Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N :

CD00-1134

 

 

 

DATE :

13 novembre 2015

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Alain Gélinas

Président

 

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

RÉJEAN TALBOT, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier (numéro de certificat 131874)

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR DEMANDE DE RÉCUSATION

 

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 10 septembre 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (ci-après également le «comité» ou le «comité de discipline») a procédé à l’audition d’une requête en récusation des trois membres de la formation. Le procureur de l’intimé invoque entre autres qu’un comité de discipline qui a entendu une requête en radiation provisoire ne devrait pas siéger au fond dans le même dossier. Cette question est importante, car elle n’a jamais fait l’objet d’une décision de la part d’une formation du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière.

Audience sur la  requête en radiation provisoire.

[2]           Le 26 juin 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal et a procédé à l’audition d’une requête en radiation provisoire de l’intimé, présentée par la plaignante.

[3]           Ladite requête était libellée comme suit :

REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

(ARTICLES 130 ET 133 DU CODE DES PROFESSIONS, RLRQ c. C-26)

 

 

AU COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE, LA PLAIGNANTE EXPOSE CE QUI SUIT :

 

1.         Au moment des faits relatés ci-dessous, l’intimé était détenteur d’un certificat en assurance de personnes, assurance collective de personnes, épargne collective et planification financière, tel qu’il appert de l’attestation de droit de pratique produite comme pièce R-1;

2.         Caroline Champagne, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière, a déposé une plainte disciplinaire contre l’intimé lui reprochant de s’être approprié la somme de 20 000 $ ainsi que d’avoir confectionné et utilisé ou permis que soit utilisé au faux document, tel qu’il appert de ladite plainte disciplinaire produite comme pièce R-2;

3.         Pour les motifs exposés ci-dessous, les faits reprochés à l’intimé sont graves et sérieux, portent atteinte à la raison d’être de la profession et sont de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue d’exercer sa profession;

Enquête de la syndique de la Chambre de la sécurité financière

4.         L’enquête de la syndique de la Chambre de la sécurité financière a débuté le 15 juin 2015 lorsqu’elle a reçu de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») une demande d’enquête faisant étant de la dénonciation de la fille de G.M., tel qu’il appert d’une copie de la lettre de l’AMF du 10 juin 2015 et de la demande du 1er juin 2015 produites en liasse comme pièce R-3;


L’intimé

5.         L’intimé est inscrit comme conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier;

6.         L’intimé fait l’objet de deux autres plaintes disciplinaires déposées auprès du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière.  L’audition du dossier CD00-1029 se poursuit en août 2015 et celle du dossier CD00-1082 débute en novembre 2015;

Les investissements Talbot inc.

7.         Les investissements Talbot inc. était un cabinet en assurance, assurance collective et planification financière inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers, mais qui est inactif depuis 2004, tel qu’il appert d’un extrait du registre des inscriptions produits comme pièce R-4;

8.         Les investissements Talbot inc. est par ailleurs une société en vigueur dont l’unique actionnaire et administrateur est l’intimé, tel qu’il appert d’un extrait du registre des entreprises produit comme pièce R-5;

9.         Les investissements Talbot inc. détient un compte auprès de la Caisse Desjardins du Plateau Montcalm dont le numéro de folio est […];

10.      En date du 18 juin 2015, le solde du compte de Les investissements Talbot inc. était de 0 $, tel qu’il appert d’une copie des relevés de compte de Les Investissements Talbot inc. pour la période du 1er janvier 2015 au 18 juin 2015 et de la liste des codes de transactions produite en liasse comme pièce R‑6;

G.L.

11.      G.L. est née le 1er janvier 1937 et était âgée d’environ 78 ans au moment des faits allégués qui sont survenus vers février 2015. Elle est décédée le ou vers le 25 mai 2015;

12.      G.L. était la cliente de l’intimé chez SFL Placements. Le numéro de client G.L. chez SFL Placements est […];

13.      G.L. détenait le compte bancaire numéro […] auprès de Banque Laurentienne, tel qu’il appert d’une copie d’un extrait du relevé de compte […] et des codes de transaction produite en liasse comme pièce R-7;

Somme appropriée

14.      Vers février 2015, G.L. souhaitait investir dans des fonds communs de placement par l’entremise de l’intimé;

15.      Le ou vers le 11 février 2015, G.L. a d’ailleurs signé une lettre d’instruction de SFL Placements aux fins d’investissement.  Cette lettre donne instruction d’acheter les placements suivants :

  dans le compte non-enregistré numéro […], 15 500 $ de parts dans le fonds Portefeuille Catégorie équilibrée Marquis de Dynamique (code de fonds # 5280);

  dans le compte CELI numéro […], 4 500 $ de parts du fonds Portefeuille de revenu équilibré Marquis de Dynamique (code de fonds # 1095);

tel qu’il appert d’une copie de la lettre d’instruction datée du 11 février 2015 produite comme pièce R-8;

16.      Bien que la lettre d’instruction R-8 soit datée du 11 février 2015, c’est le 6 février 2015 que G.L. a remis à l’intimé le montant de 20 000 $ à investir;

17.      En outre, plutôt que de transmettre le montant à investir directement à SFL Placements, G.L. a émis un chèque de 20 000 $ daté du 6 février 2105 à l’ordre personnel de l’intimé, tel qu’il appert d’une copie du recto et du verso du chèque de G.M. de 20 000 $ tiré de son compte de la Banque Laurentienne produite comme pièce R-9;

