Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Malenfant

2015 QCCDCSF 27

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

No:

CD00-1121

 

 

 

DATE :

10 juin 2015

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Frédérick Scheidler

Membre

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

JEAN-MARIE MALENFANT, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 122472)

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

           Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom de la consommatrice impliquée dans les présentes requête et plainte ou tout renseignement permettant de l'identifier, afin d’assurer la protection de sa vie privée.

[1]           Les 22 et 29 mai 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal pour procéder à l’audition de la requête en radiation provisoire suivante portée contre l’intimé :


REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

(Articles 130 et 133 du Code des professions)

 

AU COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE, LA PLAIGNANTE EXPOSE CE QUI SUIT :

1.    Au moment des faits ci-après, l’intimé détenait un certificat portant le numéro 122472, tel qu’il appert de l’attestation de droit de pratique produite au soutien des présentes sous la cote R-1;

2.    La plaignante a déposé une plainte contre l’intimé lui reprochant de s’être approprié des sommes d’argent que S.A.G. lui avait confiées pour fins d’investissement et de s’être placé en situation de conflit d’intérêts auprès d’elle en lui empruntant des sommes d’argent, le tout tel qu’il appert de la plainte produite au soutien des présentes sous la cote R-2;

3.    Pour les motifs ci-après exposés, les infractions reprochées à l’intimé sont graves et sérieuses, portent atteinte à la raison d’être de la profession et sont de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue d’exercer sa profession;

MISE EN SITUATION

4.    S.A.G. a été la cliente de l’intimé entre vers 1995 et 2012;

5.    Durant cette période, elle a souscrit différents placements et des assurances par l’entremise de l’intimé;

6.    À l’occasion d’une rencontre tenue à la Chambre de la sécurité financière le 11 mai 2015, l’intimé a reconnu ces faits;

7.    La plaignante détient au surplus des documents attestant l’existence d’une relation professionnelle entre l’intimé et S.A.G. entre 1995 et 2012;

APPROPRIATION D’ARGENT

8.    Entre 2005 et 2011, S.A.G. a confié à l’intimé des sommes d’argent totalisant environ 95 000 $ à des fins d’investissements;

9.    L’intimé n’a jamais investi ces sommes, contrairement au mandat confié par S.A.G.;

10. L’intimé a d’ailleurs reconnu dans un protocole d’entente daté du 19 septembre 2011, avoir reçu de S.A.G. des sommes totalisant environ 95 000 $ pour fins d’investissement et ne pas les avoir investies, le tout tel qu’il appert du protocole d’entente produit sous la cote R-3;

11. Le 11 mai 2015, à l’occasion d’une rencontre avec l’enquêteur au dossier, l’intimé a admis avoir reçu ces sommes d’argent de S.A.G. pour fins d’investissement, ne pas les avoir investies et les avoir utilisées pour ses fins personnelles;

CONFLITS D’INTÉRÊTS

12. Entre le 2 mars 2006 et le 12 novembre 2010, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à sa cliente, à trois occasions différentes, des montants d’argent totalisant environ 40 000 $ :

a.    Le ou vers le 2 mars 2006, l’intimé a emprunté la somme de 10 000 $, tel qu’il appert de la reconnaissance de dette signée par l’intimé et produite sous la cote R-4;

b.    Le ou vers le 19 août 2008, l’intimé a emprunté la somme de 25 000 $, tel qu’il appert de la reconnaissance de dette signée par l’intimé et produite sous la cote R-5;

c.    Le ou vers le 12 novembre 2010, l’intimé a emprunté la somme de 5 000 $, tel qu’il appert de la reconnaissance de dette signée par l’intimé et  produite sous la cote R-6;

13.  Dans le protocole d’entente R-3, l’intimé a reconnu avoir emprunté ces sommes à S.A.G. et ne pas les lui avoir remboursées;

DÉFAUT DE REMETTRE

14. Le protocole d’entente R-3 prévoyait notamment que le Rc rembourserait le capital dû à S.A.G. ainsi que des intérêts totalisant environ 153 918 $, à raison de 36 versements mensuels de 4 275 $ à compter du 1er novembre 2011;

