Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Moore

2015 QCCDCSF 36

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

No:

CD00-1130

 

 

 

DATE :

3 juillet 2015

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MICHAEL JOHN MOORE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 124240)

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

 

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

 

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion à l'égard du nom du consommateur ou de tout document pouvant l'identifier ainsi qu'à l'égard des autres membres de sa famille.

[1]           Le 10 juin 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal pour procéder à l’audition d’une requête en radiation provisoire portée contre l’intimé.

[2]           La plaignante était représentée par Me Jean-François Noiseux.

[3]           L’intimé était présent et représenté par Me Éric Marquette qui a indiqué que sa contestation portait principalement sur les critères de preuve prima facie et du risque de compromettre la protection du public.

[4]          La plaignante a fait entendre Me Brigitte Poirier, directrice des enquêtes au bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière, laquelle a procédé à l’enquête qui a débuté le 26 mai 2015.

[5]          À part le contre-interrogatoire de cette dernière, le procureur de l’intimé n’a fait entendre aucun témoin ni même l’intimé. Par ailleurs, le comité a posé à l’intimé, dûment assermenté, quelques questions de précisions avant d’entendre les représentations des parties.

[6]           La requête en radiation provisoire ainsi que la plainte portées contre l’intimé sont reproduites ci-après.

REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

(Articles 130 et 133 du Code des professions)

 

AU COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE, LA REQUÉRANTE EXPOSE CE QUI SUIT :

1.         Au moment des faits relatés ci-dessous, l’intimé était détenteur d’un certificat en assurance de personnes, tel qu’il appert de l’attestation de droit de pratique produite sous la cote R-1;

2.         L’intimé est un représentant autonome;

3.         Caroline Champagne, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière, a déposé une plainte disciplinaire contre l’intimé lui reprochant :

                    de s’être approprié des sommes d’argent totalisant environ 400 000 $;

                    de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à L.M. des sommes totalisant environ 19 000 $ et de s’être approprié ces sommes;

                    de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à L.M. la somme de 2 300 $ et de s’être approprié cette somme;

                    d’avoir nui au travail des enquêteurs de la Chambre de la sécurité financière;

                    de n’être plus en mesure d’exercer dans des conditions où la qualité de ses services auprès du public est conforme à ses obligations déontologiques;

tel qu’il appert de ladite plainte disciplinaire produite sous la cote R-2;

4.         Pour les motifs exposés ci-dessous, les faits reprochés à l’intimé sont graves et sérieux, portent atteinte à la raison d’être de la profession et sont de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue d’exercer sa profession;

Enquête de la syndique de la Chambre de la sécurité financière

5.         Le 21 mai 2015, la Direction des plaintes et de l’indemnisation de l’Autorité des marchés financiers a transmis à la plaignante un Formulaire de plainte ou de dénonciation complété par L.M., tel qu’il appert de la lettre de l’Autorité des marchés financiers et des documents joints en annexe à cette lettre produits en liasse sous la cote R‑3;

6.         L.M. y indique avoir remis une importante somme d’argent à l’intimé, soit plus de 400 000 $;

7.         Il mentionne de plus que l’intimé lui doit cette somme et que ce dernier fait défaut de la lui remettre;

8.         L.M. ajoute que l’intimé lui doit également une somme d’argent additionnelle d’environ 19 000 $, un montant qu’il lui aurait prêté;

9.         Une enquête a été ouverte par la syndique sur la base de ces informations;

10.      Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs ont notamment :

                    rencontré l’intimé; 

                    rencontré la fille et le gendre de L.M.;

                    communiqué par téléphone avec L.M.;

11.      À ce jour, l’enquête a révélé les faits inquiétants énoncés ci-dessous;