18.      Ce chèque a été déposé dans le compte […] de «Les Investissements Talbot inc.» le ou vers le 9 février 2015, tel qu’il appert d’une copie des relevés de compte R-6;

19.      Tel qu’il appert des relevés de compte de Les Investissements Talbot inc. R-6, tout juste avant que le 20 000 $ soit déposé, le compte affichait un solde de 0 $;

20.      La somme de 20 000 $ n’a donc pas été investie dans des fonds communs de placement auprès de SFL lorsque G.L. a remis à l’intimé son chèque daté du 6 février 2015 R-9, ni après son dépôt dans le compte de Les Investissements Talbot inc. le 9 février 2015, ni même en date du formulaire d’instruction R-8 le 11 février 2015;

21.      Par contre, tel qu’il appert des relevés R-6, divers retraits ont été effectués dans le compte de Les investissements Talbot suite au dépôt du chèque de 20 000 $:

  Le 11 février 2015, un chèque de 1 314 $ a été tiré du compte;

  Le 12 février 2015, un chèque de 1 360,38 $ a été tiré du compte;

  Le 13 février 2015, 5 000 $ a été viré par internet, 9 000 $ a servi au paiement d’une facture par internet, 1 224,35 $ a servi au paiement d’une facture par internet, et un chèque de 585$ a été tiré du compte;

  Le 16 février 2015, un retrait pré autorisé de 4 000$ a été effectué;

22.      Ainsi, l’intimé, non seulement n’a-t-il pas investi la somme que lui avait confiée G.L. pour fins d’investissement, mais en plus, il se l’est approprié par l’entremise du compte bancaire de Les investissements Talbot inc., étant le seul actionnaire et administrateur de cette société, tel qu’il appert de la pièce R-5;

23.      Le ou vers le 14 février 2015, G.L. a constaté que son relevé bancaire R-7 indiquait qu’un chèque de 20 000 $ avait été tiré de son compte bancaire le 10 février 2015.  G.L. en fut surprise puisqu’elle croyait avoir plutôt décidé d’investir 5 000 $ et non 20 000 $.  Elle a donc communiqué avec l’intimé afin d’avoir des explications;

24.      À cette date, le solde du compte de Les investissements Talbot inc. était de 1 515,59 $, tel qu’il appert des relevés R-6;

25.      L’intimé a tenté de rassurer la plaignante à l’effet que c’était bel et bien 20 000 $ qu’elle avait choisi d’investir;

26.      G.L. a tout de même demandé à l’intimé de récupérer 10 000 $ sur les 20 000 $ qu’elle lui avait remis à l’intimé ayant besoin de liquidités;

27.      C’est à ce moment que l’intimé a effectué des démarches afin de procéder à l’achat des parts de fonds communs de placements conformément au formulaire d’instruction daté du 11 février 2015 R-8;

28.      Le formulaire d’instruction R-8 portant la date du 11 février 2015 a en fait été reçu par SFL Placements le 17 février 2015 ainsi qu’un spécimen de chèque du compte duquel les montants à investir devaient être tirés au moyen de retraits préautorisés, tel qu’il appert du formulaire d’instruction R-8 ainsi que d’une copie du spécimen de chèque et du courriel de Desjardins sécurité financière du 18 juin 2015 à 13h51 produite en liasse comme pièce R‑10;

29.      Voulant laisser croire que ces retraits préautorisés proviendraient du compte bancaire de G.L., un faux spécimen de chèque a été confectionné et utilisé;

30.      En effet, le nom et les coordonnées de G.L. ont été ajoutés dans le coin supérieur gauche sur un spécimen de chèque du compte […] de Les investissements Talbot inc., laissant ainsi faussement croire que l’argent à investir serait tiré du compte bancaire de G.L., tel qu’il appert du faux spécimen de chèque R-10;

31.      Le ou vers le 17 février 2015, deux achats ont été effectués dans le compte de placements de G.L. qu’elle détenait chez SFL:

  15 500 $ de parts dans le fonds Portefeuille Catégorie équilibrée Marquis de Dynamique

  4 500 $ de parts dans le fonds Portefeuille de revenu équilibré Marquis de Dynamique

tel qu’il appert d’une copie des confirmations d’achat de 15 500 $ et de 4 500 $ produites en liasse comme pièce R-11;

32.      Ces achats ont été effectués par virements bancaires, tel qu’il appert d’une copie du courriel de Desjardins sécurité financière du 17 juin 2015 à 17h47 produit comme pièce R‑12;

33.      Le 18 février 2015, deux retraits préautorisés ont été effectués dans le compte de Les Investissements Talbot inc. au montant de 15 500 $ et 4 500 $, tel qu’il appert des relevés R-6;

34.      S’étant approprié la somme confiée par G.L. et le compte bancaire de Les investissements Talbot inc. n’ayant pas les liquidités requises, la marge de crédit associée au compte […] a été utilisée aux fins de ces retraits, tel qu’il appert des relevés R-6;

35.      Pour faire suite à la demande de G.L., l’enquête a révélé que l’intimé a complété un formulaire d’instruction visant à racheter 10 000 $ du fonds Portefeuille Catégorie équilibré Marquis de Dynamique (code de fonds 5280) et de déposer l’argent dans le compte bancaire […] de G.L. à la Banque Laurentienne, tel qu’il appert d’une copie de la lettre d’instruction datée du 16 février 2015 produite comme pièce R-13;

36.      Cette lettre d’instruction R-13 est datée du 16 février 2015 alors que le placement de 20 000 $ n’avait pas encore été effectué à cette date;

37.      La lettre d’instruction R-13 était signée par l’intimé qui déclarait agir en vertu d’une autorisation limitée « mandat » et ce, suite à une instruction téléphonique reçue le 20 février 2015 à 15h00, tel qu’il appert de la lettre d’instruction R-13 et de la copie partielle d’une autorisation limitée datée du 15 octobre 2009 produite comme pièce R-14;

38.      L’étampe de la lettre d’instruction indique que cette dernière n’a été transmise et reçue que le 26 février 2015, tel qu’il appert de la lettre d’instruction R-13;

Autres transactions dans le compte de Les investissements Talbot inc.