15. Or, à ce jour, l’intimé n’a remboursé à S.A.G. qu’une somme totalisant entre 30 000 $ et 33 000 $.  Ce montant a été versé entre vers les 19 novembre 2011 et 26 juin 2013;

16. Ainsi, l’intimé a fait défaut de respecter le protocole d’entente intervenu avec S.A.G. et de lui remettre  l’entièreté des sommes qui lui appartiennent;

17. Le ou vers le 8 juillet 2014, l’intimé a signé auprès d’un syndic de faillite une proposition contenant la liste de ses créanciers.  Le nom de S.A.G. y figure et il y appert que le montant de 123 000 $ lui serait dû, tel qu’il appert de ladite proposition produite sous la cote R-7;

CONCLUSION

18. Les faits portés à la connaissance de la plaignante sont extrêmement inquiétants et requièrent l’intervention immédiate du Comité de discipline;

19. Il apparaît de façon prima facie que l’intimé s’est approprié des sommes d’argent importantes appartenant à sa cliente, en plus de s’être placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant beaucoup d’argent à sa cliente;

20. Les appropriations et les emprunts ont eu lieu sur une longue période et à de très nombreuses reprises;

21. L’intimé est toujours inscrit;

22. Il y a urgence d’agir pour la protection du public compte tenu de la gravité des infractions reprochées;

23. La syndique a agi avec diligence afin de présenter la présente requête le plus rapidement possible;

24. Il est impératif et d’intérêt public d’ordonner la radiation provisoire immédiate de l’intimé;

25. La présente requête est bien fondée en faits et en droit.

 


PAR CES MOTIFS, PLAISE  AU COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCUEILLIR la présente requête;

PRONONCER la radiation provisoire immédiate de l’intimé et ce, jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur la plainte disciplinaire;

ORDONNER la publication d’un avis de cette décision dans un journal circulant dans la localité où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où l’intimé a exercé ou pourrait exercer sa profession

Le tout avec déboursés contre l’intimé, incluant les frais de publication de l’avis.

EN FOI DE QUOI, J’AI SIGNÉ :

Montréal, ce  12 mai 2015

 

(s) Caroline Champagne

 

CAROLINE CHAMPAGNE

 

 

 

Syndique

 

[2]          Quant à la plainte disciplinaire jointe à la requête sous la cote R-2, elle se lit comme suit :

LA PLAINTE

 

1.        À Gatineau, entre 2005 et 2011, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 95 000 $ que lui avait confiées S.A.G. pour fins d’investissements, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

2.        À Gatineau, le ou vers le 2 mars 2006, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à S.A.G. une somme d’environ 10 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

3.        À Gatineau, le ou vers le 19 août 2008, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à S.A.G. une somme d’environ 25 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

4.        À Gatineau, le ou vers le 12 novembre 2010, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à S.A.G. une somme d’environ 5 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

 

[3]          Me Alain Galarneau représentait la plaignante alors que l’intimé était présent et représenté par Me Charles Dupuis. La veille de l’audience, le comité avait refusé la demande de remise de ce dernier, étant donné l’article 133 du Code des professions.

[4]          Le 22 mai 2015, a débuté l’instruction de la requête en radiation provisoire que l’intimé a déclaré contester.

[5]          Cependant, de consentement avec les parties, l’audition a été continuée au       29 mai, après que Mme Lucie Coursol, enquêteure au bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF), ait témoigné pour la plaignante au soutien de la requête en radiation provisoire.

[6]          Le 29 mai 2015, en début d'audience, Me Dupuis a annoncé que son client désirait enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’égard de la plainte portée contre lui et être prêt à procéder sur sanction. Me Galarneau s’est déclaré également prêt à procéder ainsi, ajoutant toutefois maintenir la demande de radiation provisoire de l’intimé.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[7]          Après s’être assuré que l’intimé comprenait le sens et la portée de son plaidoyer de culpabilité, le comité a donné acte à l’enregistrement de ce dernier sous chacun des quatre chefs d’accusation portés contre lui.

[8]          Ensuite, les parties ont convenu que la preuve faite sur la requête en radiation provisoire faisait partie intégrante de la preuve sur culpabilité et sanction, incluant le témoignage de Mme Coursol.

LA PREUVE

[9]          De la preuve, le comité retient les principaux faits suivants.

