Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Montour

2015 QCCDCSF 67

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1123

 

DATE :

23 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Monique Puech

Membre

 

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

GILLES MONTOUR (certificat numéro 124199)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________________________________

[1]          Le 16 novembre 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue
Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 27 mai 2015.

[2]          La plaignante était représentée par Me Jean-Simon Britten, alors que l’intimé se représentait seul.

LA PLAINTE

1.    À Bromont, le ou vers le 31 mars 2003, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à son client M.P. une somme d’environ 10 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18, 19, 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c.D-9.2, r.3), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c.D-9.2, r.7.1) ;

2.    Dans la province de Québec, à compter du ou vers le 1er avril 2004, l’intimé a fait défaut de remettre à M.P. une somme d’environ 10 000 $ que ce dernier lui avait prêtée, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c.D-9.2), 160 et 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c.V-1.1), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c.D-9.2, r.7.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c.D-9.2, r.7.1).

 

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]          L’intimé a fait parvenir un plaidoyer de culpabilité sous chacun des deux chefs de la plainte, signé par lui le 6 octobre 2015 (P-1).

[4]          Après l’avoir questionné pour savoir s’il désirait toujours enregistrer ce plaidoyer et s’être assuré qu’il en connaissait le sens et la portée, le comité a donné acte à son plaidoyer.

[5]          Ensuite, le procureur de la plaignante a rapporté les principaux faits ayant mené aux infractions commises en s’appuyant sur la preuve documentaire (P-1 à P-8).  

[6]          Ainsi, l’intimé a fait souscrire M.P. à des polices d’assurance vie en mai 2001 et était toujours inscrit comme son représentant au moment des gestes reprochés.

[7]          Le 31 mars 2003, il a emprunté 10 000 $ de son client M.P. et a signé une reconnaissance de dette qui prévoyait le remboursement intégral le 1er avril 2014. L’intimé a fait défaut de rembourser sa dette à échéance.

[8]          L’intimé a expliqué qu’il connaissait M.P. depuis 1983 ou 1984. Il croyait que ce dernier n’était pas son client au moment de l’emprunt car il travaillait alors dans un autre domaine, même s’il détenait toujours un certificat dans la discipline de l’assurance de personnes.

[9]          En 2013, l’intimé a déclaré faillite et a indiqué la créance envers M.P. Cette créance a toutefois été exclue de la faillite car prescrite. Selon ce que l’intimé a compris, bien que M.P. ait intenté des poursuites contre lui, une erreur sur la personne portant le même nom et prénom que l’intimé a été commise, de sorte que M.P. n’a jamais récupéré quoi que ce soit.  

DÉCLARATION DE CULPABILITÉ

[10]       Après avoir constaté la commission des infractions reprochées à l’intimé, le comité l’a déclaré coupable sous chacun des deux chefs d’accusation contenus à la plainte.

[11]        Ensuite, le procureur de la plaignante a déclaré être prêt à procéder sur sanction, mais ne pas avoir de preuve additionnelle à offrir, sauf des représentations.

[12]        Pour sa part, l’intimé a indiqué vouloir procéder sur sanction, M.P. ayant déjà assez souffert de la longueur des procédures qu’il avait dû intenter sans succès à la suite de ce prêt. Il a également exprimé regretter ces gestes.

REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

         La plaignante

[13]       Sous le premier chef d’accusation ayant trait au conflit d’intérêts, le procureur de la plaignante a recommandé d’ordonner la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans. Pour le deuxième chef d’accusation, reprochant de ne pas avoir remboursé l’emprunt fait à son client, il a recommandé une période de radiation de dix ans, les deux périodes de radiation étant à purger de façon concurrente.

[14]       De plus, il a demandé la publication de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[15]       À l’appui de ces sanctions, il a déposé un cahier d’autorités[1]. Dans ces décisions, les représentants ayant commis des infractions de conflits d’intérêts ont été condamnés à une période de radiation de cinq ans tandis que pour les infractions d’appropriation, ils ont été condamnés à une période de radiation de dix ans.  

[16]       Ensuite, il a mentionné les facteurs atténuants et aggravants suivants :

Atténuants

a)     La reconnaissance des faits;

b)     L’enregistrement du plaidoyer de culpabilité et sa collaboration à l’enquête;

c)      L’absence d’intention malveillante ou malhonnête;

d)     La période d’environ 12 ans depuis la commission des infractions;

e)     La présence d’un seul consommateur et d’un seul événement;

f)       L’absence d’antécédent disciplinaire;

g)     Un risque de récidive plutôt faible, étant donné que l’intimé est retraité et a indiqué ne pas avoir l’intention d’exercer de nouveau;

h)     Le fait que l’intimé est âgé de 62 ans et retraité;

 

i)       L’intimé est inactif depuis janvier 2015 et sa situation financière précaire, vu sa faillite en 2013;

j)       L’expression de regrets par l’intimé;

Aggravants

a)     La gravité objective des infractions commises, les infractions de conflit d’intérêts et d’appropriation étant des conduites de toute évidence prohibées;

b)     La préméditation du geste commis, appuyant l’existence de ce facteur du fait que l’intimé ait préparé et signé une reconnaissance de dette;

c)      Le préjudice pécuniaire d’au moins 10 000 $ subi par le consommateur;

d)     L’avantage tiré par l’intimé de cette infraction n’ayant jamais remboursé le consommateur;

e)     L’expérience de dix ans de l’intimé comme représentant au moment de la commission des infractions.

         L’intimé

[17]       L’intimé, pour sa part, a réitéré regretter ses gestes et s’est dit très peiné de quitter le domaine dans des conditions semblables, ayant toujours travaillé dans l’intérêt de ses clients.