39.      Tel qu’il appert des relevés du compte de Les investissements Talbot inc. R-6, d’autres transactions comportant des similitudes semblent avoir effectuées;

40.      La poursuite de l’enquête de la syndique permettra de découvrir si l’intimé aurait utilisé des sommes confiées par d’autres clients pour des fins autres que celles d’investissement;


La radiation provisoire

41.      L’enquête de la syndique n’est pas encore complétée mais les faits portés à sa connaissance sont extrêmement troublants et requièrent l’intervention immédiate du comité de discipline;

42.      Il apparaît de façon prima facie que l’intimé s’est approprié les sommes d’argent confiées par sa cliente pour fins d’investissement;

43.      En conséquence, il y a urgence d’agir pour la protection du public;

44.      La présente requête est bien fondée en faits et en droit.

PAR CES MOTIFS, PLAISE AU COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCUEILLIR la présente requête;

PRONONCER la radiation provisoire immédiate de l’intimé, et ce, jusqu’à ce que jugement final soit rendu sur la plainte disciplinaire;

ORDONNER la publication d’un avis de cette décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où l’intimé a exercé ou pourrait exercer sa profession;

LE TOUT avec les frais contre l’intimé, incluant les frais de publication de l’avis.

 

EN FOI DE QUOI, J’AI SIGNÉ :

 

 

Montréal, ce 19 juin 2015

 

 

 

(s) Caroline Champagne

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE
Syndique


[4]          À ladite requête était jointe une plainte disciplinaire rédigée comme suit :

PLAINTE DISCIPLINAIRE

 

 

Je, soussignée, CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière, affirme solennellement et déclare que j’ai des motifs raisonnables de croire que l’intimé, alors qu’il détenait un certificat portant le numéro 131874 (BDNI 1747171) émis par l’Autorité des marchés financiers et qu’il était, de ce fait, encadré par la Chambre de la sécurité financière, a commis les infractions suivantes :

                 1.           À Québec, le ou vers le 9 février 2015, l’intimé s’est approprié la somme de 20 000 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement G.L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 160, 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

                 2.           À Québec, le ou vers le 17 février 2015, l’intimé a confectionné et utilisé ou a permis que soit utilisé un faux spécimen de chèque laissant croire à SFL Placements que les parts de fonds communs de placement achetés par G.L. étaient payés par elle, alors que l’argent provenait de Les investissements Talbot inc., une société non inscrite auprès de l’Autorité des marchés financiers, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 16, 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), 160, 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, c. V-1.1), et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

PAR CES MOTIFS, PLAISE AU COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

ACCUEILLIR la présente plainte;

 

Déclarer l’intimé coupable des infractions reprochées;

 

Imposer à l’intimé les sanctions jugées opportunes et équitables dans les circonstances.

 

EN FOI DE QUOI, J’AI SIGNÉ :

 

MONTRÉAL, ce 19 juin 2015

 

 

(s) Caroline Champagne

_________________________

CAROLINE CHAMPAGNE

Syndique

 

Décision sur la requête en radiation provisoire

Le 7 juillet 2015 le Comité a accueilli la requête en radiation provisoire aux motifs suivants :

« MOTIFS ET DISPOSITIFS

CONSIDÉRANT qu’à la plainte portée contre l’intimé il lui est reproché de s’être approprié des fonds et d’avoir confectionné et utilisé ou permis que soit utilisé un faux spécimen de chèque;

CONSIDÉRANT qu’une preuve à première vue « prima facie » a été faite à l’effet que l’intimé aurait commis les faits reprochés;

 CONSIDÉRANT qu’on reproche à l’intimé de s’être approprié la somme de 20 000 $;

CONSIDÉRANT que les appropriations reprochées par l’intimé se seraient déroulées récemment;

CONSIDÉRANT que les faits reprochés à l’intimé, à savoir : de s’être approprié d’un montant de 20 000 $ d’une cliente de 78 ans et d’avoir confectionné et utilisé ou a permis que soit utilisé un faux spécimen de chèque sont des infractions graves et sérieuses;

CONSIDÉRANT que les fautes alléguées contre l’intimé vont au cœur de l’exercice de la profession dans le secteur financier;

CONSIDÉRANT que les infractions reprochées à l’intimé sont de nature telle que la protection du public risquerait d’être compromise s’il lui était permis de continuer à exercer la profession;

CONSIDÉRANT que le comité s’est déjà prononcé dans la décision Baron[7] relativement au fait que « …l’appropriation de fonds représentant l’infraction la plus grave qu’un représentant puisse commettre et porte une grave atteinte à la raison d’être de la profession. »;

CONSIDÉRANT que la preuve présentée au comité tendrait à démontrer « prima facie » que la plainte portée par la plaignante n’est pas frivole, mais qu’elle est bien au contraire sérieuse;

CONSIDÉRANT que la syndique a agi avec diligence raisonnable;

CONSIDÉRANT que Me Brigitte Poirier avait une connaissance personnelle de l’ensemble du dossier et que par conséquent l’affidavit est valable ».