[10]       Mme Coursol a commencé son enquête le 4 mai 2015 à la suite du signalement de l’Autorité des marchés financiers (AMF) reçu à la CSF à la fin du mois d’avril de la même année.

[11]       Passant en revue la preuve documentaire[1], elle a relaté sa rencontre avec l’intimé le 11 mai 2015, en compagnie de Me Brigitte Poirier, directrice des enquêtes au bureau de la syndique.

[12]       Elle a témoigné qu’au cours de cette rencontre, l’intimé a reconnu :

a)     s’être approprié pour ses fins personnelles une somme d’environ 95 000 $ que sa cliente S.A.G. lui avait confiée aux fins d’investissement;

b)     lui avoir emprunté environ 40 000 $ faisant l’objet des reconnaissances de dette de 10 000 $, 25 000 $ et 5 000 $ respectivement;

c)      avoir déposé le 8 juillet 2014 une proposition, dans le cadre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2], contenant la liste de ses créanciers affichant une dette totale d’environ 350 000 $, dont 123 000 $ à S.A.G.;

d)     les différents documents contenus dans la preuve documentaire déposée devant le comité par la partie plaignante.

[13]       Le 29 mai 2015, lors de son contre-interrogatoire, Mme Coursol a indiqué que l’intimé, âgé de 78 ans, avait bien collaboré à l’enquête, avait répondu aux questions et avait expliqué les circonstances des infractions et à quelles fins avait servi l’argent de S.A.G.

[14]       Pour sa part, l’intimé interrogé par son procureur a témoigné : 

a)     avoir commencé à exercer en assurance de personnes en 1960, soit depuis environ 55 ans;

b)     que S.A.G. était une grande amie qu’il considérait davantage comme une sœur que comme une cliente. Leur amitié a pris fin en 2013;

c)      avoir eu l’occasion de constater que S.A.G. avait déjà omis d’encaisser pendant plusieurs années un chèque de 17 000 $, de sorte qu’elle se révélait être une personne plus vulnérable;

d)     avoir utilisé l’argent de S.A.G. pour se défendre à une poursuite en libelle diffamatoire;

e)     avoir déjà emprunté, au cours des années 1970, de l’argent à un ou plusieurs clients, alors qu’il vivait une période difficile, mais les avoir remboursés;

f)       avoir utilisé l'argent confié par des clients pour investir dans des sociétés en commandite, dont 500 000 $ d'une cliente, qui a été investi dans autre chose que ce qui avait été convenu, mais son témoignage à ce sujet est devenu nébuleux ou pour le moins confus;

g)     s’être spécialisé depuis 1970 dans le domaine des assurances en invalidité et compter parmi sa clientèle plus ou moins 200 médecins;

h)     ne plus avoir de maison, ni automobile;

i)       avoir pour seul revenu les prestations de pension du Canada et de la Régie des rentes du Québec, totalisant environ 2 400 $ par mois pour lui et son épouse;

j)       verser 500 $ par mois en exécution de l’offre faite en 2014 à ses créanciers, dans le cadre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et ce pendant 5 ans;

k)      regretter sa faute, mais qu’il explique par le fait qu’il a agi dans des domaines qui n’étaient pas de sa compétence;

l)       ne pas faire de sollicitation depuis plusieurs années;

m)       avoir songé à se retirer de la profession, même avant la présente plainte portée contre lui le 12 mai 2015, incapable de suivre les changements dans la profession.

[15]       Enfin, l’intimé a demandé au comité de ne pas ordonner la publication de la décision alléguant essentiellement avoir honte, que sa santé en avait été affectée et que la publication révélerait ses fautes à sa famille, ce qui nuirait à son image auprès de celle-ci qui le perçoit comme « un sage », en plus de causer du tort particulièrement à ses enfants et petits-enfants qui occupent des postes importants au sein de grandes compagnies ou institutions financières.  

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

La plaignante

[16]       Quant à sa demande d’ordonner la radiation provisoire de l’intimé, Me Galarneau a allégué que celle-ci devrait être accueillie puisque les quatre conditions, établies par la jurisprudence[3], étaient satisfaites.

