Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Goulet

2017 QCCDCSF 10

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1087

 

DATE :

24 février 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. François Faucher, Pl. Fin.

Membre

M. François Laporte

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ANDRÉ GOULET, conseiller en sécurité financière, conseiller en régimes d’assurance collective et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 115132, BDNI 1816781),

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom des consommateurs dont les initiales sont indiquées à la plainte ainsi que de tout renseignement ou document permettant de les identifier.

[1]   Le 29 novembre 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (C.S.F.) s'est réuni aux locaux du Tribunal administratif du travail, 900, boulevard René-Lévesque Est, 5e étage, à Québec, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.    « À St-Anselme, le ou vers le 7 décembre 2011, l’intimé n’a pas recueilli personnellement tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de P.C et S.D. alors qu’il leur faisait souscrire la proposition numéro […], contrevenant ainsi à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, chapitre D-9.2, r.10);

 

2.    À St-Anselme, à compter du 4 juillet 2012, l’intimé n’a pas sauvegardé en tout temps son indépendance et s’est retrouvé en situation de conflit d’intérêts en étant créancier de sa cliente P.C. pour la somme qu’il lui avait avancée pour le paiement de la première prime sur une police d’assurance-vie qu’il lui avait fait souscrire, contrevenant ainsi à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3).»

PREUVE DES PARTIES

[2]           Au soutien de la plainte, la plaignante fit entendre Mme Lucie Coursol, (Mme Coursol) enquêteure à la C.S.F., Mme P.C. (P.C.), la consommatrice concernée par chacun des deux chefs d’accusation et versa au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-8.

[3]           Quant à l’intimé, en plus de témoigner, il déposa une série de pièces qui furent cotées I-1 à I-4.

LES FAITS

[4]           La trame factuelle rattachée à la plainte est la suivante :

[5]           Selon son témoignage, P.C., la consommatrice concernée par chacun des deux chefs d’accusation fait connaissance avec l’intimé par l’entremise de son ex-conjoint à une période qu’elle situe entre 1990 et 1993.

[6]           En octobre 2011, elle communique avec ce dernier afin d’obtenir, comme elle l’a déclaré : « d’enlever le nom de son frère mentionné comme exécuteur à la police qu’elle détient auprès de la compagnie d’assurances Empire Vie (Empire Vie) et de remplacer le nom par celui de son nouveau conjoint S.D. »

[7]           En décembre de la même année, en compagnie de son « nouveau conjoint » S.D., elle rencontre l’intimé.

[8]           La rencontre se tient à la résidence du couple et dure entre 1 h et 1 h 30.

[9]           P.C. et S.D. cherchent alors à obtenir une police assurance-vie et assurance-invalidité qui couvrirait, en cas de décès et d’invalidité, leurs obligations hypothécaires et remplacerait une couverture souscrite par l’entremise de l’institution qui leur a prêté.

[10]        L’intimé s’informe alors plus précisément de ce qu’ils recherchent et les questionne notamment sur leurs revenus.

[11]        Par la suite, P.C. et S.D. souscrivent une proposition d’assurance auprès de l’assureur La Capitale (La Capitale).

[12]        Au terme de la rencontre, l’intimé confie à ses clients. qu’étant sur le point de « partir en voyage, ils allaient se reparler en janvier » de l’année suivante.

[13]        La suite des événements fait l’objet de versions différentes.

[14]        Selon P.C., en janvier 2012, particulièrement préoccupée d’obtenir le retrait de son frère comme exécuteur à la police d’assurance-vie qu’elle détient auprès de l’Empire Vie et n’ayant reçu aucune indication relativement au changement demandé, elle communique à ce sujet avec l’intimé. Ce dernier lui déclare alors qu’il va communiquer avec l’assureur.

[15]        Puis, en mars de la même année, elle le rencontre relativement à la police qu’elle-même et son nouveau conjoint ont souscrite auprès de La Capitale.

[16]        L’intimé veut notamment alors procéder au prélèvement nécessaire au paiement de la prime.

[17]        Mais, comme le prélèvement rattaché à la couverture souscrite par les soins de l’institution financière lui ayant consenti une hypothèque venait d’être effectué, cela la plaçait, comme elle l’a indiqué, dans la situation « de devoir payer deux montants de prime dans le même mois ».

[18]        Étant dans l’impossibilité « d’assumer les deux primes », elle demande à l’intimé d’obtenir que les prélèvements relatifs à la police de La Capitale débutent au mois de mai afin de lui permettre de mettre fin aux prélèvements automatiques de prime relatifs à l’assurance qu’elle détient déjà.

[19]        Elle lui réclame donc d’obtenir que la police soit « redatée ».

[20]        L’intimé lui indique cependant alors que ce ne sera pas possible.

[21]        Il lui offre toutefois de lui prêter la somme nécessaire au paiement de la première prime.

[22]        Il lui propose d’émettre lui-même un chèque en paiement de ladite prime (du mois d’avril).

[23]        Selon ce qu’a déclaré P.C., elle lui demande si c’est légal et il lui dit « je peux le faire ».