 

Requête pour suspendre l’exécution d’une décision

Le 27 juillet 2015, l’honorable juge Martine L. Tremblay a rejeté une requête pour suspendre l’exécution d’une décision[1]. Elle souligne que le comité a énoncé sa compréhension de l’infraction d’appropriation de fonds et des principes importants aux fins d’une radiation provisoire de la manière suivante :

[9]           Après avoir élaboré sur les plaidoiries de la syndique[6] et du procureur de M. Talbot[7], le Comité énonce[8] sa compréhension de ce qu’est l’infraction d’appropriation de fonds en se référant aux décisions Chambre de la sécurité financière c. Létourneau[9] et Champagne c. St-Jean[10].

[10]        La syndique invoquant l’article 130 alinéas 2o et 3o du Code[11], le Comité mentionne[12] les principes importants aux fins de sa Décision, qu’il dégage de la décision Mailloux c. Médecins (Ordre professionnel des)[13], soit :

•         La radiation provisoire est une mesure d’exception visant la protection du public [Par 66];

•         Contrairement à l’ancien article 127 du Code des professions, «  il n’est plus nécessaire que la protection du public soit gravement compromise » [Par 74];

•         Une certaine démonstration doit être faite à l’effet que le professionnel a posé les gestes qu’on lui reproche [Par 77];

•         La notion de risque prévu à l’article 130 du Code des professions « connote l’idée d’un danger éventuel par opposition à une ferme conviction » [Par 81];

•         L’instruction d’une requête en radiation provisoire n’est pas une instruction au fond de la plainte disciplinaire [Par 93];

•         La jurisprudence majoritaire énonce ainsi plusieurs critères devant éclairer l’exercice de la discrétion du comité de discipline dans le cadre d’une requête en radiation provisoire [Par 98];

w  La plainte doit faire état de reproches graves et sérieux;

w  Ces reproches doivent porter atteinte à la raison d’être de la profession;

w  Une preuve à première vue (« prima facie ») démontre que le professionnel a commis les gestes reprochés;

w  La protection du public risque d’être compromise si le professionnel continue à exercer sa profession.

L’honorable juge Tremblay rappelle que dans le cadre d’une radiation provisoire le comité de discipline n’a pas besoin ni d’enquête ni d’une longue analyse pour conclure à la radiation provisoire. Elle note que la gravité objective de l’infraction d’appropriation de fonds est d’une importance telle que la radiation temporaire automatique est prévue par le législateur. Dans le cadre de l’étude d’une requête en radiation provisoire, le Comité n’a pas à déterminer si l’intimé est coupable ou non des infractions reprochées. Voici les passages pertinents :

« [15]        Établir qu’une  plainte disciplinaire fait état de reproches graves et sérieux et que ces reproches portent atteinte à la raison d’être de la profession fait appel au jugement objectif des membres du Comité dont le pouvoir d’ordonner la radiation est discrétionnaire[18]. Le Comité n’a besoin ni d’une enquête ni d’une longue analyse pour conclure que tel est le cas[19]. Ajoutons qu’en matière d’appropriation de fonds, la gravité objective du reproche est telle que le législateur a prévu une radiation temporaire automatique[20]

[16]        Monsieur Talbot estime qu’il y a faiblesse apparente de la Décision en ce que dans le cadre de son analyse, le Comité n’a nullement considéré la preuve apportée par S.P., fille de G.L., confirmant, selon lui, qu’il était autorisé à agir comme il l’a fait, c’est-à-dire en faisant transiter les fonds par le compte d’Investissements Talbot, de sorte qu’il ne saurait y avoir eu appropriation.

[17]        Le Comité conclut qu’une preuve à première vue a été faite que M. Talbot aurait commis les faits reprochés et que la preuve présentée au Comité tend à démontrer que la plainte portée par la Syndique n’est pas frivole, mais qu’elle est bien au contraire sérieuse. La Décision dénote donc que le Comité s’est préoccupé de la nature et de la qualité de la preuve requise des gestes reprochés à M. Talbot pour justifier la demande de radiation provisoire, tout en étant conscient qu’au stade d’une requête en radiation provisoire, le Comité n’a pas à déterminer si M. Talbot est coupable ou non des infractions reprochées.

[18]        Au stade de la requête en sursis, le Tribunal doit déterminer si la Décision du Comité d’ordonner la radiation immédiate et provisoire comporte, à sa face même, une faiblesse apparente et non pas si elle est bien fondée. Par contre, force est de constater qu’aucun des faits énoncés au paragraphe 6 de l’inscription en appel comme ayant été ignorés par le Comité dans le cadre de son analyse, ne visent à justifier l’utilisation des fonds par Investissements Talbot entre le 9 et le 17 février 2015.

[19]        Monsieur Talbot estime manifeste que le critère de l’urgence d’agir pour la protection du public n’a pas été rempli.

[20]        À l’audience, le procureur de M. Talbot a reconnu qu’il n’avait pas fait de preuve devant le Comité des faits allégués aux paragraphes 26 à 30 et 37 de sa requête pour suspendre l’exécution de la Décision relativement à la clientèle et à l’environnement de travail de M. Talbot.

[21]        Le Comité a donc décidé en fonction de la preuve qu’il avait devant lui. Il a considéré la nature des infractions reprochées et a conclu que la protection du public risquerait d’être compromise si M. Talbot était autorisé à continuer d’exercer sa profession. Il s’agit là d’un exercice de jugement afférent au pouvoir discrétionnaire du Comité[21].