[17]       Il y avait en l’espèce non seulement gravité des infractions commises, mais la répétition de celles-ci et les sommes en jeu justifiaient cette radiation provisoire, d’autant plus que l’intimé se trouve dans une situation financière précaire. Il a rappelé qu’il n’avait pas à démontrer que la protection du public était compromise, mais bien qu’elle risquait d’être compromise. Contrairement à ce que son confrère a soutenu, il a indiqué que cette demande n’était pas académique puisque l’ordonnance de radiation provisoire est exécutoire à partir de sa signification à l’intimé, alors que la décision sur culpabilité et sanction ne l’est qu’à l’expiration d’un délai d’appel de 30 jours.

[18]       Aussi, soutenant que, selon la jurisprudence, la publication constituait la règle et la non-publication, l’exception, il a demandé de rejeter la demande de dispense de publication présentée par l’intimé et a réclamé la publication de l’ordonnance de radiation provisoire de l’intimé aux frais de ce dernier. Il a ajouté que même si le tribunal avait donné droit à la dispense de publication de l’ordonnance de radiation provisoire dans l’affaire Mailloux[4], il s’agissait d’un cas qui avait grandement été médiatisé, alors qu’en l’espèce, l’intimé n’a allégué que des raisons personnelles qui ne constituent pas des circonstances exceptionnelles justifiant une dispense.

[19]       Au chapitre des sanctions, il a recommandé la radiation permanente de l’intimé sous le premier chef d’accusation et sa radiation temporaire pour une période de cinq ans à purger de façon concurrente, sous chacun des trois autres chefs d’accusation. Au soutien de ces sanctions, il a commenté les décisions rendues dans les affaires Baron, Langlois, Morinville et Saint-Jean[5].

[20]       Enfin, il a demandé de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

 

 

L’intimé

[21]       Pour le procureur de l’intimé, le débat sur la requête en radiation provisoire de son client est devenu académique en raison du plaidoyer de culpabilité de son client sous les quatre chefs d’accusation portés contre lui. Eu égard au risque que la protection du public soit compromise, il a soutenu qu’il y avait absence de preuve objective de ce risque en l’espèce.

[22]       Quant aux sanctions, bien que reconnaissant que l’appropriation constituait l’infraction la plus grave qu’un représentant puisse commettre, il a recommandé une radiation de vingt ans sous chacun des chefs d’accusation alléguant qu’étant donné l’âge de l’intimé, cette période équivalait à une radiation permanente et assurait la protection du public.

[23]       Citant la doctrine pertinente[6], il a rappelé les différents facteurs tant objectifs que subjectifs à considérer lors de la détermination des sanctions. À ce sujet, il a notamment mentionné que son client a exercé pendant 55 ans sans avoir aucun antécédent disciplinaire et avait participé volontairement à l’entente intervenue avec S.A.G. pour la rembourser. Au surplus, à la suite de son recours à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, l’intimé n’avait plus de maison ni voiture et n’avait, pour seul revenu, que les prestations de la sécurité de la vieillesse et du régime des rentes du Québec.

[24]       Il a allégué qu’il y avait absence de preuve de risque de récidive, que l’intimé avait témoigné avoir honte de ses fautes, ce qui démontrait son repentir, et avait fourni une excellente collaboration à l’enquête du bureau de la syndique, ajoutant que le principe de la gradation des sanctions devait s’appliquer.

[25]       Au soutien de sa demande de dispense de publication, il a commenté une décision rendue le 17 juin 2014 par le Conseil de discipline des acupuncteurs[7] qui a dispensé la publication de l’ordonnance de radiation temporaire de l’intimé alléguant similarité avec le cas présent.

ANALYSE ET MOTIFS

[26]       Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision sur culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé donnant ainsi acte à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité et le déclarant coupable sous chacun des quatre chefs d’accusation de la plainte portée contre lui.

[27]       En l’espèce, l’intimé s’est approprié à six reprises des sommes d’argent de sa cliente S.A.G., entre 2005 et 2011, pour un total de 95 000 $. Il lui a aussi emprunté à trois reprises des sommes totalisant 40 000 $, qu’il n’a pas remboursées sauf pour quelques milliers de dollars en intérêts.

