Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Chambre de la sécurité financière c. Martineau

2015 QCCDCSF 28

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1076

 

DATE :

10 juin 2015

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Nacera Zergane

Membre

 

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

 

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CLAUDE MARTINEAU (certificat numéro 123103 et BDNI numéro 1738291)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                 Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de renseignements ou documents permettant d'identifier les consommateurs impliqués dans la présente plainte, ou autre information quant à leur santé et situation financière contenue dans les pièces P-1 à P-12, dans le but d’assurer la protection de leur vie privée.

[1]          Le 24 mars 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 14 août 2014.

LA PLAINTE

M.C.P. et R.P.

1.         Dans la région de Trois-Rivères, le ou vers le mois de mai 1999, l’intimé a fait à M.C.P. des déclarations ou des représentations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur sur le montant des primes à verser pour le maintien en vigueur de la police numéro 10104567, contrevenant ainsi aux articles 133, 134, 135 et 137 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (RLRQ, chapitre I-15.1, r.0.5);

2.         Dans la région de Trois-Rivières, le ou vers le mois de novembre 2006, l’intimé a tenté d’éluder sa responsabilité en offrant à M.C.P. et R.P. un montant total de 10 000 $ pour un dépôt dans la police d’assurance vie numéro 10104567, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 25 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

R.P. et S.L.P.

3.         À Trois-Rivières, le ou vers le 3 juin 2011, l’intimé a contrefait ou permis que soient contrefaites les signatures de R.P. et S.L.P. sur le formulaire « Demande de rachat » de la police numéro 8039573, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 11, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3).

 

[2]          La plaignante était représentée par Me Julie Piché et l’intimé, quoiqu’absent à l’audience, était représenté par Me Martin Courville.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[3]          Le procureur de l’intimé a indiqué au comité que ce dernier, bien qu’absent, l’avait mandaté pour enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous chacun des trois chefs d’accusation portés contre lui. Il a de plus indiqué que l’intimé avait compris qu’il reconnaissait, par ce plaidoyer, les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques.

[4]          En conséquence, le comité a déclaré l’intimé coupable sous chacun des trois chefs d’accusation contenus à la plainte portée contre lui.

[5]          Ensuite, les parties ont indiqué au comité qu’elles s’étaient entendues pour présenter des suggestions communes sur sanction.

LA PREUVE

[6]          Après avoir déposé de consentement la preuve documentaire (P-1 à P-12),
Me Piché a exposé la trame factuelle entourant la commission des infractions.

[7]          L’intimé a commencé dans la profession vers 1976. Les deux couples de consommateurs impliqués dans la plainte faisaient affaire avec l’intimé depuis plus de vingt ans.

[8]           En ce qui concerne le premier chef d’accusation, elle a expliqué que l’intimé n’a pas fourni les informations complètes à M.C.P. alors qu’il le faisait souscrire en 1999 à une police d’assurance vie universelle pour un million de dollars sur la vie de sa fille. Il l’a induit en erreur quant aux primes à verser pour le maintien de ladite police ne lui présentant que les illustrations qui affichaient le meilleur rendement annuel de 8,5 % et lui indiquant que la mise de fonds de 18 615 $ constituait le paiement complet de la police ainsi souscrite. L’intimé a même inscrit « payé à vie » sur le reçu qu’il lui a remis pour cette mise de fonds. Or, des versements annuels de plus de 2 000 $ se sont révélés nécessaires pour maintenir cette police en vigueur.

[9]           En ce qui a trait au deuxième chef d’accusation, comme M.C.P. avait souscrit le même jour à une police d’assurance vie universelle sur sa propre vie au coût annuel de 2 638,80 $, l’intimé a utilisé certains de ces paiements au profit de celle émise sur la vie de sa fille. En 2006, afin d’éluder sa responsabilité à l’égard de la mauvaise information fournie, l’intimé a offert 10 000 $ à M.C.P. et R.P. qui les ont néanmoins refusés. En conséquence, le couple a été obligé de verser plus de 2 000 $ par année pour le maintien de la police sur la vie de leur fille et ont fait une demande d’indemnisation auprès du Fonds d’indemnisation des services financiers.

