Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Bouayad

2017 QCCDCSF 13

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1164

 

DATE :

23 mars 2017

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

M. Sylvain Jutras, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MAROUANE BOUAYAD, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 138704 et BDNI 1490041)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la présente plainte et de tout renseignement de nature personnelle ou financière permettant de les identifier.

[1]          Le 23 août 2016, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau,
26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 2 novembre 2015.

[2]          La plaignante était représentée par Me Julie Piché.

[3]          L’intimé était présent et représenté par Me Stéphanie Robillard.

LA PLAINTE

1.         À Montréal, le ou vers le 18 avril 2009, l’intimé a fait souscrire à N.T. des fonds avec frais de sortie pour un montant de 5 000 $ dans le compte REEE numéro […] alors que cela ne correspondaient pas à sa situation personnelle et financière ainsi qu’à ses objectifs, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 3, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1) ;

2.         À Montréal, durant le mois de janvier 2012, l’intimé n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits en transférant une somme d’environ 5 850 $ du compte non enregistré numéro […] au compte CELI numéro […]  appartenant à W.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 3 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

3.         À Montréal, entre les années 2009 et 2013, l’intimé a fait signer en blanc W.D. des formulaires «Directives de placement-rachats/transferts» et «Investment Instructions», contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

[4]          Dans les jours précédents l’audience, le comité a été informé qu’il y aurait enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité par l’intimé et que les parties présenteraient des recommandations communes sur sanction.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[5]          D’entrée de jeu, l’intimé a confirmé vouloir enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous chacun des trois chefs d’accusation de la plainte portée contre lui.

[6]          Après s’être assuré qu’il comprenait que par ce plaidoyer, il reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité y a donné acte.

[7]          Ensuite, la procureure de la plaignante a résumé le contexte des infractions en déposant à l’appui sa preuve documentaire au soutien de chacun des trois chefs d’accusation[1].

[8]          Après étude de la preuve et un court délibéré, le comité a déclaré l’intimé coupable sous chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

         La plaignante

[9]           La procureure de la plaignante a présenté les recommandations communes des parties sur sanction, prenant appui sur une série de décisions[2] qu’elle a commentées :

a)        Sous le premier chef d’accusation (avoir fait souscrire des fonds avec frais de sortie qui ne correspondaient pas aux objectifs du consommateur) :

             L’imposition d’une amende de 5 000 $;

b)        Sous le deuxième chef d’accusation (ne pas avoir cherché à avoir une connaissance complète des faits en transférant un montant supérieur à celui admissible au CELI du consommateur) :

             L’imposition d’une amende de 2 000 $;

c)         Sous le troisième chef d’accusation (avoir fait signer en blanc des formulaires de directives de placements et d’instructions d’investissement) :

             L’imposition d’une amende de 5 000 $;

Le tout totalisant des amendes de 12 000 $.

[10]        De plus, les parties ont recommandé la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[11]       Elle a ensuite invoqué les facteurs aggravants et atténuants suivants :

Aggravants

a)        La gravité objective des infractions, ajoutant que l’infraction relative à l’obtention de signature en blanc a été maintes fois qualifiée de pratique malsaine;

b)        La répétition de 2009 à 2013 des infractions décrites au troisième chef;

c)         La vulnérabilité du couple de consommateurs impliqué au troisième chef qui, ayant signé les instructions en blanc, risquait que celles-ci ne soient pas suivies conformément à son désir;

d)        L'expérience de 8 à 13 ans possédée par l’intimé au moment de la commission des infractions.

Atténuants

a)        L’absence de malhonnêteté ou d’intention malveillante de l’intimé;

b)        L’existence d’un consommateur particulièrement exigeant qui faisait une gestion active de ses placements ainsi que de ceux de son épouse dans le cas des deux premiers chefs d’accusation;

c)         L’absence de préjudice pécuniaire important vu le remboursement par l’intimé des pénalités ou frais occasionnés selon le cas;

d)        L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité par l’intimé évitant aux consommateurs de témoigner et aux parties d’engager les frais inhérents aux trois journées retenues initialement pour l’instruction de la plainte;

e)        Le faible risque de récidive. 