Sommes appropriées

12.      L.M. est le client en assurance-vie de l’intimé;

13.      L.M. et l’intimé sont amis depuis environ 35 ans;

14.      À compter du mois de décembre 2006 et jusqu’à récemment, l’intimé s’est approprié des sommes totalisant environ 400 000 $ de son client L.M., le tout tel qu’il appert du tableau récapitulatif préparé par les enquêteurs et produit sous la cote R-4;

15.      Durant cette période, L.M. a émis plusieurs chèques à l’ordre de l’intimé tirés de son compte de la Banque Laurentienne pour environ 300 000 $ et de son compte de la Banque TD pour environ 100 000 $, le tout tel qu’il appert d’une copie des carnets de chèques de L.M. produite en liasse sous la cote R-5;

16.      Lorsque L.M. lui émettait des chèques, l’intimé lui remettait des « Promissory note » faisant état des sommes reçues, le tout tel qu’il appert d’une copie des « Promissory note » produite en liasse sous la cote R-6;

17.      L’intimé a faussement laissé croire à L.M. que les sommes qu’il lui remettait étaient investies dans des placements, le tout tel qu’il appert des résumés d’investissement et des calendriers de paiements produits en liasse sous la cote R-7;

18.      L.M. a affirmé aux enquêteurs que l’intimé lui a remis au fil du temps quelques montants d’argent.  L’intimé lui laissait alors croire que ces sommes constituaient le fruit de ses placements faits par son intermédiaire.  L.M. remettait aussitôt à l’intimé ces sommes pour qu’elles soient réinvesties;

19.      L.M. a communiqué avec sa fille D.B. il y a quelques mois afin de lui faire part de ses préoccupations relativement aux investissements faits par l’intermédiaire de l’intimé;

20.      D.B. et son conjoint ont donc vérifié les documents que L.M. avait en sa possession, dont les « Promissory Note » et les différents relevés d’investissement confectionnés par l’intimé;

21.      D.B. et son conjoint ont en outre constaté que L.M. avait modifié son testament le 9 avril 2010 en nommant l’intimé à titre de liquidateur de sa succession et de légataire résiduel, le tout tel qu’il appert d’une copie du testament produite sous la cote R-8;

22.      Le 26 novembre 2011, L.M. a modifié à nouveau son testament et retiré le nom de l’intimé à titre de liquidateur de sa succession, tout en le laissant légataire résiduel, le tout tel qu’il appert d’une copie du Codicil produite sous la cote R-9;

23.      Le testament a été modifié récemment afin de retirer le nom de l’intimé à titre de légataire potentiel;

24.      Le 30 mars 2015, D.B. et son conjoint ont rencontré l’intimé afin d’obtenir des explications.  Ils ont enregistré leur rencontre avec l’intimé.  Ce dernier a alors déclaré ce qui suit :

                    il doit de l’argent à L.M. et il prendra des mesures concrètes pour le rembourser dans un délai de 10 jours;

                    il doit corriger la situation;

                    il a placé son argent et celui de L.M. au même endroit et il craint qu’il ne puisse récupérer rapidement tout cet argent;

le tout tel qu’il appert d’une copie de l’enregistrement de la rencontre produite sous la cote R-10;

Prêts non remboursés

25.      Depuis vers le mois de septembre 2012, L.M. a prêté à l’intimé des sommes totalisant approximativement 19 000 $.  Ces sommes proviennent d’avances de fonds débitées de la carte de crédit de L.M.;

26.      L’intimé a signé un document intitulé « Michael Moore REPAYMENT PROGRAM to
[M.L.] » dans lequel il indique qu’il doit la somme de 19 279,33$ à L.M., et ce, en date du 23 avril 2014, le tout tel qu’il appert dudit document produit sous la cote R-11;

27.      Lors de son entretien avec les enquêteurs, l’intimé a reconnu qu’il devait toujours environ 19 000$ provenant des avances de fonds de la carte de crédit de L.M., ce qui correspond approximativement au solde dû sur la carte de crédit de L.M., le tout tel qu’il appert d’une copie du relevé de transactions pour la période du 20 mars au 20 avril 2015 produite sous la cote R-12;