[10]       Quant au troisième chef d’accusation, R.P. désirait souscrire à un contrat de fonds distincts avec l’argent provenant du rachat d’une police d’assurance vie. L’intimé a rempli son profil d’investisseur ainsi que la souscription à des fonds distincts. Toutefois, il ne lui a pas fait signer le formulaire approprié aux fins du transfert du produit de la police d’assurance. Ainsi, pour sauver du temps ou autre raison inconnue, au lieu de faire revenir ses clients pour signer le bon formulaire, l’intimé a imité les signatures des deux consommateurs, la première en tant que titulaire de la police et la deuxième comme bénéficiaire de celle-ci. Il a de plus indiqué le 3 juin 2011, date inscrite sur les formulaires signés originalement. Les consommateurs ont confirmé qu’il ne s’agissait pas de leurs signatures et l’expert, retenu par la plaignante, a conclu qu’il s’agissait de fausses signatures par imitation servile et du même faussaire pour les deux signatures (P-6).  

PREUVE ET REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

[11]       Les parties ont recommandé les sanctions suivantes à être purgées de façon concurrente et ne devant prendre effet que lors de la demande de renouvellement du certificat par l’intimé :

a)    Pour le chef 1 :

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois;

b)    Pour le chef 2:

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans;

c)    Pour le chef 3:

             La radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq mois.

[12]       Elles ont aussi recommandé la publication de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’expertise encourus par la plaignante.

[13]       Me Piché a déposé de consentement une preuve supplémentaire sur sanction démontrant que l’intimé a signé trois engagements volontaires, un premier le 26 avril 2005 et deux le 3 octobre 2007[1]. L’intimé s’y engageait notamment à ne pas faire des représentations fausses, incomplètes ou susceptibles d’induire en erreur ses clients, à exercer ses activités avec intégrité dans l’intérêt de ces derniers, à avoir une bonne connaissance des besoins financiers de ses clients et à procéder à une analyse de leurs besoins financiers ainsi qu’à respecter les règles relatives au remplacement d’une assurance et au devoir d’information envers ses clients.

[14]       En février 2012, dans le dossier CD00-0851, l’intimé a été déclaré coupable par le comité sous plusieurs chefs de fausses représentations ou informations incomplètes pouvant induire en erreur les consommateurs, ainsi que sous des chefs de contrefaçon de signature. L’intimé s’est vu imposer entre autres des périodes de radiation temporaire dont une de trois mois sous le chef de contrefaçon et condamné au paiement d’une amende de 5 000 $ sous chacun des chefs reprochant des fausses représentations. Cette décision a été confirmée en 2014 par la Cour du Québec siégeant en appel.

[15]       Me Piché a indiqué que lorsque l’intimé a commis l’infraction de contrefaçon en l’espèce, les auditions dans le dossier CD00-0851 étaient fixées au cours des deux ou trois semaines suivantes. Comme il était également accusé, dans ce dernier dossier, de contrefaçon de signature et de fausses représentations, l’intimé ne pouvait ignorer qu’il commettait une infraction puisqu’il y était déjà confronté.

[16]       Quant à la décision du Bureau de décision et de révision (BDR), rendue le
18 juillet 2014, Me Piché a fait valoir que cette dernière décision survenait à la suite de dénonciations voulant que l’intimé continue de communiquer avec ses anciens clients et même de faire du démarchage de nouveaux clients, alors qu’il n’était plus rattaché à aucun cabinet et par conséquent, exerçait illégalement depuis septembre 2013.

[17]       Au titre des facteurs aggravants, elle a ensuite invoqué:

Aggravants 

a)    La gravité objective des infractions commises;

b)    Les fausses représentations faites par l’intimé qui supposent une intention de faire une vente à tout prix;

c)    La présence de préméditation étant donné l’utilisation par l’intimé des paiements faits par son client sur sa police au profit de celle souscrite sur la vie de sa fille de même que l’imitation de signature décrite au troisième chef et ce, postérieurement à ses engagements signés en 2005 et 2007;

d)    La vulnérabilité des consommateurs qui faisaient affaire avec l’intimé depuis plus de vingt ans;

e)    Le préjudice pécuniaire subi par le couple M.C.P. et R.P. qui a dû verser plus de 10 000 $, à raison de 2 000 $ par année, pour combler les dépôts nécessaires au maintien de l’assurance souscrite pour leur fille;

f)     La longue expérience de l’intimé;

g)    L’antécédent disciplinaire et les engagements de l’intimé.

[18]        À l’appui d’une radiation temporaire de six mois sous le premier chef d’accusation, Me Piché a soumis la décision rendue dans l’affaire Jolicoeur[2] ordonnant la radiation de l’intimé pour un mois sous deux chefs d’accusation, mais à purger de façon consécutive. Elle a toutefois reconnu que la sanction imposée pour ce type d’infraction était généralement une amende. Elle a expliqué que les parties considéraient par ailleurs, qu’en l’espèce, une période de radiation s’imposait étant donné la conduite générale de l’intimé, son antécédent et ses engagements volontaires de 2005 et 2007.

