle réclama toutefois du comité, considérant le montant de l’amende proposée, un délai pour le paiement de celle-ci, suggérant alors un délai de douze mois.

[32]        Elle réclama enfin que le comité se dispense de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[33]        L’intimé ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, il sera déclaré coupable sous celui-ci.

[34]        Relativement à la sanction qui doit lui être imposée, le comité croit devoir souligner ce qui suit :

        Il n’a aucun antécédent disciplinaire;

        Il a reconnu sa faute et a admis son erreur;

        Son honnêteté et sa probité ne sont aucunement en cause;

        Les informations transmises au comité ne permettent aucunement de conclure qu’il puisse avoir été animé d’une intention malveillante;

        La transaction reprochée ne lui a rapporté aucune forme de rémunération (boni ou commission);

        L’emprunt contracté par É.J. sur sa police d’assurance-vie a bénéficié à une entreprise dont il détenait 50 % des actions (avec l’intimé);

        Tel que l’a signalée la procureure de l’intimé, l’infraction a été commise dans un contexte particulier et, dans de telles circonstances, les risques de récidive paraissent peu élevés;

        L’intimé semble en effet avoir bien compris qu’il aurait dû éviter de se placer dans une situation de conflit d’intérêts;

        Enfin, le comité est confronté à une faute isolée au cours d’un parcours professionnel de près de 20 ans sans tache.

[35]        Et, tel qu’en a témoigné M. Bolduc ainsi que les huit clients ou tierces parties dont les témoignages vantant son attitude professionnelle ont été déposés en liasse sous la cote I-1, l’intimé bénéficie, dans son milieu, d’une excellente réputation.

[36]        Néanmoins, la gravité objective de l’infraction qu’il a commise et pour laquelle il s’est reconnu coupable, est indéniable.

[37]        Elle va au cœur de l’exercice de la profession.

[38]        L’intimé a fait défaut de préserver son indépendance et de respecter son devoir de loyauté.

[39]        Il a subordonné l’intérêt de son client au sien.

[40]        Relativement à la sanction qui doit lui être imposée, les parties ont soumis au comité ce qu’il est convenu d’appeler une « suggestion commune ».

[41]        Or, dans l’arrêt Douglas[4], la Cour d’appel du Québec a clairement indiqué que, lorsque les parties représentées par des avocats compétents qui maîtrisent leur dossier, s’entendent pour transmettre au tribunal des « recommandations communes », celles-ci ne devraient être écartées que si ce dernier les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[42]        Ce principe, repris récemment par la Cour suprême du Canada[5] a, à quelques reprises, été retenu en matière disciplinaire[6].

[43]        Ainsi, après analyse du dossier et compte tenu des particularités propres à celui-ci, le comité ne croit pas qu’il serait justifié de s’écarter de la recommandation conjointe des parties. En conséquence, il y donnera suite.

[44]        Il condamnera donc l’intimé, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, au paiement d’une amende de dix mille dollars (10 000 $).

[45]        Par ailleurs, compte tenu de la somme en cause ainsi que des charges familiales de l’intimé, le comité lui accordera un délai de douze mois pour l’acquittement de ladite amende à la condition qu’il en effectue le paiement au moyen de douze versements mensuels, égaux et consécutifs, débutant le 30e jour de la présente décision, sous peine autrement de déchéance du terme accordé.

[46]        Enfin, en l’absence d’éléments particuliers qui le justifieraient d’agir autrement, le comité condamnera l’intimé au paiement des déboursés. Ceux-ci correspondent aux frais engagés par les procédures nécessaires au règlement de son dossier et aucun motif ne lui permettant de passer outre à la règle habituelle voulant que les déboursés nécessaires à la condamnation du représentant fautif soient généralement imputés à ce dernier ne lui a été exposé.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            Sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte :

            PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé;

            DÉCLARE l’intimé coupable sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

            ET STATUANT SUR SANCTION :

                         CONDAMNE l’intimé, sous l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, au paiement d’une amende de dix mille dollars (10 000 $);

            ACCORDE à l’intimé un délai d’une année pour l’acquittement de ladite amende, à la condition qu’il en effectue le paiement au moyen de douze versements mensuels, égaux et consécutifs débutant le 30e jour de la présente décision, sous peine autrement de déchéance du terme accordé;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

 

 

(S) François Folot

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Me François Folot

Président du comité de discipline

 

(S) Suzanne Côté

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Mme Suzanne Côté, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Sylvain Jutras

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M. Sylvain Jutras, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Caroline Isabelle

BELANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Sonia Paradis

DONATI MAISONNEUVE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

10 août 2016 et 5 octobre 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Copie de l’entente de règlement fut versée au dossier sous la cote P-18.

[2]     Chambre de la sécurité financière c. Gauthier, CD00-0911, décision sur culpabilité en date du 4 juin 2013 et décision sur sanction en date du 5 juin 2015; Chambre de la sécurité financière c. Létourneau, CD00-0906, décision sur culpabilité en date du 30 août 2012 et décision sur sanction en date du
16 mai 2013; Chambre de la sécurité financière c. Chen, CD00-0925, décision sur culpabilité et sanction en date du 6 août 2013; Chambre de la sécurité financière c. Giroux, CD00-0720, décision sur sanction en date du 13 avril 2012.

[3]     2003 CanLII 32934 (QC CA), paragraphes 37 et suivants.

[4]     Douglas c. R., 2002 CanLII 32492 (QC CA).

[5]     Voir R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[6]     Voir notamment les décisions du Tribunal des professions dans Malouin c. Notaires (Ordre professionnel des), 2002 QCTP 015 et Mathieu c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2004 QCTP 027.

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