 [28]        Tel que mentionné précédemment, les conditions dans lesquelles M. Talbot exerce sa profession n’ont pas été mises en preuve devant le Comité. Or, tel qu’indiqué par le Tribunal des professions dans Mailloux[24], M. Talbot devait s’appliquer à démontrer au Comité que la protection du public ne serait pas mise en danger s’il continuait à exercer sa profession. Le Tribunal ne peut pas accepter la théorie avancée par le procureur de M. Talbot voulant que celui-ci n’avait pas à apporter une telle preuve avant que la Syndique ait elle-même prouvé que M. Talbot avait commis les infractions reprochées. D’ailleurs, tel n’était pas le fardeau de la Syndique au stade de la Requête en radiation. Seule une preuve à première vue était requise.

 

La requête en récusation - Prétentions de l’intimé

[5]          Le 10 septembre 2015, le comité a entendu la requête en récusation présentée par l’intimé.

[6]          Le procureur de l’intimé souligne que son client a le droit d’être entendu par un tribunal indépendant qui n’est pas préjugé. Il note que le Code des professions[2], à son article 140, prévoit qu’un comité de discipline peut être récusé pour les motifs prévus à l’article 234 du Code de procédure civile[3]. Le paragraphe 10 de l’article 234 prévoit que Le comité peut être récusé « s’il existe une crainte raisonnable que le juge puisse être partial ».

[7]          Au niveau des  principes, il cite à cet égard la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Droit de la famille - 1559[4].

[8]          La décision prise par le comité à l’encontre de son client ainsi que l’examen de la preuve faite au niveau de la requête en radiation provisoire et des motifs de la décision peuvent laisser croire, à son avis, que le comité pourra être partial dans une audition subséquente. Il est d’avis qu’il existe des motifs raisonnables que le comité ne pourra pas agir de façon complètement impartiale.

[9]          Il cite plusieurs décisions dans lesquelles des comités de discipline ont choisi de se récuser dans des circonstances similaires.

[10]       Dans l’affaire Barreau du Québec (syndic ad hoc) c. Gauthier[5], le conseil de discipline du Barreau du Québec avait décidé de se récuser compte tenu du fait que l’examen des motifs de la décision pouvait laisser croire que celui-ci avait disposé du bien fondé de deux chefs[6]. Cette décision a été prise, et ce, même si les membres du Conseil ont réitéré n’avoir aucun intérêt à favoriser l’une ou l’autre partie. Le conseil conclut ainsi :

« [113] Toutefois, il est raisonnable de craindre que les membres du Conseil ayant siégé et disposé de la plainte au stade de la radiation provisoire, ne pourront aborder l’audition au mérite sans aucune idée préexistante quant au bien-fondé des reproches formulés quant aux chefs a et b de la plainte disciplinaire.»

[11]       Le procureur de l’intimé a également soumis les décisions Hallé[7] et Kotliaroff[8] où  le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages a ordonné de son propre chef de confier à un autre comité de discipline l’audition de la plainte disciplinaire.

[12]        Il a cité la décision Mondou[9] du comité de discipline de la Chambre des notaires du Québec. Dans cette affaire, le comité de discipline avait accepté la requête en récusation aux motifs notamment que le syndic adjoint consentait aux conclusions et pour une saine administration de la justice. Cette décision a été prise, et ce, même si les membres étaient convaincus de pouvoir décider de manière impartiale.

[13]       Finalement, le procureur de l’intimé a cité la décision Corriveau[10] où le Tribunal des professions a récusé les membres du comité de discipline du Barreau du Québec qui ont rendu une décision sur radiation provisoire. Il est utile de mentionner que le Tribunal des professions n’a pas récusé les membres sur la base qu’ils ont entendu l’enquête mais plutôt en raison des commentaires formulés. Voici le passage pertinent :

« Dans de telles circonstances, il y avait matière, dans le présent dossier, à récuser le Comité qui a entendu et disposé de la radiation provisoire.  Non pas, est-il important de le souligner, uniquement parce qu'il a tenu l'enquête sur celle-ci, mais plutôt en raison de la portée et de la nature de ses nombreux commentaires portant à la fois sur son appréciation du témoignage de l'appelant et sur son interprétation des gestes posés en regard du Code de déontologie et des autres règlements auxquels l'appelant est assujetti.»

Prétentions de la plaignante

[14]       La plaignante s’en remet aux membres du comité afin de décider si ceux-ci se sentent aptes à juger le présent dossier de manière impartiale. Elle souligne par ailleurs que si la réponse est affirmative, les membres peuvent fort bien continuer le dossier. Elle a soumis au comité plusieurs décisions où les comités ont continué le dossier, dont deux rendues par le Bureau de décision et de révision.