28.      De plus, au début de l’année 2015, l’intimé a emprunté à L.M. un montant additionnel de 2300$ qu’il fait défaut de lui remettre depuis;

29.      Par conséquent, en empruntant ces sommes et en ne remboursant pas L.M., l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts et s’est approprié ces montants;

Déclarations et admissions de l’intimé

30.      Au cours des entretiens avec les enquêteurs les 29 mai et 1er juin 2015, l’intimé a déclaré ce qui suit :

                    L’intimé a connu L.M. lorsque ce dernier est devenu son client en assurance-vie il y a de cela environ 35 ans;

                    Ils ont ensuite développé une relation d’amitié;

                    L’intimé a vécu certaines périodes de difficultés financières au fil du temps;

                    L’AMF a obligé l’intimé d’être rattaché et d’être supervisé par un cabinet après qu’il ait plaidé coupable à deux infractions d’exercice illégal de courtier en valeurs;

                    L’intimé a emprunté des sommes à L.M. et il ne l’a pas remboursé complètement;

                    L’intimé a utilisé l’argent provenant de L.M. à des fins personnelles;

                    Il est dans l’impossibilité de chiffrer le montant qu’il doit à L.M.;

                    Toutefois, lorsque confronté à la preuve documentaire présentée par les enquêteurs faisant état d’une dette approximative de 167 000 $, l’intimé confirme qu’il doit toujours à L.M. cette somme;

                    Aussi, lorsque confronté à la preuve documentaire présentée par les enquêteurs, l’intimé a admis avoir faussement représenté à L.M. que les sommes que ce dernier lui remettait étaient investies dans un véhicule de placement;

                    L’intimé doit toujours environ 19 000 $ provenant des avances de fonds sur la carte de crédit de L.M., ce correspond approximativement au solde dû de la carte de crédit, le tout tel qu’il appert d’une copie du relevé de transactions pour la période du 20 mars au 20 avril 2015 produite sous la cote R-12;

                    L’intimé reconnaît avoir emprunté de L.M. il y a quelques mois seulement en 2015, une somme de 2 300 $, laquelle n’a toujours pas été remboursée;

le tout tel qu’il appert d’une copie des enregistrements de ces entretiens produit sous la cote R-13;

31.      Au surplus, l’intimé a rédigé un document intitulé « Agenda » dans lequel il formule des excuses à L.M. relativement à son incapacité d’assumer ses obligations envers lui, le tout tel qu’il appert d’une copie de ce document produit sous la cote R-14;

Absence de collaboration de l’intimé

32.      Lors de son entretien du 29 mai 2015 avec les enquêteurs, l’intimé a refusé que ces derniers puissent avoir accès à son lieu de travail, notamment, pour obtenir les relevés de compte bancaire de l’intimé et tous les autres documents reliés au transferts d’argents entre l’intimé et son client L.M. ou entre l’intimé et d’autres clients;

33.      Pour justifier son refus, l’intimé a déclaré ne plus avoir accès à son cabinet qui est situé dans la résidence de sa conjointe qui lui en interdit l’accès;

34.      Le 1er juin 2015, l’intimé a de nouveau refusé aux enquêteurs de leur donner accès à son lieu de travail et de leur donner un numéro de téléphone pour rejoindre sa femme afin d’accéder à son cabinet;

35.      L’intimé refuse aussi de fournir son adresse actuelle;

36.      Ce refus catégorique de l’intimé constitue une entrave au travail des enquêteurs;

Exercice dans des conditions non conformes

37.      L’intimé a indiqué aux enquêteurs ne plus avoir accès à son cabinet qui est situé dans sa résidence depuis le 20 mai 2015;

38.      Il dit pouvoir quand même servir ses clients, mais il n’a pas accès à ses dossiers ni à son ordinateur;

39.      Il a rencontré trois clients depuis le 20 mai 2015;

40.      Il affirme que son fils a convaincu sa mère de lui donner accès à son bureau pour quelques heures dimanche dernier;