[24]        Elle lui mentionne par ailleurs, et d’autre part, qu’elle « attend toujours la réponse de la compagnie Empire-Vie ».

[25]        L’intimé lui indique qu’elle doit signer une autorisation écrite pour qu’il puisse effectuer le changement qu’elle réclame. Le document nécessaire est alors complété et elle le signe.

[26]        De plus, il lui demande qu’elle lui fasse tenir le permis de conduire de son « nouveau conjoint », S.D.

[27]        Au mois de juin ou juillet suivant, n’ayant toujours pas eu confirmation du remplacement de son frère à titre d’exécuteur sur la police d’Empire Vie, elle communique avec l’intimé.

[28]        Celui-ci lui indique que « ça lui prend certains documents », dont la documentation reliée aux procédures de faillite la concernant pour qu’Empire Vie puisse retirer le nom de son frère et le remplacer par celui de son « nouveau conjoint ».

[29]        Insatisfaite de la situation, P.C. prend alors rendez-vous avec un autre représentant et transfert tous ses dossiers d’assurance à celui-ci.

[30]        Elle reçoit alors peu après un appel téléphonique de la part de l’intimé où celui-ci se montre très insatisfait de sa décision.

[31]        Puis, quelques jours après l’appel, elle est signifiée d’une mise en demeure par laquelle il lui réclame le remboursement dans les dix jours de la somme de 198,48 $, qu’il a versée à son bénéfice.

[32]        Mécontente des développements, P.C. dépose une plainte contre l’intimé auprès de l’Autorité des marchés financiers[1].

[33]        La version des événements présentée par l’intimé diffère quelque peu de celle de sa cliente.

[34]        Selon son témoignage, il aurait communiqué avec sa cliente en février, à son retour de la Floride.

[35]        Et puisqu’afin de s’éviter le paiement de primes sur deux polices, cette dernière désirait, avant d’accuser réception de la police de La Capitale, faire cesser les paiements automatiques en faveur de l’assureur auprès duquel elle était déjà assurée, il l’aurait avisé qu’il « pouvait retarder la police ».

[36]        Après que La Capitale eût consenti à « redater » celle-ci et qu’il eût reçu le contrat « redaté », il aurait contacté sa cliente à nouveau, mais celle-ci n’avait toujours pas fait cesser les paiements automatiques sur sa première police.

[37]        Elle lui aurait alors demandé de reporter la mise en vigueur du contrat au mois de mai.

[38]        L’assureur aurait toutefois refusé, compte tenu qu’il y avait déjà eu une première demande afin de reporter les prélèvements.

[39]        Son témoignage est corroboré par la pièce I-3 qui est une copie de la réponse qu’il a obtenue de La Capitale et où il est indiqué « Veuillez prendre note que nous n’avons pas redaté cette police au 1er mai 2012, tel que demandé par les clients. Nous avions déjà redaté cette police au 1er avril 2012 et de plus, cette demande est signée depuis le 7 décembre 2011. Nous attendrons donc les exigences de livraison, accusé de réception et autorisation bancaire. »

[40]        Mais après qu’il eût avisé sa cliente du refus de l’assureur, celle-ci aurait versé des larmes, lui affirmant qu’elle n’avait pas les moyens de supporter dans le même mois le paiement de deux primes d’assurance.

[41]        Et c’est alors qu’afin de lui rendre service, il lui aurait offert de payer la prime du mois d’avril, avec l’entente qu’elle devrait éventuellement lui rembourser le montant payé.

[42]        Il lui aurait donc alors « avancé » la somme nécessaire au paiement de la première prime.

[43]        Par la suite, en juin ou juillet, à la suite d’un échange relativement au changement qu’elle désirait à la police d’Empire Vie, comme celui-ci tardait, P.C. se serait déclaré fort mécontente de la situation et aurait alors choisi de confier ses dossiers d’assurance à un nouveau représentant.

[44]        Après que, par l’entremise de son nouveau représentant, elle eût annulé la police émise par La Capitale, il lui aurait réclamé par voie de mise en demeure la somme de 198,48 $, qu’il lui avait prêtée.

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef d’accusation no 1 :

[45]        À ce chef d’accusation, il est reproché à l’intimé d’avoir, le ou vers le 7 décembre 2011, fait défaut de recueillir personnellement tous les renseignements et de procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers de P.C et S.D. alors qu’il leur faisait souscrire la proposition d’assurance y mentionnée.

[46]        Ledit chef d’accusation prend appui sur l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le Règlement).

[47]        Ledit article se lit, au moment des événements reprochés, comme suit :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d’assurance, analyser avec le preneur ou l’assuré ses besoins d’assurance, les polices ou contrats qu’il détient, leurs caractéristiques, le nom des assureurs qui les ont émis et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à charge et ses obligations personnelles et familiales. Il doit consigner par écrit ces renseignements.»