Analyse

[15]       L’article 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF)[11], prévoit que l’instruction d’une plainte ainsi que les décisions du comité sont assujetties au Code des professions[12]. Voici l’article pertinent :

 « 376. Les dispositions du Code des professions (c. C-26) relatives à l’introduction et à l’instruction d’une plainte ainsi qu’aux décisions et sanctions la concernant s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux plaintes que reçoit le comité de discipline. »

[9]                Le Code des professions, à son article 140, fait un renvoi au Code de procédure civile afin de déterminer les motifs de récusation. Voici l’article pertinent :

 « 140.  Un membre du comité de discipline peut être récusé dans les cas prévus à l’article 234 du Code de procédure civile, sauf le paragraphe 7 dudit article.  »

[16]       L’article 234 du Code de procédure civile énumère globalement des cas d’intérêt personnel ou des situations d’idées préconçues. Voici cette énumération :


 

CHAPITRE V 
DE LA RÉCUSATION

 

234. Un juge peut être récusé, notamment:

 

 1. S'il est conjoint ou parent ou allié jusqu'au degré de cousin germain inclusivement de l'une des parties;

 

 2. S'il est lui-même partie à un procès portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans la cause;

 

 3. S'il a déjà donné conseil sur le différend, ou s'il en a précédemment connu comme arbitre; s'il a agi comme avocat pour l'une des parties, ou s'il a exprimé son avis extrajudiciairement;

 

 4. S'il est directement intéressé dans un litige mû devant un tribunal où l'une des parties sera appelée à siéger comme juge;

 

 5. S'il y a inimitié capitale entre lui et l'une des parties; ou s'il y a eu de sa part des menaces, depuis l'instance ou dans les six mois précédant la récusation proposée;

 

 6. S'il est le représentant légal d'une partie au litige, son mandataire ou l'administrateur de ses biens, ou encore s'il est, à l'égard de l'une des parties, successible ou donataire;

 

 7. S'il est membre de quelque association, société ou personne morale, ou s'il est syndic ou protecteur de quelque ordre ou communauté, partie au litige;

 

 8. S'il a quelque intérêt à favoriser l'une des parties;

 

 9. S'il est parent ou allié de l'avocat ou de l'avocat-conseil ou de l'associé de l'un ou de l'autre, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu'au deuxième degré ou conjoint de celui-ci;

 

 10. S'il existe une crainte raisonnable que le juge puisse être partial.

 

[17]       Le procureur de l’intimé invoque le paragraphe 10 de l’article 234 du Code de procédure civile, à savoir, que son client a une crainte raisonnable que le comité puisse être partial.

[18]       La crainte raisonnable de partialité de l'intimée doit cependant répondre aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada. Ces critères ont été établis par l’honorable juge De Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie[13] de la manière suivante :

 « La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de «crainte raisonnable de

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Partialité », « de soupçon raisonnable de partialité», ou «de réelle probabilité de partialité». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’«une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

 

[19]       La Cour suprême a adhéré à cette définition dans les arrêts Valente[14] et Lippé[15].

[20]       La Cour d’appel du Québec a fait de même dans l’arrêt Droit de la famille – 1569[16]. Le Comité reprend ici les commentaires de la Cour d’appel qui ont été repris à maintes reprises :

Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc:

a) être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte, à la fois, logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole ou isolée;

 b) provenir d'une personne:

1o sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;

2o bien informée, parce qu'ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et 

c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel.

[21]       L’honorable juge Marie St-Pierre, alors à la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Pinizzotto c. Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière[17] soulignait ainsi au paragraphe 44 de sa décision, qu’il faut également tenir compte du caractère particulier du tribunal : 

 « Le Tribunal retient que trois éléments doivent être considérés afin de déterminer s’il y a ou non une crainte de partialité comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt Association des policiers provinciaux du Québec c. Poitras 1997 CanLII 10813 (QC CA), [1997] R.J.Q. 1860 (C.A.) aux pages 1866 et 1867 :

1.      La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique;

2.      Les motifs de crainte doivent être sérieux et non ceux d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne;

3.      Il faut prendre en considération le caractère particulier du tribunal ou organisme. »

[22]       À l’égard du troisième élément mentionné par l’honorable juge St‑Pierre, il est utile de mentionner que les débats devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière font l’objet d’enregistrement et qu’il y a appel de toute décision de ce comité devant la Cour du Québec en vertu de l’article 379 de la LDPSF.

[23]        La jurisprudence nous rappelle que la requête en récusation est en soi une atteinte à l’intégrité des décideurs ou du juge et à l’intégrité de la justice tout entière.  On peut appliquer ce principe en matière de justice disciplinaire.

[24]        À cet égard, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Bande indienne  de Wewaykum c. Canada[18] énonce :

« Considérée sous cet éclairage, « [l’] impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30).  Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée.  Comme l’ont signalé les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d’impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption.  Par conséquent, bien que l’impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c’est la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. »

[25]       L’examen de la jurisprudence des tribunaux supérieurs nous permet d’énumérer les principes suivants :

                    L'impartialité est un attribut fondamental de notre système de justice;

                    Le principe de l’impartialité s’applique en matière disciplinaire;

                    Il existe une présomption d’impartialité;

                    Le fardeau de la preuve repose sur celui qui demande la récusation;

                    La crainte de partialité doit être raisonnable, logique et objective;

                    Il ne peut s’agir d’une crainte légère, frivole ou isolée;

                    Un simple soupçon est insuffisant;

                    Provenir d’une personne sensée, non tatillonne et ni naturellement inquiète;

                    Cette personne doit être bien informée et doit avoir examiné la question d’une  manière réaliste et non impulsive;

                    La demande de récusation doit reposer sur des motifs sérieux;

                    Il faut être plus exigeant si le débat se déroule sans enregistrement et qu’il n’y a pas de droit d’appel.