41.      Le fait de ne pas pouvoir accéder à son cabinet démontre que l’intimé n’est pas en mesure d’exercer dans des conditions où la qualité de ses services auprès du public est conforme à ses obligations déontologiques;

La radiation provisoire

42.      Les faits portés à la connaissance de la syndique sont extrêmement troublants et requièrent l’intervention immédiate du comité de discipline;

43.      Il apparaît de façon prima facie que l’intimé s’est approprié à plusieurs reprises entre 2006 et 2015 des sommes d’argent totalisant de plus de 400 000 $;

44.      Il s’est de plus placé en situation de conflits d’intérêts;

45.      En outre, l’intimé entrave le travail des enquêteurs;

46.      Enfin, n’ayant pas accès à son cabinet et ses dossiers clients, l’intimé n’est pas en mesure d’exercer dans des conditions où la qualité de ses services auprès du public est conforme à ses obligations déontologiques;

47.      En conséquence, il y a urgence d’agir pour la protection du public;

48.      Le présente requête est bien fondée en faits et en droit.

PAR CES MOTIFS, PLAISE AU COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCUEILLIR la présente requête;

PRONONCER la radiation provisoire immédiate de l’intimé, et ce, jusqu’à ce que jugement final soit rendu sur la plainte disciplinaire;

ORDONNER la publication d’un avis de cette décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où l’intimé a exercé ou pourrait exercer sa profession;

LE TOUT avec les frais contre l’intimé, incluant les frais de publication de l’avis.

EN FOI DE QUOI, J’AI SIGNÉ :

Montréal, ce 2 juin 2015

 

 

 

(s) Caroline Champagne

 

CAROLINE CHAMPAGNE

 

Syndique

 

 

LA PLAINTE

1.        À Montréal, depuis vers le mois de décembre 2006, l’intimé s’est approprié au moyen de fausses représentations, des sommes totalisant environ 400 000 $ que lui avait confiées L.M. pour fins d’investissement, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

2.        À Montréal, depuis vers le mois de septembre 2012 et jusqu’à récemment, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à L.M. des sommes totalisant environ 19 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

3.        À Montréal, depuis vers le mois de septembre 2012, l’intimé s’est approprié des sommes totalisant environ 19 000 $ que lui avait prêtées L.M., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

4.        À Montréal, au début de l’année 2015, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à L.M. une somme d’environ 2 300 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

5.        À Montréal, depuis le début de l’année 2015, l’intimé s’est approprié une somme d’environ 2 300 $ que lui avait prêtée L.M., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

6.        À Montréal, depuis vers le 29 mai 2015, l’intimé nuit au travail des enquêteurs de la Chambre de la sécurité financière en leur refusant l’accès à son établissement et l’examen de ses livres, registres, comptes, dossiers ou autres documents, contrevenant ainsi aux articles 340, 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), et 44 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D‑9.2, r.3) ;

7.        À Montréal, depuis vers le 20 mai 2015, l’intimé n’est pas en mesure d’exercer dans des conditions où la qualité de ses services auprès du public est conforme à ses obligations déontologiques, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), et 7 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

LES OBJECTIONS DE L’INTIMÉ

[7]          L’intimé s’est objecté au témoignage de Me Poirier qui rapportait les informations obtenues au cours des rencontres avec les membres de la famille de L.M., de la conversation téléphonique avec le consommateur, de ses rencontres avec l’intimé, alléguant principalement qu’il s’agissait de ouï-dire et qu’il était privé de son droit de contre-interroger ces personnes. Le comité a pris ces objections sous réserve sauf celle visant la rencontre avec l’intimé qu’il a rejetée considérant que l’intimé, présent à l’audience, pouvait témoigner pour la contredire, le cas échéant.