         L’intimé

[12]        La procureure de l’intimé a confirmé que ce dernier était d’accord avec les sanctions proposées. Au titre des facteurs atténuants, elle a ajouté sa pleine collaboration à l’enquête de la syndique et souligné qu’il n’a pas agi pour son propre bénéfice.

[13]        Elle a rappelé que c’est l’intimé qui a remboursé les consommateurs, même si l’offre a été faite à ces derniers par l’entremise du cabinet.

[14]        Quant aux formulaires signés en blanc, elle a signalé qu’il s’agissait plutôt de documents incomplets. Quoique l’intimé possédait des autorisations limitées de ses clients, il procédait ainsi pour garder une trace des transactions, d’où l’inscription
« transaction faite » sur chacun des formulaires. De plus, selon la version de l’intimé, les transactions ont toutes été effectuées en présence des clients et conformément à leurs instructions.  

[15]        Elle a assuré le comité que l’intimé avait bien saisi la leçon, ajoutant que sa présence à l’audience et son plaidoyer de culpabilité devaient être interprétés comme l’expression de ses regrets.

[16]        Enfin, elle a indiqué que les parties s’étaient entendues pour accorder à l’intimé un délai de six mois pour le paiement des amendes et déboursés.

ANALYSE ET MOTIFS

[17]       Le comité réitère la déclaration de culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé sous chacun des trois chefs de la plainte portée contre lui.

[18]       En ce qui concerne les formulaires d’instructions signés en blanc, selon les faits rapportés, l’intimé possédait une autorisation limitée de ses clients ce qui le dispensait de remplir ce type de formulaires pourvu qu’il consigne par écrit leur accord obtenu préalablement auxdites transactions. Or, selon la version de l’intimé, quoiqu’incomplets, ces formulaires ont été signés par ses clients en sa présence dans le but de conserver dans son dossier une trace des transactions ainsi faites conformément à leurs instructions.

[19]        Pour les deux autres chefs d’accusation, l’intimé a fait défaut de vérifier toutes les informations pertinentes avant de procéder aux contributions dans les REÉÉ et CÉLI des consommateurs. Ainsi, pour les REÉÉ, l’intimé a ouvert un compte pour chacun des enfants des consommateurs. Il a toutefois négligé de vérifier l’âge de chacun d’eux avant de décider de la durée des placements. Ainsi, en raison d’une période de sept ans pour les placements effectués au profit de l’aîné, des frais de sortie ont été occasionnés par un retrait avant échéance. Dans le cas du CÉLI, l’intimé a fait défaut de s’assurer que la contribution ne dépassait pas le montant admissible. En conséquence, le consommateur a dû payer une pénalité. 

[20]       Même si les consommateurs ont été dédommagés pécuniairement, ces erreurs leur ont causé sans aucun doute des irritants et des inconvénients.  

[21]       Par ailleurs, les gestes commis par l’intimé ne résultent pas d’un comportement malhonnête, mais d’une négligence certaine et d’un manque de rigueur dans l’exercice de ses activités de représentant.

[22]       À première vue, les amendes recommandées qui totalisent 12 000 $ peuvent paraître quelque peu sévères. Or, pour des infractions semblables à celles reprochées au troisième chef, une radiation temporaire est la sanction habituellement imposée.  Aussi, considérant les faits propres à ce dossier, le comité comprend le choix des parties de recommander l’imposition d’une amende.  

[23]       Sauf respect, quelques-unes des décisions soumises à l’appui des recommandations s’avèrent peu pertinentes, les faits se comparant difficilement à ceux du présent dossier comme l’affaire Deguire. Cet intimé a commis sur une très longue période de nombreuses infractions, dont la gravité objective était particulièrement importante. En conséquence, il a été condamné à des amendes totalisant 95 000 $ le comité ayant dû tenir compte de l’effet global des sanctions lors de la détermination  desdites amendes sous chaque chef.