[28]       L’appropriation de fonds constitue l’une des infractions les plus graves, sinon la plus grave, qu’un représentant puisse commettre et porte une atteinte grave à la raison d’être de la profession. L’honnêteté et l’intégrité constituent des qualités essentielles à son exercice. D’ailleurs, en vertu de l’article 220 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LSPSF), l’Autorité des marchés financiers (AMF) peut notamment refuser de livrer ou renouveler un certificat si elle estime que « celui qui le demande ne possède pas la probité nécessaire pour exercer ses activités ». Cette qualité est donc considérée comme cruciale au lien de confiance devant exister entre le représentant et son client.

[29]       Loin de rassurer le comité, l’intimé, au cours de son témoignage, s’est présenté comme un représentant habile et sachant profiter de ses nombreux contacts pour s’aventurer dans toutes sortes d’activités hors de sa compétence. Il a révélé avoir déjà emprunté de l’argent à ses clients, mais les avoir remboursés et avoir utilisé l’argent confié par ses clients pour investir dans des produits autres que ceux convenus avec eux.

[30]       Il a expliqué que S.A.G. était devenue une grande amie. Ayant constaté que celle-ci avait négligé d’encaisser un chèque de 17 000 $ pendant plusieurs années, au lieu de la protéger en l’incitant à être plus prudente, il a vu en elle une proie facile et a abusé de sa confiance. De surcroît, après avoir signé une entente de remboursement avec elle en septembre 2011, il s’est prévalu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et inscrit celle-ci parmi ses créanciers pour une somme de 123 000 $.

[31]       Au surplus, il a témoigné collecter de l’argent pour certaines personnes et être en train de négocier un règlement hors cour de plusieurs millions de dollars pour un groupe de consommateurs contre une rémunération à pourcentage établie à 5 %, mais avoir récemment appris ne pas avoir le droit de partager ses services avec des avocats. Enfin, sa situation financière est précaire et le risque de récidive paraît plutôt très important.

[32]       Dans les circonstances, le comité est d’avis que si l’intimé continue d’exercer la profession, la protection du public risque d’être compromise et ce dernier doit en être avisé. En conséquence, la requête en radiation provisoire est accueillie et le comité ordonnera la publication de l’ordonnance en radiation provisoire de l’intimé, celui-ci n’ayant pas démontré de circonstances exceptionnelles permettant de la dispenser. Il n’a fourni que des raisons personnelles communes à tout intimé se trouvant dans la même situation. Sauf respect pour l’opinion contraire, l’affaire Meunier citée à l’appui de cette demande n’est pas pertinente. Dans cette affaire, les circonstances étaient toutes autres. L’intimé Meunier a présenté sa demande de dispense de publication à l’automne 2013 lors de l’audition sur culpabilité et sanction de la plainte portée contre lui. Or, il avait déjà été radié provisoirement le 14 septembre 2011 et il y avait eu publication de l’ordonnance dans le journal au mois d’octobre suivant. En conséquence de cette publication, l’intimé qui enseignait et gérait un institut de Qigong, avait notamment subi une baisse de 50 % de sa clientèle. Une autre publication risquait de mettre en péril son nouveau gagne-pain ce qui représentait un préjudice important. Enfin, notons que le syndic avait laissé cette demande à la discrétion du comité.

[33]       En ce qui concerne les sanctions le procureur de l’intimé, qui recommande une période de radiation temporaire de vingt ans sous chacun des quatre chefs, a convenu qu’elle s’apparentait, étant donné l’âge de son client, à une radiation permanente. La motivation sous-jacente de sa recommandation de radiation temporaire ayant pour but de donner ouverture à une demande de dispense de publication, ce qui n’est pas le cas si une radiation permanente était ordonnée.

[34]       Même s’il est exact que des périodes longues de radiation ont été ordonnées par le comité pour des infractions d’appropriation, elles l’ont généralement été dans des affaires où les montants en jeu étaient minimes ou de peu d’importance. La parité des sanctions doit, dans la mesure du possible, être favorisée et le comité est d’avis que le cas de l’intimé ne justifie pas de s’en écarter.