[8]          La radiation provisoire étant une mesure d’exception visant la protection du
public[1], à ce stade du processus d’enquête du comité, il ne s’agit nullement pour le professionnel de démontrer qu’il n’a pas commis les gestes reprochés[2]. Le comité doit faire
preuve à ce stade-ci de souplesse à l’égard des règles de preuve et particulièrement à celle du ouï-dire.

[9]          L’abondante preuve documentaire et la production de l’enregistrement des rencontres entre Me Poirier et l’intimé suffisent au comité pour se prononcer sur la présente requête. Dans les circonstances, le comité estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur les objections portant sur les autres enregistrements (R-10 et R-15).

LA PREUVE

[10]       Me Poirier a passé en revue une preuve documentaire volumineuse (R-1 à R-15) dans laquelle on retrouve notamment:

a)     L’attestation de droit de pratique de l’intimé qui indique que celui-ci exerce la profession depuis plus de 30 ans et que son certificat est en vigueur jusqu’au 31 août 2015 (R-1);

b)     La plainte disciplinaire qui reproche notamment à l’intimé de s’être approprié environ 400 000 $ que L.M. lui avait confiés pour investissement depuis 2006, s’être placé en conflit d’intérêts en empruntant 19 000 $ à L.M. depuis septembre 2012 et 2 500 $ depuis le début de l’année 2015, de s’être approprié ces sommes qui totalisent plus de 20 000 $, d’avoir nui au travail des enquêteurs et de ne plus être en mesure d’exercer dans des conditions où la qualité de ses services auprès du public est conforme à ses obligations déontologiques (R-2);

c)      La plainte déposée, le 15 mai 2015, par L.M. à l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui indique qu’il a confié un « large sum of money over the past few years to put into an investment that he promised would yield high returns » qu’il évalue à plus de 400 000 $, mais avec « little returns on my money given », malgré ses demandes répétées de lui remettre l’argent ainsi investi apparemment auprès de compagnies achetant des créances (« facturers »). L’intimé lui aurait également emprunté de l’argent à même sa carte de crédit dont le solde, qu’il évalue à 16 000 $, ne serait toujours pas remboursé (R-3) (R-12);

d)     Des copies des carnets de chèques de L.M. de 2006 à 2015 (le dernier étant en février-mars 2015), qui indiqueraient les chèques faits à l’ordre de l’intimé totalisant environ 400 000 $ (R-5);

e)     De nombreuses « promissory notes » datées entre 2007 et 2014 qui font état de sommes reçues par l’intimé de L.M., paraissent à première vue signées par l’intimé et qui ont pour entête son nom, son titre de conseiller en sécurité financière, son adresse et autres coordonnées (R-6);

f)       Des résumés d’investissement et des calendriers de paiements, portant toujours la même entête, semblant démontrer que les sommes remises par L.M. à l’intimé étaient investies dans des placements (R-7);

g)     Un testament de L.M., modifié le 9 avril 2010, nommant l’intimé liquidateur de sa succession et légataire résiduel (R-8);

h)     Un codicille de L.M., daté du 16 novembre 2011, modifiant son testament d’avril 2010, pour retirer le nom de l’intimé comme liquidateur de sa succession, mais le laissant légataire résiduel (R-9);

[11]       Me Poirier a résumé également ce qu’elle a appris de:

a)     Ses rencontres avec les membres de la famille de L.M. (R-10);

b)     Ses rencontres avec l’intimé (R-13);

c)      De l’écoute d’une conversation téléphonique avec L.M. en présence des membres de la famille de ce dernier, mais à laquelle n’a pas participé Me Poirier (R-15).