[19]        Quant au deuxième chef d’accusation, pour lequel les parties suggèrent une période de radiation de trois ans, elle a cité les affaires Vaillancourt[3] et Townend[4]. Dans la première affaire, le comité, en dépit de l’amende de 1 000 $ suggérée par les parties, a ordonné la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans pour avoir fait signer à son client une exonération de responsabilité à la suite d’une série de transactions faites par son entremise. Dans la deuxième affaire, il a imposé une période de radiation de trois ans pour les chefs reprochant à l’intimé d’avoir éludé sa responsabilité. Quant au troisième chef reprochant la contrefaçon, elle a commenté les décisions rendues dans les affaires Trottier[5] et Blais[6], Patry[7] dans lesquelles des radiations de trois à cinq mois ont été ordonnées.

[20]        Enfin, elle a fait valoir que l’intimé, ayant déjà été condamné par le comité à une radiation de trois mois pour ce type d’infraction dans le dossier CD00-0851, le principe de la gradation des sanctions devait s’appliquer. Même s’il ne s’agit pas d’une récidive, elle a soutenu que l’intimé ne pouvait ignorer, au moment de sa commission, qu’il s’agissait d’une infraction puisque cette même infraction lui avait été reprochée dans la plainte CD00-0851, dont l’audition était fixée quelques semaines plus tard.

ANALYSE ET MOTIFS

[21]       Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision sur culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé, donnant ainsi acte à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité et le déclarant coupable sous chacun des trois chefs de la plainte portée contre lui.

[22]       Quoique les sanctions proposées peuvent paraître quelque peu sévères surtout celle sous le deuxième chef d’accusation, lorsqu’examinées dans leur globalité, elles répondent aux critères devant guider le comité dans la détermination des sanctions et sont compatibles aux sanctions prononcées pour des infractions de même nature. Elles ont été négociées par deux procureurs d’expérience qui ont tous deux, au surplus, agi dans le dossier CD00-0851 concernant l’intimé. Par conséquent, le comité y donnera suite.

[23]       En plus des arguments soulevés par les parties à l’appui de leurs recommandations, notons que le certificat de l’intimé a fait, le 15 octobre 2009 et le     21 juin 2012, l’objet de trois à quatre conditions par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour des périodes de deux et cinq ans.

[24]       L’intimé a démontré peu de respect à l’égard de ses obligations déontologiques. La protection du public exige qu’un message clair lui soit adressé afin de l’inciter à corriger ses comportements.

[25]       Par conséquent, sous les chefs d’accusation 1, 2 et 3, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois, de trois ans et de cinq mois respectivement, ces périodes devant être purgées de façon concurrente. Elles ne devront cependant prendre effet qu’au moment de la reprise par l’intimé de son droit de pratique et de l’émission d’un certificat par l’AMF.

[26]       L’intimé sera aussi condamné au paiement des déboursés, incluant les frais d’expertise, et la publication de la décision sera ordonnée.

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée séance tenante sous chacun des trois chefs d’accusation mentionnés à la plainte.

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

ORDONNE, sous le chef d’accusation numéro 1, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six mois;

ORDONNE, sous le chef d’accusation numéro 2, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE, sous le chef d’accusation numéro 3, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq mois, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE que ces périodes de radiation prennent effet qu’au moment de la reprise par l’intimé de son droit de pratique et de l’émission à son nom d’un certificat par l’Autorité des marchés financiers;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’expertise, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Nacera Zergane___________________

Mme Nacera Zergane

Membre du comité de discipline

 

(s) Dyan Chevrier____________________

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

DE CHANTAL, D’AMOUR, FORTIER, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 24 mars 2015

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] SP-1 à SP-3.

[2] Rioux c. Jolicoeur, CD00-0523, décision sur culpabilité du 17 juin 2004 et décision sur sanction du
7 octobre 2004.

[3] Rioux c. Vaillancourt, CD00-0546, décision sur culpabilité du 21 janvier 2005 et décision sur sanction du 26 mai 2005.

[4] Champagne c. Townend, CD00-0894, décision sur culpabilité du 9 mai 2013 et décision sur sanction du 1er mai 2014.

[5] Rioux c. Trottier, CD00-0678, décision sur sanction du 22 mars 2010.

[6] Lelièvre c. Blais, CD00-0838, décision sur culpabilité et sanction du 18 juillet 2011.

[7] Lelièvre c. Patry, CD00-0921, décision sur culpabilité et sanction du 7 mai 2014.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.