[26]       Il est utile de mentionner que devant les tribunaux de droit commun, il arrive fréquemment qu’un juge puisse être appelé à trancher différents débats entre les mêmes parties. Dans la décision Leduc[19], on donne des exemples en droit familial, dans le cas d’une saisie arrêt et en droit criminel. Il en est de même en Cour fédérale. Il est utile de citer le passage suivant de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Arthur c. Canada (Minister of Employement and Immigration)[20] :

« Where the double participation in decision-making has been on the part of a judge, the principle has not seemed to pose any great difficulty. In Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft et al. v. The Queen et al., [1968] 1 Ex. C.R. 443, where the Attorney General argued that all of the judges who sat on an appeal relating to some of the principal questions in issue were debarred by natural justice from sitting on the subsequent trial, Jackett P. said (at pages 457-458):

In my view the correct view of the matter is that which, as I understand it, was adopted by Hyde J. in Barthe v. The Queen [(1964) 41 C.R. 47], when he said that "The ability to judge a case only on the legal evidence adduced is an essential part of the judicial process". In my view, there can be no apprehension of bias on the part of a judge merely because he has, in the course of his judicial duty, expressed his conclusion as to the proper findings on the evidence before him. It is his duty, if the same issues of fact arise for determination in another case, to reach his conclusions with regard thereto on the evidence adduced in that case after giving full consideration to the submissions with regard thereto made on behalf of the parties in that case. It would be quite wrong for a judge in such a case to have regard to "personal knowledge" derived from "a recollection of the evidence" taken in the earlier cause. It is not reasonable to apprehend that there is "a real likelihood" that a judge will be so derelict in his duty as to decide one case in whole or in part on the evidence heard in an earlier case.

If I may be permitted to say so, it seems to me that the real apprehension is that the judge who hears a case in which the same issues of fact arise as have recently been decided in the same court can hardly ignore the existence of the earlier decision for he cannot be unconscious of the possibility of apparently conflicting decisions creating an atmosphere of lack of confidence in the administration of justice. I should have thought, however, that a judge who participates in both of two such matters is more likely to appreciate and explain different results flowing from different bodies of evidence or differences in presentation and argument than a judge who had no part in the earlier case. I do not say this to indicate that I have a view that the same judge should always try two such cases, but to indicate that, in my view, it is not necessarily prejudicial to the party who assumes the burden of producing a result in the second case that is apparently in conflict with the earlier decision.

Similarly, an Ontario Divisional Court in Re Vance and Hardit Corp. et al., (1985), 1985 CanLII 1992 (ON SC), 53 O.R. (2d) 183, held that a litigant had no right to refuse to proceed before a particular judge simply because that judge had decided a prior case against him. These decisions undoubtedly justify the practice in this Court that a judge who has allowed a leave-to-appeal application in a Convention refugee case may also sit on the appeal. »[7]

 

[27]       Au niveau des tribunaux financiers spécialisés, il est utile de mentionner que le Bureau de décision et de révision considère que les membres qui ont siégé lors d’une audience ex parte peuvent normalement entendre subséquemment le dossier de novo au fond. Voici le passage pertinent de la décision Autorité des marchés financiers c. Tremblay[21] :

« Le fait qu’un membre du Bureau siège lors de l’audience ex parte et qu’il soit par la suite appelé à entendre le dossier de novo n’est pas suffisant en soi pour soulever une crainte de partialité. Ce n’est pas parce qu’ils ont pris connaissance de la preuve prima facie soumise par l’Autorité ou parce qu’ils ont eu l’occasion de vérifier la vraisemblance de ses allégations que les membres du Bureau perdent leur sens critique et leur distance par rapport au dossier ou qu’ils s’en font une idée préconçue. »

[28]       Cette position prise par le Bureau de décision et de révision est semblable à celle adoptée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Bennett v. British Columbia  (Superintendent of Brokers)[22]. La Cour d’appel était saisie d’une demande pour permission d’appeler du rejet d’une demande de récusation de deux membres de la Commission des valeurs mobilières de cette province. Voici les passages pertinents de cet arrêt :

17.    Other things apart, it is, of course, reasonable to apprehend that a decision-maker presented for a second time with the same question on the same evidence and argument will be likely to decide that question in the same way.

18.    But does this have anything to do with bias?

19.       The answer surely must be that if the decision-maker has decided the matter properly in the first place, that is to say free from extraneous or other improper influence--and in light of the previous decision of this court there can now be no suggestion here to the contrary--then the fact that the second decision turns out to be the same as the first will show no more than that the decision-maker continues to take the same view as before of the law and evidence.  That surely has nothing to do with bias.  There may well be an apprehension of consistency of judgment when the same matter is raised for the second time before a judicial or quasi-judicial decision-maker, and the party against whose interest the first decision went will understandably prefer for that reason that the matter be considered the second time by someone else, but surely it is impossible that a reasonable apprehension of consistency in judgment on the part of a decision-maker in dealing with the same matter a second time can be equated with reasonable apprehension of bias.  The first is an apprehension that the decision-maker will again see the law and evidence in the same way as on a previous occasion; the second is an apprehension that the decision-maker will ignore law or evidence and decide instead on the basis of extrinsic and improper considerations.

20.    Counsel for the applicants suggest that it is altogether too much to expect of human nature that decision-makers who have made up their minds will later change them--or that those who have disclosed their thinking will thereafter admit to having been wrong, and this is where bias lies.  They say it lies in a natural unwillingness in human beings to unmake their minds, an inherent aversion to the admission of error.