[48]        La disposition concernée, couchée en termes impératifs, oblige le représentant, avant de compléter une proposition d’assurance, de procéder à une analyse des besoins financiers (ABF) du client, et requiert qu’il consigne par écrit les renseignements obtenus.

[49]        Il s’agit d’une procédure préalable essentielle à l’émission de tout contrat d’assurance de personnes.

[50]        Elle vise à assurer que le représentant connaisse la situation de son client et puisse le conseiller adéquatement.

[51]        Et tel que l’édicte clairement ladite disposition législative, il est exigé que les renseignements obtenus soient consignés par écrit.

[52]        Or, en l’espèce, mentionnons d’abord que la preuve présentée au comité a révélé, qu’à la suite de la plainte déposée par P.C. auprès de l’AMF, l’enquêteure de la C.S.F. a réclamé de l’intimé qu’il lui fasse tenir ses dossiers clients relatifs à P.C. et S.D.

[53]        L’intimé s’est conformé à la demande et a fait parvenir à l’enquêteure la copie intégrale des dossiers clients réclamés[2].

[54]        Après révision complète de ceux-ci, cette dernière n’a toutefois pas été en mesure d’y retrouver une documentation qui aurait témoigné d’une analyse en bonne et due forme des besoins financiers (ABF) des clients.

[55]        Selon le témoignage de l’enquêteure, tout ce qu’elle a pu y trouver est un document témoignant d’une cueillette relativement sommaire d’informations[3].

[56]        D’autre part, lors de l’audition, l’intimé a honnêtement admis que le ou les documents apparaissant à son dossier attestaient d’un exercice incomplet et a déclaré que l’ABF « n’avait pas pu être parfaitement complétée parce que le conjoint de P.C., soit S.D., avait alors refusé de collaborer ».

[57]        L’intimé a en effet témoigné qu’il considérait avoir fait l’ABF du mieux qu’il pouvait le faire considérant que S.D. avait été réfractaire à lui donner de l’information.

[58]        Selon son témoignage, « le client ne voulait pas répondre et il a en conséquence écrit ce qu’il savait ».

[59]        Or, tel que le comité l’a affirmé à plusieurs reprises, « ce n’est pas au client à dicter ou à prescrire au représentant sa ligne de conduite »[4].

[60]        Que S.D. et/ou P.C. ait refusé de se soumettre, complètement ou en partie, à l’exercice d’ABF, tel que l’a invoqué l’intimé, ne permet pas d’absoudre ce dernier de la faute qui lui est imputée.

[61]        Pour ces motifs, l’intimé sera déclaré coupable sous ce chef, pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

Chef d’accusation no 2 :

[62]        À ce chef d’accusation, il est reproché à l’intimé d’avoir fait défaut, à compter du
4 juillet 2012, de sauvegarder en tout temps son indépendance et s’être « retrouvé en situation de conflit d’intérêts en étant créancier de sa cliente P.C. pour la somme qu’il lui avait avancée pour le paiement de la première prime sur la police d’assurance-vie qu’il lui avait fait souscrire, contrevenant ainsi à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière » (Code de déontologie).

[63]        Ledit article 18 du Code de déontologie édicte ce qui suit :

« 18. Le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts»

[64]        Or, selon la preuve présentée au comité il est indiscutable que l’intimé a avancé à sa cliente P.C. une somme de 198,48 $ en paiement de la première prime sur la police qu’elle avait souscrite auprès de La Capitale.

[65]        Cela est notamment confirmé par le fait qu’après que cette dernière eût demandé l’annulation de ladite police, il lui a, de sa propre admission, fait tenir une mise en demeure lui réclamant le remboursement de ladite somme[5].

[66]        Or, en prêtant ainsi à sa cliente la somme de 198,48 $, l’intimé a fait défaut de sauvegarder son indépendance et s’est placé en situation de conflit d’intérêts.

[67]        En se portant créancier de sa cliente, l’intimé s’est placé dans une situation où ses intérêts et ceux de cette dernière risquaient de se trouver en conflit.

[68]        En agissant de la sorte, l’intimé a contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie et s’est rendu coupable de la faute qui lui est reprochée à ce chef.

[69]        En conséquence de ce qui précède, il sera déclaré coupable sous celui-ci.


 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs d’accusation 1 et 2 contenus à la plainte;

             CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(S) François Folot

 

Me François Folot

Président du comité de discipline

 

(S) François Faucher

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M. François Faucher, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) François Laporte

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M. François Laporte

Membre du comité de discipline

 

 

Me Vincent Grenier-Fontaine

CDNP Avocats inc.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

29 novembre 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]     Voir pièce P-2.

[2]     Voir pièce P-4.

[3]     Voir pièce P-4, page 000191.

[4]     Voir entre autres Chambre de la sécurité financière c. Derkson, 2015 QCCDCSF 32, décision sur culpabilité en date du 23 juin 2015 et décision sur sanction en date du 17 décembre 2015, Chambre de la sécurité financière c. Grenier, CD00-0727, décision sur culpabilité en date du 30 avril 2009.

[5]     Voir pièce P-8.

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