[24]        En vertu des principes énoncés en droit criminel[3], récemment revisités par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook[4] et maintes fois retenus en droit disciplinaire[5], le comité ne devrait s’écarter des recommandations communes des parties que s’il les juge contraires à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[25]       Ainsi, considérant les faits propres à la présente affaire ainsi que les facteurs tant aggravants qu’atténuants soulignés par les parties, le comité est d’avis que leurs recommandations communes répondent aux critères devant le guider dans la détermination des sanctions et y donnera donc suite.

[26]       Par conséquent, l’intimé sera condamné à payer les amendes suivantes :
5 000 $ sous le premier chef, 2 000 $ sous le deuxième et 5 000 $ sous le troisième, pour un total de 12 000 $.

[27]       Il sera également condamné à payer les déboursés.

[28]       Enfin, le comité accueille la demande de l’intimé et lui accordera six mois pour acquitter les amendes et les déboursés. Toutefois, ces montants seront payables par versements mensuels égaux et consécutifs, sous peine de perte du bénéfice du terme en cas de défaut. 

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la présente plainte et de tout renseignement de nature personnelle ou financière permettant de les identifier;

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des trois chefs d’accusation portés contre lui;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimé coupable sous chacun des trois chefs d’accusation mentionnés à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ sous le premier chef d’accusation;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 2 000 $ sous le deuxième chef d’accusation;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ sous le troisième chef d’accusation;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

ACCORDE à l’intimé un délai de six mois à partir de la date de la présente décision pour le paiement des amendes et déboursés, lequel devra s’effectuer au moyen de versements mensuels, consécutifs et égaux, sous peine de déchéance du terme et sous peine de non-renouvellement de son certificat émis par l’Autorité des marchés financiers dans toutes les disciplines où il lui est permis d’agir.

 

(S) Janine Kean

__________________________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Gabriel Carrière

__________________________________

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Sylvain Jutras

__________________________________

M. Sylvain Jutras, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Stéphanie Robillard

DONATI MAISONNEUVE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 23 août 2016

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-1 à P-12.

[2] CSF c. Goura, CD00-0863, décision sur culpabilité et sanction du 16 décembre 2011; CSF c. Beaudoin, CD00-0765, décision sur culpabilité du 18 mars 2011 et décision sur sanction du 3 février 2012; CSF c. Vendramini, CD00-1026, décision sur culpabilité et sanction du 6 mars 2015; CSF c. Dozois, CD00-1051, décision sur culpabilité et sanction du 16 avril 2015; CSF c. Fortin, CD00-0796, décision sur culpabilité et sanction du 15 décembre 2010; CSF c. Latreille, CD00-0940, décision sur culpabilité et sanction du 6 février 2013; CSF c. Marcoux, CD00-0839, décision sur culpabilité et sanction du 6 juillet 2011; CSF c. Deguire, CD00-0830 et CD00-0870, décision sur culpabilité du 1er février 2012 et décision sur sanction du 4 décembre 2012; CSF c. Chen, CD00-0925, décision sur culpabilité et sanction du 6 août 2013.

[3]    Douglas c. Sa Majesté la Reine, [2002] CanLII 32492 (QCCA).

[4]    R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[5]    Notamment Roy c. Médecins (Ordre professionnel des), 1998 Q.C.T.P. 1735 ; Tremblay c. Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des), [2001] D.D.O.P. 245 (T.P.); Malouin c. Notaires (Ordre professionnel des), D.D.E. 2002 D-23 (T.P.); Stebenne c. Médecins (Ordre professionnel des) [2002] D.D.O.P. 280 (T.P.); Mathieu c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2004 QCTP 027 (T.P.); Médecins (Ordre professionnel des) c. Legault, 2016 CanLII 91699 (QC CDCM), décision sur culpabilité et sanction du 16 décembre 2016; CSF c. Charbonneau-Desjardins, CD00-1186, décision sur culpabilité et sanction du 26 janvier 2017.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.