[12]       Elle a notamment rapporté que l’intimé lui a expliqué qu’en tant que représentant autonome, il faisait affaire avec plusieurs agents généraux. Son bureau est situé à son domicile, mais avec une entrée séparée. Cependant, son épouse est seule propriétaire de la maison. À la suite d’un différend récent avec celle-ci au sujet de retard dans le paiement de l’hypothèque, il habite chez des amis depuis le 20 mai. En dépit de mise en garde d’accusation d’entrave au travail du syndic, il aurait prétendu ne pas avoir accès à son bureau et, à plus d’une reprise, refusé à Me Poirier toute communication avec son épouse pour y accéder alléguant que cela nuirait à son mariage.  

[13]       L.M. était son client depuis plus de 30 ans. Ce dernier serait âgé d’environ 85 ans et l’intimé est dans la soixantaine. L.M. serait devenu un ami proche. L’intimé accompagnait L.M. et son épouse notamment à des rendez-vous médicaux. Il aurait emprunté plusieurs fois à L.M. Il aurait fait des remboursements par chèques, mais ses relevés bancaires seraient entreposés chez sa fille à Toronto. Confronté à certaines des « promissory notes »[3], l’intimé aurait reconnu avoir emprunté à L.M. plus de 100 000 $, somme qu’il lui devrait toujours. Cet argent aurait servi à ses fins personnelles. Au sujet des documents indiquant qu’il s’agit d’investissements, il aurait reconnu qu’il n’en était rien, mais qu’il s’agissait d’investir dans leur amitié.

ANALYSE ET MOTIFS

[14]       La plainte fait état de nombreux reproches qui sont graves et sérieux. L’appropriation de fonds est parmi les infractions les plus graves sinon la plus grave qu’un représentant puisse commettre sans compter l’entrave par le représentant au travail du syndic.

[15]       Nul doute que ces reproches portent atteinte à la profession.

[16]       À cette étape-ci de la gestion de la plainte disciplinaire, les faits allégués n’ont pas à être prouvés; c’est à l’étape de l’instruction et de l’audience de la plainte au fond que cette preuve pourra se faire. La preuve « à première vue » qu’ils paraissent avoir été posés s’avère donc suffisante.  

[17]       Le comité ne peut retenir les arguments du procureur de l’intimé voulant que cette preuve soit absente en l’espèce. L’abondante preuve documentaire y compris l’enregistrement de la rencontre du 29 mai 2015 avec Me Poirier, démontre « à première vue » que l’intimé se serait approprié plus de 100 000 $ appartenant à son client L.M. depuis 2006 lui faisant faussement croire à des investissements. Il lui aurait encore récemment emprunté au moins 20 000 $ pour se l’approprier ensuite.

[18]       Qu’en est-il maintenant du quatrième critère exigeant que « la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession »?

[19]       Son procureur avance qu’il n’en est rien, que l’intimé a collaboré à l’enquête en se présentant à trois reprises à la demande de la syndique, signant des autorisations pour obtenir ses relevés bancaires, que son refus de donner accès à son bureau est circonstanciel en raison d’une dispute avec sa conjointe et qu’il sert quand même ses clients en obtenant de l’agent général des informations sur leurs dossiers.

[20]       Il prend appui sur une décision rejetant une requête en radiation provisoire d’un avocat par le Conseil de discipline du Barreau[4]

[21]       Dans cette affaire, l’intimé a reconnu les faits à la source du seul reproche d’appropriation sous lequel il pourrait plaide-t-il être acquitté au fond tirant des conclusions différentes de ces faits que celles du syndic ad hoc. En l’espèce, l’affaire est toute autre. Contrairement à cette affaire, l’intimé en l’instance paraît cacher des informations. N’eût été les documents fournis par le consommateur, l’intimé lui refusant l’accès à son bureau, la syndique n’aurait eu aucun document. Quand il s’agit de démontrer les remboursements qu’il dit avoir effectués, l’intimé répond que ses relevés sont entreposés chez sa fille à Toronto. Il ne s’agit pas non plus d’un cas isolé comme dans cette affaire, mais bien de plusieurs sommes d’argent confiées par L. M. à l’intimé, son représentant, qui lui laissait croire qu’il s’agissait d’investissements. Cette version est celle admise par l’intimé et soutenue par la preuve documentaire. Au surplus, l’attestation du droit de pratique de l’intimé révèle que son certificat a fait l’objet, d’octobre 2010 à octobre 2012, de conditions de supervision après avoir vendu un produit non autorisé par son certificat, selon ce que l’intimé aurait indiqué à Me Poirier.