ANALYSE ET MOTIFS

[18]       Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision rendue séance tenante ayant donné acte à l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et l’ayant déclaré coupable sous chacun des deux chefs d’accusation contenus à la plainte.

[19]       L’intimé a commencé à exercer en tant que représentant en assurance de personnes en 1993.

[20]       Il a collaboré à l’enquête et a enregistré un plaidoyer de culpabilité. Il est âgé de 62 ans, retraité et inactif depuis janvier 2015, n’ayant pas renouvelé son certificat.

[21]       Il y a absence d’intention malhonnête, même si le comité constate qu’il a emprunté en 2003 pour s’offrir un voilier et n’a jamais trouvé le moyen de rembourser M.P. depuis ce temps.

[22]       Il s’agit d’un seul événement et d’une seule victime. L’intimé n’a pas d’antécédent disciplinaire et a exprimé des regrets à l’égard de M.P.

[23]       Néanmoins, les infractions commises sont d’une gravité objective qui ne fait aucun doute.

[24]       En empruntant de l’un de ses clients, l’intimé a fait défaut de conserver son indépendance et s’est placé dans une situation où ses intérêts personnels risquaient d’être en opposition à ceux de son client.

[25]       Par la suite, il a fait défaut de le rembourser et s’est ainsi rendu coupable d’appropriation. À cette fin, rappelons que les tribunaux ont défini l’infraction d’appropriation de fonds, aux fins du droit disciplinaire notamment comme suit[2]:

« Le tribunal des professions dans l’affaire Tribunal – Avocats – 518, définit l’appropriation comme suit :

L’appropriation de deniers signifie donc que je prends des deniers qui ne m’appartiennent pas et je les fais miens. J’en fais ma propriété.19

Enfin, l’utilisation d’une somme d’argent à des fins autres que celles indiquées par le client constitue également une appropriation de deniers20.

Dans le même ordre d’idées, le seul fait de ne pas suivre les instructions d’un client et de placer des fonds reçus dans son compte personnel constitue une appropriation21.

De plus, même en présence d’un remboursement intégral au client, il demeure néanmoins qu’il y a eu appropriation pour le bénéfice personnel du professionnel22.

L’utilisation de l’argent du client pour payer des dettes personnelles constitue aussi un cas d’appropriation23.

Le détournement d’un montant pour payer des honoraires dus par son client au lieu de remettre cette somme au créancier à qui elle revient constitue également de l’appropriation24.

Enfin, le remboursement intégral ne constitue pas une défense25, ni l’ignorance26.

_____________

18 Tribunal – Avocats – 5, [1987] D.D.C.P. 251 (T.P.).

19 Tribunal – Avocats – 5, [1987] D.D.C.P. 251 (T.P.) p. 253.

20 Avocats c. Benoît, [1994] D.D.C.P. 14 (C.D.).

21 Gauthier c. Avocats, [1990] D.D.C.P. 287 (T.P.).

22 Ibid.

23 Tribunal – Avocats – 3, [1988] D.D.C.P. 309.

24 Garneau c. Notaires, 2002 QCTP 068.

25 Tribunal – Avocats – 4, [1988] D.D.C.P. 317.

26 Avocats c. Forget, [1992] D.D.C.P. 35 (C.D.). »

[26]       Au titre des facteurs aggravants toutefois, le fait que l’intimé ait préparé une reconnaissance de dette ne peut soutenir la préméditation alléguée par le procureur de la plaignante et le comité ne retiendra pas ce facteur.

[27]       Étant donné l’ensemble des faits propres à ce dossier, les facteurs aggravants et atténuants mentionnés, les recommandations de la plaignante sur sanction paraissent justes et appropriées en l’espèce et correspondent à celles habituellement ordonnées pour des infractions de même nature.

[28]       Par conséquent, le comité y donnera suite et ordonnera sous le premier et deuxième chef d’accusation la radiation temporaire de l’intimé pour des périodes de cinq et dix ans respectivement, à être purgées de façon concurrente.  

[29]       Enfin, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des deux chefs d’accusation portés contre lui;

DÉCLARE de nouveau l’intimé coupable de chacun des deux chefs d’accusation mentionnés à la plainte;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE, sous le premier chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière pour une période de cinq ans;

ORDONNE, sous le deuxième chef d’accusation, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière pour une période de dix ans, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

 

(s) Janine Kean  ____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Monique Puech___________________

Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Dominique Asselin_________________

M. Dominique Asselin, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Jean-Simon Britten

THERRIEN COUTURE AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représentait seul.

 

Date d’audience :

Le 16 novembre 2015

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL



[1] Rioux c. Thibault, CD00-0564, décision sur culpabilité et sanction du 16 février 2006; Thibault c. Bergeron, CD00-0682, décision sur culpabilité et sanction du 21 février 2008; Champagne c. Turcotte, CD00-0933, décision sur culpabilité et sanction du 5 avril 2013; Champagne c. Di Salvo, CD00-0933, décision sur culpabilité et sanction du 26 novembre 2013; Champagne c. Marapin, CD00-0992, décision sur culpabilité et sanction du 17 juillet 2014; Champagne c. Labonté, CD00-0878, décision sur culpabilité et sanction du    3 avril 2012; Champagne c. Savann, CD00-0908, décision sur culpabilité et sanction du 3 juillet 2012; Champagne c. Ferjuste, CD00-0922, décision sur culpabilité et sanction du 26 avril 2013; Champagne c. Voyer, CD00-0943, décision sur culpabilité et sanction du 9 janvier 2014.

[2] Patrick DE NIVERVILLE, «La rédaction d’une plainte disciplinaire», Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire 2008, Volume 290, aux pages 174-175.

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