[35]       En l’espèce, la gravité objective des infractions ne fait aucun doute, il y a même répétition des gestes commis, l’intimé a abusé de la confiance de son amie et cliente. De plus, il l’a inscrite dans la liste de ses créanciers dans la proposition faite dans le cadre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la privant de tout recours contre lui et de remboursement valable. Son expression de regrets a paru mitigée, s’adressant principalement à son propre sort et peu à celui de sa cliente qui a été trahie par son ami et conseiller. L’intimé ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour ce qui lui arrive.

[36]       Par conséquent, estimant les sanctions proposées par la plaignante justes et appropriées dans les circonstances, le comité ordonnera la radiation permanente de l’intimé sous le premier chef d’accusation et sa radiation temporaire pour une période de cinq ans, à purger de façon concurrente, sous chacun des trois autres chefs d’accusation portés contre lui. Toutefois, étant donné la publication de l’ordonnance de radiation provisoire qui sera ordonnée et que le comité, par la présente décision, se prononce tant sur la requête en radiation provisoire que sur la culpabilité et sanction à l’égard de l’intimé, il dispensera le secrétaire du comité de discipline de la publication de celles portant sur les radiations temporaires. Le comité condamnera également l’intimé au paiement des déboursés.

 

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ACCUEILLE la requête en radiation provisoire présentée par la plaignante;

ORDONNE la radiation provisoire de l’intimé, et ce, jusqu’à ce que la décision ou un jugement final soit rendu sur la plainte disciplinaire;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision sur radiation provisoire dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

 

ET PROCÉDANT SUR LA CULPABILITÉ ET SANCTION

RÉITÈRE PRENDRE ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des quatre chefs d’accusation de la plainte;

RÉITÈRE DÉCLARER l’intimé coupable sous chacun des quatre chefs d’accusation de la plainte;

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé sous le premier chef d’accusation de la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans, à purger de façon concurrente, sous chacun des chefs d’accusation 2, 3 et 4 de la plainte;

DISPENSE le secrétaire du comité de discipline de la publication de la décision portant sur les radiations temporaires;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés liés à la présentation de la requête en radiation provisoire ainsi que sur culpabilité et sanction conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

_(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

_(s) Dyan Chevrier___________________

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

_(s) Frédérick Scheidler_______________

M. Frédérick Scheidler

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Charles Dupuis

CHARLES DUPUIS AVOCAT

Procureur de la partie intimée

 

 

Dates d’audience :

22 et 29 mai 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] R-1 à R-9. Notons que R-4 correspond à l’annexe E-1 de R-3, que R-5 correspond à l’annexe E-2 de R-3 et que R-6 correspond à l’annexe E-3 de R-3.

[2] L.R.C. 1985, c. B-3.

[3] Mailloux c. Médecins, 2009 QCTP 80, 10 juillet 2009.

[4] Mailloux c. Médecins, note 2.

[5] Champagne c. Baron, CD00-1067, décision sur radiation provisoire du 12 juin 2014, décision sur culpabilité et sanction du 9 janvier 2015; Champagne c. Langlois, CD00-1015, décision sur radiation provisoire du 24 octobre 2013, décision sur culpabilité et sanction du 31 juillet 2014; Lelièvre c. Morinville, CD00-0821, décision sur radiation provisoire du 13 juillet 2010, décision sur culpabilité du 25 octobre 2011 et décision sur sanction du 12 juin 2012; Champagne c. St-Jean, CD00-1020, décision sur radiation provisoire du 30 octobre 2013, décision sur culpabilité du 12 mai 2014 et décision sur sanction du           24 novembre 2014.

[6] De Niverville, Patrick. «L’ordonnance de radiation provisoire» dans Développements récents en déontologie 2002, volume 174, Éditions Yvon Blais, pages 1 à 18; Villeneuve, Jean-Guy et al. Précis de droit professionnel, Éditions Yvon Blais, 2008, aux pages 243 à 253; Poirier, Sylvie. La discipline professionnelle au Québec : Principes législatifs, jurisprudentiels et aspects pratiques, Éditions Yvon Blais, 1996, aux pages 167 à 177.

[7] Acupuncteurs c. Meunier, 2014 CanLII 32993, décision du Conseil de discipline sur culpabilité et sanction du 17 juin 2014; Acupuncteurs c. Meunier, 2015 QCTP 44, décision du tribunal des professions sur requête en rejet d’appel du 6 mai 2015.

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