 

[22]       Comme l’écrivait la Cour supérieure :

« Quant au risque de compromettre la protection du public, ce n'est pas uniquement, faut-il le préciser, les risques envers les clients du professionnel concerné dont le Comité doit tenir compte, mais également ceux envers toutes les autres parties impliquées dans le processus initié par le requérant. »[5]

[23]       L’intimé a prétendu ne pas pouvoir remettre à la syndique de la CSF le dossier de L.M. prétextant ne pas avoir accès à son bureau à la suite d’une dispute avec son épouse sur des questions financières refusant catégoriquement à l’enquêteur, en dépit de ses demandes répétées, toute tentative de communiquer avec celle-ci pour prendre arrangement et avoir accès à son bureau. L’intimé a des problèmes financiers. Au cours de son entrevue avec Me Poirier, il mentionne que la plupart de ses clients deviennent ses amis. À voir le sort qu’il leur réserve, le comité est plutôt inquiet et d'avis que la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue d’exercer.

[24]       Au surplus, la requête en radiation provisoire, la plainte disciplinaire, l’avis d’audition ainsi que l’avis de comparution ont été personnellement signifiés à l’intimé le 2 juin 2015, alors qu’il se trouvait aux bureaux de la CSF. Un nouvel avis de comparution a dû lui être signifié. Or, il lui a été signifié personnellement à son domicile, le vendredi 5 juin 2015 le matin, à 7 heures. Ceci est difficilement conciliable avec une absence d’accès à son bureau situé à son domicile.

[25]       Confronté par le comité aux informations apparaissant au dernier rapport de l’huissier, lors de l’audition du 10 juin, l’intimé a maintenu habiter chez des amis, mais s’être trouvé ce matin-là à son domicile grâce à l’intervention de son fils. Quoi qu’il en soit, l’intimé n’ayant pas accès à son bureau peut difficilement représenter de façon adéquate ses clients, ce qui s’avère un motif supplémentaire au soutien de la requête.

[26]       Par conséquent, les critères devant être satisfaits pour ordonner la radiation provisoire de l’intimé sont satisfaits[6] :

a)   la plainte fait état de reproches graves et sérieux;

b)   ces reproches portent atteinte à la raison d’être de la profession;

c)    la preuve « à première vue » (prima facie) révèle que les gestes reprochés paraissent avoir été posés;

d)   la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ACCUEILLE la requête en radiation provisoire présentée par la plaignante;

ORDONNE la radiation provisoire de l’intimé, et ce, jusqu’à ce que la décision ou un jugement final soit rendu sur la plainte disciplinaire;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

LE TOUT frais à suivre.

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Dyan Chevrier____________________

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Marc Binette______________________

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Jean-François Noiseux

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Éric Marquette

DE CHANTAL, D'AMOUR, FORTIER

Procureur de la partie intimée

                                                                     COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

Date d’audience : Le 10 juin 2015       



[1] Mailloux c. Médecins, 2009 QCTP 80, 10 juillet 2009, paragraphe 66.

[2] Chimistes c. Bell, D.D.E. 20001 D-70 (T.P.) p.10 et 11.

[3] R-6, pages 0135, 0134, 0133 et 0137

[4] Barreau du Québec (syndic ad hoc) c. Morand, 2008 QCCDBQ 042.

[5] Michalakopoulos c. Avocats, 2004 QCTP 78 (T.P.), paragraphe 20.

[6] Mailloux c. Médecins, 2009 QCTP 80.

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