21.    I have already said that the mental discipline required of those who perform judicial and quasi-judicial decision-making functions involves the ability and willingness to do exactly those things.  That is expected not only of judges and members of administrative tribunals, but expected also in their deliberations of the many citizens from every walk of life who serve in the courts as jurors. » 

[29]       Il est utile de souligner qu’il n’existe pas d’obligation spécifique à l’effet que les membres d’un comité de discipline qui ont entendu une demande en radiation provisoire doivent automatiquement se récuser. À moins que le comité de discipline n’ait pas fait preuve de retenue, le législateur a plutôt prévu au Code des professions que la formation qui entend la radiation provisoire devrait également entendre le dossier au fond. Voici la position du Tribunal des professions sur cette question :

« Certes le législateur a prévu un cadre procédural ou structurel qui fait en sorte que normalement le Comité saisi de la plainte dispose également d'une demande de radiation provisoire.  Il va sans dire  que celui-ci doit alors apprécier la preuve présentée et indiquer clairement les motifs de sa décision.

Par ailleurs, il doit le faire avec une certaine retenue, en évitant d'aller au-delà de ce qui est requis, car autrement il risque de se prononcer à l'avance sur la culpabilité du professionnel alors que tel n'est pas l'objet de la demande de radiation provisoire.  Comme le prescrit l'article 133 du Code des professions, à ce stade du processus disciplinaire seule la protection du public est à considérer.

Et c'est là, nous croyons, la portée de l'opinion de l'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé lorsqu'elle écrit :

"Ainsi, c'est le caractère raisonnable de la crainte qui variera en fonction des divers tribunaux administratifs, non pas leur impartialité intrinsèque.  Autrement dit, tel motif de crainte de partialité pourra être raisonnable dans le cas d'un procès pénal, mais déraisonnable dans le cas d'une audience quasi judiciaire.  Dans tous les cas, cependant, l'organisme décisionnel se doit d'être parfaitement impartial; autrement, s'il est partial, l'organisme enfreint aussitôt la règle nemo judex in propria sua causa debet esse. »[23]

[30]       Le fait que le législateur n’ait pas prévu la récusation automatique des membres d’un comité ayant rendu une décision sur une requête en radiation provisoire nous conforte à l’idée que celui-ci s’en est remis aux principes généraux en matière de récusation.

[31]       La requête en récusation de l’intimé ne soulève aucun fait spécifique de reproche à l’encontre des trois (3) membres, sauf celui d’avoir entendu et examiné la preuve et d’avoir rendu la décision.

[32]       Le procureur de l’intimé est également d’avis que les membres d’un comité de discipline ayant entendu la preuve sur une requête en radiation provisoire ne pourraient pas, en principe, entendre la cause au fond.

[33]       Le comité tient à rappeler que dans le cadre d’une requête en radiation provisoire la preuve requise est prima facie (à première vue) et que la protection du public est un élément important. Il est utile de rappeler ici ces critères :

        La plainte doit faire état de reproches graves et sérieux;

        Ces reproches doivent porter atteinte à la raison d’être de la profession;

        Une preuve à première vue (« prima facie ») démontre que le professionnel a commis les gestes reprochés;

        La protection du publie risque d’être compromise si le professionnel continue à exercer sa profession.

 

[34]       Le comité de discipline a examiné avec soin la décision et ne peut que conclure que celui-ci a fait preuve de retenue. Les membres étaient parfaitement conscients de la preuve requise en matière de radiation provisoire.

[35]       Aucune opinion dans la décision ne peut justifier l’intimé d’avoir une crainte raisonnable de partialité à l’égard des membres. Le comité n’a pas entendu l’intimé et ne s’est pas prononcé à l’avance à l’égard de la culpabilité de celui-ci.

Les membres du comité sont convaincus qu’ils peuvent entendre la présente affaire en toute impartialité.

PAR CES MOTIFS, le comité :

REJETTE la requête en récusation présentée par l’intimé;

DEMANDE au secrétaire du comité de discipline de fixer dans les meilleurs délais l’audition au fond de la plainte;

LE TOUT avec débours à suivre.

 

 

(s) Alain Gélinas

Me Alain Gélinas

Président du comité de discipline

 

(s) Dyan Chevrier

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Marc Binette

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Sylvie Poirier

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

DE CHANTAL, D'AMOUR, FORTIER

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

10 septembre 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Talbot c. Champagne 2015 QCCQ 6667 (CanLII).

[2] RLRQ, c. C-26

[3] RLRQ, c. C-25.

[4] 1993 CanLII 3570 (QC CA).

[5] 2013 QCCDBQ 018.

[6] Idem, par. 110.

[7] Chauvin c. Hallé 2011 CanLII 36726.

[8] Chauvin c. Kotliaroff 2009 CanLII 20048.

[9] Villeneuve c. Mondou 2007 CanLII 81736.

[10] Dumais c. Corriveau (Avocats) 1998 QCTP 1626 (CanLII).

[11] RLRQ, c. D-9.2.

[12] RLRQ, c. C-26.

[13] [1978] 1 R.C.S. 369 (aux pages 394 et 395).

[14] [1985] 2 R.C.S. 673.

[15] [1991] 2R.C.S. 114.

[16] Supra note 4.

[17] REJB 2003-3952 (Cour supérieure)

[18] 2003, 2 R.C.S. 259, p. 288.

[19] Laliberté c. Leduc 2008 CanLII 88843 (QC CDNQ).

[20] [1993] 1 F.C. 94.

[21] 2010 QCBDRVM 11 (CanLII).

[22] 48 B.C.A.A. 56. 1994 CanLII 912 (BC CA).

[23] Dumais c. Corriveau (Avocats), 1998 QCTP 1626 (CanLII), à la page 15.

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